La croix d’Agadès



Croix d'Agadès (coll. part.)  © S.H.A.T.


           La croix d’Agadès, dite encore croix du Sud ou croix Saharienne, constitue un symbole bien particulier au Sahara.


           Elle a fait l’objet d’études approfondies mais ses origines et sa signification n’en demeurent pas moins hypothétiques.

           Son origine géographique et son ancienneté sont plus certaines. Elle est née dans le sud du Sahara, au Niger, dans la région volcanique de l’Aïr. Elle est connue depuis le début du XXe siècle dans sa forme plus commune de bijou porté en pendentif mais son antériorité est reconnue.

           Elle a enfin subi, dans l’espace et dans le temps, de nombreuses variations stylistiques.

           Au nombre des différentes réflexions menées sur les origines de la croix d’Agadès, l’hypothèse selon laquelle la croix serait issue de l’image de la Déesse-Mère figure en bonne place. Dispensatrice de fécondité et de fertilité, présente au cœur des religions et mythologies antiques du bassin méditerranéen, la Déesse-Mère affecte une figuration propre à chaque civilisation. À la faveur des contacts entre ces civilisations et le Sahara via l’Afrique Noire, la croix du Sud serait née de la reprise, en tout ou partie, des traits de certaines déesses, traits qui ont été simplifiés et stylisés.

           Une autre considération d’ordre religieux établit un rapprochement entre la croix ansée égyptienne dite Ankh, symbole de vie divine et d’éternité, et la croix d’Agadès. Cette croix égyptienne est également souvent interprétée comme un signe exprimant la conciliation des contraires ou l’intégration des principes actif et passif, ce qui paraît bien confirmer le fait qu’elle représente, couchée, les doubles attributs sexuels. Cette dernière interprétation constitue ainsi un renvoi indirect au principe de fécondité énoncé précédemment.

           Une seconde hypothèse, certes séduisante mais souvent réfutée, voit, dans la croix d’Agadès, l’évocati0n de la position des étoiles de la constellation de la croix du Sud qui est le pendant austral de la Grande Ourse de l’hémisphère Nord. Cette croix constitue l’un des nombreux repères des Touaregs pour déterminer le sud.

           Finalement, l’étude ethnologique des peuples du désert et plus particulièrement l’observation de l’artisanat de l’Aïr a conduit à ces dernières remarques. Le pommeau de la rahla, mot d’origine arabe pour désigner la selle des chameaux, en forme de pointe de flèche dirigée vers le bas, de même que le manche de cuivre massif du long poignard de bras dit gazna, rappellent singulièrement la croix d’Agadès.

           La croix du Sud pourrait être aussi une forme évoluée des t’alhakim, ces bijoux constitués d’un morceau de cornaline enchâssé dans un boîtier d’argent.

           Une vaste répartition spatiale de la croix d’Agadès au sein de populations locales différentes et l’appositi0n de marques culturelles propres ont pour conséquence évidente des variations dans la configuration même de la croix Saharienne. Une brève typologie peut être ainsi établie. Le XXe siècle et la culture européenne n’auront retenu pour cette croix dont l’appellation usuelle est « d’Agadès » que deux ou trois formes majeures. Les autres types, aux caractéristiques spécifiques à de petites tribus, font l’objet de reprises plus isolées.

           Les unités qui ont combattu au Sahara ont adopté pour leur insigne la croix d’Agadès fréquemment alliée au croissant de l’Islam et à l’étoile chérifienne. Les insignes des compagnies sahariennes d’infanterie (C.S.I.) se prêtent parfaitement à l’énumération et à l’illustration des formes communes de la croix du Sud.

           Les insignes des 1ère et 6ème C.S.I. reprennent la croix aux formes « pures » dite d’Agadès : anneau avec renflement central et deux appendices l’encadrant, partie inférieure en losange aux bords incurvés et sommets terminés par des appendices en double cône. La croix particulière dite d’Iferouane a été retenue pour l’insigne de la 4ème C.S.I. La 8ème C.S.I. a choisi comme base de son insigne la croix dénommée localement « touarègue » dont l’anneau supérieur est remplacé par un cordon qui sert à la porter au cou.

           Le mystère reste ainsi total. Les origines et la signification même de la croix d’Agadès demeurent une énigme.

           II est certes toujours permis d’échafauder des idées autour de principes, de raisonnements et démarches intellectuels qui, malheureusement, sont souvent interchangeables et pourraient tant s’appliquer à la croix d’Agadès qu’à un idéogramme « non identifié ». Mais personne ne saurait dire si la croix est issue de la volonté réelle de traduire une idée, une pensée ou plus simplement de la fantaisie et de la libre expression artistique.

           Un fait demeure : la croix d’Agadès s’inscrit temporellement dans la continuité en marquant le XXe siècle et l’histoire des insignes de tradition.

 


Source :

Revue Historique de l’Armée
1995 – n° 3