Le système d’irrigation par foggara atteste d’un assèchement progressif de la région dans laquelle il se trouve.

    Le Sahara n’a pas toujours été un désert, il fut habité en maints endroits à l’âge de la pierre et le Touat actuel n’a rien de comparable à celui qui est décrit dans de très vieux ouvrages.

    Ptolémée nous parle d’une région où coule le Ger ou Niger : ce fleuve allait former les lacs Lybia - sebkha du Gourara - et Nigris - sebkha du Touat -.

    Vers le IVème siècle, des populations juives venues de la Cyrénaïque occupaient le Touat et un chroniqueur local, El Hadj Ahmed Ben Youssef Tinilani, écrivait vers 1660 : « la Palestine touatienne vit et se développe autour des lacs qui ceignent ses palmeraies ; elle utilise les derniers ruissellements superficiels venus du Tademaït par un système de barrages et de canalisations à ciel ouvert ».

    À la fin du Xème siècle arrivent au Touat les premiers arabes, sans doute les guedous venant d’Égypte.

    Tinilani écrit à leur sujet : « Ils s’y installèrent en grand nombre et construisirent sur les rives de son fleuve des ksour, ils organisèrent des irrigations au moyen de canaux souterrains tels que n’en avaient jamais établis de semblables les populations qui les avaient précédés ; ces canaux furent dénommés foggaras – au pluriel feggaguir, de la racine arabe signifiant creuser la terre ». « Ce fleuve se prolongeait et allait vers le Regan d’où il obliquait dans les sables de la colline d’In Ouallen sur la route du Soudan ».

    En tenant compte des exagérations, il semble certain que vers l’an 1000, il restait beaucoup d’eau dans le lac Nigris mais que par contre, les ruissellements du Tademaït s’étaient taris et que les populations se voyaient dans l’obligation de drainer dans le sous-sol les eaux disparues de la surface.

    Dans le Echras el Bassiti il est dit que le premier homme qui a creusé une foggara à Tamentit a été le nommé EL MALIK EL MENSOUR BEN YOUSSEF EL KORRICHI qui, craignant d’être poursuivi par son ennemi le Roi EL MENSOUR BEN SAID, chercha refuge dans ce ksour alors qu’il était en fuite vers le Soudan.

    À son arrivée à Tamentit, il entreprit la création de la première foggara qu’il appela HENOU. Les feggaguir se multiplièrent par la suite – 360 en l’an 300 de l’Hégire – . À partir de cette époque, elles se généralisèrent dans le Touat.

    Le système de la foggara consiste à récupérer au moyen de canaux souterrains l’eau d’une nappe aquifère située à une profondeur variable et à l’amener à se déverser à hauteur convenable dans des canaux d’irrigation ou seguia.

    L’adoption de ce procédé est donc limitée par des conditions de terrain et de niveau puisque le secteur à irriguer doit se trouver en dessous de la nappe aquifère : c’est ce qui explique pourquoi la plupart des oasis à feggaguir sont adossées à la falaise terminale d’un plateau.

    Si l’0n considère une foggara, celle-ci comprend en surface une ligne de puits distants de 10 à 15 mètres de profondeur variable. Ces puits constituent le travail préparatoire d’un canal sous-jacent les reliant : ils deviennent par la suite des orifices d’évacuation des terres, trous de visite ou d’évent.

    La galerie forée est en pente douce, d’une longueur pouvant atteindre 15 km – Foggara Cherif à Tamentit 7 km –, assez haute et assez large pour qu’un homme puisse circuler courbé ; la galerie principale est parfois ramifiée en vue d’augmenter le débit.

    Les auteurs ne sont pas d’accord sur le mode de construction d’une foggara. Pour les uns, on attaque la nappe souterraine à son point d’affleurement et on remonte jusqu’à ce que l’on ait obtenu un débit déterminé. Pour les autres, on recherche en amont la nappe aquifère et on creuse ensuite en allant vers la palmeraie. Les indigènes questionnés prétendent que l’on part du puits le plus éloigné.

    L‘orientation Est-Ouest des feggaguir du Touat parait infirmer l’opinion généralement admise selon laquelle elles seraient alimentées par les eaux du Tademaït.

    Certains ont prétendu que les feggaguir étaient alimentées par les cours, maintenant souterrains, des grands fleuves quaternaires. Enfin, des théories nouvelles se font jour en s’appuyant sur le pouvoir de condensation des grandes masses sableuses des areg.

    La Foggara appartient à un groupe de gens qui comprend, au début, tous ceux qui ont contribué à son établissement. La méthode employée pour répartir l’eau tient son originalité de ce qu’elle fait abstraction du facteur temps – sauf les feggaguir horaires du Tamentit –.

    Avant la fin des travaux, tous ceux qui ont participé au forage procèdent à une première répartition purement arbitraire, au prorata de l’apport de chacun.

    Ainsi un débit supposé est, quel qu’il soit, divisé en 24 guesma, comprenant chacune un nombre variable de madjen, le madjen se subdivisant lui-même en 24 habba seghira, ou kirat seghira selon la région.

    Sur un registre, appelé Zemam el foggara et qui comprend tous les noms des propriétaires, est consignée l’opération et la partie revenant à chacun.

    La foggara achevée, on procède au partage du débit réel. L’opération est dirigées par le Kiel el ma. Ce dernier possède, pour le mesurage, la chekfa, planchette en cuivre percée de trous ayant entre eux un rapport connu, qui permet d’évaluer le débit et de répartir l’eau dans toutes les proportions.

    Cette planchette étant placée en travers de la canalisation à mesurer, son rebord supérieur bien horizontal, l’équilibre de l‘eau est obtenu en bouchant ou en débouchant avec du tin un nombre plus ou moins grand de trous de façons à ce que l’eau affleure la partie supérieure de la planchette, sans déborder ; il suffit alors de compter les trous pour avoir le débit de la canalisation.

    Ce premier partage terminé, il reste à procéder à l’attribution effective de l’eau à chaque propriétaire.

    On installe au débouché de la foggara un appareil, la kesseria, formé d’une pierre plate disposée verticalement et percée de trous dont le débit est un peu inférieur au débit définitif.

    Le travail du Kiel el ma sera de donner à ces trous une dimension telle que leur débit corresponde à celui revenant aux propriétaires. On laisse ouvert sur le chekfa les trous correspondant à la quantité d’eau à attribuer : on la place à 50 cm en aval de la kesseria et on la met en communication avec l’ouverture correspondante de la kesseria. Le Kiel el ma agrandit alors par tâtonnements, l’ouverture de la kesseria jusqu’à ce que le débit fourni par le trou de la kesseria soit égal à celui des trous de la chekfa.

    À chacune des ouvertures de la kesseria correspond une canalisation à ciel ouvert bientôt barrée elle-même par une kesseria secondaire qui répartit à l’aide de seguia l’eau dans les bassins des jardins – madjen –. Les feggaguir sont mazer ou younet suivant que la kesseria est plus ou moins élevée au-dessus des terrains à arroser et que, par suite, la vitesse de l’eau est plus ou moins considérable dans la seguia. Les feggaguir mazer sont très appréciées car les pertes d’eau sont moins considérables dans les canalisations secondaires et l’arrosage plus facile.

    Si l’on sait que les feggaguir du Touat, avec leurs ramifications, s’étirent sur plus de 1 500 kilomètres et que certaines d’entre elles se développent sur quelques 200 km d’un seul tenant, on imagine aisément l’importance du problème que pose l’entretien d’un tel réseau.

    Creusées dans un sol souvent tendre, sans aucun coffrage, les feggaguir sont minées par l’érosion qui provoque des éboulements dont les plus graves comblent définitivement des portions entières de galeries. Dans ce cas, il faut creuser à nouveau, parallèlement à l’axe initial, afin de raccorder les points restés sains. Dans le rocher, ce sont les dépôts calcaires qui arrivent à obstruer les conduites et c’est alors un véritable travail de sapeur que de forer à nouveau.

    Autrefois tous ces travaux étaient réalisés par des esclaves noirs. De nos jours, l’administration locale ne dispose que de moyens infimes alors que les feggaguir vieillissent et se détériorent de plus en plus et que le régime de l’eau a tendance à baisser dans la majorité des ksour.

    À première vue, un ensemble de puits artésiens constituerait une solution rapide à ce délicat problème, mais seules les oasis d’El-Goléa, Tit et In-Salah bénéficient d’une situation géographique leur permettant d’obtenir des eaux jaillissantes.

    De par leur conception archaïque, les feggaguir sahariennes sont d’un rendement très faible – on estime qu’un tiers de l’eau recueillie est perdue par suite de la dispersion des cultures – et pratiquement impossible à conserver en bon état puisque, telles le tonneau des Danaïdes, à peine les a-t-on réparées d’un côté qu’elles s’effondrent de l’autre.

    Il est évident que le problème de l’eau revêt une importance telle que c’est la vie même des oasis qui est aujourd’hui en jeu.

    D’une part, les investissements – de l’ordre du milliard pour le Touat seulement – que nécessite une adduction rationnelle ne sont pas rentables, même à longue échéance.

    Mais, d’autre part, peut-on laisser disparaître un pays si riche de traditions et d’un intérêt ethnographique aussi certain ?

    Enfin, alors que l’on se passionne pour la protection des monuments de la vallée du Nil, va-t-on abandonner aux sables du désert une œuvre comparable aux Pyramides pour la grandeur et les sacrifices en vies humaines qu’il a fallu consentir pour la mener à bien ; cet immense effort vers la civilisation qui s’est traduit par l’aménagement d’un territoire désolé pour le bien-être d’une collectivité entière ne vaut-il pas plus qu’un monument élevé à la glorieuse mémoire d’un tyran ?

Sur des centaines de kilomètres le réseau des feggaguir court sous les sables, jalonné par des puits de visite ; – ci-dessus la foggara d’Adrar – pour aboutir dans les palmeraies aux fameux peignes qui répartissent l’eau équitablement aux propriétaires. Ci-dessous, un des peignes de distribution les plus anciens, celui de Tamentit.


Au bout de sa longue course, des mains économes guident l’eau vers les palmiers. Cette vue a été prise dans la palmeraie de Tabelbala.

 

Photos : Sgt I.B.S.

 

Source:

Képi blanc
La vie de la Légion Étrangère
n° 217 – Mai 1965