Djado
l'oasis oubliée


Une mystérieuse civilisation prospéra jadis au cœur du Sahara central, à l’extrémité nord de l’actuel Niger. Blotti au bord de formidables citadelles de grès, un chapelet de palmeraies-écrins renferme les vestiges d’incroyables cités disparues au milieu des sables, semblant sortir des limbes d’un monde perdu.

Campé sur les remparts du ksar de Djado, Korey, notre guide toubou,
avance des hypothèses tentant d'éclairer le mystère de l'oasis oubliée.
Plusieurs civilisations se seraient succédé sur ces sitesstratégiques du massif :
peuple guezebida puis kanouri, issus d'une vague migratoire peut-être
yéménite, métissée avec des populations du Tibesti voisin

Juste sous le sable brûlant,
un immense réservoir d’eau douce : le secret de la vie

Un acacia solitaire veille, au pied des grandes dunes de Temet,
au nord de l’Aïr ; au bord du Ténéré, un océan de sable de 380 kilomètres,
dernier obstacle avant de rejoindre le massif du Djado.

Ténéré, de sable et de ciel. L’univers tout entier semble condensé dans ces deux éléments. Notre véhicule s’obstine à grimper sur le flanc d’une dune cyclopéenne, alors qu’en réalité nous progressons en terrain rigoureusement plat, face à la rotondité vertigineuse de la terre... Ténéré, voyage surréaliste sur le ventre du monde. Un songe incarné, à la démesure du Sahara. Des heures durant, plus d’autres repères que les chimères de l’imagination, taraudée par la convexité de l’horizon, aiguillonnée par l’ivresse de l’espace libéré des carcans géographiques. Ténéré, comme un cri de joie qui s’échappe, ode au pays de l’infini, hymne au Royaume du vent...
Nous avons laissé derrière nous les oasis de l’Aïr : Talak, Iferouane, Tezerzeit, avec leurs puits concentrant la vie, et leurs campements touaregs aux huttes rondes. Remontant la piste du Nord-Ouest, fil conducteur ténu, parfois invisible, nous avons côtoyé les grands massifs du Tamgak, du Chfriet et du Greboun, louvoyé dans le dédale des montagnes Bleues, quitté à regret les majestueuses dunes de Temet et leurs gazelles bondissantes. Il y a trois jours seulement que nous avons quitté Agadez, et tant d’altérité, déjà !
Je revois le labyrinthe, tour à tour palpitant de vie et assoupi sous la chaleur, de la vieille ville en banco, le grouillement du marché aux dromadaires dans les voiles ocre de l’harmattan, ce vent sec qui pique la gorge et les yeux, taraude les nerfs, échauffe les sens. Nos deux premiers bivouacs ont été un enfer, recroquevillés dans les tourbillons de la tempête mugissant à nos oreilles comme une meute de chacals enragés, le sable s’immisçant dans les moindres interstices, étirant la nuit en longues périodes de tension, alternées avec de brefs assoupissements... Au matin, on émergeait, penauds et hébétés, des duvets ensablés, et il fallait reprendre la route vers un horizon désespérant de volutes blanches et d’horizons perdus, un monde uniformément ocre, bien loin de l’image sereine et apaisante du Sahara ressourçant.
En fin d’après-midi, nous avons atteint l’Adrar Bous, un ultime escarpement qui domine la mer de sable du Ténéré, à l’emplacement d’un ancien lac, aujourd’hui jonché de fossiles et de silex. Filant alors plein est, en direction du néant, je me souviens d’une plénitude, ce sentiment grisant de larguer les amarres terriennes, quittant ce bout de rocher émergé comme un dernier port avant l’océan. Platitude absolue. Zen total, version saharienne. Vide sidérant, sidéral. Planète Ténéré: azimut 360 ! Ce soir, nous installons le bivouac au milieu de nulle part. Rien devant, rien derrière, et la beauté tout autour. Inoubliable...
Nos guides-chauffeurs: Michel, de père français, merveilleux mécano et redoutable pistard, et M’barek, un guerrier doublé d’un pitre, qui fait office de cuisinier, tous deux résistants dans les années 80 au sein des mouvements de la rébellion touarègue contre les abus de pouvoir et les tentatives de spoliation du régime haoussa de Niamey. Tout en préparant la laque/a, la galette de farine cuite dans les cendres sous le sable, les deux compères se laissent aller aux confidences. La soirée sera riche des récits, souvent effroyables, de leurs aventures : combats, trafics, sauvetages et autres anecdotes de chasse ou de survie...
Justement, nous voici, le lendemain, sous un tronc solitaire au sommet d’un monticule de sable, affrontant le vertige de l’immensité. Cet endroit était autrefois appelé l’« arbre du guerrier », car au temps des razzias de caravanes (ou rezzou) incessantes entre Toubous et Touaregs se partageant ces territoires désolés, c’est là qu’on venait se repartir le butin et sacrifier un chameau en cas de succès. Au pied de cet arbre tordu, des dizaines de cadavres d’oiseaux migrateurs venus se reposer et jamais repartis... On l’appelle aujourd’hui « arbre de Thierry Sabine », car en 1986, ce dernier s’est crashé, en compagnie du chanteur Daniel Balavoine, dans l’hélico du Paris-Dakar, la fameuse course transsaharienne que cet amoureux inconditionnel du désert avait créée. Une émouvante plaque commémore l’accident, entourée de plusieurs blocs de marbre blanc, sculptés par le grand leader touareg lui-même, Mano Dayak. Un peu plus loin, à la faveur de la halte pique-nique près d’une moto-épave, M’barek en profite pour remplacer le pot d’échappement de notre 4x4, percé, par celui de la moto qu’il a découpé. Cela s’appelle du recyclage, et, en cet endroit du Sahara central, ce tour de passe-passe improvisé prend une saveur toute particulière...

UN ACCUEIL MUNIFICENT

Barkay Korey, frère du chef de Chirfa, revient de la palmeraie
de Djado où il est allé inspecter ses dattiers. Les ruines de la
citadelle coiffent l’oasis, une vision unique dans le Sahara central.

Enfin, voici Chirfa, la porte du Djado, au bout de trois cent quatre-vingts kilomètres de no man’s land hallucinant. Tout de suite, un poste militaire écrasé de chaleur et d’ennui, d’où émergent des gaillards haoussas et bambaras à la stature impressionnante, armés de fusils d’assaut AK 47. Nous leur remettons nos passeports, jusqu’à notre sortie du Djado dans une semaine, car le secteur sort d’une rébellion toubou, et reste sous couvre-feu : interdiction impérative de dépasser une certaine limite sur le terrain et de rouler après le coucher de soleil. Le village semble sortir d’un récit de Wilfried Thesiger, à mi-chemin entre rêve et réalité. Au pied de reliefs roses, sont éparpillés des bâtiments en banco adossés à des touffes de dattiers, et des zéribas en feuilles de palme, tressées autour de quelques acacias tordus. Sur ce décor ample et paisible, règne un magnifique fortin en ruine, le fort Pacot, un rare vestige colonial édifié en 1933. Nous sommes reçus avec gentillesse et flegme, par Issouf Korey, le chef local à la voix de fausset et à la dentition en détresse. « Klaha, klaha ! (bonjour !) » Dans une simple maison, quatre murs en terre et des nattes déroulées au sol, nous saluons une assemblée d’hommes secs et dignes, l’air martial, venus commenter le déroulement du jour, comme tous les jours. Des jeunes filles apportent du thé, du lait et des dattes. Autant dire un accueil munificent, ici, où l’on sait ce que les mots disette et dépouillement veulent dire. Woshé, woshé (merci) !

Fatima Agi à l’orée du village de Chirfa. Depuis septembre 2001, la population de la région du Djado s’y est regroupée, fuyant les troubles liés à la rébellion toubou, aujourd’hui résiduelle dans les parties les plus isolées du massif.

Dernières lueurs sur les ruines de Djaba. La fragilité des « pierres de sel » suggère
des reconstructions successives, mais nul ne sait quand et pourquoi les cités furent
abandonnées ; les razzias fréquentes et le paludisme en sont peut-être la cause.


UNE ÉNIGME FASCINANTE

Lorsqu’en 1906, le commandant Gadel atteint le Djado à la tête d’une petite colonne française, aucun explorateur occidental ne l’y avait précédé, dit-on. Et peut-être est-ce vrai, après tout, tant l’histoire de ce massif perdu dans les sables reste mystérieuse. Les premiers et rares voyageurs au Sahara central, romains d’abord au 1e siècle, puis arabes entre les VIIe et XIVe, et enfin européens au XIXe, s’ils décrivent les oasis du Kawar voisin, passèrent le plus souvent à côté du Djado, car celui-ci se trouvait à l’écart de la grande voie transsaharienne reliant l’ancien royaume du Bornou, au sud, à Zawila (Fezzan), plus au nord. Et voyageant essentiellement à la saison froide, ceux qui ont pu frôler le Djado n’auraient alors vu qu’une oasis assoupie, assaillie de moustiques, alors que c’est dans la chaleur de l’été, seulement, que l’oasis se réveille au moment du « mariage », puis de la récolte des dattes. Encadré par des ergs implacables (le Ténéré) ou des massifs élevés (le Tibesti), aux confins du Niger, de la Libye et de l’Algérie, la vie s’est jadis réfugiée dans un chapelet de minuscules palmeraies, étirées sur une cinquantaine de kilomètres, en lisière occidentale d’un massif de grès tabulaire, culminant autour de 1 000 m d’altitude. Enclavés entre trois et cinq cents kilomètres des plus proches zones habitées (Aïr à l’ouest, Tibesti à l’est, Fezzan au nord, Kawar au sud), les oasiens bâtirent d’hardis villages-forteresses : Ojado, Djaba, Debessa, Tamada..., évoquant les ksour du Maghreb. Mais nulle part ailleurs dans le Sahara, en existent de semblables, leurs bâtisseurs seraient-ils les Sô, population noire préislamique d’origine soudanaise, ou des Berbères de l’époque garamante cités par Hérodote, et correspondant à la protohistoire saharienne ? Les vestiges très érodés de ces citadelles en pierres salifères soudées par la pluie et le vent suggèrent un passé moins ancien, et l’on pense surtout au peuple kanouri, issu d’un métissage progressif entre les populations des anciens grands royaumes du lac Tchad : Bornou (actuel Tchad) et du Kanem (actuel Nigeria), avec des Teda, ou Toubous du Tibesti. À partir du Moyen Âge (XII-XIIe), et jusqu’aux invasions touarègues de la fin du XVIII., les Kanouris furent maîtres du Djado ; ils constituent encore le fonds ethnique dominant, avec les Toubous. Leur civilisation prospéra grâce au commerce des minerais (alun du Kawar, natron, et surtout sel), des esclaves échangés à Seggedim contre des chevaux arabes, et des fameuses dattes. Cette époque, et jusqu’au début du. XXe, marque l’âge d’or des azalaï, ces grandes caravanes de plusieurs milliers de dromadaires, qui apportaient à l’oasis le mil du Sahel, avec peut-être aussi des armes et des étoffes, et repartaient vers le sud, chargées de sel et de dattes. Mais les conflits incessants entre Touaregs, Toubous et Arabes venus du Fezzan (Libye), tout au long du XIXe, ruinèrent la région, à tel point que les Français, qui gouvernèrent le Djado jusqu’en 1960, trouvèrent au début du siècle, les oasis dévastées et les forts abandonnés. L’insécurité était devenue telle, que nombre des habitants avaient fui vers le sud, et notamment dans la région plus sûre de Dirkou, au Kawar voisin, fuyant en même temps l’insalubrité et le paludisme des principales oasis. Depuis, le mystère reste entier, en l’absence de toute trace écrite, et bien peu sont les chercheurs qui, à ce jour, se sont penchés sur l’énigme des bâtisseurs originels. L’Unesco elle-même n’a été que récemment alertée de l’existence de ce patrimoine unique, et sensibilisée à l’urgence de sa protection.

C’est l’heure fauve, celle qui précède le couchant. Qui « dore à la feuille » tout ce qu’elle touche. Douche au puits. Bonheur intense et sensations radicales. L’eau, transparente, n’est qu’à deux à trois mètres sous le sol. C’est le premier miracle du Djado, le secret de ses palmeraies, de ses salines, de ses jardins d’agrumes « sortis » du désert comme par enchantement : une nappe fossile d’eau claire et fraîche, juste sous le sable brûlant... Une ribambelle de potagers, où s’activent des anciens aux traits résolument « tchadiens » : yeux en fente, pommettes hautes, barbiches poivre et sel. Ce soir, avec tout le village, dîner de semoule sous les étoiles, en écoutant le chef nous parler de son Djado. « Au début étaient les 58, des géants noirs.

L’arche de Yogo Hi sur le plateau de Sara Demossou,
dans la partie méridionale du Djado, domine un immense
territoire sauvage jalonné de tombeaux préislamiques.

Les salines, ici à Djaba, ont assuré la prospérité des oasis pendant
des siècles. Le sel, échangé contre le mil du Sahel, donnait lieu à
d’immenses caravanes menées par les Touaregs, appelées azalaï.


Les Kanouris venus du « Yémen » prirent ensuite possession du Djado, et le fortifièrent, il y a plus de mille ans. Puis les Touaregs des Ajjers et de l’Aïr vinrent exploiter nos salines. Enfin, les Toubous descendus des versants occidentaux du Tibesti, il y a un siècle, s’installèrent ici. C’était l’époque des dernières grandes caravanes, fortes de trois mille chameaux ou davantage, les azalaï, qui apportaient du Sahel des étoffes et des céréales, et repartaient quelques jours plus tard chargées de sel et de dattes. Les azalaï touarègues furent victimes de rezzou mémorables, par les clans toubous aidés de pillards arabes, à tel point que la grande caravane de sel cessa en 1923. L’arrivée des Français pacifia la région et permit une reprise de ce commerce, mais ce dernier prospéra alors depuis les salines de Bilma (Kalala), dans le Kawar voisin. Nous nous sentons aujourd’hui oubliés du gouvernement nigérien, et nous ne comptons plus, désormais, que sur le tourisme, pour pouvoir subsister... »
À huit kilomètres de Chirfa, se dresse la première merveille du Djado, une citadelle éponyme et ruinée, bâtie sur une butte dominant un marécage, et ceinte d’une magnifique palmeraie. Murailles imposantes, portes cintrées, couloirs labyrinthiques, chambres royales, écuries et greniers, avec en prime des vues panoramique. Nous dénicherons même ce qui serait « une antique chapelle », aux portes surmontées de « croix, peut-être coptes », en réalité les dessins de la tarik, la selle de dromadaire des Touaregs, après examen approfondi. Au pied des remparts, deux cimetières, « animiste » et musulman, se font face ; autre mystère... Derrière l’échancrure d’un feston de crêtes sableuses, vers le nord, surgit la formidable falaise de l’Emi Warek, semblant adossée à une houle de pitons gréseux hérissant les dunes, un tableau minéral à couper le souffle.

Vertige d’horizons sans limites,
de grandeurs déchues, de drames anonymes...

Toubou chevauchant le fil d’une dune géante, à l’ouest des « cathédrales ».
La féerie du Djado tient, aussi, au jeu subtil du sable et des tassilis.

Comment des hommes ont-ils réussi à dompter un univers aussi farouchement hostile ? Le lendemain, c’est dans l’oasis de Debessa que nous jouerons, ébahis, aux apprentis-archéologues. Là encore, une éminence transformée en forteresse de pierre, terre, paille et sel mêlés. Les blocs salifères ont fondu sous l’action des pluies sporadiques qui peuvent être violentes, se soudant entre eux, et créant des fantasmagories architecturales: draperies, gargouilles, bestiaire mythologique... La vision de ces ruines centenaires – ou millénaire ? – ne peut que susciter la stupeur. Le choc est à la fois esthétique et culturel. Sur quelle route de l’alun (une substance minérale permettant de tanner les peaux et fixer les couleurs), de l’or ou d’esclaves se trouvaient ces forteresses énigmatiques, jalons défensifs de civilisations successives, englouties dans les sables ?
Nous marchons tôt le matin, « siestons » aux heures chaudes, explorons encore un peu, à pied, le soir, retrouvant les véhicules au lieu décidé pour le bivouac. Les palmeraies étant infestées par les moustiques, nous devons installer les campements de plus en plus loin dans le désert; en lisière du Ténéré. Le bivouac est toujours un moment privilégié d’intimité avec soi- même et les autres, réunis autour du feu. Notre guide Korey, un grand échalas dégingandé, tantôt volubile et rigolard, tantôt silencieux et introspectif, évoque inlassablement les contes et histoires terribles du Djado, une tradition' orale « riche » en drames, mais qui sait aussi laisser une bonne place au mystère. Parfois, il nous parle joliment des Toubous, peuple pauvre mais libre. « Un Toubou peut survivre trois jours avec une datte : il mange la peau le premier jour, la chair le deuxième, et le noyau le troisième... » Korey aime à nous faire découvrir son univers, nous entraînant un jour dans le dédale des tassilis sculptés, le suivant à travers dunes orange et pitons de grès noir, hérissant l’escarpement occidental du massif. Ici et là, des traces de gazelles, de chacals, de fennecs et de lièvres, dessinent sur le sable des arabesques délicates dont on s’amuse à suivre un moment la fantaisie. À Orida, série de monolithes géants toisant le désert, nous nous rafraîchissons à une merveilleuse source sortant du sable. Plus loin, au cœur d’un extravagant chaos de blocs et de cheminées baptisé la Cathédrale – « ou la Mosquée », rectifie malicieusement Korey – un passage caché donne sur une étonnante dalle fossile exhibant l’empreinte de plantes marines. Sur le plateau de Sara, nous découvrirons une grande quantité de tumulus préislamiques. À quelques jours d’intervalle, sur le chemin du retour vers Djanet, en Algérie, nous tomberons sur une autre dépouille humaine, toute récente celle-là. Celle d’un clandestin ghanéen, qui vient de mourir de soif, après avoir longuement erré dans le désert, et qui s’est abrité sous l’épave d’une voiture de presse du Paris-Dakar. La zone des confins du Niger, de l’Algérie et de la Libye se révèle être une zone de non-droit où prospèrent toutes sortes de trafics et de contrebandes, doublée d’une zone de mort. Des dizaines de cadavres de candidats à l’émigration ouest-africaine joncheraient les immensités du nord Ténéré...

Cette crypte cachée dans les ruines de la citadelle de Djado était annoncée comme une « chapelle chrétienne ».
Mais les motifs qui surplombent les portes seraient en réalité inspirés du tarik, la selle des dromadaires.

Seule communauté humaine à des kilomètres à la ronde,
les oasiens du Djado s'accrochent à un mode de vie en sursis

Agi, le chamelier, revient de la palmeraie de Drigana où il a procédé au « mariage des dattes »,
la fécondation des palmiers femelles avec le plumeau des pieds mâles, en mars-avril. La récolte
se fera en été. Les dattes séchées du Djado restent très prisées dans toute la zone subsaharienne.

REFUGE DE GUÉRILLEROS


Pour l’heure, je crapahute dans la falaise de Warek, pour observer de près les restes d’un village troglodyte d’aspect primitif, juché en pleine paroi, et attestant d’un habitat antique de type défensif, probablement antérieur aux cités fortifiées. Son accès est malaisé, mais le site est admirable, et les vestiges de pierre gardent une force d’évocation émouvante. Alentour, des dizaines de pointes de flèche, têtes de hache et autres silex taillés jonchent le sable. Vers l’est, le plateau se redresse en gradins successifs, atteignant mille mètres d’altitude sur son flanc septentrional. Il serait le refuge de guérilleros toubous de la Force armée de la Région du Sahara (FARS). Leur chef, le commandant Chahaï, a été assassiné récemment (septembre 2001) dans une embuscade, et les survivants se sont dispersés dans la montagne. Les grottes ayant abrité ces hommes ont été abandonnées à la hâte, et sont jonchées de vêtements, ustensiles de cuisine, bidons de carburant et douilles de mortier de 14 mm... Dans la palmeraie de Djaba, Korey nous fait une démonstration du « mariage des dattes », la pollinisation des arbres femelles par saupoudrage avec le plumeau des pieds mâles, la récolte ayant ensuite lieu entre juillet et septembre, au moment des grandes chaleurs. C’est le seul moment de l’année où l’oasis retrouve une animation digne du temps jadis. Par manque d’infrastructures sanitaires et scolaires, à cause des moustiques et, récemment, du fait de l’insécurité liée à la guérilla, la quasi-totalité des dernières populations de Djado et de Djaba s’est déplacée sur Chirfa, faisant désormais des navettes entre le village et les palmeraies. Les zéribas, leurs huttes de palme saisonnières, jalonnent donc les oasis, vides et silencieuses, encore garnies de petit mobilier, de calebasses ou de peaux de chèvre, attendant la prochaine récolte. À proximité, entre les zéribas et le ksar ruiné, brille une mosaïque de mares d’eau très saumâtre en pleine évaporation et d’autres formant des croûtes blanches : les salines ! Le fameux « or blanc », dont le Djado tira longtemps sa prospérité, à l’origine de l’azalaïqui fut, et reste dans la région de Bilma, dans une moindre mesure, l’un des grands spectacles du Sahara central. Des pains de sel sagement empilés devant des huttes en pierre salifère, semblent attendre le retour des saliniers, qui exploitent encore, modestement, le site à la saison chaude. Au second plan, la vieille citadelle de Djaba, abandonnée sur son piton, semble sortir des brumes d’un mirage oriental. Djado, Djaba, mais aussi Tamada et Debessa, puis Seggedim, en limite du Kawar sont les ruines plus ou moins éloquentes – bien que témoins muets – de grandeurs déchues, entre palmeraies reliques et cathédrales de grès. Ces antiques et mystérieuses cités rongées par le vent assistent, immobiles, à la fuite du soleil sur l’horizon. Quelle tristesse de voir ces trésors du patrimoine humain, de l’histoire africaine, retourner lentement au désert !

Texte et photos Franck CHARTON


Source :

N° 252 - Janvier 2003

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