Je me souviens...

Le manip's

Alain BROCHARD – 63/1 – Technicien radio – Base Aérienne 167

 

 

 

La station Émission avait été remise en fonctionnement depuis longtemps et nous avions tous oublié l’incident mémorable du local des groupes électrogènes, quand le chef nous annonça qu’il avait trouvé un superbe manipulateur, et qu’il allait bientôt le mettre en service à la station réception.

Il est vrai qu'il était beau son nouveau jouet, celui-là au moins ne risquait pas de sauter ou de l’électrocuter !

II prit donc contact avec un de nos collègues de chambrée qui bossait lui à la station Réception. Radioamateur à ses temps libres ce dernier, un vrai « TITI » parisien (il ne lui manquait que le couvre-chef de Gavroche), n’en était pas à ses débuts question manipulateur. Forts des informations que nous lui avions données, l’idée de monter une cabale à R… fut aussitôt d’actualité.

Quelques jours plus tard, le chef partit à la station réception, manip's sous le bras. Il passa son après-midi à expliquer, brancher, bref les essais en vraie grandeur auraient lieu le lendemain. Le chef nous demanda de l’assister, nous disant qu’il allait utiliser une fréquence en stand-by sur un des émetteurs TRT et après avoir averti notre ami de la station réception, on enverrait la « purée »1. L'opération se déroulait normalement quand l’opérateur télégraphiste annonça au téléphone que rien ne se passait et qu’il n’envoyait aucun signal. Nous avions bien constaté en effet que le vumètre de contrôle de l’émetteur2 était resté à zéro, mais nous pensions que l’essai n’avait pas démarré.

R… téléphone en main dit à son interlocuteur qu’il vérifiait de son côté pour voir si tout allait bien. Tout était OK, et pourtant il n’y avait pas d’émission. Le chef nous dit, je contrôle la fréquence et le voilà « peuchère », plongé dans les tables3 de réglage des servomoteurs. Puis à nouveau l’ordre d’émettre fut donné, mais « niet » rien à faire l’émetteur restait muet. Nous n’en pouvions plus et le rire nous prenait car nous savions tous où était le problème. Et pour que le chef ne se doute de rien chacun à notre tour usait au maximum des toilettes le temps de calmer les fous rires qui nous prenaient.

Brutalement il nous dit l’émetteur est en panne il n’y a pas d’autre explication, je change d’émetteur. Jusque-là il n’y avait pas trop de dégâts, il avait certes décalé les fréquences du premier appareil, nous remettrions de l’ordre par la suite. Second émetteur même topo, quand il voulut s’attaquer au troisième nous lui dîmes stop.

Un émetteur en panne possible, deux non, les appareils étaient sans cesse vérifiés, le matériel était fiable et de surcroît robuste, bien adapté aux températures élevées. Je sais bien qu’en technique la redondance4 ne suffit pas, mais quand même.

Nous voyions mal à cet instant, d’être obligé de repasser derrière le chef pour tout remettre en ordre. Mais les idées ne lui manquaient pas à notre super-technicien et il commençait déjà à démonter le tableau des liaisons d’interface entre les deux stations, par où passaient tous les tenants et aboutissants des différents câbles de commandes.

Nous fîmes intervenir l’adjudant-chef avant que l’irréparable n’advienne. Ce dernier dit à R... qu’avant de démonter la station émission il aurait dû s’assurer que tout était correct dans son installation à la réception. Notre homme reprit la route et nous ne le revîmes que le lendemain. Il nous expliqua que finalement c’était une panne du fameux « manips », sans doute débranché malencontreusement, qui pouvait le savoir ???

En attendant, il nous avait fallu remettre de l’ordre dans tout ce que notre bon chef avait touché.
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1 En langage décodé « on émettrait ».
2 Contrôle de la modulation de la haute fréquence.
3 Sur le plan de l’alignement des chiffres, ça ressemblait pour ceux qui aiment... à des tables de logarithmes.
4 Pour plus de sécurité dans certains équipements (aide au pilotage par ex), beaucoup de matériels sont triplés en cas de pannes.