L’ÉTENDARD DES COMPAGNIES SAHARIENNES


           LE lundi 28 novembre 1966, l’étendard des compagnies sahariennes a été remis à la Section Symbolique du Service Historique de l’Armée au Château de Vincennes, par un officier de la 4ème Compagnie d’Infanterie Portée de l’Infanterie de Marine, ayant pris l’avion à In Amguel, centre d’expériences atomiques du Hoggar, deux jours auparavant.
           Il y a rejoint les emblèmes des régiments dissous et, parce qu’il est le dernier arrivé, il est installé au centre d’un carré formé par d’autres émouvantes soies tricolores, appuyant sa hampe sur deux faisceaux de fusils, baïonnettes au canon. Il restera là jusqu’à ce que soit décidé son versement au Musée de l’Armée, à l’Hôtel des Invalides, nécropole des gloires militaires.

           Création — C’est à la fin de 1949 que le Gouverneur Général de l’Algérie demanda que fût créé l’emblème qu’il souhaitait remettre lui-même aux Sahariens lors des fêtes prévues pour le cinquantenaire de la prise d’In Salah, au début de janvier 1950. Par décision n° 7934-EMG.FA/G/3 du 8 octobre 1949, le Secrétaire d’État à la Guerre décidait : « L’attribution d’un drapeau aux compagnies sahariennes méharistes et portées, à l’exclusion de celles appartenant à la Légion Étrangère, au Train, au Génie, aux Transmissions qui dépendent de corps dotés d’un emblème. »
           Un drapeau, alors qu’il s’agissait d’unités montées !
           Le Gouverneur Général protesta donc en demandant que ce fût un étendard et en proposant qu’il portât les inscriptions suivantes :

                                                                           
Sahara touareg
Sahara occidental
Djanet-Fort Charlet
Tindouf
Ghat
1902-1910
1904-1934
1909-1911-1916
1935
1943
                   
                                    

           Une deuxième décision fut prise le 18 novembre donnant satisfaction sur le premier point, mais pas sur le second, et l’on ne sait si l’on doit le regretter, l’imprécision des inscriptions proposées les rendant trop différentes de celles des autres emblèmes.
           Le général Noiret, chef de l’État-Major particulier du Secrétaire d’État signait donc le texte ci-dessous, qui constitue un véritable acte de naissance :
           « Un étendard est attribué aux Compagnies sahariennes.
           « Cet emblème portera l’inscription :


                                                            « Compagnies sahariennes méharistes et portées
                                                                                   « au revers : In Salah 1900
           « Il sera confié à la garde d’une compagnie saharienne désignée par le Gouverneur Général de l’Algérie. »
           Commandé immédiatement à la maison Arthus-Bertrand, qui, depuis le Second Empire, a le monopole de telles fabrications, l’étendard, flambant neuf, était perçu le 27 décembre 1949 par le capitaine Malecot, contrôleur des Maghzen sahariens.
           Il fut remis le 10 janvier 1950 au capitaine, commandant la Compagnie saharienne du Tidikelt – Hoggar à In Salah, lors des cérémonies organisées pour célébrer le cinquantenaire de l’expédition du capitaine Pein qui avait, le premier, pénétré au Tidikelt, avec le géologue Flamand.

La garde de l’étendard

           Elle devait être confiée successivement et pour une année aux compagnies méharistes et portées, selon un tour de service d’honneur établi par le Gouverneur Général de l’Algérie, par analogie avec les dispositions prises pour le drapeau unique des bataillons de chasseurs.
           La liste qui a été établie tient compte de l’ancienneté des compagnies. En tête, la compagnie du Tidikelt – Hoggar, héritière par dédoublement en 1924 de la compagnie du Tidikelt créée par le décret du 1er avril 1902 (1). Ensuite la compagnie du Touat, créée à la même date. Puis la compagnie de la Saoura créée par le décret du 22 avril 1904 – En quatrième position, la compagnie du Tassili, issue de celle des Ajjers, elle-même héritière par le dédoublement de 1924 de la compagnie du Tidikelt.
_______________
(1) Le décret du 1er avril 1902, créait 3 compagnies sahariennes, celles du Tidikelt, du Touat et du Gourara. La troisième fut supprimée par le décret du 1er août 1905.

           Nous arrêterons ici cette énumération. De même que les fantassins gardent le souvenir des quatre régiments d’infanterie les plus anciens de l’armée française, les quatre Vieux, Picardie, Piémont, Navarre, Champagne, qui se trouve traditionnellement perpétué par les actuels 1er, 3ème, et 9ème R.I., de même est-il souhaitable que les Sahariens sachent les noms de leurs premières unités, dont la naissance résulte de l’initiative du général Laperrine.
           Il fallut tenir compte, dans le tour de service d’honneur, de la légitime revendication présentée le 3 janvier 1953 par le chef d’escadrons d’Achon, commandant le groupement Saharien du Sud Tunisien.
           C’est ainsi qu’en 1956, l’étendard franchit la frontière algéro-tunisienne, demeurant alors toutefois dans la zone dont les limites septentrionales et méridionales ont été si remarquablement étudiées par M. Capot-Rey dans son magistral ouvrage : le Sahara Français.
           Il n’en sortit pas souvent.
           Le 5 février 1954, il était exceptionnellement à Alger pour la prise d’armes au cours de laquelle le Maréchal Juin remit les insignes de Grand’ Croix de la Légion d’Honneur au général Callies, commandant la 10e Région Militaire. Il était présenté par le capitaine des Ylouses, commandant la compagnie méhariste du Tassili. Le lieutenant Labeyrie, porte-étendard, était encadré par deux Sahariens, un Chaambi et un Targui.
           Mais il n’accompagna pas le peloton qui, le 14 juillet de la même année, sous la conduite du capitaine de Pommereau, vint défiler à Paris et fut salué par M. Coty, Président de la République. Il fallut attendre 1960 pour que l’étendard eût l’honneur des Champs-Elysées.
           Il fut, par contre, présent à toutes les cérémonies militaires importantes du Sahara. Il était en particulier à Ouargla, au moment de la célébration du cinquantenaire des unités sahariennes. C’est là qu’il fut décoré de la croix de guerre par M. de Chevigné, Secrétaire d’État à la Guerre, avec la citation suivante :

          « Glorieuses Unités, n’0nt cessé de maintenir, après les avoir établies, la paix et la présence françaises de l’Atlas au Niger et des confins Marocains aux frontières de Tripolitaine.
           « Durant les deux guerres mondiales, ont veillé sans défaillance à la sécurité et à l’intégrité des immensités sahariennes.
           « En 1942-1943, en particulier, réussirent à s’opposer aux attaques d’un adversaire supérieur en nombre, et doté d’un matériel puissant qui cherchait à pénétrer dans le Sahara Oriental. Puis, prenant l’offensive, participèrent brillamment à la prise de Ghat.
           « Ont fait preuve en toutes circonstances des plus belles qualités militaires et constituent un exemple de ce que peut l’esprit d’entreprise et de sacrifice d’un petit nombre d’hommes, appliqué au service d’une grande cause. »


           C’est à cette occasi0n qu’il fut transmis par la compagnie du Touat à celle de la Saoura, en présence des hautes autorités et des détachements de toutes les unités rassemblées dans la capitale du Territoire des Oasis.
           En général d’ailleurs, le passage d’une compagnie à une autre fut marqué par une cérémonie. En 1954 notamment, à El Oued, le gouverneur général de l’Algérie et le général commandant la 10e Région Militaire y assistaient.


M. de Chevigné, secrétaire d’état à la guerre,
décore de la croix de guerre l’étendard des compagnies sahariennes

Le nouvel étendard

           Le climat du Sahara n’use pas seulement les hommes qui y vivent. Le soleil fane les couleurs et éprouve les tissus, fussent-ils de soie. Il fallut donc remplacer le fourreau et procéder à des réparations sommaires en 1960. Reçu le 28 juin au Service Historique de l’Armée, qui a, dans ses attributions, l’entretien des emblèmes, l’étendard était rendu le 8 juillet, avec une housse neuve, à l’officier porte-étendard de la compagnie saharienne de Metlili, de sorte qu’il était disponible pour le défilé du 14 juillet à Paris.
           Mais il était apparu qu’une simple réparation ne suffirait pas. Il était indispensable de rendre leur éclat aux trois couleurs et à l’étoffe sa solidité originelle. Le 1er septembre 1960, le Service Historique passait la commande d’une partie flottante et d’une cravate neuves. Il proposait les inscriptions suivantes :

          à l’avers :

République
Française
Compagnies sahariennes
Méharistes
et
portées

           au revers :

Honneur
et
patrie
In Salah 1900

           La livraison ne devant pas avoir lieu avant que la Compagnie saharienne portée de Mariksen ait pris le relais de celle de Metlili dans la garde d’honneur de l’étendard, un délai fut demandé par le général, commandant interarmées au Sahara, délai qui permit de formuler une nouvelle demande relative aux inscriptions.
           On se souvient que, de la liste proposée en 1949 par le gouverneur général de l’Algérie, n’avait été retenu qu’un seul nom : In Salah 1900. Cette fois-ci, étayant sa suggestion par une courte relation de chacune de ces actions d’éclat, le général sollicitait l’adjonction de :

 

Tit
Zmila
Esseyen
Tindou
f
Ghat
1902
1912
1913
1934
1943

          

           Les yeux des censeurs de Paris ne pouvaient malheureusement pas comprendre tout ce que représentaient ces noms glorieux. Pour eux, devaient compter surtout le nombre des combattants engagés et le chiffre des pertes, tués et blessés, entrant en ligne de compte dans des considérations analogues, appliquées à des unités régulières, sur des champs de bataille en zone tempérée.
           Comment apprécier des impondérables, la chaleur de fournaise, la soif parcimonieusement apaisée par l’eau fétide de la guerba, quand on est encore loin du puits, la fatigue poussée à la limite extrême de l’endurance humaine (ce qu’ils ont fait, aucune bête ne l’aurait fait), des étapes qui sont des records de vitesse et de distance, une obéissance librement consentie à des chefs qui s’imposaient par leurs qualités morales, une tactique adaptée au pays, appuyée sur une discipline sans faille, qui permettaient la victoire sur des adversaires courageux et déterminés, bien armés et sachant astucieusement mettre de leur côté les avantages que pouvait leur procurer le terrain ?
           Comment jauger, avec des mesures ordinaires, l’énergie, l’audace, la grandeur d’âme, les indicibles souffrances de quelques Européens, dans une ambiance d’insécurité permanente, la nature ajoutant son hostilité à celle des hommes ?
           Alors, et en dépit de leur bienveillance, ceux qui furent chargés de juger, écartèrent de la liste Zmila 1912 et Tindouf 1934. Tindouf qui marquait l’ultime étape de la pacification du Sahara, Zmila, modèle d’une longue poursuite acharnée, épuisant méhara et méharistes, et qui, aboutissant à la libération de cinquante esclaves, symbolisait l’idéal des «képis bleus».
           Si l’on peut regretter que l’héroïsme du capitaine Ressot et du capitaine Charlet n’aient pu, à travers les noms de lieu évoquant leurs exploits. Figurer dans les plis de l’étendard, du moins y a-t-il lieu de se réjouir qu’ait été retenu le souvenir des autres glorieuses actions militaires au Sahara.
           Sur le nouvel étendard se trouvent donc mentionnés :

                                                                       

In-Salah
Tit
Esseyen
Ghat
1900
1902
1913
1943

                     

           Le Capitaine Fabre vint le 22 juin 1961 prendre livraison au Service Historique des soies neuves de l’étendard.


           La Fin – Alors qu’elle était dissoute en septembre 1962, la compagnie méhariste de Tinghert remettait au général, commandant la 26e D.I., qui décidait de le conserver provisoirement à son P.C., l’étendard des compagnies sahariennes.
           En avril 1963, il était confié à la 4ème Compagnie portée d’Infanterie de Marine, qui le garda jusqu’à la fin.
           Ses derniers jours au Sahara, l’étendard les a donc passés parmi ceux qui avaient pris le relais, ceux qu’on appelait les coloniaux, et aussi les ingénieurs des recherches et des expériences atomiques, qui vont eux-mêmes, bientôt, faire leurs bagages.
           Il est à Vincennes, où, déjà, quelques anciens Sahariens ont pu le saluer. À Vincennes, où les visages sont moroses dans la grisaille de la sortie du métro, alors qu’il flotta pendant des années, léger et pimpant, bercé par l’amble d’un grand méhari blanc, derrière un capitaine au masque buriné et bronzé et devant des pelotons au trot souple et silencieux, sous un soleil qui magnifiait ses trois couleurs, celles de la France, si harmonieusement combinées – aquarelle de Dufy – aux teintes délicates de paysages incomparables, inoubliables.

Colonel FERRY

 

 

LISTE DES UNITÉS QUI ONT EU LA GARDE DE L’ÉTENDARD
DES COMPAGNIES SAHARIENNES DEPUIS 1950

— Compagnie saharienne de Tidikelt Hoggar.........
— Compagnie saharienne du Touat........................
— Compagnie saharienne de Saoura......................
— Compagnie saharienne du Tassili.......................
— Compagnie méhariste de l’Erg Oriental..............
— Groupe saharien du Sud Tunisien......................
— Compagnie saharienne portée de la Zousfana....
— Compagnie saharienne des Oasis.......................
— Compagnie saharienne portée de Metlili............
— Compagnie saharienne portée de Mariksen.......
— Compagnie méhariste de Tinghert.....................
— 26ème D.I. ex C.I.S...............................................
— 4ème Compagnie portée d’Infanterie de Marine..
du 10 janvier 1950 au 17 janvier 1952
du 18 janvier 1952 au 17 novembre 1952
du 18 décembre 1952 au 11 décembre 1953
du 12 décembre 1953 au 15 décembre 1954
du 16 décembre 1954 au 14 juillet 1956
du 15 juillet 1956 au 18 novembre 1957
du 19 novembre 1957 au 21 décembre 1958
du 22 décembre 1958 au 7 novembre 1959
du 8 novembre 1959 au 22 novembre 1960
du 23 novembre 1960 au 4 novembre 1961
du 5 novembre 1961 au 15 septembre 1962
du 15 septembre 1962 au 25 avril 1963
du 26 avril 1963 au 26 novembre 1966

Source :

Revue Historique de l’Armée
1967 – n° 2

 

 

 


Beni Abbès - Vue aérienne de la région désertique du sud algérien (2 plans) - Cérémonie de la remise de l'Étendard des compagnies sahariennes par la Compagnie du Hoggar à la Compagnie du Touat - La remise de l'étendard se fait par des officiers à pied, devant les méharistes sur leurs montures - GPP et PM de Monsieur LÉONARD (en tenue noire) saluant militairement - Défilé des Compagnies Sahariennes de méharistes devant le Gouverneur LÉONARD (2 plans) - A ADRAR, baroud d'honneur sur la place Laperrine - Danses et coups de feu (5 plans) - Le Gouverneur Roger LÉONARD assistant à la danse du fusil - Suite de la danse du fusils.