ALLER SIMPLE
(ou la dernière heure du F-RAPA)


Ce texte est une reconstitution (fiction) de ce qui a pu se passer à l’époque, seuls les acteurs du moment peuvent donner un véritable témoignage de cet accident.

TOUTES PRÉCISIONS SERONT LES BIENVENUES.

Le seul objet de ce texte est de rappeler la mémoire de ce VAILLANT SERVITEUR que fut ce gros porteur de l’époque.

Ce jour-là, un Breguet était attendu à Reggan. L’arrivée d’un avion en provenance d’Alger, signifiait toujours : courrier, colis et nouvelles fraîches.
Le temps était maussade, nous étions en pleine période de FIT, ce « Front Intertropical » qui dans cette période amenait du Sud des vents forts. Ce jour-là les relevés météo, montraient des rafales de 30 nœuds et plus.
Un peu de sable était brassé par ces bourrasques inopinées, mais le F-RAPA était un poids lourd et personne ne s’inquiétait, outre mesure. La vigie, jumelles en mains, guettait le ciel, mais toujours rien. Notre avion arrivait tranquillement, il avait pris contact avec la Tour d’Adrar et il ne tarderait pas à s’annoncer. L’opérateur « Gonio » était en faction et, bientôt, il allait pouvoir visualiser la position de l’avion grâce à la « foliole » qui illuminerait tôt ou tard son écran, lorsque le Papa Alpha appellerait.
À ce moment de la journée, les bourrasques de vent, faisaient par moment vibrer la verrière de la Tour, sinon c’était le silence, seul le léger bruissement de la VHF, indiquait que le matériel était opérationnel.

Quand tout à coup :
– Reggan de Fox Roméo Alpha Papa Alpha, en provenance du Bourget, bonjour
– Papa Alpha, bonjour, reçu 5 sur 5
– Reggan nous amorçons notre descente

PRÉCISION :
Pour éviter les turbulences les Breguet croisaient au dessus de 2 000 mètres. Ils n’étaient, bien sûr, pas pressurisés. (Roland DIDIER).

– OK Papa Alpha, piste en service la 25, je répète QFU 25,
QFE, 980 mbar,
- Vent 20 nœuds dans le 120, avec bourrasques de 30 à 35 nœuds,
Visibilité 2 nautiques avec léger vent de sable, rappelez en finale.
Je passe le relais à l’opérateur « Gonio ».
– OK Reggan, je rappellerai lorsque je serai en visuel
– Papa Alpha bonjour, l’opérateur « Gonio », je vous prends en charge
Quelques temps après :
– OK Reggan, les installations en vue
– Papa Alpha, rappelez en finale, QFU 25
Puis :
– Reggan de Papa Alpha, dernier virage, train et volets sortis
– OK Papa Alpha confirmation, train et volets sortis
– Reggan, de Papa Alpha en finale piste 25, çà secoue dans votre coin !
– OK Papa Alpha, oui c’est l’époque !
– Papa Alpha autorisation d’atterrir, dernier vent 30 nœuds avec rafales
– Papa Alpha de la Gonio, alignez-vous, vous êtes décalé de 2°, par rapport à l’axe de la piste !
– OK Reggan, nous sommes tous aux manettes pour cette approche, pas de problème la visibilité est correcte !

PRÉCISION :
Pilote et copilote au commandes, « mécano navigant » aux manettes des moteurs. (Roland DIDIER)

– Reggan nous allons nous poser, « putain » il va s’aligner ce taxi !!
– Reggan, Papa Alpha atterrit

À ce moment, il semble à l’opérateur vigie que l’avion ne va pas assez vite.
Je cite Jean BELLEC (météorologue), qui était à Reggan à cette époque : « Je me souviens qu’un commentaire a été que l’avion a utilisé la vitesse minimum d’approche et qu’en conséquence la rafale latérale a été fatale. Il aurait fallu faire un atterrissage plus long avec une vitesse plus élevée et plaquer l’avion au sol plus rapidement au lieu de le laisser flotter au-dessus de la piste ».

PRÉCISIONS :
- L’approche de la piste se fait dans une plage de vitesse bien définie. Un fort vent de face peut donner l’apparence d’une vitesse sol plus basse, mais ce qui compte c’est la vitesse relative par rapport à la masse d'air ambiante. S’il y a des rafales, mieux vaut un peu de moteur pour mieux tenir l’avion.
Le pilote de l’appareil, qui était l’un de mes amis au Bourget, m’a expliqué comment il n’a pu contrer le vent de travers, comment l’avion s’est déporté sur la gauche et ce qui s’en est suivi. (Roland DIDIER)

Le Breguet s’était bien présenté, parfaitement aligné, mais après avoir touché le sol, le Papa Alpha franchit quelques centaines de mètres. « Pieds sur les pédales » (image), l’équipage tente désespérément de ralentir le « monstre » chahuté par les bourrasques. Puis la vitesse chute, la piste sera assez longue cette fois-ci.
Pourtant, pour les spectateurs, l’avion semble zigzaguer !
– OK Papa Alpha, bienvenue à Reggan.
– Merde de merde, on y va !

En effet, au moment de son ralentissement une bourrasque un peu plus forte, survient et notre avion prend de la dérive par rapport à l’axe de la piste, il se trouve comme poussé vers la gauche.

Plus de son, le contact radio est rompu, les spectateurs ne peuvent qu’imaginer ce qui va se passer, tous par la pensée luttent avec l’équipage pour redresser le Breguet qui va bientôt rouler dans le sable. Mais rien n’y fait, l’opérateur « Gonio » rejoint le plus vite possible la vigie, malgré le vent, (l’accès vigie se faisait par un escalier extérieur).

Ce dernier dit :
Ils y ont droit, ils vont « se gaufrer ».
En effet l’avion roule déjà dans le sable. Enfin quand je dis rouler !!
Le train gauche vient de s’arracher sur une balise crie le lieutenant de la vigie.
Les spectateurs médusés voient le train gauche rester en arrière, alors que le Breguet se couche légèrement sur son aile gauche, avant de s’appuyer sur le ventre.
L’hélice du troisième moteur a touché le sable dit un autre.
Puis l’avion après quelques zigzags, dans une dernière ronde s’arrête en bout de piste, tel un cygne se posant sur un lac gelé.

Aussitôt le F-RAPA immobilisé, les secours déjà partis à sa rencontre, pompiers en tête toutes sirènes hurlantes.
Le temps était compté, il fallait évacuer les passagers avant que le feu ne prenne dans l’appareil.
Quand :
– Reggan de Papa Alpha, nous sommes immobilisés en sortie de piste, désolés de cette mauvaise manœuvre, attendons les secours, a priori pas de feu à bord !
OK Papa Alpha les secours sont déjà partis, faites évacuer au plus vite les personnes à bord.

Approche difficile, bourrasques en plein travers, le commandant de bord n’avait rien à se reprocher, peut-être aurait-il dû, comme nous le signale Jean précédemment, attaquer la piste avec plus de vitesse. Le Breguet deux ponts était pour l’époque un gros porteur, pas facile à manier et la technologie était celle d’il y a 50 ans !
Mais comme dit mon ami Vincent, (pilote et passionné d’aviation) :
Je le cite : « un avion quel qu’il soit est construit d’abord pour voler et non pour rouler, avec pour corollaire que la plupart d’entre eux ont à peu près la même capacité de freinage qu’un savon de Marseille échappé dans une baignoire fraîchement vidée ».
Depuis bien sûr des tas de progrès ont été réalisés et si les avions modernes bourrés d’électronique peuvent être guidés plus facilement pendant le roulage, à cette époque on ne pouvait diriger un avion au sol qu’en sollicitant moteurs et palonnier. Sachant que ce dernier n’agissait que sur les dérives et que si la vitesse n’y était pas, l’avion ne pouvait que continuer sa trajectoire initiale au gré des éléments.

Le Breguet 2 ponts était lui équipé d’une roulette de « nez », permettant de mieux le diriger.
À savoir malgré tout, que le sort final de ce pauvre F-RAPA, aurait pu être autre que de devenir un « magasin de pièces détachées ».
Pierre JARRIGE, pilote, (auteur éditeur sur l’aviation en Algérie), me dit que : « Que si l’avion avait été réparé, personne n’en aurait parlé, mais qu’il s’agissait d’un Breguet accumulant les pannes et les incidents de toutes sortes, surtout côté moteurs. Et que le « Transport Aérien » fut presque soulagé d’être débarrassé de lui », lorsque la décision fut prise de l’abandonner à Reggan.


Photo : Roland DIDIER

Cabine vue de l’avant
Mai 1963 - Photo : Christian GÉRAULT

Cabine vue de l’arrière
Mai 1963 - Photo : Christian GÉRAULT


Après avoir retourné ses cartons d’archives, Vincent m’a expliqué que : « Les Breguet deux ponts avaient été à la base conçus dans l’optique d’atterrir et de décoller sur des distances réduites et/ou sur des surfaces mal prévues pour ça. Ces avions avaient pour particularité d’être équipés d’un système STOL, (Short-Taking-Off-Landing). Ces systèmes de ralentissement directement liés à la propulsion avaient pour principe d’inverser le flux d’air par inversion du pas des hélices.

Note : Le F-RAPA premier de la série n’était pas équipé de « STOL »

PRÉCISIONS :
-STOL : décollage et atterrissage court. Oui. Mais les « Deux Ponts » ont été pensés pour un atterrissage sur des pistes un peu sommaires.
-La course d’un avion au décollage est réduite par des dispositifs hypersustentateurs tels que sont les volets de courbure...
-La longueur de la course à l’atterrissage est réduite par un freinage aérodynamique que provoqué par l’abaissement complet des volets de courbure.
-Vient s’y ajouter la poussée inverse crée par l’inversion du pas des hélices (ou du flux des réacteurs) lorsque l’avion en est équipé.
Sauf le cas particulier des avions à atterrissage court, seuls les moteurs centraux sont équipés de la réversion de pas. Ceci pour des questions de stabilité de la trajectoire.
Les avions de transport américains de l’USAF, plus anciens que les « Deux ponts », en étaient déjà équipés. (Roland DIDIER)


Deux incidents d’inversion eurent lieu !!!

PRÉCISIONS :
- Un seul incident s’est produit en vol, un autre au sol.
- Le premier était dû à la défectuosité d’une boîte de commande des hélices électriques Ratier : un fil de câblage avait été écrasé sous un relais, ce qui a provoqué par mise à la masse la fermeture permanente des relais de mise en réversion…
La boîte de relais que j’avais remplacé contenait une longue paille d’acier du genre de celles que fait un étau limeur. La panne qu’elle a provoquée s’est heureusement produite juste au moment du point-fixe avant le décollage du vol d’essais !
-Un au moins de ces deux événements n’était pas fortuit… (Roland DIDIER)

Les trois « Breguet 761 S » dont le Papa Alpha, étaient des exemplaires de présérie, des prototypes améliorés.
Ces appareils avaient été équipés de moteurs Pratt & Whitney 2800 B. Ces moteurs, avaient à l’origine été conçus pour équiper des avions de chasse durant la seconde guerre mondiale (P47, Corsair, etc.)
Ils n’étaient pas vraiment adaptés à ronronner sur des gros porteurs et sur de longues distances ».


PRÉCISIONS :
Les P&W R-2800 ont remplacé sur les 761S moteurs SNECMA-GNOME ET RHONE 14 R qui, eux, manquaient de puissance et de fiabilité. Ces moteurs avaient équipé également des longs courriers de l’USAF ! (Roland DIDIER)


Ceci explique en partie les soucis que pouvaient avoir à l’époque, équipages et mécaniciens.

Ainsi s’acheva la carrière du F-RAPA, cloué au sol définitivement au beau milieu du Sahara !

Je tiens à remercier ici particulièrement, les amis qui m’ont guidé sur ce dernier parcours du F-RAPA :

– Jean BELLEC, témoin du moment (n’hésitez pas à visiter son site des plus remarquables), voir :
http://www.kerleo.net/voyages/sahara/sahara.htm..

– Pierre JARRIGE, auteur éditeur (voir son site : http://www.aviation-algerie.com/).

– Vincent AUPETIT, « passionné » comme il n’en est pas sur l’aviation en général.

Ce propos étant partiellement une interprétation des faits, je reste à l’écoute de tout complément et correction, qui pourraient nous rapprocher de la vérité.

- Roland DIDIER, mécanicien avion du Groupe MAINE qui participa au démontage du F-RAPA.

DERNIÈRES NOUVELLES : Une partie de la carcasse du F-RAPA, serait toujours sur la base de Reggan. Pour les curieux, il suffit de faire appel à « Google Earth », après avoir demandé gentiment bien sûr !!! Le site : Reggane plateau, alors que vous verrez s’ouvrir l’image d’un secteur que d’aucuns ont connu, en positionnant votre pointeur sur :
– 26° 42’ 19’’ N et 0° 17’ 10’’ E, si vous grossissez l’image vous découvrirez ce que nous avons pu constater.
Pour les amateurs, il y aurait donc encore un peu d’aluminium à récupérer ??


Post-scriptum :
Pour ceux qui ne pratiquent pas le langage aviation, vous trouverez ci-après le « décodage » des termes utilisés entre le F-RAPA et la Tour de Reggan :
– QFU >>> Québec, Fox, Uniform : définit la piste en service, ici la 25, pour 250° Ouest.
– QFE >>> Québec, Fox, Echo : définit la pression atmosphérique, ici 980 mbar.
– Le Vent >>> 20 nœuds soit ~ 37 Kms/h. (d’où 35noeuds ~ 65 km/h)
– Dans le 120 >>> pour 120° Sud-ouest.
– Visibilité >>> 2 nautiques soit ~ 3,5 km.

Merci à tous ceux qui de près ou de loin m’ont aidé dans cette rédaction, ils se reconnaîtront.

Alain BROCHARD et Roland DIDIER - Février 2010


PRÉCISIONS et COMPLÉMENTS

ANALYSE DE L’ACCIDENT PAR : Roland DIDIER

- Au roulage, sous la poussée du vent de travers, une roue du demi-train gauche est venue sur le bord de piste. Une balise a été écrasée et son support pyramidal en tôle a tranché net l’un des pneus du diabolo, ce qu’on voit très nettement sur les vues montrant cet élément.

- L’avion a fait alors une embardée et s’est enlisé dans le sable. L’amortisseur du demi-train gauche s’est rompu et l’avion s’est affaissé sur le moignon du train et s’est incliné. Le bout de l’hélice du moteur extérieur a touché le sol et l’avion.

- Sous le choc, le caisson d’aile a été défoncé comme le montre une vue prise de l’arrière.

- Apparemment ni le bout d’aile ni le fuselage n’ont touché le sol. Les traces qui apparaissent sur le fuselage sont de sable amalgamé à du liquide hydraulique venant du train cassé. Le coté gauche du fuselage, à hauteur du poste de pilotage, présente quelques rides.

- Une commission d’enquête s’est rendue à Reggan a laquelle participait un représentant de Breguet Aviation. Les dégâts étaient trop importants pour pouvoir être réparés sur place et le rapatriement en métropole n’était pas envisageable. D’autre part, l’avion ne présentant plus un intérêt primordial, il a donc été réformé sur place.

- Seuls les éléments les plus intéressants seront à récupérer pour servir à la maintenance des deux 761S restants. Opération qui sera réalisée au mois de septembre suivant par une équipe de mécaniciens venus du Bourget, détachés du GERMAS et du 2/64 Maine dont j’étais.

- Lorsque nous sommes arrivés à l’avion, nous l’avons trouvé en équilibre, avec le moignon du demi-train reposant sur une « jambe de fer ». Le fuselage était sécurisé par deux berceaux et un empilement de madriers.
Pour les démontages de gros éléments, nous ne disposions d’aucun moyen. Les seuls que nous avons pu obtenir sont les quelques tubes d’échafaudage avec lesquels nous avons pu dresser la tour branlante que l’on voit sur les photos.

- Les éléments récupérés, soigneusement étiquetés et emballés ont été entreposés à même le sol dans une petite baraque en tôle. Une partie a été embarquée sur des vols de retour à destination du Bourget où elle a subi le même sort, le reste a été abandonné sur place.