Je me souviens...

De Reggan à Colomb-Béchar

Bernard BOIVIN - 60 1/B 620ème Groupe des Armes Spéciales

 

Beaucoup d’entre nous furent confrontés à ce trajet qui de nos jours ne ressemble en rien à ces parcours où la piste pouvait se confondre avec le paysage.

Quand tout pouvait se produire dans l’incertitude d’une époque où la sérénité n’était pas forcément de mise entre nous autres militaires de l’armée française et ce pays, ce beau pays d’Algérie qui était en train de rompre ses liens avec ceux qui l’avaient malgré tout énormément aimé.

L’histoire de l’homme s’est faite depuis la nuit des temps au travers de tous les continents et le livre n’en finira pas d’être écrit !

Reggan plateau, Centre Saharien d’Expérimentations Militaires, comme d’aucuns le savent, se situe à la lisière du Tanezrouft, avec sa palmeraie toute proche, véritable porte d’entrée de ce terrible désert. Dans les années 60, le plateau regroupait une population importante au fil du temps et des divers essais, une population composée suivant le moment, de nombreux militaires et d’un certain nombre de civils.

J’appartenais moi-même au 620ème GAS, avec la responsabilité du foyer. Pour alimenter toute cette population, au-delà des transports aériens qui par noria nous apportaient un maximum de nourriture, boisson, etc., nous avions la nécessité d’aller en convoi jusqu’à Colomb-Béchar rechercher les compléments indispensables à l’alimentation des troupes.

J’avais donc eu l’occasion, une chance bien entendu, de participer à ce trajet pour le ravitaillement des cuisines, foyer etc… Pour ce faire il était nécessaire de former des convois, en général composés d’une dizaine de GLR Berliet.



Merci à Guy CHAURIN pour sa photo

Bref, me concernant, j’avais la responsabilité d’un camion transportant de la bière pour le foyer du 620ème, boisson indispensable au moral des troupes ! L’incontournable « K », la KRONENBOURG, du fameux brasseur alsacien d’Obernai. La bière préférée de la plupart des militaires de Reggan.


Il est à souligner ici que des hectares de cadavres, de cette « dive bouteille »’ étaient déchargés par camions entiers dans des zones inoccupées du plateau et sur plusieurs couches inhumées sans doute pour « les siècles et les siècles, amen » !, cadavres protégés par les sables du désert, «DE PROFUNDIS ».

Sur 700 Km entre Reggan et Colomb-Béchar la piste pouvait être des plus agréables. Nous autorisant la vue de magnifiques paysages entre oasis et désert. Par contre l’enfer de la tôle ondulée nous rappelait à l’ordre, véritable calvaire lorsqu’il nous fallait franchir ces zones incompatibles à la circulation automobile. Un véritable calvaire pour nos véhicules dans lesquels nous étions secoués comme des palmiers dattiers (j’allais dire pruniers mais nous étions au Sahara). Bien sûr avec un peu de vitesse lorsqu’il était possible de prendre de l’élan, les secousses étaient plus digestes, mais nous nous serions bien passés de nous retrouver dans les « cycles essorages » de nos bons vieux Berliet. Pour nous tout ça était compensé par ce type d’aventure qui formerait les souvenirs que nous pourrions raconter à nos petits-enfants.

Évidemment, à mi-chemin le bivouac était obligé, l’arrêt privilégié étant Kerzaz. Un coin où les dunes de sable sont plus magnifiques les unes que les autres.

Il nous fallait monter les tentes, et qui dit bivouac dit casser la croûte, puis au lit enfin sous les couvertures avec bien entendu les visiteurs de la nuit entre scorpions et tarentules.

La fraîcheur de la nuit ne favorisait pas vraiment l’endormissement, nous avions hâte de repartir à l’aube. Heureux enfin d’arriver à Colomb-Béchar pour découvrir que la gent féminine, dont nous étions privés à Reggan, n’était pas éteinte.

Après deux jours nous étions de retour au plateau.

Constat à l’arrivée : les cartons de bière exposés au soleil s’étaient déchirés pour ne pas dire avaient explosé, dégâts du fait aussi de la très chère tôle ondulée, par contre les capsules avaient tenu le coup et après être passées au « frigo », la délectation de la « mousse » serait sans pareil et de surcroît appréciée au plus haut point.

Ces voyages nous changeaient de la tristesse de la base de Reggan où la plupart du temps la chaleur était omniprésente. Nous avions pu observer au cours de notre périple de nombreux chameaux sur la piste, ainsi que les nombreuses carcasses de ceux qui avaient dû s’arrêter là.

J’avais également été marqué au cours du voyage par un radical changement de température à Abadla où le climat semblait plus serein, quand remontant du Sud nous découvrions une végétation luxuriante. Cela nous changeait totalement du paysage désertique du plateau de Reggan. Un beau voyage finalement que je referais volontiers !!!

Bernard BOIVIN - 15 avril 2016