Reportage : Sgt I.B.S.
Photos : Service photos C.I.E.E.S.

    À cinq kilomètres de Colomb-Béchar une seconde ville surgit, sur laquelle flotte haut le pavillon français. C’est l’imposant ensemble qui groupe les bâtiments du Centre Interarmées d’Essais d’Engins Spéciaux – C.I.E.E.S. –, le Commandement des Sites Militaires au Sahara – COMSIT – et le camp Crozé, P.C. du 2ème Régiment Étranger d’Infanterie. Si le C.I.E.E.S., en dehors du fait qu’il est dirigé par le même chef, est parfaitement indépendant des deux autres, il conditionne néanmoins le travail du COMSIT et du 2ème R.E.l., dont les missions essentielles et le choix des implantations sont de veiller à sa sécurité.

    On ne peut donc, à cette heure, parler du 2ème R.E.I. sans évoquer le C.l.E.E.S., auquel sont subordonnés son activité et le prolongement de sa vocation saharienne.

    Le général de brigade aérienne Yves Hautière, directeur du C.l.E.E.S. et Commandant la base de Colomb-Béchar, Commandant des Sites Militaires au Sahara, a bien voulu nous permettre d’évoquer pour nos lecteurs la mission du C.I.E.E.S. Elle est primordiale puisqu’elle participe directement à la volonté de la France de se maintenir au rang de grande puissance ; sa raison d’être étant – si on permet cette métaphore – de nous ouvrir les portes de l’espace.


C.I.E.E.S.

    Dirigé par le Général de brigade aérienne Y. HAUTIÈRE, Commandant la base de Colomb-Béchar et Commandant des Sites Militaires au Sahara, le C.I.E.E.S. reçoit, par l’intermédiaire de la Sous Direction des Moyens d’Essais, ses directives de la Direction des Recherches et Moyens d’Essais – D.R.M.E. – La D.R.M.E. dépend de la Délégation Ministérielle à l’Armement. Sur le même plan que la D.R.M.E. nous trouvons la Direction Technique Industrielle de l’Aéronautique – D.T.I.A., la Direction des Études et Fabrications d’Armement – D.E.F.A. – et la Direction Centrale des Constructions et Armes Navales – D.C.C.A.N.

    De la Sous Direction des Moyens d’Essais – S.D.M.E. – dépendent les champs de tir du Centre d’Essais et de Recherches des Engins Spéciaux – C.E.R.E.S. – de la Marine à l’île du Levant, du Centre d’Essais des Landes – C.E.L. –, en cours d’installation, et l’organisme chargé de la conception, de la réalisation, de la mise en place et de la mise au point des nouveaux équipements du champ de tir, qu’est le Service des Équipements de Champs de Tir – S.E.C.T. – dont les bureaux sont installés à Arcueil avec un service d’exploitation, dit Bureau Animation détaché auprès du C.I.E.E.S.

    Le C.I.E.E.S. comprend environ 3 000 personnes, dont près des deux tiers appartiennent à l’Armée de l’Air et un tiers à l’Armée de Terre.

    Les essais proprement dits exigent de gros moyens et utilisent un tiers du personnel. Sous l’égide de la Sous Direction Essais y participent entre autres le Service Mesures et le Service Télécommunications.

    Nous verrons plus loin comment se subdivisent ces services et leurs rôles exacts.

    Enfin, le Directeur du C.l.E.E.S. est assisté par des antennes qui assurent la liaison avec les grandes directions techniques d’une part, et les Armées d’autre part. Ces antennes sont, de plus, l’intermédiaire obligé, entre les constructeurs – qui travaillent presque toujours pour une des grandes directions techniques – et le C.l.E.E.S.

    La guerre de 1945 a fait apparaître sur les champs de bataille des engins V1 et V2 utilisés par les Allemands pour bombarder l’Angleterre. Comme d’autres pays et malgré ses difficultés, la France songe à explorer ce nouveau domaine. La portée prévisible des nouveaux engins, bien supérieure à celle des obus d’artillerie était telle que nos champs de tir métropolitains, trop étriqués, ne pouvaient convenir.

    La nécessité d’un champ de tir aux possibilités plus grandes se fait donc sentir et en dernier lieu le choix se porte sur Colomb-Béchar. Les raisons de ce choix sont nombreuses.

    Avant tout, à l’époque, la souveraineté française sur l’Algérie, comme sur le Sahara, ne faisait aucun doute. La présence d’une petite oasis et d’une base aérienne rendait possible la vie des personnels. Malgré l’éloignement de la métropole, Colomb-Béchar est reliée à Oran, distante de 700 km environ, par un chemin de fer à voie étroite et au Maroc par un chemin de fer à voie normale. D’autre part Colomb-Béchar se trouve au seuil d’une zone désertique présentant de vastes étendues peu ou pas du tout habitées. La sécurité y est donc bien plus grande que dans une zone à forte densité de population.

    En dehors des agglomérations de Colomb-Béchar et Kenadza, les seules oasis peuplées sont celles de la Saoura, de la Zousfana et de Tabelbala.

    Ce territoire permettait également d’envisager des possibilités d’extension vers le sud. De très grandes portées étaient possibles dans le sens, soit d’un axe S.O., en direction de Tindouf, soit d’un axe S.E., en direction du Tchad, avec plusieurs réceptacles à 100, 200, 500, 1 000 km, etc.

    Une autre raison du choix de Colomb-Béchar est, sans conteste, l’excellence des conditions atmosphériques. Sans être absolument parfaites, à cause des vents de sable et de la forte chaleur des mois d’été, ces conditions sont de beaucoup plus favorables qu’en France. L’ensoleillement et les journées claires permettent l’emploi des moyens optiques 250 jours sur 365.

    Enfin, les champs de tir se présentent sous forme de plateaux plats, sans obstacle, sans végétation, permettant aisément le repérage et la récupération des engins tirés.

    À l’encontre du grand erg occidental, de pénétration difficile, la hamada, vaste plateau caillouteux, est facilement accessible.

    Certes, cette situation présente des inconvénients tels que la vie en zone désertique, la difficulté de trouver des personnels hautement spécialisés dans le secteur civil, et la nécessité de crédits importants imposés par l’obligation d’améliorer les conditions matérielles, la construction d’habitations, ateliers et bâtiments administratifs climatisés. Mais ces quelques inconvénients ne pouvaient peser bien lourd en face d’avantages aussi sérieux.

    C’est par un décret d’Avril 1947 qu’a été décidée la création du Centre Interarmées d’Essais d’Engins Spéciaux – C.I.E.E.S. – à Colomb-Béchar. Les premiers engins furent tirés en 1949. L’installation d’un second champ de tir à quelques 100 kilomètres plus au sud, à Hammaguir – contraction de Hamada du Guir – date de 1952.


LA MISSION

    Le Centre ne conçoit pas, ne fabrique pas et ne met pas au point les engins. Tel n’est pas le cas des champs de tir américains, comme celui de la marine – Naval Ordnance Tests Service – de China Lake et Los Angeles, celui de l’Armée de Terre de White Sands ou encore du champ de tir australien de Woomera.

    Par contre le C.I.E.E.S., dans le cadre des essais, met les champs de tir avec ses équipements, les personnels qui les servent et ses moyens de transport, à la disposition des constructeurs, des organismes scientifiques et des Armées de l’Air et de Terre – la Marine ayant son propre champ de tir à l’Île du Levant –.

    Dans la conduite des essais le Centre a la responsabilité de la sécurité sur le champ de tir – particulièrement vis à vis des lieux habités et de la frontière du Maroc – et celle des mesures permettant la restitution des coordonnées des points de la trajectoire, de la vitesse de l’engin, de son assiette et de son attitude, c’est à dire des éléments externes à l’engin.

    Il n’a pas la responsabilité des mesures internes – pression, température, etc. – mais il met à la disposition des constructeurs des dispositifs de réception, de télémesure et d’enregistrement permettant de les recueillir immédiatement.

    Enfin, le C.I.E.E.S. assure tout ce qu’englobe le terme soutien. C’est-à-dire les moyens de vie – hôtels, restaurants, – de transport – avions, véhicules –, les moyens de stockage et de levage, ainsi que des cibles fixes, au sol, ou mobiles, comme les C.T. 20 ou les avions déclassés tels que les Mistral télé pilotés.


La piscine et l’hôtel à Hammaguir


L’IMPLANTATION

    À Colomb-Béchar, sur la base Georges Léger, se trouvent la Direction, les installations fixes des différents services, en particulier les bureaux, laboratoires et ateliers du Service Mesures et du Service des Télécommunications.

    On y trouve encore le soutien logistique : les Services Généraux avec les moyens routiers et de sécurité, les Moyens Opérationnels Air et le Service des Moyens Techniques pour les réparations.

    À quelques kilomètres à l’ouest de Colomb-Béchar, sur une hamada – plateau – presque plate, à 800 mètres d’altitude moyenne, s’étend le premier champ de tir dénommé B1, dont le P.C. s’appelle ITMAR.

    On y tire des engins de courte portée, sa profondeur n’excédant pas 25 à 30 kilomètres. Les impératifs de sécurité en limitent l’emploi par la présence de la frontière marocaine à l’ouest, de reliefs au nord, de la palmeraie et de la ville de Colomb-Béchar et Béchar-Djedid à l’est, et de la route de Kenadza au sud du plateau.

    C’est le domaine de certains AIR-AIR, AIR-SOL et SOL-SOL. L’ancien champ de tir de Menouarar (50 km au sud de Colomb-Béchar) où étaient essayés les premiers SOL-SOL étant trop petit pour les premières « Véronique » (1952), il fallut trouver un périmètre plus vaste permettant d’obtenir des portées plus grandes. C’est ainsi que fut constitué de toutes pièces un autre champ de tir dénommé B2, à 120 km au sud-ouest de Béchar, autour d’une base vie baptisée Hammaguir.

    Ici les dégagements sont plus importants, la hamada du Guir, de 700 mètres d’altitude moyenne, s’étend à 200 km vers le sud-ouest et 100 km vers le sud-est. Des réceptacles équipés avaient été envisagés à 200 km vers le sud-ouest et à 100, 500 et plus de 1000 km vers le sud-est. Mais les conditions politiques ont arrêté cette extension.

    En fait et de plus en plus, le champ de tir de B1 est un satellite de B2. Il participe avec son dispositif de trajectographie électromagnétique, son radar de veille combinée pour le guidage des avions, ses radars de poursuite et le radar Aquitaine, ses cinés et ses rampes de lancement de C.T. 20 – en cas de tir à haute altitude – à un certain nombre de tirs effectués sur B2.



La salle des télétypes

LIAISONS

    Nous avons vu précédemment que le C.I.E.E.S. se subdivise en plusieurs grands services. L’un des principaux est le Service des Télécommunications qui assure les liaisons sur un territoire cinq fois plus grand que la France.

    Cette première donnée nous donne une idée de son importance. Pour faire face à cette mission il se subdivise en deux : le Service Transmissions et le Service Essais. Le premier est chargé des liaisons avec des centres aussi divers que Villacoublay, Istres, Brétigny et Mont-de-Marsan en France, Mers-el-Kébir, In Amguel et Reggan en Algérie et même, il y a un an, avec l’Islande.

    Il assure également les liaisons entre les champs de tir de Béchar et Hammaguir, par câble hertzien, l’exploitation d’importants centraux téléphoniques – celui de Colomb-Béchar a quelques 600 directions – l’aide à la navigation et exploitation des tours de contrôle des aérodromes militaires. Il dispose soit de moyens radio – aussi divers que les H.F., U.H.F., V.H.F. et B.L.U. – soit de moyens filaires pour les intercommunications, sans oublier les télétypes.

    Le Service Essais s’occupe de l’installation et de l’entretien de tout le matériel. Des ateliers radio, fil et entretien matériel servitude, lui permettent de mener à bien sa tâche (elle est de taille si l’on sait qu’un seul télétype ne comporte pas moins de 5 000 pièces).

    Le Service Télécommunications emploie près de 600 personnes et, comme l’ensemble du C.I.E.E.S., est en pleine crise de croissance.

1 000 VÉHICULES 20 MARQUES 50 TYPES

    C’est une des branches spécialisées d’un autre grand service, le Service des Moyens Techniques, qui a en charge l’ensemble du parc automobile et les ateliers de révision et réparation au troisième échelon – ce qui implique l’échange standard de tous les organes et la remise à neuf des carrosseries –.

    La branche des Ateliers Équipement entretient les divers appareils dont sont pourvus les engins, les avions et les stations au sol, ce qui couvre une gamme d’appareillage allant de l’horlogerie, la mécanographie, les électro calorimètres, balances, gyroscopes et altimètres, aux couveuses artificielles et au respirateur utilisé pour les opérations à cœur ouvert. D’autres ateliers rebobinent des moteurs électriques, rechargent les accumulateurs et fabriquent de l’eau distillée.



Un C.T. 20 en réparation

PRÉPARATION LANCEMENT RÉGULATION

    Les Ateliers Généraux, qui complètent la section des moyens techniques, s’occupent, eux, de la grosse mécanique et la chaudronnerie. Ils réparent les engins – C.T. 20 – et leurs réacteurs. De ce même service dépendent encore les soutes à carburant, les magasins, l’armement, la soute à munitions et une centrale électrique capable d’alimenter une ville de 30 000 habitants. Toutes ces branches sont coiffées par les bureaux du P.L.R. – Préparation, Lancement, Régulation – qui rassemble les commandes, établit le planning des travaux et gère ainsi des centaines de milliers d’heures de travail par an.

    Enfin, le Service des Moyens Techniques comprend également le service achats du C.I.E.E.S. qui centralise les demandes, les offres et les commandes.


Réglage d’altimètres

L’Avi0n cible C.T. 20

Télécommandé, propulsé par une turbine « Marb0ré II » de 400 kg de poussée.

Envergure : 3,60 m.
Longueur : 5,50 m.

Poids de l’engin seul
au départ : 660 kg
Total : 970 kg

Peut voler entre 100 et 12 000 mètres d’altitude.
Vitesse à 10 000 m : 900 km/h.
Temps de montée à 10 000 m : 12 secondes.
Autonomie : 45 minutes.
Récupération par parachute.

 

QUATRE PHOTOS POUR LA PLEINE LUNE

    C’est le domaine de la Section des Moyens Optiques, qui fait partie du Service Mesures. Elle groupe les cinéthéodolites, les cameras et le laboratoire photo. À partir de ces moyens, sa mission est de restituer sur les films tout ce qui se passe pendant un tir – trajectoire, assiette des engins, etc. – La section laboratoire photo fournit, elle, les films et les développe.

    Pendant un tir, une douzaine de caméras utilisant des films en couleurs et en noir et blanc de 16 à 70 mm, dont certaines capables de prendre 3 000 images à la seconde, de focales variant de 1 mètre à 12 mètres, montées sur théodolites – cinéthéodolites –, sur affût canon ou sur tour, suivent l’engin. Chaque photo prise peut comporter des indications de gisement, site et temps. Le matériel utilisé est impressionnant.

    Voici quelques détails. Le Contravés – cinéthéodolite de fabrication suisse – comporte 82 pièces optiques entre l’image et la pellicule ; toutes les réparations et l’entretien se font au C.I.E.E.S.

    Le cinétélescope IGOR, dont la plus grande focale dépasse 12 mètres, est capable de distinguer le type d’une voiture à 50 kilomètres et de prendre une photo d’identité à 5 kilomètres. Il peut suivre un avion à plus de 200 kilomètres s’il est parallaxé à un radar, l’œil des servants ne pouvant plus suivre. Si l’on veut photographier la lune avec cet appareil, à 12 mètres de focale, il faut faire quatre photos pour l’avoir en entier.

    Les dépanneurs « ciné », qui entretiennent l’ensemble de ce matériel réparti sur les champs de tir de B1 et B2, parcourent quelques 100 000 kilomètres pendant une seule campagne.

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    Les laboratoires photos, presque aussi importants et bien outillés que ceux de Kodak à Paris, traitent en un an 900 kilomètres de film en couleurs et en noir et blanc.

    Si l’on découpait les films utilisés par les caméras, uniquement pendant la dernière campagne, image par image et si on les empilait, leur hauteur atteindrait trois fois et demie celle de la tour Eiffel.


Le cinétélescope « Igor »

RADARS ET PRÉCISION

    Pour sa part, la section radar assure plusieurs missions dont la surveillance de l’espace aérien au-dessus des champs de tir, celle des avions et l’acquisition des objectifs au profit des radars de poursuite. Les moyens de contrôle radar permettent à Hammaguir et Itmar de fournir une trajectographie sommaire, mais en temps réel, c’est-à-dire immédiate, ce qui permet à l’officier de tir de vérifier en première approximation les performances de l’engin, particulièrement le guidage vol – cible ou porteur – et la sécurité, et de faire les corrections nécessaires. Cette trajectographie est également enregistrée et peut être reconstituée en différé. Les informations sont transmises soit par câble hertzien, soit par fil. La transmission par fil est codée, c’est-à-dire transformée en langage binaire (digital). Divers moyens permettent ce travail : des radars de veille combinée, un radar d’acquisition qui télécommande des radars de tir et des radars de poursuite de portées différentes, permettant des mesures jusqu’à 135 ou 2 000 kilomètres et enfin, dernier venu, le radar Aquitaine. Celui-ci, qui fonctionne dans la bande des 5 cm et qui a une portée de 2 300 kilomètres, – avec répondeur –et une précision de 0,10 millième en angle et de 5 mètres en distance, est utilisé comme moyen précis de trajectographie.

    Environ 200 personnes, réparties en 8 points différents sur une distance de 150 kilomètres, assurent sur les champs de tir l’exploitation du matériel et, à la base du C.I.E.E.S., le ravitaillement, le dépannage et la bonne marche des ateliers de modifications.

    De nombreuses cibles télécommandées et télépilotées servent de plastron et permettent d’effectuer des tirs très importants – Air-Air, Sol-Air –. Elles sont de deux types différents : la cible C.T.20 pouvant voler à une vitesse de 0,6 mach jusqu’à une altitude de 12 000 mètres, et les avions à réaction déclassés « Mistral » télépilotés pouvant atteindre 0,65 mach et monter à 12 000 mètres. Ces cibles sont mises en œuvre soit par la section des engins-cibles du Service Mesures – CT 20 –, soit par la Section Avions Télépilotés des Moyens Opérationnels Air du C.I.E.E.S. – Mistral –. centésimale de marge admise. Elles se font soit au théodolite — T1 et T3 —, soit au telluromètre qui permet, par faisceau d’ondes électromagnétiques, de mesurer les distances au millionième près. — Par exemple, les antennes du dispositif CUBIC, dont nous parlerons plus loin, ont dû être implantées avec une précision de 1/10 millimètre —. La Section Topo fait également face aux problèmes les plus divers : calcul de points astronomiques, géodésiques, orientation d’antennes, etc. Elle le fait avec efficacité et bonne humeur, dans l’esprit de sa devise : le client part toujours satisfait !


Le radar Aquitaine sonde le ciel


Un avion cible C.T. 20 sur sa rampe de lancement


Un telluromètre

AU MILLIONIÈME PRÈS

    La Section Topo est chargée des levées de terrain de la région, de l’implantation géodésique sur le terrain – triangulation et balisage –, de la récupération des engins et de la détermination des points de chute. Les implantations des équipements doivent être déterminées au centimètre près – 2/10 de seconde.


Enregistreur magnétique à 14 pistes


L’horloge

UNE SECONDE EN 3 000 ANS

    Les paramètres internes d’un engin – tels que les pressions, l’hygrométrie, les températures, les réactions des pilotes automatiques ou d’autres organes, variables selon l’engin et le but technologique ou scientifique de l’essai – peuvent être enregistrés sur graphiques, sur bandes magnétiques ou par procédé optique, grâce à des équipements de télémesure comprenant des aériens et des baies de réception. C’est le travail de la Section Télémesure – Enregistrement. Un ou plusieurs émetteurs de télémesure et de nombreux capteurs, installés à bord de l’engin par le constructeur, retransmettent les paramètres vers le sol. À terre, des récepteurs transmettent les mesures aux enregistreurs. Pour bien comprendre la suite il nous faut parler ici des moyens de synchronisation mis en œuvre. Il est en effet primordial de localiser dans le temps les divers phénomènes, d’où la nécessité d’une base de temps qui puisse s’inscrire sur les documents, films, bandes magnétiques et graphiques.

    Cette base de temps est donnée par deux horloges électroniques synchronisées — l’une au C.I.E.E.S. de Béchar, l’autre en cours d’installation au Poste de Commandement Central de Tir d’Hammaguir –. Sans nous étendre davantage, disons simplement que les temps de l’horloge, transmis à tous les postes, se fractionnent en centièmes et millièmes de seconde et que sa précision est telle qu’elle ne peut guère varier de plus d’une seconde en trois mille ans.

    En même temps que la base temps s’inscrivent toutes les autres données. Celles-ci peuvent être nombreuses puisqu’en dehors des enregistreurs optiques et graphiques extrêmement précis et complexes, il existe des enregistreurs magnétiques – magnétophones perfectionnés – à bande de 14 pistes, capables donc d’enregistrer simultanément 14 données différentes.


Véronique, sans casse perfectionnée, emporte de plus en plus
d’instruments, de plus en plus d’esp0irs, et donne toujours satisfaction.
On la voit ici dans son portique, peu de temps avant le lancement.


CYCLOPE : 18,50 MÈTRES DE DIAMÈTRE

    Ces données sont captées par des aériens, tels que le Cyclope, énorme antenne à réflecteur paraboloïdal de 18,50 mètres de diamètre, à pointage automatique, capable de suivre le soleil dans sa course et rendant les récepteurs de télémesure du C.I.E.E.S. sensibles à des champs d’un microvolt par mètre.

    Un moyen de trajectographie électromagnétique vient de faire son apparition. Basé sur l’effet Dopler-Fizeau, le Fizeaugraphe supplée au ciné en cas de mauvaise visibilité. En gros, il s’agit d’un émetteur au sol rayonnant une onde. Un récepteur placé à bord du missile reçoit cette onde et la réémet, avec un décalage proportionnel à la vitesse de l’engin, vers plusieurs récepteurs placés en différents points au sol. Les informations recueillies par les récepteurs sont renvoyées au poste central et filmées. Elles permettent d’étudier exactement la position et la vitesse du mobile. À cette mesure s’ajoute une autre application. Moyennant l’adjonction sur l’engin d’un appareil nommé « proximètre », on peut connaître les distances de passage entre missile et engin cible. Cela sert principalement, on s’en doute, aux exercices de tir simulé.

    Une dernière mission incombe encore aux quelques soixante techniciens militaires – de l’Armée de l’Air – et civils de la Section Télémesure – Enregistrement : c’est la télécommande de destruction qui permet, par l’intermédiaire d’un émetteur au sol et d’un récepteur à bord du missile, de détruire celui-ci en cas de défaillance ou de trajectoire erronée.

    La Section Calculs du Service Mesures est chargée de restituer les trajectoires des engins d’après les documents envoyés des champs de tir – films ciné, films Fizeau, bandes radar, etc. –

    Cette trajectographie est envoyée au constructeur, de même que le reste des documents collectés, après exploitation partielle par les sections intéressées.

    Les documents, une fois visionnés ou dépouillés, sont codés sur cartes perforées et passés par B.L.U. sur des ordinateurs I.B.M. Au même instant, les ordinateurs I.B.M.-TRANSCEIVER de Brétigny transcrivent ces données. La restitution est donc immédiate entre Colomb-Béchar et la France. Il est d’ailleurs impressionnant de voir travailler ces machines entièrement automatiques.

    Les autres documents – films, etc.– sont envoyés par avion.

    Desservie par un essaim de jolies filles, à qui ce travail austère semble parfaitement convenir, la Section Calculs a également un bureau dessin et de tirage de calques.

    Évoquons encore les Moyens Opérationnels Air, dont les relations avec la Légion sont en passe de devenir légendaires. Ils assurent le transport du personnel du C.I.E.E.S. — et Légion, ne l’oublions pas ! –, concourent au ravitaillement de la base et des sites. À grand renfort de D.C. 3, à la moyenne de 450 heures de vol par mois, ils rayonnent sur tout le sud et assurent les liaisons avec la France.

    Ses hélicoptères Alouette II sont à la disposition des essais pour les recherches d’engins tirés ou les évacuations sanitaires. Héritiers des routes de l’Aéropostale, les pilotes des Moyens Opérationnels Air, attendus dans tous les postes sahariens comme le Messie, y apportent par tous les temps, sur les pas de Saint-Exupéry, pêle-mêle leur bonne humour, des vivres frais, du courrier, des renforts et… à boire.


UN MODÈLE D’ORGANISATION

    À la suite, nous avons visité le champ de tir et la base-vie d’Hammaguir où l’on trouve la réplique « opérationnelle » des divers services du C.I.E.E.S.

    À l’heure actuelle le nouveau champ de tir, avec ses confortables installations – hôtel, piscine, restaurant –, son Hall cibles — CT 20 —, ses différentes bases de tir, ses moyens radar, télémesure, ses champs d’antennes CUBIC, son ancien et nouveau P.C. Tir et ses implantations dispersées de postes comportant des cinétélescopes, cinéthéodolites et récepteurs Fizeau, est devenu une réalité et un modèle d’organisation. Près d’un tiers du personnel du C.l.E.E.S. y déploie une activité fébrile.

    Nous avons déjà vu que la mission du C.l.E.E.S., dans le cadre des essais, est de mettre les champs de tir avec ses équipements, les personnels qui les servent et ses moyens de transport, à la disposition des constructeurs, des organismes scientifiques et des Armées. Nous avons vu ce que cela comporte comme complexité et diversité d’organisation, de matériel, de compétence technique et d’effort.

    Il nous reste à évoquer en quelques lignes le bilan et le programme spatial, aux impératifs duquel sont subordonnés ces activités et ces moyens.

FUSÉES-SONDES ET SATELLITES

    Pour étudier l’atmosphère terrestre jusqu’à des altitudes de 300 km, il est nécessaire de disposer de fusées lancées verticalement qu’on appelle des fusées-sondes. Si ces fusées ont été mises au point avant les satellites, il ne faut pas en conclure que l’apparition des satellites a fait décroître leur utilité.
    De la première « Véronique » qui n’emportait que 60 kg de charge utile à 80 km, à la version actuelle qui en emporte autant à 300 kilomètres, sans parler des progrès dans la nature des appareils scientifiques emportés, la route est longue. Les appareils emportés par l’engin mesurent la lumière du ciel, la propagation des ondes électromagnétiques, le champ magnétique, etc.

    Les médecins ont placé un rat, puis un chat dans l’ogive de « Véronique » et les équipements nécessaires pour transmettre les mesures faites à l’intérieur du cerveau de ces animaux en cours de vol.

    Parallèlement aux études par fusées-sondes, intervient le lancement des satellites. Trois satellites sont en cours de réalisation en France en ce moment.


« FRANCE I » RÉALISATION FRANÇAISE

    FR 1 : « France I », satellite de fabrication entièrement française, sera mis sur sa trajectoire, à une altitude d’environ 500 kilomètres, par une fusée américaine « Scout ». F.R. 1 survolera les pôles de la terre. Sa durée de vie sera d’environ 3 à 6 mois.

    L’ensemble des instruments placés à bord doit permettre l’étude des propriétés des très basses fréquences dans la magnétosphère, la propagation des ondes le long des lignes de force du champ magnétique terrestre et la mesure du coefficient de transmission de la basse ionosphère.

    A 1 : premier satellite à être lancé par « Diamant », servira uniquement à faire des mesures sur le lanceur et à vérifier ses capacités de mise en orbite –premier tir en 1965 –.

    D 1 : satellite technologique qui, outre les mesures sur le lanceur, doit vérifier le bon comportement dans l’espace de certains équipements réalisés pour la première fois en France : cellules solaires, horloge de haute stabilité, équipements électroniques divers, etc. — premier tir début 1966 –.

    À leur suite seront successivement lancés les satellites Diamant 2, 3, et 4, et d’autres, encore à l’état de projet.

    Aujourd’hui, la France occupe une place de choix dans le domaine de l’espace. Sous l’égide des organismes officiels : Délégation Ministérielle pour l’Armement, Centre National d’Études Spatiales, Centre National d’Études des Télécommunications, le bilan des recherches est fructueux. Le respect du programme spatial a obligé les industriels français à un gros effort d’adaptation, dont ils ont d’ailleurs compris tout l’intérêt. À mesure que les travaux européens avancent, ils doivent faire face aux commandes nouvelles. La recherche spatiale a, en quelque sorte, stimulé l’industrie française dans la compétition des nations européennes. Parallèlement, des cadres hautement spécialisés et un personnel technique se sont formés.

    Et c’est le mérite du C.I.E.E.S., un des soutiens essentiels de la recherche spatiale, que de fournir aux fusées et aux lanceurs de satellites, les moyens indispensables à leur mise en œuvre.

 


Source :

Képi blanc
n° 218– Juin 1965