L’ÉNERGIE SOLAIRE
ressource inépuisable du désert

LE développement impressionnant des études scientifiques et techniques dans le domaine de l’énergie atomique depuis une quinzaine d’années a, sans conteste, porté préjudice aux recherches sur l’utilisation de l’énergie solaire. Dans le même temps, les succès obtenus par la prospection des hydrocarbures en France et au Sahara contribuaient à détourner l’attention des milieux industriels et gouvernementaux de cette source d’énergie pratiquement inépuisable dont le captage et la transformation en énergie calorifique, mécanique ou électrique ont pourtant déjà donne lieu à un nombre considérable de travaux.
    Dans cette compétition pacifique la France tient jusqu’ici une place de choix, grâce au professeur Félix Trombe qui a rassemblé en moins de dix ans, à Montlouis, au cœur de la Cerdagne, une équipe remarquable dont l’autorité et l’efficacité s’affirment de jour en jour.
    Une intense activité de recherche s’est développée simultanément aux Etats-Unis, en U.R.S.S., aux Indes, en Israël, au Japon et, à une échelle plus réduite, en Algérie.

L’ensoleillement

    Des zones très étendues du globe terrestre sont dotées d’un ensoleillement exceptionnel qui agit directement sur les conditions d’existence de la population. C’est ainsi que l’ensoleillement du littoral nord-africain dépasse 3 000 heures par an et que, dans les régions situées au sud de l’Atlas saharien, il pourrait s’élever en moyenne à 4 000 heures.
    En l’absence d’atmosphère, on recevrait sur une surface de 1 m² placée normalement aux rayons du soleil une puissance de 1,35 kW en moyenne. En fait, l’intervention de l’atmosphère, sous forme d’absorption et de réflexion diffuse, ramène cette valeur théorique moyenne à 1 kW. La « radiation diffuse », due aux gaz de l’air, aux poussières en suspension et aux nuages, s’ajoute à la « radiation directe » pour constituer la radiation totale. À Tamanrasset, la radiation totale reçue par une surface horizontale est en moyenne de 54o calories par cm² et par jour.
    Si l’on applique brutalement cette donnée simple à la superficie du Sahara français, on mesure d’emblée l’ampleur du problème que poserait la récupération d’une fraction aussi élevée que possible de cette énorme quantité d’énergie.
    Avant de tenter une discrimination des problèmes spécifiquement sahariens, nous donnerons un aperçu de la variété des recherches qui se poursuivent dans le monde et auxquelles sont attachés, en France, les noms de M.M F. Trombe, M. Foëx et G. Réméniéras.
    Nous distinguerons :
    – les utilisations naturelles ;
    –les utilisations artificielles sans concentration et avec concentration.
    En ce qui concerne les utilisations naturelles, le principal domaine à explorer est celui de l’amél1oration du rendement des photosynthèses (biologiques ou non). Celui-ci ne dépasse pas, pour le moment, quelques centièmes.
    Plusieurs centres d’expérimentation se sont ainsi donné pour objectif la culture intensive d’une algue monocellulaire (Chlorella pyrenoïdosa) qui transforme en matière organique deux centièmes de l’énergie qu’elle reçoit du soleil.
    On a tenté également de stocker l’énergie solaire sous forme d’hydrogène au moyen de certaines réactions chimiques.


LE FOUR SOLAIRE DE BOUZARÉAH
La puissance calorifique de ce four installé dans la banlieue d’Alger et utilisé surtout jusqu’ici pour l’étude de l’action photochimique de l’ultraviolet, est de 35 kW. Ses éléments réfléchissants sont en alliage d’aluminium et magnésium.
Il est aisément démontable et pourra être remonté sous d’autres latitudes.


Utilisations artificielles
sans concentration

    Le procédé de captage le plus généralement employé est le vitrage, simple ou double, qui réalise ce qu’on appelle l’« effet de serre ».
    Le verre laisse pénétrer le rayonnement de courte longueur d’onde, qui est absorbé par la paroi intérieure noircie du collecteur et fait obstacle à la sortie du rayonnement de grande longueur d’onde émis par ces parois, dont la température s’élève plus ou moins suivant les dispositifs adoptés.
    On peut réaliser par ce procédé le chauffage des habitations et le chauffage de l’eau et sa distillation.
    Les Russes ont ainsi installé des bains-douches publics et des lavoirs comportant 100 m² de surface vitrée. Des installations individuelles sont couramment employées en divers pays.
    Les appareils de chauffage de l’eau, dont l’usage se développe de façon continue dans les régions ensoleillées des U.S.A., comportent essentiellement un serpentin à grande surface, noirci superficiellement et protégé par un vitrage bloquant le rayonnement infrarouge. Le serpentin alimente par thermosiphon un réservoir calorifugé. Une surface insolée de 2 à 3 m² peut donner par jour plus de 100 l d’eau à 75°.
    Sur le plan de l’évaporation naturelle, signalons qu’en Australie et en Israël on a amélioré de 20 à 40% le rendement des salines en colorant l’eau-mère à l’aide de vert naphtol à la dose de 8 g par litre.
    Le problème de la récupération des eaux saumâtres (par exemple celles qui proviennent de l’irrigation des palmeraies) offre un intérêt indiscutable dans toutes les régions arides ou semi-arides. Il est à l’ordre du jour aux U.S.A. où l’on se préoccupe même de tiret de l’eau de mer des ressources complémentaires pour certaines zones irriguées. . En Algérie, les professeurs Savornin et Lejeune se consacrent avec succès, depuis quelques années, à l’amélioration du rendement de la distillation solaire. À Dakar, M. Masson poursuit d’intéressantes études sur les collecteurs de grande dimension.

Utilisations artificielles
avec concentration

    On peut alors envisager la production de force motrice, d’électricité, de froid et même la cuisine solaire, ainsi que l’obtention de hautes températures, qui trouvent leur application dans l’étude des ultra-réfractaires, dans certaines métallurgies délicates et dans la fabrication de nombreux corps purs que l’industrie utilise de plus en plus, notamment en électronique.


BATTERIE SOLAIRE expérimentale de la Bell Telephone. Les cellules transforment directement
l’énergie solaire en énergie électrique pour charger des batteries d’installations téléphoniques isolées.

Production de force motrice
et d’électricité

    La production d’énergie mécanique est possible au moyen de collecteurs plats du type décrit plus haut, dans lesquels un fluide s’échauffe ou se vaporise et transmet une partie de l’énergie solaire incidente à une machine thermique accouplée au générateur électrique (exemple : machine italienne de 2,5 ch fonctionnant au moyen de gaz sulfureux et utilisable pour le pompage de l’eau d’irrigation).
    Par la concentration, on augmente la température du fluide et on peut espérer atteindre un rendement satisfaisant.
    En 1913 fut construit à Meadi, en Egypte, une installation utilisant des miroirs cylindro-paraboliques fixes d’une surface totale de 130 m². Un moteur à vapeur fournissait 5o à 60 ch à une pompe d’irrigation pendant 5 heures par jour. Son exploitation fut rapidement jugée moins économique que celle d’une station à moteurs classiques.
    Les savants russes estiment que la transformation économique à grande échelle doit être obtenue par l’accumulation sur une surface très réduite de l’énergie réfléchie par de nombreux petits miroirs qu’il est aisé de fabriquer en série. Une usine génératrice de ce type, capable de produire 11 à 14 tonnes de vapeur à la pression de 30 à 35 kg/cm² et à la température de 400° C est en voie de construction en Arménie, au pied du Mont-Ararat. L’énergie produite sera utilisée surtout pour l’irr1gation.
    On obtient directement de l’énergie électrique au moyen de couples thermoélectriques ou de cellules photovoltaïques à semi-conducteurs.
    Les laboratoires de la « Bell Telephone » ont ainsi mis au point des piles au silicium dont l’emploi est encore très limité en raison du coût élevé de la fabrication de monocristaux de silicium pur. L’activité des chercheurs est très grande dans ce domaine qui intéresse déjà les installations téléphoniques ou radioélectriques isolées, dans lesquelles on a besoin de charger des batteries sans surveillance.
    On doit s’attendre dans un avenir assez rapproché à des développements très intéressants de ces procédés.


UN DISTILLATEUR SOLAIRE pour l’obtenti0n d'eau douce à partir d'eau saumâtre ou d'eau de mer.

Chaque élément mesure 60 cm de large et 30 m de long. La vapeur d'eau se condense sur le film de tétrafluore
d’éthylène (téflon) et l’eau douce est recueillie dans le bassin. La batterie fournirait 800 l par jour.


Production de froid

    On peut facilement transformer les calories solaires en frigories par l’intermédiaire d’un cycle de dissolution et d’évaporation d’un liquide approprié, et l’on doit considérer dès maintenant comme rentable les réalisations de ce genre.

Cuisine solaire

    La pénurie de combustibles dont souffrent la plupart des pays sous-développés a provoqué la construction de « cuiseurs » solaires dont le prix de vente paraît encore dépasser le pouvoir d’achat des individus susceptibles de les utiliser. Il s’agit en général de petits miroirs paraboliques ingénieusement agencés. On peut penser que les progrès de la fabrication des surfaces plastiques réfléchissantes permettront sous peu des réalisations économiques (exemple : plastique aluminé du type Rhodialine, etc.).

Les hautes températures

    Les types d’appareils de concentration les plus couramment utilisés sont des miroirs paraboliques.
    Le calcul montre qu’avec un facteur de concentration de 20 000, techniquement réalisable, la température maximum serait de l’ordre de 4 000° C. En fait, les fours existant à ce jour ont donné des températures d’équilibre comprises entre 3 000 et 3 500° C. Deux miroirs français (Montlouis et Bouzaréah, près d’Alger) l’un et l’autre de conception très originale, détiennent actuellement le record du monde de la puissance calorifique (respectivement 70 et 35 kW).
    Ces deux miroirs sont constitués par juxtaposition de couronnes successives formées d’éléments réfléchissants focalisés séparément. À Montlouis, ce sont des glaces argentées ; à Bouzaréah, des éléments réfléchissants en alliage spécial d’aluminium et magnésium polis électrolytiquement et protégés par un film de matière plastique synthétique.
    Alors qu’à Montlouis on s’est proposé surtout l’obtention des hautes températures, on s’est donné pour objectif, à Bouzaréah, d’étudier l’action photochimique de l’ultraviolet, d’ou le choix du métal poli, le verre absorbant pratiquement la majeure partie de cette fraction du spectre solaire.
    L’appareil de Montlouis, dont le foyer est fixe, est couramment utilisé pour la purification de certaines substances, la fusion ou le frittage d’oxydes réfractaires (zircone, alumine, etc.), la réparation de métaux ou d’alliages dans des conditions de pureté exceptionnelles, etc.
    Les résultats satisfaisants obtenus à ce jour ont décidé à projeter la construction d’un four de 1 000 kW.
    Les conditions de fonctionnement du four de Bouzaréah ne sont pas encore arrêtées de façon précise. Les premières recherches avaient pour objectif principal la synthèse de l’acide nitrique. La découverte, à partir de 1953, de quantités énormes de gaz naturel et les difficultés de mise au point d’un type de four approprié ont amené à suspendre momentanément les essais de cette nature.
    Des recherches sur les phototransformations sont en cours depuis deux ans. Les principaux sujets abordés sont, pour le moment, la mise au point de filtres pour l’obtention d’ultraviolet à haute concentration, des réactions réversibles (exemple : système thionine-fer) ou irréversibles (étude de la chloration du xylène, etc.).


CHAUFFAGE DE L’EAU par l’énergie solaire. Cette installation expérimentale destinée à des utilisations
domestiques alimente des réservoirs. Une surface de 2 à 3 m² peut fournir 100 l environ à 75°.


POUR LES IRRIGATIONS, une firme italienne a proposé cette machine solaire utilisant des collecteurs
plats pour la captation de l’énergie solaire. La puissance recueillie peut servir au pompage de l’eau.

 

L’énergie solaire peut-elle
améliorer les conditions d’existence
au Sahara ?

    Une grande objectivité s’impose quand on aborde le domaine si complexe de la mise en valeur du Sahara. D’énormes distances séparent les rares lieux habités. Rappelons-nous que la répartition géographique des habitants, résultante historique des luttes sanglantes que connut le désert avant l’intervention française, est essentiellement basée sur l’existence de l’eau en des zones privilégiées.
    Les études hydrogéologiques des trente dernières années ont permis de dresser un bilan précis de ces ressources aquifères : si abondantes qu’elles soient, leur volume total est limité et leur utilisation doit être l’objet d’une efficace réglementation.
    Un rapide coup d’œil sur une carte montre au surplus que la localisation actuelle des gisements d’hydrocarbures liquides ou gazeux, qui ne coïncide pas obligatoirement avec celle des ressources aquifères facilement accessibles, laisse encore hors de portée de la calorie, si l’on peut dire, des fractions considérables du territoire.
    Enfin, parmi les facteurs qui doivent être pris sérieusement en considération au moment où les réalisations eurafricaines tiennent la vedette, il faut attacher au tourisme saharien l’importance qu’il mérite. L’homme est naturellement épris de soleil et de lumière. Les Américains l’ont bien compris, qui transforment les régions désertiques du sud des Etats-Unis en véritables zones de repos, facilement accessibles en avion, dans lesquelles le plus grand soin est apporté à l’agencement et au conditionnement des habitations.
    Annexe ensoleillée de l’Afrique du Nord, le Sahara peut devenir à bref délai pour l’Europe saturée de civilisation mécanique un refuge bienfaisant en même temps qu’une source de profit pour ses habitants et pour la France.
    On voit ainsi se dessiner les grandes lignes du Sahara de demain. Une fraction importante de cette immensité désertique demeurera pratiquement inhabitable, mais prodiguera au voyageur la diversité de ses horizons au cours des étapes nécessaires entre les zones de séjour qui seront de deux sortes : zones industrielles et zones de repos.
    L’exploitation du pétrole saharien aura pour conséquence une amélioration de la condition humaine, mais seulement dans un périmètre raisonnable autour des gisements. Les impératifs économiques de la distribution de l’énergie laisseront subsister de nombreuses agglomérations dans lesquelles on devra avoir recours à la production locale de force motrice au moyen du soleil, car les autres sources énergétiques sont déficientes.
    Il ne faut cependant pas se cacher que, comme le souligne un rapport de l’U.N.E.S.C.O. sur les zones arides, l’utilisation de l’énergie solaire serait la solution idéale dans les régions où les combustibles manquent, mais qu’elle ne pourra être assurée avant qu’une tâche immense soit accomplie par des chercheurs patients et assidus.

J. BETIER


CE CUISEUR SOLAIRE portatif comporte un mir0ir parabolique assez rudimentaire. De tels appareils
pourraient convenir dans les pays où l’insolation est abondante et où existe une pénurie de combustible.

 

 

 



Source :

n° 43 - Hors série - Juin 1958