Archives préhistoriques
gravées dans la pierre


Au néolithique, le Sahara verdoyait : éléphants, antilopes et bovinés en étaient les hôtes. De ces temps immémoriaux restent quelques scènes inscrites dans la roche.

Dans le contexte hyperaride du Sahara actuel, il est insolite de se trouver face à un éléphant monumental figé dans la pierre et gravé depuis des millénaires... Véritables archives des temps préhistoriques, gravures et peintures rupestres sont connues de l’Atlantique à la mer Rouge et du Maghreb au Sahel. L’absence de rocher sur de vastes étendues explique pourquoi ces œuvres sont pour l’essentiel localisées dans les massifs montagneux.
Dans le Sahara central, le tassili des Ajjer, plateau de grès prolongeant le Hoggar, est un des plus vastes musées de plein air de la planète. Le Fezzan libyen, moins connu, recèle aussi des richesses insoupçonnées en art rupestre : peintures dans le massif de l’Akakous et gravures dans les Messak Settafed et Mellet. Là, comme autant de témoins de l’évolution climatique, la grande faune éthiopienne s’offre aux yeux des visiteurs. Un bestiaire fabuleux, riche en espèces sauvages : pelorovis aux longues cornes annelées (disparus depuis longtemps), éléphants, rhinocéros, girafes, autruches, antilopes et lions... Mais aussi, surprenants dans ces parages, hippopotames, crocodiles et poissons. Assurément, les rivières coulaient, les lacs étaient remplis quand les artistes ont entaillé la pierre et gravé ces animaux.

 

Des musées en plein air

À partir de Djanet (Algérie) vers la Libye, des tours sont régulièrement organisés par l’agence Désert. En 4 x 4, on peut atteindre les grands sites de l’Akakous (Teshuinat, Ti-n-Lalan, Anschal) réputés pour leurs peintures et ceux des Messak Settafed et Mellet qui recèlent des milliers de gravures (Mathendush, In-Habeter, In-Galguien). Pour l’Akakous, un guide est obligatoire ; une autorisation doit être demandée pour visiter les Messak Mellet et Settafed. Se renseigner à Ghat ou à Sardalas qui peuvent être un point de départ pour ceux qui prennent un vol sur la Libye. Il existe un vol par semaine sur Ghat et des vols journaliers sur Sebha (400 kilomètres au nord-est de Sardalas) depuis Tripoli. Passeport traduit en arabe et visa nécessaires.


Peinture du tassili des Ajjer représentant un chasseur tenant son arc.

Bovinés sauvages ou domestiques, parés d’attributs céphaliques, de colliers, de bâts et de tapis de selle, ovins et caprins sont, avec celles déjà citées, les espèces les plus fréquemment représentées. Rien ne subsiste ici de cette faune, et c’est très au sud du Sahara qu’elle a reculé progressivement devant l’avancée du désert.
Les scientifiques sont en général d’accord pour situer au néolithique ces étages anciens de l’art pariétal. Les conditions nécessaires au maintien de la faune africaine n’ont en effet été réunies au Sahara que lors d’épisodes humides, entre 9 000 et 3 500 avant Jésus-Christ. Un changement s’est opéré vers 3 000-2 500 avant Jésus-Christ avec le retour de l’aridité qui prévaut encore de nos jours.

Incertitude sur les dates

Cette faune a alors été progressivement remplacée par une autre, oryx et dromadaires, plus adaptée aux climats désertiques, la dernière évolution se situant vers l’époque chrétienne. Au Sahara, aucune gravure ne peut être datée avec certitude. En l’absence de texte ou d’inscriptions, taille, patine, style, superposition, présence de certains animaux sont les critères majeurs de classement. Les datations par le carbone 14, le dosage relatif d’ions (dont les proportions varient avec le temps) ou les profils de micro-érosion sont à considérer avec prudence, les causes d’erreur étant nombreuses.
Toutes ces gravures révèlent des pans entiers du mode de vie, des croyances et de l’évolution des groupes autochtones. Au Messak, les figurations humaines se distinguent notamment par les vêtements, les attitudes, les armes et les attributs. Des personnages porteurs de coiffures coniques, vêtus de longues robes finement décorées et maintenues par des ceintures retombant sur l’arrière, sont associés à des scènes pastorales. Ils en côtoient d’autres qui portent des vêtements comparables à nos shorts. Groupes différents ? Succession dans le temps ? Coexistence de conventions graphiques pour des classes sociales distinctes ? En tout cas, ce n’est pas un groupe unique qui apparaît sur les falaises du Messak.


Bergers et gardiens d’un fabuleux cheptel disparu


Ce troupeau de bœufs parés d’attributs céphaliques (ci-dessus)
ou cet éléphant déféquant (ci-desosus), gravés sur les rochers
du Fezzan libyen, témoignent du passé humide qu’a connu le Sahara.


Ci-dessous, peinture rupestre de Tamrit (Algérie)
représentant des chameaux et leurs gardiens.


Détail d’une pierre sculptée du désert libyen


Antilopes à tête d'autruche

Les scènes de chasse montrent l’importance de cette activité dans la vie quotidienne. L’arc y jouait, semble-t-il, un rôle de premier plan, car des archers sont visibles dans la plupart des cas. Les chasseurs utilisaient toutefois d’autres techniques, comme le piégeage. À Ben Bârûr, des milliers de pierres à gorge parsèment le désert. De toutes tailles, elles sont unanimement reconnues par les chercheurs pour avoir servi d’entrave. Sur les gravures, on les retrouve dans des scènes reproduisant le piégeage de rhinocéros, d’aurochs, d’autruches et de bovinés.
Un système similaire réunissant pierre à gorge et corde était encore employé récemment par les Touareg. Il est à peu près certain que ces dispositifs servaient aussi à entraver les animaux domestiques.

 

Patrimoine en danger

Patrimoine mondial, l’art pariétal est en danger. Par endroits, les peintures ont plus souffert du tourisme en vingt ans que des intempéries durant des millénaires : les toucher, les passer à la craie ou les mouiller (certains inconscients vont jusqu’à utiliser de l’urine pour les faire ressortir et prendre des clichés) sont des pratiques à proscrire si l’on veut léguer ces trésors aux générations futures.


Des êtres étranges hantaient la savane en ces temps éloignés: antilopes à tête d’autruche ou de girafe, hippopotames grimaçants à dentition de carnassier. Plus remarquables encore, ces géants à tête de lycaon ou de chacal, doués d’une force colossale, qui portent sous le bras ou sur les épaules, sans effort apparent, des buffles, des ânes ou des rhinocéros, chevauchent des éléphants ou participent à des scènes d’accouplement. Génies de la chasse et de la fécondité, ils sont, avec ces drôles d’animaux, les éléments étonnants d’un univers symbolique difficilement accessible qui fait toute la spécificité du Fezzan.

 

Yves et Christine Gauthier

Pour amateur d’art bon marcheur

Le tassili des Ajjer, haut lieu de l’art rupestre saharien, a été rendu célèbre par les travaux de Henri Lhote. Sefar, Tamrit, Jabbarem, Ozanéaré sont parmi les sites importants de ce plateau d’une extrême beauté avec ses dédales rocheux. Réservé aux marcheurs, le tassili est accessible au départ de Djanet. Un rapide trajet en 4 x 4 jusqu’au pied du plateau emmène le voyageur pour une escalade de 700 mètres, avec un guide (obligatoire : le tassili est un parc archéologique). En un jour, ou une semaine, on peut louer des ânes, et s’embarquer pour une visite inoubliable. Avion direct de Paris.

Source :

N° 178 - Décembre 1993