Je me souviens...
Rupture
d'antennes
Alain BROCHARD – 63/1 – Technicien radio –
Base Aérienne 167
Je pense que ce fut le dernier gros coup de R… Après avoir fait un nombre certain de C..., se traduisant ci et là par des flashes, courts-circuits divers et autres explosions, le chef avait été relégué au rôle de moniteur d’auto-école par M... qui commençait par en avoir par-dessus la tête d’un « terroriste »1 qui s’il en avait eu le rôle n’aurait pas fait mieux !
Mais depuis son séjour à l'hôpital2, il n’était plus question de confier quoi que ce soit d’électrique au sus nommé. D’autant plus que l’équipe qui devait finir de démanteler la base était arrivée pour prendre le relais. Nous étions en mars 1964, depuis plusieurs semaines nous avions commencé à emballer ce qui serait soit récupéré, soit détruit pour laisser ce site à la disposition des Algériens3.
Le remplaçant de l’adjudant-chef M... était là aussi et dans l'attente de prendre la suite, M... avait demandé à R... de lui donner des leçons de conduite pour que ce dernier4 puisse obtenir un permis de conduire qu’il n’aurait certainement jamais obtenu dans le civil.
Comme il n’y avait pas de voiture disponible sur le secteur de la station émission, le véhicule, pour l’apprentissage de notre futur pilote, était tout désigné, ce serait le GMC « shelter », que nous avions remis en route lors de nos permanences du week-end. En effet pour passer le temps nous avions redémarré cet engin qui croupissait là depuis plusieurs années, n’ayant plus de rôle dans le service actif. C’était certainement une des reliques du début de la base. Il était équipé d’un système de radiogoniométrie « Sadir-Carpentier » et il avait dû servir à l’alignement des avions avant la construction de la tour de contrôle. Ramené à la station émission il était là en attente d’être brûlé5 ou démoli.
Après avoir dégagé la croûte de sable qui recouvrait le moteur, batterie et jerricane d’essence en mains nous avions démarré l’engin. Le moteur était parti dès que le carburateur eut retrouvé son nectar favori. Dans cette partie du Sahara, nous n’étions pas gênés par les problèmes d’allumage vu l’absence quasi-totale d'humidité. Ensuite il nous servit à faire du rodéo autour de la station lorsque le temps était clair. (Absence de hiérarchie).
R..., accompagné de son élève, se mit donc un matin aux commandes du véhicule, prétendant que depuis le nombre d’années qu’il n’avait pas conduit ce genre de « truck »6, il fallait qu’il se fasse la main. Ce fut le début du calvaire de la boîte de vitesses.
En dehors du peu de trafic routier concernant la station émission, or les matins, midis et soirs lors des changements d’équipes, la route d’accès était libre de toute circulation et pouvait servir aux ébats de nos deux compères. Les scorpions et autres tarentules qui habitaient le secteur eurent droit à un spectacle de première quant à l’apprentissage à la conduite.
Après les bruits hors du commun provoqués à chaque passage de vitesse du chef, vint le moment où l’élève prit le volant. Ne dit-on pas que le nec plus ultra est lorsque l’élève dépasse le maître. C’est sans doute ce qui se passa, car à partir de ce moment-là plus de bruit. La boîte de vitesses ne gémissant plus nous ne nous préoccupâmes plus de cette histoire et chacun à nouveau vaquait normalement à ses activités. M... avait la paix et tout était dans le meilleur des mondes, d’autant plus que nos deux adeptes du GMC, ayant pris de l’assurance, naviguaient désormais sur l’ensemble de la base et du coup s’étaient parfaitement fait oublier. Les jours, je dirais même les semaines passaient quand un soir regardant par une des fenêtres du côté des émetteurs de l’armée de Terre je vis passer à bride abattue notre GMC qui devait aller se garer derrière la station. Pourquoi le stationner derrière le bâtiment, nul ne le saura, ce « truck » qui avait passé plusieurs années, stationné à proximité de la porte d’entrée n’avait aucune raison d’être amené derrière le bâtiment. Dans le désert à partir du moment où l’engin est tout-terrain il y a partout de la place pour stationner, les parcmètres n’avaient pas encore été inventés !
Qui avait pris cette décision ? Le problème était que le shelter transporté par notre véhicule était muni d’un support d’antenne qui dépassait du toit d’une trentaine de centimètres et que la hauteur totale était trop importante pour passer sous les sorties d’antennes de l’armée de Terre. En moins de temps qu’il en fallut, nos deux pilotes avaient coupé les câbles en cuivre qui alimentaient les pylônes. J’avais déjà expliqué plus haut que les émetteurs concernés étaient anciens et ne disposaient pas de sécurité, relais d'antenne, ou autre.
Et ce qui devait se produire arriva, les émetteurs en service perdant brutalement leur charge (l’antenne), se trouvèrent à fonctionner à vide et les anodes des P.A.7 les uns après les autres se mirent à rougir puis blanchir, « tels des lampes d’éclairage ». Rendant ainsi avant d’en finir, un dernier hommage à EDISON, montrant ainsi qu’un tube de puissance radio avait aussi dans ses derniers ébats le privilège d’éclairer. L’armée de terre fut instantanément privée d’émission, une fois de plus R... avait fait taire en partie la base de Reggan. Nous nous précipitâmes tous dehors et M... ne put pas faire autrement que de mettre en public, une volée de bois vert8 à nos deux apôtres, en s’excusant auprès de son collègue « TERRE » de ce regrettable incident. Tous les sous-officiers de l’armée de l’Air de la station furent chargés de réparer les sorties d’antennes et sur-le-champ ! Nous-mêmes les appelés, furent chargés de mettre à disposition l’ensemble de nos émetteurs TRT après les avoir réglés sur les fréquences demandées. Quant à M... il sortit de son magasin l’ensemble des pièces détachées nécessaires à la réparation des BC 6109 qui avaient souffert de l’incident. Tout le monde mettant ainsi la main à la pâte, la remise en route fut rapide et l’incident passa inaperçu ou presque. Une semaine plus tard les réparations terminées, l’armée de Terre était redevenue autonome et l’affaire se soldait par un pot qui était toujours le bienvenu.
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1 Loin de moi d’assimiler le chef à ce style d’individu, mais vu le nombre de dégâts l’assimilation virtuelle me semblait logique (Rires).
2 Voir l’anecdote BLU…
3 La base de REGGAN fut laissée à la disposition de la France jusqu’en 1967.
4 Ce type qui avait à peine la cinquantaine, était un bonhomme sans envergure déjà vieux que l’on avait dû envoyer là pour lui faire prendre l’air !
5 Il faut savoir qu’à ce moment les matériels, véhicules ou autres qui arrivaient sur la base étaient amenés en bout de piste dès leur déchargement et brûlés. (Où vont nos impôts ?)
6 Camion en anglais, n’oublions pas qu’il s’agit d’une fabrication US. J’aurais pu écrire TRUC vu l’état de l’engin.
7 P.A. >>> Power Amplifier (désigne l’étage de puissance d’un émetteur), plus particulièrement le tube de puissance de sortie de l’émetteur. Comme ces appareils étaient utilisés essentiellement en graphie (MORSE), en émission ils travaillaient à 90% de leurs caractéristiques (possibilités). De ce fait une rupture de charge (antenne) faisait passer l’anode du rouge vif au blanc, température de fusion et de destruction du tube électronique.
8 Difficile à trouver au Sahara !
9 L’armée de l’Air possédait également deux émetteurs de ce type, d’où l’approvisionnement en pièces détachées.