2ème R.E.I.

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PAR LE CADRE IMPARTI À SA MISSION
PAR LE RYTHME QUE LE CLIMAT LUI IMPOSE
PAR LA COHÉSION EXCEPTIONNELLE DE SES ÉLÉMENTS

LA 4ème COMPAGNIE PORTÉE

EST L’HÉRITIÈRE DE CE QUI A CONFÉRÉ
UNE DIMENSION HUMAINE À L’ÉPOPÉE DU DÉSERT

L’ESPRIT SAHARIEN

LA PLUS AU SUD

    Actuellement la 4ème C.P. est la compagnie du 2ème Régiment Étranger d’Infanterie qui est implantée le plus au Sud. Son P.C., installé à In-Salah, et le poste permanent d’Arak à quelque 300 kilomètres en direction d’In Amguel et Tamanrasset, sont autant des étapes pour les convois que des points stratégiques dans le cadre des terrains d’expérimentation dont la France dispose au Sahara.

    De tout temps In-Salah a été un lieu de passage. Avant l’ère des grands dessèchements sahariens, toute la région du Tidikelt était recouverte d’une intense végétation, ou R’Aba, fournissant la pâture aux grands troupeaux des Touareg. La tradition orale situe la fondation de la ville aux alentours du XIIIème siècle, à l’emplacement d’une source (Ain), mais plusieurs versions ont cours, s’accordant seulement sur la couleur et la qualité du premier bâtisseur : Salah, un noir, esclave des Touareg que les uns veulent avoir été abandonné par ses maîtres, et les autres au contraire, fugitif.

    Quoi qu’il en soit, on lui attribue non seulement la paternité d’In-Salah, mais également le forage de la première foggara, élément indispensable à la vie dans cette contrée puisque traditionnellement c’est grâce à ce système que l’on parvenait à alimenter la région en eau.

    De fait, on ne connait pas exactement l’histoire de cette ville et on se contente de supposer que les grandes migrations arabes venant de Lybie l’ont atteinte vers la fin du XIIIème siècle et que, plus tard, il s’y créa un grand marché de moutons pour les nomades. De plus, longtemps ce centre a été considéré comme un « port du désert » vivant principalement du courant d’échanges commerciaux entre le nord et le sud du Sahara : dattes et sel d’une part, céréales et produits gras du Soudan, du Niger et du Tchad d’autre part. Or, du fait que les caravanes de chameaux ne pouvaient assurer la liaison d’un seul trait, les Chaamba descendant du Nord étaient relayés par les Touareg venus du Sud, assurant ainsi la prospérité d’oasis comme In-Salah, Tindouf ou Ghat et justifiant pleinement leur appellation de « ports du désert ».

    Le premier Européen à avoir visité la ville est un Anglais, au cours du mois de décembre 1825, mais la curiosité ou le désir d’aventures des hommes de cette trempe se terminait en général par un assassinat et nombreux furent les explorateurs à trouver ce genre de fin au Sahara. La pénétration française quant à elle, ne date que de 1899. C’est cette année-là en effet que la mission Flamand-Pein, composée d’une expédition scientifique dirigée par le professeur Flamand et d’une escorte de 140 goumiers aux ordres du capitaine Pein, reçoit la soumission d’In-Salah.

    Aussitôt, une organisation administrative et militaire est mise en place quelques années plus tard, en 1907. Laperrine dont l’œuvre est restée célèbre, y installera le commandement supérieur des oasis sahariennes.

    Enfin, après la Seconde Guerre mondiale, la venue des pétroliers et les efforts des services hydrographiques redonneront un élan à la région mais aussi accentueront le contraste existant entre la vie traditionnelle de l’oasis avec ses pauvres moyens, et les possibilités offertes à l’extérieur.

UN RYTHME DIFFÉRENT

    Les légionnaires de la 4ème C.P. vivent sur un rythme très particulier, intimement lié aux conditions climatiques d’une part, et aux missions de la compagnie d’autre part.

    En effet, In-Salah, de par sa position dans la plaine du Tidikelt au pied du Tademaït, est caractérisé par un climat très dur : chaleur excessive, humidité pratiquement inexistante, vent de sable en moyenne un jour sur deux. Les quelques chiffres ci-dessous, fournis par la station locale de la météo, se passent de commentaires. Au mois de juillet 1965, la température n’est jamais descendue au-dessous de 25,6 degré centigrades tandis que « sous abri » elle atteignait quelque 47,3°C. Dans le même temps la moyenne d’humidité se situait à 11,2% avec un maximum de 15,4% et un minimum de 6,8%, ce qui par ailleurs est la phobie des météorologues puisque leurs appareils de précision ne descendent pas au-dessous de 7% !

    On conçoit aisément que de telles c0nditions ont une grande influence sur le travail et le moral des légionnaires et c’est ainsi que l’on peut imaginer les efforts que durent fournir les anciens lorsqu’il n’y avait pas d’humidificateurs pour rafraîchir les locaux d’habitation, pas de radio pour rester en contact avec les bases et pas d’avion pour amener les légumes frais et le courrier. De nos jours, on se les imagine de type spartiate et l’on comprend un peu cette sorte de fatalisme résigné qui transparaît dans les chansons de marche de l’époque comme « Suzanna » par exemple qui fut le chant des Compagnies Montées en 1925, ou bien celle, plus ancienne encore, baptisée « Aux légionnaires ».

    Il ne faut cependant pas pour autant croire que la 4ème C.P. lorsqu’elle a pris en compte le camp d’In-Salah, y a trouvé tout le confort dont elle jouit Maintenant, bien au contraire, le premier été, il n’y avait même pas d’eau pour les douches et, a fortiori, pour la climatisation. Mais point n’est besoin d’épiloguer sur une méthode qui a fait ses preuves, surtout à la Légion, le « légionnaire d… toi » !

    Néanmoins, si l’on veut-situer réellement la 4ème C.P. ; on ne peut passer sous silence les activités du service auto, soutien, logistique d’importance vitale pour la compagnie, mais aussi réserve inépuisable de moyens de toute nature que le service général ne méconnait pas. Un exemple entre mille et de taille, le portrait qui fait la richesse de l’entrée du camp en même temps que la fierté du lieutenant adjoint au commandant de compagnie, bien qu’il n’ait pas œuvré de ses mains à cette belle réalisation.

    On va jusqu’à se demander où les légionnaires trouvent le temps nécessaire à l’exécution des tâches qui leur incombent ! Quand on sait l’entretien que nécessitent des véhicules roulant uniquement sur les pistes ou en tout terrain, une énumération comme celle-ci laisse rêveur : 31 Dodge 4x4 ou 6x6, 2 jeeps, 1 command-car, 1 ambulance, 7 Berliet G.B.C., 1 G.L.R., 1 G.B.O., 5 automitrailleuses, tous appartenant à l’unité, et en plus, les véhicules du Génie en soutien soit 5 G.L.R. 1 G.B.C., 1 G.M.C. et 1 Simca.

    Un tel parc se traduit aussi par des milliers de kilomètres parcourus, plus de 36 000 pour le mois d’octobre 1965 seulement, et 15 moteurs changés en une année, des pneumatiques par dizaines, du carburant par vingtaines de milliers de litres, 13 000 d’essence et 10 000 de gas-oil sont des chiffres mensuels moyens… e plus, quoique nous n’évoquions ces problèmes que pour mémoire, il ne faut pas négliger les difficultés qu’il faut surmonter pour gérer, approvisionner et mettre en œuvre quelque 250 types différents de pièces détachées en stock permanent au magasin, et il en manque toujours, ce qui a pour conséquence immédiate, entre autres, d’obliger le chef de service à se dépanner avec son tour !

ARAK

    Un autre facteur déterminant pour la vie de la 4ème C.P. est la servitude imposée par le poste d’Arak. Chacun à leur tour, les trois pelotons portés y emménagent pour une durée déterminée, variant en fonction de la saison et des autres contingences de la compagnie.

    Dans ce petit poste niché au creux des gorges profondes qui partagent les monts Mouydir, la vie est simple mais non fastidieuse. Les séances d’instruction sont entrecoupées de parties de chasse, de tours de garde et d’exercices de jour ou de nuit, sans compter la liaison hebdomadaire qui apporte les nouvelles et le ravitaillement. Le site grandiose a quelque chose d’attirant et nombre de légionnaires viennent y passer quelques jours de permission à la bonne saison. Il en est même pour raconter qu’à l’époque des touristes, il existe certains charmes…

    Tout est teinté de légende au Sahara, les dimensions dépassent l’homme à un point tel que celui-ci est avide d’explications, même fantastiques. Rien n’échappe à ce principe et les inscriptions et peintures rupestres que l’on trouve dans les environs du poste sont autant d’énigmes donnant lieu à supputations les plus originales quant à leur ancienneté ou à leurs auteurs. Les caractères cunéiformes tifinars, les signes cabalistiques, les animaux symbolisés, stimulent les imaginations, d’aucuns vont jusqu’à dire des vocations artistiques.

    Quoi qu’il en soit, et c’est là un fait indiscutable, il règne à Arak une ambiance particulièrement sympathique et il est agréablement surprenant de rencontrer une telle cohésion à tous les échelons d’une société humaine fortement structurée. Peut-être ce phénomène est-il dû à l’isolement qui oblige les pelotons à ne compter que sur eux-mêmes, ou plutôt sur la participation totale et volontaire de chaque individu. Il semblerait aussi que le cadre dans lequel vivent les légionnaires agisse sur leur moral car il est unanimement reconnu que le milieu a une influence certaine sur l’homme et cette phrase de M. Philippe Diolé, extraite de son livre « Dans le Fezzan inconnu », pourrait convenir parfaitement au paysage d’Arak et illustrer brillamment ce que l’on y ressent :

« Il y a ici une pureté d’avant l’homme, une rudesse des premiers âges de la terre, l’âpre splendeur d’une crudité géologique ».

    Il ne faudrait cependant pas pour autant prendre les habitants du poste pour des anachorètes vivant dans les privations. Bien sûr le climat est rude et les visites rares, néanmoins la piste qui traverse les gorges est assez fréquentée et tant que le groupe électrogène fonctionne, les avantages de la civilisation moderne sont à la disposition des légionnaires : liaisons, cinéma, boissons fraîches, climatisation.

    Enfin la liesse des relèves au cours desquelles on retrouve des camarades que l’on avait pas vus depuis plusieurs semaines, les petites nouvelles à raconter, la perspective du voyage de retour coupé d’une nuit à la belle étoile en plein désert, sont autant d’éléments propres à compenser les sentiments d’isolement qu’inévitablement on ressent un jour ou l’autre. De plus le toujours possible vent de sable est sujet à discussions passionnées car il aura tôt fait de transformer le trajet d’Arak à In-Salah en une sorte d’enfer soumettant hommes et matériels à une sévère épreuve.

UNE COHÉSION EXCEPTIONNELLE

    Que ce soit à In-Salah ou, à plus forte raison à Arak, les légionnaires et leurs gradés vivent en circuit fermé, amalgamés les uns aux autres, totalement.

    Depuis des générations la Légion, grâce à son esprit de corps unique, a constitué un pôle d’attraction pour quantité d’hommes épris d’une certaine forme d’idéal – reconnue et avouée ou non d’ailleurs – et recherchant un cadre favorable à la libre évolution de leur aspirations profondes. En cela, la 4ème C.P. peut être considérée comme un élément survivant d’un passé largement exploité par la légende.

    Le grand historien que fut Thucydide nous dit que « la force de la cité n’est pas dans l’épaisseur de ses remparts mais dans la valeur de ses concitoyens » De même la valeur d'une C.P. résulte beaucoup plus des qualités des individus que du matériel mis à leur disposition. Et c’est ainsi qu’inéluctablement on en arrive à se poser la question relative à l’influence morale du Sahara sur les hommes.

    Il est un vieil adage qui veut que l’on supporte mal le désert passé un certain degré de vulgarité. Cette considération que nous a livrée la sagesse populaire est en quelque sorte le corollaire de sensations profondes en fonction desquelles tout individu modèle sa vie personnelle au Sahara.

    D’abord face aux étendues immenses qui l’entourent, l’homme et émerveillé, il a l’impression de participer à quelque chose de grand qui le dépasse infiniment, qui le choque dans son orgueil, comme un rappel de la précarité de sa condition. Plus tard, s’il a peiné et pris sur lui-même pour arriver là, il éprouve de la fierté, celle d’une expérience réservée à une minorité, de s’être distingué du lot commun. C’est pourquoi bien souvent, il oublie son passé pour ne pas ternir l’image de la nouvelle personnalité que le site lui a façonnée.

    En fait, le désert est une grande école où l’homme apprend, dans l’effort, à rêver devant l’infini, et à pousser au-delà de sa simple condition.

    Enfin, tout cet ensemble a pour effet direct la conception que les légionnaires ont de la vie en communauté : un collectivisme basé non sur des considérations militaires ou hiérarchiques, mais sur le respect de l’individualité que représente autrui.

    Ceci est tellement vrai que, pour l’observateur venu de l’extérieur, la 4ème C.P. est un monde où l’on ignore ce qu’est la jalousie mesquine. Chacun est fier des prouesses réalisées par les autres : c’est avec chaleur que l’on vous raconte qu’un tel est un véritable champion de tir au pistolet, que tel autre est un chauffeur qui a fait des milliers de kilomètres sans accident ni panne grave, que « notre » cuisine est la meilleure du régiment, que « nous » avons remporté le grand rallye inter compagnies, etc. On pourrait citer une multitude d’exemples du même type où l’individu, marqué par un sens très profond du clan, s’identifie à la partie du groupe qui est mise en valeur. N’est-ce pas là le plus beau critère de cohésion que l’on puisse trouver ?

    En poussant à l’extrême un tel raisonnement, on pourrait alléguer que les légionnaires de la 4ème C.P. se sont désolidarisés de la vie normale et se sont constitués en une sorte de république autonome et utopique à la Rabelais ou à la Voltaire !

    Il n’en est rien : l’actualité, les événements du monde, les innovations techniques, ou les résultats sportifs qui arrivent à In-Salah sont atténués mais sont l’objet de discussions passionnées. C’est ainsi qu’en commentant la dernière performance de Jazy ou le dernier rallye de Monte-Carlo, ceux qui vivent au milieu des sables et n’ont pour voisins que des nomades d’un autre âge, participent à la vie du siècle.

 


Implacable tout au long du jour, au couchant, le soleil musarde dans les
dunes et, par le jeu des ombres, fait renaître ce que sa puissance avait écrasé


Face à l’inexorable progression des dunes, plus que l’édifice d’un culte, c’est la marque d’une civilisation :
la mosquée d’In-Salah, symbole des luttes et des angoisses des hommes


Pour le saharien, l’orientation est un problème capital.
De nombreux exercices pratiques ont lieu sur le terrain et permettent
d’améliorer et de vérifier le niveau de chaque légionnaire


La palmeraie est la ressource principale d’In-Salah ; s’étirant sur 6 kilomètres de long pour
500 mètres de largeur, elle compte environ 90 000 palmiers. À noter que l’ensemble du Sahara
comprend quelque 200 000 hectares cultivés, ce qui représente en gros 4 fois le département de la seine,
pour une superficie totale grande comme 8 fois la France


Malgré les efforts et la défense acharnée des populations,
les dunes grignotent petit à petit tout ce que les hommes
ont réussi à implanter dans ces contrées inhospitalières


Rite immuable : avant et après chaque sortie, le commandant de compagnie inspecte les pelotons.
Un véritable esprit de compagnie nait de l’application stricte de ces règlements




Un des aspects de la relève, les nouveaux arrivants prennent possession de leur domaine


Brûlé par le soleil, menacé par les rochers, infesté par le marais, c’est néanmoins
dans ce poste que les légionnaires de la 4ème C.P. aiment à venir…


Malgré les falaises qui semblent vouloir écraser ce bastion de la présence
humaine qu’est le poste, il ne manque pas de perspectives agréables


Les pelotons amènent avec eux tout leur matériel et des vivres en quantité. Ce n’est qu’une
fois les corvées terminées que l’on pourra entreprendre l’important échange de nouvelles


Exemple caractéristique de l’architecture locale : la poste d’In-Salah


Centre de l’agglomération en même temps que lieu de réunion et de palabres sans fin,
le marché, dont une partie est réservée aux travaux des bourreliers, cordiers et autres
selliers touareg, fait un peu penser à ce que devait être une « agora » de l’antiquité


La sebka en hiver est un petit lac dont la présence choque dans un tel paysage.
En fait il s’agit d’un bassin où se déversent les eaux résiduelles de la palmeraie :
ceci constitue par ailleurs un important progrès pour la salubrité des jardins


À l’exception des édifices publics, l’architecture locale est des plus rudimentaires :
le matériau de base est fourni par des blocs de boue séchée au soleil


Après le sable, la pierre… C’est au milieu de ce décor figé, où les champs
de cailloux paraissent minutieusement entretenus par on ne sait quels
démons malfaisants, que passe la piste reliant In-Salah à Arak

 


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Texte et photos : C/C. J.B.
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Source:

Képi blanc
La vie de la Légion Étrangère
n° 228 – Avril 1966