À la recherche de l’avion disparu dans le Tanezrouft





           Vendredi 1er juin, 7 heures 30. Le C.47 immatriculé F-SSTZ décolle de Bordj-le-Prieur à destination de Reggan. Son itinéraire : le Tanezrouft, le désert le plus aride du monde ; on suit toujours avec beaucoup de précision les avions qui traversent cette zone. Or, aujourd’hui, silence : panne radio sans doute... à Reggan, le Lieutenant BLARDAT, du C.L.A. décide d’émettre le message « INCERFA » : incertitude sur le sort de l’avion.
           À 10 heures 50, toujours sans nouvelle de l’avion qui aurait dû atterrir, à 10 heures 30, le C.L.A. de Reggan émet une préposition réglementaire de phase d’urgence « ALERFA » à destination du CIV/CCR d’Alger, qui prévient le C.C.S. (Centre de Coordination et de Sauvetage) de REGHAIA.

SAR ENTRE EN ACTION

           À Maison-Blanche, le détachement de l’E.A.R.S. 99 se met en alerte et prépare le décollage d’un « Constellation » S.A.R. (Search and Rescue). La R.A.S.A., à Reggan, réunit pendant ce temps des renseignements sur l’avion perdu. On ne sait plus rien : l’autonomie de l’avion est bientôt dépassée : il n’a pu que se poser quelque part dans le désert. Le message « DETRESFA » parvient à Réghaïa à 11 heures 55. Entre temps, comme le prévoient les instructions S.A.R., la recherche a commencé avec les moyens disponibles sur place : un C. 47 basé à Reggan a décollé à 11 heures 30 et tourne au-dessus du Tanezrouft dans la direction où l’avion naufragé peut se trouver.
           De même, une colonne détachée de la C.C.R. d’ADRAR se dirige vers l’endroit où l’on suppose que se trouvent les sept aviateurs qu’il s’agit de sauver. Un médecin militaire en fait partie. La mission S.A.R. : coordonner ces moyens de recherche et de sauvetage, et aussi apporter le concours de son équipement spécialisé.

L'ÉQUIPEMENT

           Ce « Constellation » SAR est par lui-même un moyen inappréciable. D’abord, il jouit d’une vitesse de croisière, d’une autonomie (environ quatorze heures de vol) et d’une capacité fret et équipage qui autorisent les missions les plus diverses dans les endroits les plus éloignés des bases de stationnement.
           L’équipement de Recherche et de Sauvetage comporte d’une part l’appareillage radio de l’avion, d’autre part les lots de recherche et sauvetage convenant aux opérations maritimes (SAMAR) ou terrestres (SATER).
           Parmi les premiers : émetteurs récepteurs HF (liaison avec les postes S.C.R. 300 de l’Infanterie pour les opérations SATER), V.H.F. et U.H.F. : les lots de secours emportés obligatoirement par les pilotes comportant une « balise ». Cette balise est un émetteur VHF. (AN URC/4) ou UHF (TRPM 2A) qui fonctionne automatiquement après déclenchement lorsque le pilote naufragé veut se signaler.
           L’avion emporte en outré un ensemble de fusées, feux de bengale (flottants pour les opérations en mer), pots fumigènes, containers parachutables de vivres, eau, médicaments, messages lestés, cartes… en un mot, tout ce dont peuvent avoir besoin les naufragés localisés par l’avion pour se sortir de leur situation ou aider bateaux ou colonnes automobiles à venir à leur secours.

 

 

LES HOMMES

           Cet équipement ne serait pas d’un grand secours s’il n’était utilisé par un personnel hautement compétent. Dix hommes au minimum se trouvent à bord du « Constellation » : L’équipage de cinq hommes, un spécialiste du parachutage, et quatre observateurs. Ces derniers disposent de quatre ouvertures spécialement aménagées sur les flancs de l’avion pour permettre une surveillance de tous les instants du terrain parcouru lors des recherches. On conçoit que le travail de ces hommes soit extrêmement fatigant, aussi un système de relais s’organise-t-il, facilité par la présence d’une cabine confortable aménagée spécialement à bord pour le repos de l’équipage.

MISE EN PLACE

           Tel est l’appareil, le F-BAZM, qui se pose ce vendredi à 18 heures 30 à Reggan. Il a à son bord le « P.C. S.A.R. » avancé, que commande le Lieutenant SALARD, et qui comprend une équipe radio chargée de la direction du Constellation pendant la recherche. Ce P.C. s’installe aussitôt au C.L.A. de Reggan, et entreprend avec les Officiers du 3e Bureau de la R.A.S.A. l’examen de la situation et des renseignements qui ont pu être réunis sur l’avion disparu.
           En fonction de ces données, un plan de recherche est établi : sur l’axe Bordj-le-Prieur-Reggan, le « Constellation » décrira, en partant du 23e N, une série de « zigzag » qui lui permettront de couvrir rigoureusement la zone située de part et d’autre de l’itinéraire suivi par le C.47 au moment de sa disparition.

RECHERCHE DE NUIT

           À 21 heures, le F-BAZM décolle. Le Capitaine BIDOT, Commandant de bord, pilote dans la nuit vers le lieu probable de la catastrophe. De nuit, un seul moyen peut être efficacement employé : la recherche radio. Celle-ci commence bientôt, à l’aide de tous les appareils dont l’avion est équipé : on sait en effet que les naufragés peuvent émettre en VHF et en UHF les signaux de détresse sur les longueurs d’ondes prévues par les règlements internationaux.
           Vers 22 heures 15, on entend une émission : les observateurs redoublent d’attention. À 22 heures 30, une position correspondant à l’endroit d’où cette émission paraît provenir est déterminée. L’avion envoie une fusée. Pas de réponse. Nous continuons à « ratisser » le secteur. À 22 heures 40, un observateur croit apercevoir une lueur rouge : on lance une seconde fusée.
           Il est impossible de faire mieux : aucun signe des naufragés sauf cette émission radio localisée à peu près. Il ne reste plus qu’à rentrer à Reggan : nous repartirons demain matin, et, à la lumière du jour, nous verrons certainement les naufragés à la position relevée. Nous pourrons alors les secourir efficacement.

LES VOILÀ !

           C’est à 9 heures 40, le lendemain matin que nous les apercevons, tache noire dans l’immensité éblouissante du désert. Ils ont établi un camp, un carré que l’on peut voir de très loin. Lorsqu’on passe à la verticale, on remarque le grand « F » en toile rouge, haut de quatre mètres, large de deux, qui d’après le code O.A.C.I. (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) signale un besoin en vivres et en eau.
           Mais parallèlement la conversation s’engage sur les ondes avec les naufragés, mais aussi, comme hier, avec le S. C. R. 300 de la colonne de secours qui est proche des naufragés, et que nous allons guider vers eux. Quittant les naufragés, le Constellation vire et bientôt nous survolons les camions de la colonne de secours. Des fumigènes sont largués, qui leur indiquent la direction à prendre, et les voilà, taches noires qui avancent à toute vitesse en soulevant un nuage de poussière.
           À nouveau à la verticale des naufragés, nous préparons le largage des bonbonnes d’eau : attachées à un parachute à ouverture automatique, elles arriveront au sol dans de bonnes conditions. À 10 heures 20, c’est chose faite.
           Puis nous larguons un message lesté et une trousse de survie. L’ensemble arrive « à bon port ». Le rôle de l’équipe SAR se termine : les naufragés vont être recueillis par la colonne de secours et ramenés à Reggan.

UN MYSTÈRE ÉCLAIRCI

           Plus exactement tout serait terminé s’il ne s’agissait pas comme aujourd’hui... d’un exercice d’entraînement réalisé en accord avec la RASA à partir de la base de Reggan.
           Les naufragés ? Un groupe d’officiers navigants appartenant à des formations dont les missions obligent à des survols des régions désertiques, placés sous les ordres du Commandant DESSAILLY, Chef de la Section SAR de l’État-major de la Ve R.A.
           Pour la Ve R.A. :
           — Le Lieutenant LACOUR, du G.B. 2-91 Oran ;
           — Le Lieutenant PIQUET, du 1-62 Maison-Blanche ;
           — Le Lieutenant PLATEL, du G.S.R.A. 76 Ouargla ;
           — Le Sergent LECA, du G.L.A. 45 Boufarik.
           Pour la RASA : le Capitaine DUCOURANT, qui jouait le rôle de chef de l’équipe des naufragés, et deux officiers navigants.

LE DISPOSITIF

           Ils sont partis de Reggan vendredi à 0 heure, avec la « Colonne de Secours ». À leur arrivée sur les lieux choisis pour le déroulement de l’expérience, ils ont prévenu par radio la RASA, déclenchant ainsi tout le mécanisme d’alerte.
           Il faut au minimum huit heures de route pour se rendre au point choisi, celui-là même où, en avril 1933, l’aviateur anglais William Lancaster avait dû faire un atterrissage forcé et était mort faute de secours.
           Les « naufragés volontaires » disposent d’un équipement qui leur permettra de passer aussi peu désagréablement que possible ce séjour dans le désert.

SIGNALISATION

           Surtout, ils emportent le matériel de survie et de signalisation que l’exercice a pour but d’expérimenter :
           — des lots de secours que les « naufragés » utiliseront et sur lesquels ils feront des observations ;
           — un poste portatif de secours SCR 578 émettant sur 458 kilocycles ;
           — deux balises de détresse UHF-VHF ;
           — deux balises de détresse UHF TRPM 2 A émettant sur 243 mégacycles. C’est plus particulièrement cet équipement qu’il s’agit d’expérimenter.
           De son côté, la colonne de la C.C.R. qui les avait conduits sur les lieux s’écartait pendant le jour d’une vingtaine de kilomètres de manière à ce que l’avion SAR ait effectivement à la « guider vers les naufragés ».
           Nous savons que l’opération s’est soldée par une réussite.
           L’exercice s’est complété, après la découverte de l’emplacement, par des essais de portée de la balise UHF.

CONFRONTATION

           Enfin, le surlendemain, les « naufragés » de retour à Reggan rencontraient leurs « sauveteurs » pour confronter les observations et en tirer les enseignements qui en découlaient.
           C’est lors de ce débriefing que le Capitaine QUENTIN, Commandant l’escadrille de Liaison stationnée sur la base de Reggan, explique comment l’avion disparu avait été découvert par le C.47 de sa formation qui avait décollé lors du déclenchement de l’alerte.
           Bien entendu, le résultat de cette recherche n’avait pas été communiqué, pour laisser l’exercice se dérouler. Mais il est très encourageant de constater la rapidité avec laquelle, dans la réalité, les secours auraient été apportés.
           Quant aux opérations du P.C. Avancé SAR et aux recherches du F-BAZM, le Lieutenant SALARD et le Capitaine BIDOT les rappelèrent en précisant que les naufragés avaient pu être localisés avec un approximation suffisante, de nuit, grâce à des méthodes de navigation qui permettent de situer le point où les sons émis par la balise de détresse sont les plus forts (lieu supposé de l’émission elle-même), sans qu’un équipement de homming soit indispensable. Le Commandant DESSAILLY fit ensuite la synthèse des impressions des naufragés. L’équipement emporté leur avait permis de ne pas trop souffrir de la chaleur ; mais surtout, le matériel de signalisation avait joué pleinement son rôle. Tout au moins, celui qu’on utilisa, car il faut bien dire que, pour accroître la difficulté de l’exercice ces naufragés furent bien discrets notamment pendant la nuit où ils poussèrent l’astuce jusqu’a camoufler leurs lumières pour ne pas se faire repérer autrement que par radio !
           Les buts multiples de cet exercice ont été atteints :
           — le personnel S.A.R. a pu s’entraîner ;
           — le matériel de signalisation a été expérimenté ;
           — les officiers « naufragés volontaires » ont pu faire l’expérience du matériel mis à leur disposition et ils pourront en faire bénéficier les autres pilotes de leurs formations.
           Que de chemin parcouru, depuis qu’en 1933 Lancaster mourait en ce même point du désert, faute de moyens de secours.

 

Source :

Vème R.A.
Bulletin de liaison des forces aériennes en Algérie
Mensuel n°8 - 1962