LE TRAIN AU SAHARA
HISTORIA magazine
Spécial : La guerre d’Algérie
du 29 avril 1974

      LES transports dans le désert font l’objet d’une organisation particulière tenant compte des distances énormes, du relief et du climat.
   De même que Colomb-Béchar et Laghouat, Ouargla est le départ des itinéraires sahariens ; c’est aussi le lieu de stationnement de la 2ème Compagnie Automobile Saharienne de Transport (la 2ème C.A.S.T.). Elle assure les déplacements des troupes et des convois jusqu’à Tamanrasset et le ravitaillement des postes jusqu’aux confins du Soudan.
    Le plan de transport est soigneusement mis au point car « la nature ne pardonne pas » ; c’est pourquoi, pour servir dans cette unité, « les hommes doivent avoir un caractère bien trempé, savoir retrousser les manches, prendre la pelle ou démonter un moteur… ».
    Le personnel, particulièrement choisi, dispose de véhicules équipés pour les pistes : pneus très larges, à la pression très basse, dessous protégés par des plaques métalliques, réserve d’eau potable, tôles de désensablement, moteur diesel avec alimentation au gas-oil, moins volatil que l’essence. Certains sont des camions Berliet « G.B.O. » de 32 tonnes. Chaque roue (il y en a dix) a plus de 1,50 m de diamètre, le moteur est à cinq vitesses, soit douze au total avec la boîte relais, et consomme 65 litres de gas-oil aux 100 kilomètres. Dans la cabine : trois places, une couchette.
    Malgré toutes les précautions et un entretien minutieux, les moteurs doivent être entièrement révisés après trois rotations.
Dans la hamada au sol rocailleux, aux pierres coupantes, au sable fluide que l’on appelle le « fech-fech » et dans lequel les roues s’enfoncent parfois jusqu’au moyeu, il n'existe qu’un seul moyen de dépannage : les tôles trouées utilisées sur les pistes d’atterrissage. Elles sont placées sous les roues, le camion avance de quelques mètres, on retire les tôles et on recommence… Cet exercice, particulièrement épuisant, doit parfois être poursuivi pendant des centaines de mètres. Mais le pire ennemi est le vent de sable.


Obsession, l’enlisement dans le « fech-fech ».
Pour en sortir, pas d’autre moyen que les tôles des
pistes d’aviation et pas d’autre vertu que la patience.

        Les pistes sont parfois striées comme une plage par de petites vagues durcies. Pour ne pas subir de trop fortes secousses, en roulant sur cette « tôle ondulée », les conducteurs l’abordent à assez grande vitesse de façon à « l’effacer ». Le seul remède efficace est de traîner de gros pneus réunis par des chaînes qui rabotent la piste.
    Dans le lointain, on aperçoit Fort Lallemand, enceinte crénelée et carrée, poste de commandement du général Laperrine. Le vieil Ahmed se souvient encore de son ancien chef. Il montre avec orgueil le fusil qu’il lui a offert, la petite chambre blanchie à la chaux, le lit de fer où dormait le général et la table où il prenait ses repas.
    Dans la cour, un puits profond de 27 mètres dont le génie assure le nettoyage et la stérilisation de l’eau.
    Près du bordj, un petit cimetière rassemble ceux dont la vie s’est terminée face à ces dunes derrière lesquelles, le long d’un défilé de 300 kilomètres, s’étend le pays de la soif.

Avec une escorte de scootéristes

   La 1ère Compagnie Automobile Saharienne de Transport opère dans la région de Laghouat dont les paysages sont, pour le soldat de métropole, un objet d’étonnement : touffes d’herbe sèche, buissons rabougris, oueds à sec, chaleur insoutenable, et parfois d’émerveillement quand, barrant l’horizon, la haute stature mystérieuse des monts du Hoggar s’enveloppe d’un voile indigo.
    À la 3ème C.A.S.T., on prépare le convoi Tindouf – Colomb-Béchar, soit 1 000 kilomètres de pistes. Les chauffeurs sont au volant quinze heures par jour, ce qui représente, sur des kilomètres de « tôle ondulée », une dépense nerveuse considérable et une énergie peu commune.


Convoi dans le Sahara.
Il est courant que les chauffeurs restent une quinzaine d’heures au volant
dans la liaison avec les confins du Soudan. Mais ces routiers apprécient
leur indépendance et le charme des sables.

les hommes bleus font de l'auto-stop

   On fait parfois des rencontres, et il n’est pas rare que des transporteurs civils en difficulté fassent appel à la complaisance des militaires. Une halte est prévue à Tinfouchi, petit bordj édifié par la Légion, pour les réparations, le graissage, le remplacement de lames de ressort… Mais dès le lendemain, c’est le départ pour Tindouf. L’accueil est toujours enthousiaste : c’est le frigidaire réclamé depuis longtemps qui arrive avec le convoi, c’est le matériel inutilisable que l’on envoie en réparation. Des « hommes bleus » et leur famille, avec un matériel hétéroclite : peaux de gazelle, selles traditionnelles, mobilier disparate, profitent du convoi. Des scootéristes, des motocyclistes, qui veulent s’enorgueillir d’une traversée du désert, ne dédaignent pas non plus de faire un bout de route avec un routier confirmé !
    Comme les légionnaires, les sahariens du train portent le képi et cette particularité n’est pas une de leurs moindres fiertés.
    L’attrait du désert dont le thème a si souvent inspiré écrivains et cinéastes ne constitue pas une simple légende. Il répond, au-delà de la contemplation de l’infini et des nuits étoilées, à un goût profond de solitude et d’indépendance. C’est pourquoi certains, à l’issue de leurs obligations militaires, choisissent de s’y fixer, encouragés par l’État qui leur consent des prêts pour leur installation.