LE CATAFALQUE

 

Qu’est-ce donc que ce truc là ? Utilisé par le passé ou encore dans les grandes cérémonies le catafalque est une estrade décorative accueillant le cercueil, lors d’obsèques (Petit Larousse).
En ce temps là, dans notre bon vieux village, c’était la coutume d’installer ce style de « monument ».
L’église et son transept où eut lieu l’événement

Les églises n’étaient pas désertées comme aujourd’hui et de nombreux bénévoles venaient aider le curé pour la préparation des diverses cérémonies.
Mama, surnom donné à la brave femme qui s’occupait plus particulièrement des installations, était toujours la première en action. Ce jour-là, il fallait enterrer un quidam des Conches, un « concha » 1, comme ils disaient dans le pays.

Tout était prêt pour recevoir la dépouille mortelle à l’église. Et lorsque le corbillard, tiré par un cheval, se présenta à la porte de l’église, les villageois attendaient patiemment pour rendre le dernier hommage. Le cercueil fût sorti de la « charrette » et posé sur le brancard prévu à cet effet.
Les deux porteurs étaient désignés d’avance, ainsi que ceux qui tenaient les cordons du « poêle » 2.  Reconnaissance de la famille envers leurs compatriotes ou voisins.
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1 En Français : Conchais, origine Espagnole  >>> Coquille.
2 Poêle >>> du latin pallium, manteau. Il s’agit du drap mortuaire dont le cercueil est recouvert pendant les funérailles.


Notre premier porteur qui n’était pas homme d’église, n’avait jamais participé à une telle cérémonie. D’où son inquiétude au moment de se diriger vers le catafalque. Le deuxième porteur lui dit à mi-mots :

        « T’inquiète pas y te diré c’qu’o fou faire.
         De tote façon te bouge pas, si y t’ou dit pas ».
3

Les deux compères chargés de la dépouille entrent donc dans le catafalque.
Le second ne disant rien, le premier reste à l’intérieur dans l’attente des ordres.
Mama, vacant à ses occupations habituelles referme la porte de tissus du catafalque sans se douter qu’elle enfermait notre homme à l’intérieur.

La cérémonie débute chacun s’étant réparti sur les bancs de l’église. Se passe un certain temps, messe oblige. Le curé en vocalise entonne tout à coup le « Dies ire Dies ila » et à grands coups d’encensoir, faisant le tour du catafalque, il enfume le défunt et du même coup notre porteur qui coincé à l’intérieur, manque un peu d’air. La gorge le gratte, il éternue, tousse et puis se met à pousser quelques jurons heureusement étouffés par l’harmonium qui n’en finit pas de grincer, pédales obligent, car si l’encens n’incommode pas les soufflets de l’instrument, il ne lui faut quand même pas manquer d’air à ce moment crucial de la cérémonie.

Jusque là, l’assistance ne s’était trop aperçue de rien, à part quelques uns qui essayaient de contrôler leur fou rire.
Encore quelques jurons, interpellant le curé qui lui, savait bien qu’une fois mort, on l’est bien et de mémoire il n’avait jamais vu un de ses clients sortir du plumier !
Gardant son calme, il fit tout de même signe à Mama, lui demandant si elle avait une idée de ce qui se passait ?
Il fallait regarder ce qui pouvait bien se dérouler dans ce catafalque pour en avoir le cœur net, il y avait peut-être eu un miracle !
Mama s’approchant, s’aperçut en voulant ouvrir la porte qui fermait « l’édifice », que deux mains sortaient du dessus de la porte.
À ce moment dans un concert de jurons notre prisonnier sortit disant :

        « Bondiu de bondiu, le m’orian fé étouffé dans t’chou machin ! Là ô va mu ». 4

Mama eut la peur de sa vie, dans l’émotion n’ayant pas reconnu le porteur, elle tomba dans les bras de sa collègue, histoire d’aller faire un tour dans les étoiles. Le curé ne savait plus quoi penser, l’harmonium s’était arrêté de gémir alors qu’un fou rire général secouait l’assistance.
Le pauvre défunt était loin de se douter que ses funérailles seraient l’occasion de tant de larmes dues bien sûr au fou rire de tous.
Le prêtre termina sa cérémonie tant bien que mal et c’est ainsi que dans une ambiance de fête, le défunt fut conduit à sa dernière demeure et puis chacun rentra chez soi se promettant de raconter l’histoire à tous ceux qui n’avaient pas assisté à la cérémonie.
L’épitaphe du brave défunt aurait pu être :

             RIONS, rions, nous aurons toujours le temps de pleurer !

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3 Ne t’inquiète pas, je te dirai ce qu’il faut faire. De toutes façons tu ne bouges pas, tant que je ne te le dirai pas.
4 Bond… de bond…, ils m’auraient fait étouffer dans ce machin ! Maintenant ça va mieux.

Alain BROCHARD - Octobre 2006