Des montagnes de l’Atakor aux sables et grès des tassilis, un univers lunaire, minéral, absolu. Le Hoggar, situé au sud de l’Algérie, est un désert fascinant, lieu de rencontre avec soi-même.

Saluer le lever du soleil est toujours un moment magique. Sur le plateau de 1’Assekrem, perché à plus de 2 700 m au cœur du Sahara, l’apparition de l’astre solaire prend une dimension mystique. Les étoiles, totalement indifférentes au froid glacial, résistent encore un peu à l’aube naissante. L’horizon sort du mauve pour s’éclaircir peu à peu et vire du jaune à l’ocre. Le soleil se montre enfin sur les orgues basaltiques des Tezouyags (2 702 m) et sur celles de la pointe Asaouinan (2 337 mètres). La roche noire des pics déchiquetés, encore enveloppés de nuit, se réchauffe sous l’ardeur des premiers rayons du soleil. Comme le basalte qui façonne ses paysages, le massif de l’Atakor se donne des airs de dureté pour mieux se révéler ensuite, doux au toucher et friable au cœur.

Les orgues basaltiques des Tezouyags et
de l’Asaouinan dans le massif de 1’Atakor

Le père Alain devant l’ermitage
du père de Foucauld
Gravure rupestre de rhinocéros

LE DÉSERT, REFUGE DE CHARLES DE FOUCAULD

Face à ce spectacle grandiose, on comprend mieux pourquoi Charles de Foucauld a décidé de choisir ce lieu sublime pour y bâtir en 1910 une simple bergerie, plus connue sous le nom d’« ermitage de l’Assekrem ».
« La vue est plus belle qu’on ne peut ni le dire, ni l’imaginer. Rien ne peut donner une idée de la forêt de pics et d’aiguilles rocheuses qu’on a à ses pieds… » Près de cent ans plus tard, les mots de Charles de Foucauld sonnent toujours aussi juste, même si son nom n’évoque désormais plus rien aux jeunes Algériens de Tamanrasset. Aristocrate fêtard et officier agnostique dans sa jeunesse, Foucauld retrouve la foi en 1886 et mène, dès lors, une vie ascétique. Le Sahara lui dicte le retour aux valeurs simples et vitales : l’eau pour boire, la farine pour le pain, la poignée de dattes pour se nourrir, le chameau pour se déplacer.

UN THÉ AU SAHARA

Il s’installe en 1905 à Tamanrasset pour évangéliser les Touaregs et se dévoue corps et âme à eux, avant d’être tué par des rebelles en 1916. Dans la petite bibliothèque jouxtant la chapelle de l’Assekrem, on peut encore feuilleter les écrits du père Charles de Foucauld et découvrir qu’au-delà de l’aspect religieux, il était également le premier spécialiste de la culture et de la langue des Touaregs, le tamachek. Aujourd’hui, deux autres pères – Édouard et Alain – ont pris sa relève et accueillent le visiteur à l’ermitage autour d’un thé à la menthe et d’un album photo montrant le plateau de l’Assekrem enneigé.
Sur des sentes créées par les chèvres, nous déambulons sur le plateau lunaire, aride et rocheux. Vue à l’ouest sur le Tahat, la plus haute montagne d’Algérie avec ses 2 918 m. Pour les Touaregs, l’Atakor, c’est le crâne du Hoggar.

DES TRACES DU NÉOLITHIQUE

Au cœur de ce massif tourmenté, les oueds sont les veines du squelette Désert et peuvent se transformer brusquement en torrents déchaînés. Ces crues nourrissent des nappes phréatiques, qui alimentent ensuite les gueltas, seules sources disponibles pour les animaux sauvages, les populations locales et leurs troupeaux.
Accrochés à la paroi, des figuiers et des myrtes rabougris comme des bonsaïs – reliques d’une flore méditerranéenne – luttent contre les attaques et la patine du désert. Nous visitons des grottes et des cavités qui servaient autrefois d’abri aux Touaregs. Depuis le néolithique, l’homme a raconté sa vie et ses rêves sur les parois rocheuses des massifs du Sahara. Ciselés dans la pierre ou peints à l’ocre, des gazelles, des girafes et des bubales – une espèce d’antilope sauvage à très longues cornes, disparue à la fin du néolithique – témoignent d’une faune tropicale qui peuplait encore le Sahara il y a quelques milliers d’années.
Retour au 4x4 pour rejoindre les tassilis du Hoggar, à plus de 150 kilomètres au sud de l’Assekrem. On traverse alors un paysage de rocailles sans vie. Depuis les années 1970, une grande sécheresse affecte le Sahara et les pâturages (« akasa » ou « acheb », comme les appellent les Touaregs), qui apparaissaient avec la pluie dans le fond des oueds ou entre les dunes, ont presque disparu. Les habitants, semi-nomades, ont été contraints de se sédentariser dans les faubourgs de Tamanrasset.

Les étendues infinies de sable et de grès de Tagrera

Les flèches de grès de Tin Akacheker au coucher du soleil.

Au détour de la piste, on rencontre Farid, campé fièrement sur la bosse de son grand chameau blanc. Sa « takouba », un long sabre, arme fétiche des Touaregs, brille au soleil, accrochée à la selle. Économe de ses gestes, il secoue la bride vers le bas pour faire « baraquer » – agenouiller – son chameau. Puis il nous parle de son enfance passée à garder des chèvres. « Cette plaine aujourd’hui désertique était couverte, à perte de vue, de cultures et de camps de nomades. » Pendant l’hiver, il préfère quitter l’agitation de « Tam », la capitale, pour s’installer ici, à trois jours de chameau, avec sa famille, dans un campement sommaire. « Ma femme s’occupe du bétail et je travaille comme guide-chamelier pour les voyageurs qui visitent les tassilis », explique-t-il. Farid nous montre ensuite un champ de coloquintes jaunes. La plante herbacée vivace est très toxique, mais elle est précieuse puisqu’elle est utilisée pour soigner les dermatoses du chameau et les morsures de serpent. Notre guide prend le temps de nous expliquer comment distinguer, à la couleur de l’écorce et à la forme du feuillage, l’acacia mâle de l’arbre femelle. Et coupe des branches de tamaris qui apportent du sel aux animaux.

PLUS LOIN, L'HYPERDÉSERT

Puis la rocaille monotone laisse la place à un univers de sable et de grès. Les tassilis s’offrent comme un écorché de la terre aux roches mises à vif par d’anciens cours d’eau et par l’érosion. Nous installons notre bivouac au pied des aiguilles rocheuses de Tahaggart, considéré comme le joyau des tassilis. Une nuit minérale et froide, qui sèche les muqueuses, tombe sur le campement alors que la lune se lève sur le royaume de tours friables aux fantômes immobiles. Au petit matin, après un thé brûlant et un morceau de galette cuite dans le sable, chacun erre solitaire, fasciné par les formes fantasmagoriques sculptées et délitées du grès. Les Touaregs, eux, préfèrent rester autour des braises du campement et évitent de s’aventurer dans ces labyrinthes, repaires des « djenouns » ou mauvais génies.
Pas un bruit, pas un signe de vie, pas une odeur dans un air vibrant, palpable et brûlant. Un « hyperdésert », comme l’appellent les spécialistes. Au gré de ses envies, on suit une crête qui monte vers le bleu du ciel pour venir buter sur une paroi mordorée. On ausculte le sol à la recherche de pointes de flèches ou de débris de poteries. On monte sur un piton de grès pour admirer le désert, son désert... Pendant plusieurs jours, on alterne bivouacs, longues balades contemplatives et trajets en 4x4 pour arpenter la ceinture tassilienne envahie par le sable, qui s’étend sur environ 250 kilomètres. On longe le puissant oued Tin Tarabine –un des plus anciens fleuves sahariens, qui descend de l’Atakor, entaille les tassilis du Hoggar, avant de se perdre dans les sables du Ténéré au Niger – pour rejoindre les roches de Tagrera. Des champignons de grès géants, semés sur un champ de sable ocre, à perte de vue. Les ombres noires qui s’allongent au cours de la journée dessinent des silhouettes très étranges.
Nous mettons ensuite le cap vers les dunes et les châteaux de grès de Tin Akacheker. Au soleil couchant, les couleurs explosent et l’esprit divague au gré de l’imagination, s’inventant ses propres chimères au travers des tourelles et pitons de grès. Ces tassilis du Hoggar sont d’un esthétisme absolu. Un de ces rares endroits qui peuvent vous transformer à vie, comme l’a été, un jour, Charles de Foucauld, confronté à l’immensité de la nature.

Moment de quiétude au creux d’une guelta,
ou source, dans le canyon d’El Ghessour

Grande tombe de chef Touaregs,
dans le tassili du Hoggar,
d’une forme ronde caractéristique.
Certaines peuvent atteindre 90 mètres de diamètre !

CARNET DE ROUTE

À SAVOIR

Il y a deux millions d’années, une intense période volcanique a bouleversé les massifs sahariens anciens. Les montagnes du Hoggar ou Ahaggar (en Algérie), du Tibesti et de l’Aïr (au Tchad et au Niger), qui occupent le centre du Sahara, sont issues de ces volcans. Le Hoggar couvre une superficie d’environ 540 000 km², soit le quart de la surface totale de l’Algérie. Les tassilis du Hoggar s’étirent sur près de 250 km et plongent, au sud-ouest, sous les sables de l’oued Tagrera.

FORMALITÉS

Visa obligatoire : Consulat d’Algérie à Paris. Formulaire de demande de visa téléchargeable sur le site : http://www.algerie-consulat-general-75.org/visas.html

QUAND Y ALLER

La saison idéale pour les tassilis court d’octobre à avril. L’air est sec et les précipitations sont très rares. Température agréable la journée (20 à 30° C), les nuits peuvent être froides. Dans les montagnes de l’Atakor, les températures restent supportables même en plein été grâce à l’altitude. Prévoir un bon sac de couchage et une polaire. Pour la journée, vêtements amples et légers en coton et chaussures de randonnée légères et montantes.

EN AVION
Vols réguliers Paris-Alger sur Air France ou Air Algérie tél. 01 42 60 30 62 http://www.airalgerie.dz/.
Correspondance pour Tamanrasset sur Air Algérie.
En hiver, vol charter direct sur Tamanrasset avec Point Afrique tél. 0 820 830 255 http://www.point-afrique.com/.
Voir aussi Aigle Azur tél. 0 810 797 997.

À LIRE
Fleurs du Sahara, A.-C. Benchelah, H. Bouziane, M. Maka et C. Ouahès, Ibispresse, 2002.
Théodore Monod, une vie de Saharien, de J.-M. Durou, Vents de sable, 1998.
Les Touaregs du Hoggar, de H. Lhote, Arthaud, 1984, (1ère édition 1944).
Art rupestre et préhistoire du Tassili, de J.-l. Le Quellec, Payot, 1998.
Touaregs de l’Ahaggar, de P. Pandolfi, Karthala, 1998.
Guide Bleu Sahara, Hachette : la « bible » du Saharien !

Source :

n° 231 de septembre 2007
Texte et photos Jean Robert

 

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