Un homme sans l'Occident

 

voir le film (durée 1h 39'59)

 

 

Réalisation : Raymond Depardon
France, Durée : 1h45, 2002
Avec Ali Hamit, Wodji Ouardougou, Hassan Yoskoï, Issa Mauli, Hamat Adoum

Avec ce dernier film, Raymond Depardon définit ce que le cinéma a de fondamental. Tourné en 24 images/s le film devient une succession de vingt-quatre photographies du monde par seconde. Comme si entre chaque image on pouvait percevoir le temps d'obturation. Une lenteur efficace qui conduit d'un plan à l'autre, pierre par pierre, à un portrait de l'humanité.

Epuré des savoir-faire savants, le photographe-cinéaste nous montre le désert dans ce qu'il a de plus universel et nous raconte une histoire de l'Homme. La pellicule est-elle en Noir et Blanc ? On ne sait trop à première vue comment l'image nous montre la couleur du désert. La blancheur absolue des dunes n'en est que plus dangereuse, comme si le rien de cette non-couleur submergeait et condamnait d'avance les hommes qui le traversaient. Les corps, noirs, émergent du champs, comme s'ils ne pouvaient se laisser faire par les éléments et qu'ils étaient là pour résister. Ils épousent le milieu désertique, domptent le sable et la chaleur, et chassent les gazelles malgré les vents. Ainsi ils jouissent de cet environnement difficile. Il y a longtemps, le désert permettait aux nomades de vivre sur cette terre aride.
Un Homme sans l'Occident est l'adaptation d'un livre éponyme écrit par Diego Brosset, un officier de la colonisation française. Alifa est enfant lorsqu'il est recueilli par un groupe de chasseurs. Agonisant, il est sur le point de mourir de soif au milieu du désert. Elevé au sein de cette tribu, il n'y est jamais totalement accepté. Homme libre, sans attache, son rapport au monde est intrinsèquement lié à la question de l'altérité. Comment vivre avec l'Autre, en être accepté, lui être indispensable pour aller à la chasse ou pour combattre les tribus rivales ? Ici, l'aspect épuré du film permet au regard de se concentrer sur l'essentiel : la nature de l'humain, impalpable s'il en est. Elle s'expose ici dans son rapport à autrui.

Confronté à l'homme blanc, pâle, hirsute, aboyant, l'arme à la main, Alifa le voit comme un étranger occupant ces terres qui lui permettaient de vivre. De la même manière qu'il faut capturer des animaux pour survivre, il faut repousser l'homme blanc. Mais de l'un et de l'autre côté du front, l'ennemi reste toujours à combattre, et celui qui fait face est toujours un gibier.

Tourné en muet, le film est illustré d'une voix-off racontant cette histoire. Comme si, sur ces personnages de fiction, il y avait une vérité documentaire à dire, un peu monocorde, en tous cas sans fioritures, archaïque. L'expression d'une vérité, de quelque chose d'essentiel transmis par cette voix lointaine nous parvient. Les tractations entre les groupes de chasseurs se font dans une langue que nous ne comprenons pas. Le son, retravaillé au montage, est décalé par rapport à l'image et il nous semble soudain qu'universellement les échanges de toute la planète se traitent de cette même façon, chacun avec leurs mots, tous suivant les mêmes règles de conduite.

Vercors écrivait à propos du livre de son ami : « ...des arabisants de profession se sont émerveillés que cette peinture de Nomades modernes leur eût fait retrouver, pour la première fois, ceux de l'ancienne Arabie, enfin surgie du fond des âges. Effet d'un récit où brille un sincérité non pareille. » Ici l'Afrique, le Sahara, à des années lumière du Paris-Dakar, n'est pas cette terre désolée sur laquelle règnent la guerre et la famine. Le désert n'a pas besoin de l'Occident pour survivre. Parce qu'il est loin des images d'actualité, des photo-reportage en couleur, des images publicitaires vantant la beauté de séjours touristiques, Depardon redonne à cette terre une identité et une fierté perdues. Parce qu'il ose utiliser l'art cinématographique dans ce qu'il a de plus simple et de plus ancestral, il réalise un grand film tant sur le cinéma, que sur le monde, sur le désert et sur l'Occident.