1966
Dernier Noël Saharien


    La sérénité d’un ciel étoilé, les lueurs rougeoyantes d’une bûche qui s’embrase, la nostalgique mélodie d’un « Stille Nacht », un visage qui s’éclaire à l’évocation de lointains souvenirs… c’est Noël au bord de l’erg sans fin.

    Durant l’après-midi du 24 décembre, les légionnaires s’affairent autour de leurs crèches, mettant à profit les derniers instants qui leur restent. Rivalisant d’ingéniosité et d’originalité, ils s’emploient à personnaliser leurs chambrées et à égayer les vieilles « koubas » si caractéristiques du bordj Brenkle. Mais la nuit tombe bientôt sur les deux bordjs.

    À peine peut-on se livrer à la méditation que le jury, désigné pour décerner les prix aux plus belles crèches, se met à l’œuvre. Juger une crèche à la fois sur l’esthétique, l’originalité et le travail n’est guère chose aisée. Le premier prix va à la simplicité du travail du 1er Peloton qui présente un paysage parfaitement oriental, s’inspirant des sources mêmes du christianisme, tandis que le deuxième prix récompense l’ingéniosité du 3ème Peloton dont les sapins et le village enneigé chatoient sous un jeu savant de lumières multicolores.

    Puis c’est autour de trois énormes feux de joie, la remise des galons aux nouveaux promus qui précède les traditionnels chants de Noël entonnés par nationalité. Sous la véranda du foyer, suit la remise des cadeaux, où les plus jeunes se voient pour une fois à l’honneur. Enfin, le réveillon réunit la totalité de la Compagnie autour d’une immense table.

    Les cuisiniers n’ont ménagé ni leur temps ni leurs peines pour la plus grande joie de tous. Nos chers et magnifiques chants Légion, entonnés avec ardeur, ont tôt fait de créer une ambiance légère et détendue. Ensuite, la veillée se poursuit dans les chambrées et ce n’est qu’aux premières heures du jour que s’éteignent les derniers éclats de voix et les dernières ampoules.

    Dans cette veillée, ceux qui sont loin et en service ont eu droit à une pensée particulière. Il s’agit du 2ème Peloton d’Auto - Mitrailleuses détaché au poste d’Oglat Beraber et des volontaires qui ont monté la garde aux bordjs de Tabelbala cette nuit-là.

    Ce Noël 1966, le dernier que l’unité vivra au Sahara, restera pour nous un événement unique dont on gardera une nostalgie indéfinissable – peut-être parce que, dans cette solitude saharienne, l’homme est-il à même de s’intégrer et peut-être de faire connaissance avec cet enfant, dont nous parle Saint-Exupéry, et que l’on se plaît à identifier au petit Jésus.

   

Noël pour les « légionnaires-routiers » de la 5ème C.T.G.P., n’est qu’une courte halte entre deux missions : peu de temps pour le préparer, pas de temps pour récupérer. Pour eux n’existent que la poussière, le feu de bois au bivouac, la bielle qui chante et la piste, toujours la piste, mystérieuse, attirante, captivante.

    L’an passé, le peloton G.B.O., tel le bon saint Christophe qui transporta l’Enfant-Dieu sur ses puissantes épaules, offrait la caisse de l’un de ses mastodontes pour abriter la Sainte Famille. Cette année, le problème du logement devient plus angoissant : étant donné la multitude des transports à assurer, aucun véhicule ne peut-être distrait de sa maison. Telles les auberges de Bethléem à l’époque de la Nativité, G.B.O., G.L.R., Willème, qui roulent en permanence, sont pleins à craquer de riches et précieuses cargaisons destinées à Hammaguir. In Amguel, Béchar. Qu’importe, le service auto de la compagnie n’en est plus à quelques heures de labeur supplémentaire.

   

Trois fûts d’essence, une bâche de Dodge 6x6, des barres de fer récupérées Dieu sait où et surtout l’imagination fertile et la compétence des soudeurs, dignes émules des forgerons de Vulcain, voilà qui supplée au manque de temps. Le résultat ? Une crèche d’une simplicité toute évangélique par la pureté des lignes et la modestie des matériaux, mais comparable à un palais des Mille et Une Nuits par l’audace de son architecture.

    Le 24, dans le flamboiement d’un crépuscule orangé, la crèche est installée devant l’entrée du quartier et une délégation, composée de véhicules de chaque peloton, vient monter une garde d’honneur, semblable en cela aux bergers et aux pâtres du temps jadis.

    Enfin tout est prêt, les légionnaires sont là, au complet. Mais on a eu bien peur. Le 23, des « Willème » peinaient encore entre Mers-el-Kébir et Béchar, tandis que les G.L.R. se pressaient pour rejoindre Reggan. Sur la base, tout le monde attendait ces précieux G.L.R. qui devaient apporter ces beaux sapins des pays blancs, fidèles compagnons des Noëls de jadis, témoins débonnaires et silencieux des joies de notre enfance. Lorsqu’ils arrivèrent, ils étaient bien un peu fripés et poussiéreux mais, ma foi, pas méconnaissables du tout après ce long voyage insolite à travers des contrées désertiques et sauvages. Bien vite ils furent chamarrés d’or et d’argent, vêtus de guirlandes, décorés de boules multicolores, habillés de lumière pour la grande nuit qui allait commencer.

    Bien sûr, la fête de famille qui suivit eut été encore mieux réussie si nous avions pu voir rentrer l’enfant prodigue à Reggan. Mais hélas, les missions sont impératives et le 27, le peloton Willème de Béchar reprendra la route de Kébir pour fêter l’an neuf sur les rivages parfumés de la Méditerranée.

    Pot de compagnie, chansons de partout et de nulle part, distribution de cadeaux, tout cela dans un foyer superbement décoré où les effluves d’une kémia appétissante se mêlent à l’odeur de la peinture encore fraîche ; le réveillon se déroule dans une ambiance sereine où chacun peur évoquer à loisir les joies et les peines ressenties en commun au cours des longs voyages à travers les grands espaces sahariens.

 

Source :

Képi blanc
La vie de la Légion Étrangère
N° 238 - Février 1967

 

 

Noël 1965
chez les « Routiers »

    Fidèle à sa nouvelle mission, fière de ses lourds véhicules toujours prêts à prendre la piste, la 5ème Compagnie de Transport Gros Porteurs a fêté Noël sous le signe du transport et de la mécanique. Ce n’étaient plus les étranges éléments de la fusée Diamant ou du satellite Astérix qu’il s’agissait de véhiculer, mais un chargement encore plus mystérieux, plus insolite, plus précieux : une crèche, toute classique de composition, avait été installée sur la caisse d’un G.B.O., les légionnaires offrant ainsi leur modeste contribution à la résolution d’un délicat problème de logement qui existait déjà dans les temps jadis à l’époque de la Nativité.


La crèche « portée » à la 5ème C.T.G.P.

    Mais Noël à la 5ème Compagnie de Transport Gros Porteurs, fut avant tout une grande fête de famille, avec le retour de l’enfant prodigue : le peloton Willème, détaché à Béchar depuis plus de six mois, obtenant du Père Noël « COMSIT » (1) l’autorisation de venir passer quelques heures à Reggan. C’est ainsi que par une belle matinée, toute ensoleillée, nous vîmes tomber des cieux une trentaine d’angelots en tenue camouflée (de rudes diables, au dire de l’adjudant de compagnie, toujours mauvaise langue et prêt à dramatiser) bien décidés à profiter de la bonne aubaine qui leur arrivait.

    Les distractions ne devaient pas manquer depuis la traditionnelle veillée récréative où la compagnie se fit applaudir pour ses chanteurs aux voix toujours captivantes, souvent mélodieuses… jusqu’au Réveillon, organisé sous le hangar accueillant du Service Auto, artistement décoré et délicatement parfumé à l’essence et au gas-oil.

    Mais tout ceci ne fut qu’une trop courte trêve, déjà pour le jour de l’An la compagnie se dispersait, tandis que les Willème roulaient vers Mers-el-Kébir, les G.B.O. et G.L.R. se préparaient fiévreusement à parcourir à nouveau les pistes du grand Sud, d’Adrar à Tamanrasset.

(1) Commandement des Sites Militaires du Sahara

 


Source :

Képi blanc
La vie de la Légion Étrangère
n° 226 - Février 1966