L’OUED SAOURA

 

        L’oued Saoura est un bon type de ces oueds quaternaires qui sont la caractéristique du Sahara Algérien. Pourtant c’est un cas extrême plutôt que moyen ; parmi tous ces magnifiques oueds fossiles, il est certainement celui qui garde le plus de vie.


Béchar : dernières crues de l’oued Saoura

 

LA FAUNE AQUATIQUE

        Tout le long de l’oued, de l’Atlas au Touat, il y a une faune aquatique, où le rôle principal est tenu par les barbeaux. Comment cette faune s’accommode-t-elle des crues ? Les barbeaux du Touat, par exemple, qui pullulent dans les foggaras, peuvent-ils encore maintenant, par l’intermédiaire des crues, se renouveler avec des recrues ou du frai entraîné de l’Atlas ? ou doit-on les considérer comme une faune dérélicte, complètement séparée du pays d’origine ?
        Depuis quelques années la question de la faune aquatique dérélicte a pris de l’importance. Le réseau de l’Ir’arr’ar, dans l’Est du Sahara algérien, fait pendant au réseau de la Saoura dans l’Ouest. Il est bien plus mort, il n’a plus que des crues locales, il ne connaît plus de grande crue unique, totale, dans un chenal de cinq cents kilomètres. Or, dans ce réseau fossile, on a retrouvé, parfaitement vivants des poissons du Nil qui, à travers le désert roule jusqu'à la Méditerranée les eaux du centre de l’Afrique. Une faune aquatique de caractère équatorial, survit aux deux extrémités du bassin de l’Ir’arr’ar quaternaire. On connaissait, depuis assez longtemps, l’existence de Chromis et de Cyprinodons dans les mares (behours) des Zibans et de l’oued R’ir. Plus récemment certaines d’entre elles (Aïn Zerga et El Bahir, au Sud de l’oasis de l’oasis de Tolga) ont recelé la présence du Clarias Lazera, que Duveyrier et la première mission Flatters avaient recueilli dans le Tassili des Ajjers. Bien plus dans les aguelmans permanents de ce même Tassili des Ajjers, le crocodile vivrait encore à l’époque actuelle : un Targui en apporta un en parfait état au capitaine Niéger, commandant la compagnie saharienne du Tidikelt ; l’animal en question s’est perdu, irrémédiablement semble t il, dans les bureaux ou laboratoires d’Alger ; mais le fait de la trouvaille n’en est pas moins authentique. Les Sahariens du groupe des Ajjer, qui, pendant les six ou sept ans d’occupation précédant l’insurrection de 1916, ont parcouru le pays en tous sens et en ont dressé l’inventaire, se souviennent avoir pêché le crocodile, en vain d’ailleurs, dans les trous d’eau de l’oued Imihrou ; mais ils en ont vu des traces fraîches, et en ont trouvé une mâchoire sur les bords de l’oued.
        Cette faune dérélicte se rattache à la question que nous traitons ici par un lien étroit. L’oued est quaternaire, on l’admet, du moins ; il coulait, il était pleinement vivant à une époque, en tout cas, beaucoup plus pluvieuse que l’époque actuelle. Il y eu un changement de climat. On n’en connaît pas la date, mais on a vraiment les meilleures raisons d’admettre que cette date est très reculée, à l’échelle de l’histoire humaine. Faut-il supposer que pendant tout ce temps là dans un trou d’eau minuscule le Clarias Lazera et le crocodile ont survécu, attendant le commandant Cauvet et le capitaine Niéger ? Faut-il supposer, au contraire, que la science se trompe en fixant aussi loin dans le passé la fin de l’époque humide, et que, dans l’Afrique du Nord tout au moins, l’entrée en scène du climat désertique est toute récente ? On n’a guère le droit de tirer une conclusion pareille d’un fait isolé, contredit par tous les autres. D’autant plus que ce fait s’explique très bien par l’exemple de la Saoura, qui, de nos jours encore, a conservé une possibilité surprenante de répandre et d’entretenir, jusqu’au cœur du Sahara, des poissons méditerranéens, les barbeaux. L’érosion éolienne, dont l’installation du climat désertique a inauguré le règne, substitue lentement, grain à grain, le modelé désertique au modelé d’érosion fluviale. Tant que celui-ci survit encore, il y a des chances de longue survie pour la faune aquatique, à qui la lenteur de la transformation laisse le temps de s’adapter. Le réseau fluvial résiste longtemps aux conséquences de la mort, à la décomposition définitive. Au rebours de ce qui se passe dans le désert Libyque, on sait que, dans notre Sahara, cette décomposition est encore très loin d’être accomplie


Info du net : Persee Revue scientifique
E.F. GAUTIER et M. LARNAUDE

 

 

Alain CHUETTE – Février 2012