Ils ont choisi le Sahara pour horizon. Aujourd’hui, ils nous ouvrent grand les portes du désert. Jean-Marc Durou, éternel coureur des sables, a suivi l’une des dernières caravanes de sel à travers le Ténéré. Au cours de ses pérégrinations, Théodore Monod, l’impénitent amoureux du Sahara, a essuyé les plus belles tempêtes de sable dont un naturaliste puisse rêver. Odile Dayak, l’épouse du chef de la rébellion touareg, Mano Dayak, a partagé son existence libre et nomade. Le photographe Hans-Gerold Laukel, lui, a surpris la vie privée des fennecs. Ils racontent.

QUAND LE DÉSERT JOUE LES ILLUSIONNISTES

Dans le désert chauffé à blanc, ils surgissent quand
on s’y attend le moins. La vérité sur les mirages.

Des différences de température extrêmes – 50°C au soleil,
0°C la nuit – favorisent la naissance des mirages.
La caravane de sel en route vers Bilma, au nord-est du Niger,
se reflète dans un lac virtuel.

Au loin, dans l’air surchauffé, une oasis en plein désert. Indifférente, la caravane passe. Mirage ! Selon l’ethnologue Edmond Bernus, qui s’est intéressé au rapport qu’entretiennent les peuples du désert avec l’espace, les Touaregs savent quand les conditions climatiques sont réunies pour tromper le regard. Ceux de l’Aïr nomment ces illusions amalawlaw, ceux du Hoggar, eilel. Deux mots, aux notes légères comme un envol d’alouettes du désert.
Les mirages s’incarnent de diverses manières. Un palmier qui se réfléchit dans un miroir d’eau laisse espérer la proximité d’une oasis. Des rochers de grès, disséminés sur une argile craquelée par la sécheresse, se transforment en un archipel baignant dans une mer aux marées apparentes. Parfois, c’est une chaîne de montagne qui se dresse devant les voyageurs. L’expédition menée par Gaspard Monge, qui dirigeait la partie scientifique et archéologique de la campagne d’Égypte, s’y est laissée prendre. En juillet 1798, après avoir conquis Alexandrie, Bonaparte et son armée s’engagent dans le désert du Damanhour pour rejoindre Le Caire et la Basse-Égypte. À son entrée dans le désert, raconte Monge, l’armée aperçoit devant elle la mer, sous la forme d’un immense détroit.
Les feuillages des palmiers et les sommets des pyramides s’y réfléchissent. Pleins d’espoir, les soldats se dirigent vers cette eau. Elle recule à mesure qu’ils avancent, des jours durant.
Les mirages existent. Mais de quoi sont-ils faits ? Pour les scientifiques, il s’agit d’un phénomène connu sous le nom de réfraction. Par temps clair et sans vent, les couches d’air de l’atmosphère s’empilent en couches régulières. Les mirages se produisent lorsque la nappe d’air au ras du sol est plus chaude ou plus froide que celle qui la recouvre. Il suffit de 3°C d’écart.
Dans les plaines brûlantes du Sahara, la chaleur au sol est très élevée. L’air semble pris de frémissements. L’image d’un arbre ou d’un rocher s’inverse et semble se refléter dans une nappe d’eau. Lorsque la température au sol est plus froide que l’air qui la surplombe, la lumière se courbe dans le sens inverse. Et les montagnes semblent flotter dans le ciel. C’est ainsi que, dans les plaines du Sahara, le massif du Hoggar barre parfois l’horizon alors qu’il est situé à plus de quatre cents kilomètres de distance. Et que la courbure de la Terre le rend en principe invisible.

Visions mensongères

Si l’on en croit les scientifiques, presque rien dans la nature ne se trouve vraiment à sa place. Sans atteindre les proportions des phénomènes observés dans le Sahara ou l’Arctique, notre vision du monde est un mirage. Cela tient à l’atmosphère terrestre : l’air dans lequel nous évoluons n’est pas homogène. Il est constitué d’un empilement de couches gazeuses plus ou moins denses. Les rayons lumineux qui traversent deux couches d’air de densité différente sont déviés. Les physiciens parlent de réfraction, un phénomène que nous percevons lorsqu’une branche à demi plongée dans l’eau semble se briser en touchant la surface.
À chaque nouvelle couche d’air, la déviation s’accentue. Sous nos latitudes, elle est rarement perceptible, excepté les jours de forte chaleur. Mais, dans le désert, le sable brûlant qui réchauffe la couche d’air proche du sol provoque une déformation anormale des rayons lumineux. Par ce qui s’apparente à un subtil jeu de miroirs, l’image d’un objet réel s’inverse ou se dédouble, parfois les deux en même temps. D’où les palmiers qui se reflètent... dans leur propre reflet. Ou les montagnes virtuelles surgies de nulle part, fantômes de montagnes bien réelles, situées à des centaines de kilomètres de là, invisibles.
Mais les illusions optiques ne sont pas l’apanage du désert. En fait, chaque jour commence par un mirage. À l’aube, ce n’est pas le soleil que nous voyons se lever, mais son image virtuelle. Même chose au crépuscule, où l’image du soleil couchant s’attarde alors qu’en réalité le soleil réel a disparu au-dessous de l’horizon. Ces deux effets nous font gagner sept minutes d’ensoleillement aux équinoxes. Sept minutes bien réelles.

La fée Morgane, celle des légendes celtiques, a laissé son nom – Fata Morgana- à l’illusion la plus rare et la plus spectaculaire que l’on puisse observer dans le désert. Une combinaison d’images inversées et suspendues, s’empilant en colonne verticale, comme un palais féerique. C’est la forme la plus complexe du jeu de la lumière et de l’air.
Les Touaregs, eux, prêtent peu d’attention à ces prodiges qui surgissent de leur horizon. Repliés dans les pâturages une partie de l’année, ils ne vivent avec les mirages qu’à la saison des pluies, lorsqu’ils migrent vers les prairies éphémères des grandes plaines du Nord. Mais, à cette époque, les nomades ne se préoccupent que du ciel et du nombre d’orages qui vont l’embraser.
De l’abondance des pluies dépend toute une année. Les chimères peuvent attendre. Les Touaregs ne disent-ils pas de tout ce qui a échoué et de tout ce qui leur a échappé, que ce n’était que « l’eau du mirage » ?

Dorothée Lagard

Entre Fachi et l’erg de Bilma, sur la route de la caravane de sel, une montagne apparaît à l’horizon. Un mirage. Le plus proche massif, celui d’Achgour, se trouve à trois cents kilomètres.

La caravane semble traverser une rivière imaginaire, - en fait, le reflet du ciel sur
les couches d’air surchauffé au ras du sol.
Leurs ondulations brouillent les contours et déforment, la déforment la perspective.

Habitués à ce monde d’illusions, les Touaregs
ne se laissent jamais prendre au piège des mirages, plus fréquents à la saison des pluies. Leurs traditions orales ne les
mentionnent pratiquement jamais.

 

DANS CET UNIVERS SANS POINTS DE REPÈRE, PEUPLÉ DE SORTILÈGES,
IL NE FAUT PAS CROIRE À TOUT CE QUE L'ON VOIT

 

Source :

n° 126 de mars 1998

 

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