L’aventure BERLIET

Départ à 5 heures. Soyez-là un peu avant! Quatre jours
de vivres au moins… – Quatre jours ? Combien de
kilomètres ? – 950 environ… Trois jours de
piste… Mais la dernière fois l’oued était en
crue. Nous sommes restés bloqués
deux jours……. Mieux vaut
prendre ses précautions !

 

Képi bleu, combinaison de toile, le visage bronzé, « culotté » comme une vieille pipe, c’est un Margis de la C.A.S.T. qui parle. Une fois de plus, l’équipe KEPI BLANC était « bloquée » à Flatters, devant rejoindre Djanet. Une fois de plus, la C.A.S.T. était là pour nous dépanner…

À 4 h 30 nous étions au rendez-vous. Entre les quatre « bahuts » disposés en carré, un feu brûlait.

Un peu de « jus » les gars ? Chauffeurs, moteurs en route !

Un coup de démarreur… un deuxième… et le ronronnement doux de moteurs accompagne ce casse-croûte improvisé.

Les « bahuts » ce sont des G.L.R. Des Berliet qui équipent les Compagnies Auto Sahariennes de Transport. Ces compagnies dont dépend le ravitaillement de tous les militaires, sahariens ou légionnaires, qui sont implantés dans le Sud. Il n’est pas un poste, un bordj, qui, hebdomadairement ou mensuellement, ne leur soit redevable de leur ravitaillement en vivres et en… liquide. Important dans le « pays de la soif » ! Non ?

Le transport de charges impressionnantes sur des pistes souvent précaires suppose l’emploi d’un matériel à la fois robuste et rapide, apte à franchir les passages les plus difficiles, à rouler dans tous les terrains, sur tous les sols. Et c’est sur des véhicules Berliet que s’est porté le choix de l’Armée. Ce n’est pas nouveau, puisque datant de 1905 !

Les transports se faisaient alors par « arabas », charrette réglementaires de l’Armée, à 2 roues, portant environ 150 kg et tirées suivant les difficultés du passage, par un à trois mulets. Sur demande du Général Bailloud, commandant le 19ème Corps, le représentant de Berliet en Algérie accepta de tenter l’aventure d’un transport de fret d’Alger à Laghouat, au moyen d’un 3 T 5, chargé au maximum. C’est la première fois qu’un véhicule de ce tonnage tentait cette performance, qui mettait l’accent sur l’importance de la charge, la rapidité du transport (15 à 17 km/h), les possibilités exceptionnelles du matériel qui devait triompher des difficultés extraordinaires constituées par les 300 derniers kilomètres de dunes, une route organisée.

Le véhicule comportait des roues pleines en… bois, cerclées de fer. À cause de la chaleur, il fallait maintenir autour des roues de la toile d’emballage mouillée, pour les empêcher de se disjoindre.

La traversée des dunes s’effectua en faisant rouler le véhicule sur des planches que des équipes déplaçaient au fur et à mesure vers l’avant car le manque d’adhérence des bandages fer rendait impossible toute progression directe sur le sable. Ces planches constituaient en somme les ancêtres de nos « tôles » ou « échelles » actuelles, car les modernes pneumatiques n’ont pas supprimé totalement l’ensablement. Et l’on « pique toujours des cigares » selon l’expression consacrée.

Ce 3 T 5 a préparé la voie aux actuels G.L.R., G.B.O. et un dernier né, le mastodonte T 100…

Berliet, ce sont déjà les usines de Vénissieux, près de Lyon. Un puissant ensemble industriel et unique en Europe. En chiffre cela représente 1 million de m² couverts en bâtiments sur un terrain de 400 ha, 8 500 machines, 25 000 HP de puissance installée 25 km de voie ferrée intérieure. 13 000 ingénieurs et techniciens. Ce « complexe » industriel « mange » annuellement 65 000 tonnes d’acier, 1750 tonnes de métaux non ferreux, 9 000 tonnes de bois 50 000 tonnes de charbon, 80 000 pneumatiques, se traduisent par une production de 11 000 véhicules de tous types.

1956, le pétrole jaillit au Sahara ! Des besoins croissants se manifestent en véhicules de tous genres. Poids moyens pour la prospection, poids lourds pour le transport du matériel de sondage, des tubes qui constitueront le « pipe line », citernes pour l’évacuation du premier pétrole… 130 Berliet sont acheminés vers l’Algérie cette année-là. L’année suivante ce chiffre montera à 250. Devant cette montée en flèche de la demande, devant aussi le désir exprimé par le Gouvernement de voir se développer l’industrialisation de l’Algérie, où la main d’œuvre locale ne manque pas, la grande firme lyonnaise prend la première l’initiative de se transporter en Afrique du Nord. La première chaîne de montage française du Continent voit le jour à Hussein-Dey, dans la banlieue algéroise. La production en est modeste : 2 poids lourds par jour. Cette cadence se révèle bientôt insuffisante, raison de la création de la Société Africaine des Automobiles M. Berliet, « Berliet Algérie », et la construction de l’usine de Roubia, à quelque 30 km d’Alger.

2 juin 1957, le départ est donné au premier bulldozer chargé de défricher le terrain de 100 ha acquis par la Société en bordure de la route Alger-Constantine. 15 juin 1958, l’usine ultramoderne couvrant 22 000 m² est terminée, et le premier châssis « tombe de ligne ». La première industrie lourde d‘Algérie vient de prendre son essor.

La chaîne de montage se trouve dans le hall central. Elle est alimentée en pièces provenant de halls de stockage disposé tout au long. La manutention est ainsi réduite au minimum. Les pièces usinées, arrivent de Lyon en grande partie. Cependant, certaines d’entre elles sont fabriquées dans des usines algériennes, qui ont ainsi leur part de travail. Il faut plus de 900 pièces pour faire un Berliet G.L.R., type produit à Roubia. L’avance de stock dont dispose l’usine permet le montage de 150 véhicules.

La chaîne de montage n’est ni plus ni moins qu’un gigantesque « Mécano ». Tout paraît très simple au visiteur… en apparence du moins. Le plus important est la préparation, l’organisation du travail. Le reste n’est que routine.

Aussi 30 spécialistes de Vénissieux suffisent à contrôler le travail de quelques 300 ouvriers non spécialisés employés, en grande majorité des français-musulmans.

Dans « Les temps Modernes », Charlie Chaplin décrivait de magistrale façon la condition de l’ouvrier rivé à sa machine, vissant, huit heures durant, le même boulon, répétant interminablement le même geste. Rien de tel à Roubia, où chaque ouvrier a une certaine part de responsabilité dans son travail et la charge de pièces différentes à monter. La formation d’un bon monteur est cependant rapide.

Le rythme est immuable : châssis, essieux, tubulures de freins, réservoirs d’air comprimé, moteur, radiateur, câblage électrique, réservoirs de carburant, tableau de bord, direction. Arrêt pour recevoir une couche de peinture antirouille, puis le futur camion est « chaussé » de ses pneumatiques.

Reste encore à l’« habiller » ! Une cabine, assemblée sur place, vient se greffer sur l’ensemble, lui donnant un air plus engageant. Ailes, marchepieds, capot, la dernière touche est donnée et un nouveau G.L.R., type Afrique, est né. En fin de journée, cinq autres l’auront rejoint au parc !

À cette chaîne de montage, produisant 6 G.L.R. par jour, chiffre qui pourra être porté jusqu’à 15, vient s’ajouter une nouvelle usine qui sera destinée au montage de véhicules de transport public. En outre, Berliet-Algérie installe un ensemble de dépannage et de remise à neuf des véhicules en service en Algérie et au Sahara. 12 fosses de mécanique, un stock important de pièces détachées, la possibilité de traiter simultanément 40 véhicules éprouvés par le travail intensif qu’on leur demande, telle sera cette gigantesque station-service pour poids lourds, « the biggest in the World »…

« Berliet au service de l’Afrique » est le slogan de la marque. Une telle devise présuppose une organisation complète, et d’importants travaux sont actuellement en cours à Oran, Constantine et Touggourt pour multiplier la capacité du « Service Berliet ». De vastes projets permettent de prévoir dans le proche avenir une extension de ces stations à Colomb-Béchar, Adrar, Ouargla et Tamanrasset, centres vitaux du Sahara.

« Quand le bâtiment va, tout va ! » Le fait que de nouvelles industries s’implantent en Algérie prouve que la « crise » que traversait le pays est surmontée. D’autres importantes entreprises suivent actuellement l’exemple de Berliet, précurseur de ce mouvement. « Nous avons pris des risques, a déclaré M. Paul Berliet, directeur général de la firme. Mais peut-être bien qu’aujourd’hui, le pire des risques, c’est de refuser d’en prendre ». « Politique » dynamique que le succès est venu récompenser !


ROUIBA capitale du poids lourd

 


Le Berliet du foyer central de la Légion Étrangère fut le
premier de ce modèle livré en Oranie. C’est un G.L.R. 8 M.

 

 

Reportage : Caporal J. RLT Photos : Sergent G.

 

Source :

Képi blanc
La vie de la Légion Étrangère
n° 149 – Septembre 1959