REGGANE
Là où l’histoire commence

Avant toute chose :

Je n’aurais jamais pu croire, arrivant à Reggane en ce mois d’avril 1963, quasiment 30 ans après l’accident du Capitaine William Newton Lancaster dans ce que tous appelaient le désert de la soif, que l’étrange destin de ce pilote prendrait une part importante de ma vie. Un peu plus de quarante ans après mon retour de Reggane, je me suis mis à la tâche, rédigeant ci et là suivant l’inspiration du moment, tel ou tel papier sur la courte vie de l’homme que le Tanezrouft voulut garder pour lui !

Le papier qui suit est un petit rappel de ce qui s’est passé au cours de ces derniers temps.

Après une jeunesse débordante, après l’extraordinaire raid vers Darwin, Bill continue son aventure aux États-Unis, un pan de vie dont il se serait bien passé.
Désormais, tel un joueur de poker, il lui faut se refaire, il lui faut montrer au monde qu’il est toujours le pilote capable de voler dans des conditions jusqu’à l’impossible…

Mais un joueur ne se refait jamais et Bill sera désormais confronté à ce dilemme.
Il vient de décoller de Reggane, de cette petite oasis du plus profond du désert.
Il est déjà en retard sur son plan de vol, le crépuscule est là et après avoir lutté plus de trente heures pour arriver de Londres, la fatigue l’emporte !
Au décollage de l’aérodrome il s’envole vers Gao, sa prochaine destination.
L’avion avait zigzagué au roulage, puis s’était dirigé vers le Nord, mais de suite le pilote avait mis cap au Sud, dans quelques heures il apercevrait le fleuve Niger qui le conduirait directement vers le terrain où il pourrait poser le Southern Cross Minor.

La nuit était tombée, une nuit noire sans lune et dans son cockpit, le compas éclairé par la lampe-torche qu’un militaire de Reggane lui avait prêtée, Bill s’appliquait à suivre au mieux sa route.
De jour il aurait survolé la Grande Piste, la Transsaharienne, que déjà bon nombre avaient empruntée marquant ainsi de leurs traces de roulage, telle une gigantesque cicatrice, ce Sahara dont depuis la nuit des temps, seules les caravanes à la suite de leurs guides avaient osé jusqu’alors traverser.
L’avion était lourd, le petit biplan, chargé à l’extrême du carburant indispensable à ce long parcours, avait du mal à se faufiler au travers d’un léger vent de sable qui ne facilitait pas le pilotage.
Mais Bill en avait vu d’autres, déjà le raid vers Darwin l’avait endurci aux situations les plus délicates, la période américaine quand il volait pour démontrer les qualités de différentes motorisations avait fait de lui un pilote aguerri et parfaitement formé à l’extrême. Certes toutes ces expériences l’avaient mené plusieurs fois à l’hôpital, mais c’était sans compter sur sa bonne étoile, celle qui depuis sa prime jeunesse l’avait toujours sorti des mauvais pas.
Il survolait déjà depuis plusieurs heures ce désert de l’impossible, mais en dehors de suivre le cap du compas Bill ne voyait rien d’autre.
Pourtant à un moment, fin pilote il lui sembla que le Southern Cross Minor « peinait ».
Le poids sans doute, qu’à cela ne tienne, le Gipsy, le moteur de son petit « De Havilland » ronronnait à merveille, il allait le pousser un peu plus dans les tours.
Sur le moment Bill ne se souvenait plus que son moteur avait failli s’arrêter alors qu’il arrivait sur Adrar.
Après s’être posé à Adrar, il avait « jeté un coup d’œil » sans noter de problème particulier. Pourtant, il ne le savait pas encore mais la même panne allait se reproduire.
Le pilote sollicite alors son moteur qui venait de « tousser ». Pendant plusieurs minutes le Gipsy ne réagit pas à cette manœuvre… Le phénomène se reproduit, le moteur « tousse » à nouveau, Bill constate alors de nombreuses « sales ratées », comme il le dit.
L’avion perd alors de l’altitude et descend rapidement.
Avant que Bill n’ait le temps de s’en rendre compte, le Southern Cross Minor percute le sol, trace deux sillons marquant le reg sur plus de trente mètres puis, entraîné par le poids des lourds réservoirs, l’avion culbute sur son hélice passant sens dessus dessous, emprisonnant le pilote sous la carlingue, c’était le 12 avril 1933.

Bill ne reprendra ses esprits que le lendemain vers 5 heures du matin alors qu’il s’était crashé la veille au soir vers 20 heures.

Bill vivra ensuite les plus longs jours de sa vie, il est blessé, il n’a rien pour se soigner, pas plus de nourriture et seulement 9 litres d’eau.
L’homme ne connaît pas le désert, ni les conditions de survie extrême, mais rapidement il trouvera les bons réflexes et saura se protéger jusqu’à l’épuisement de son eau. Cette situation durera 8 jours ou après avoir imaginé qu’il pourrait être secouru, il saura qu’il arrive au terme de son temps de vie.
Les secours sont malgré tout partis à sa recherche tout au long de la Grande Piste, n’osant s’aventurer plus loin dans le désert.
Bien entendu, ils ne le trouveront pas, car Bill attendait lui à l’Ouest, loin, très loin de cette piste qu’il ne rejoindrait jamais.
Au cours de cette semaine infernale, il écrira jusqu’au bout, il lui faut mettre un peu d’ordre dans sa vie, façon de dire aux siens que cette vie n’est qu’un bref instant, celui de naître, celui de mourir, se reprochant à lui seul d’avoir transgressé les règles. Disant aussi que « c’était le hasard du jeu », que le moteur avait été défaillant et que personne n’était à blâmer.
Tous lui avaient pourtant dit que son entreprise de survoler le désert, surtout la nuit, serait des plus difficiles sinon impossible.
Beaucoup de ceux que le Tanezrouft avait ensevelis auraient pu lui chuchoter dans ce vent chaud du Sud, qu’ils avaient eux-mêmes compris à leur détriment, que le désert ne pardonne pas les incartades…

Le 20 avril 1933, Bill s’échappa de cette fournaise, franchissant d’un coup la porte de l’au-delà, souhaitant en finir tel un gentleman, disparaissant avec l’honneur du brave. Le soleil, dans sa magnificence avait eu raison de l’homme. L’astre de vie disparaissait à l’horizon du Tanezrouft dans un flamboiement sans précédent emportant l’âme de Bill jusqu’aux confins du firmament.

Au cours des décennies qui suivirent, celui qui un an plus tôt avait fait la une de la presse internationale, accusé du meurtre de Hayden Clarke, avait disparu de la scène.
Bill n’avait pourtant pas assassiné Hayden, un mauvais concours de maladresses et de circonstances avaient amené le pilote en cette cour de justice de Miami après le drame de Coral Gables. Relaxé, puis pratiquement expulsé des États-Unis, il avait rejoint l’Angleterre suivi aussitôt par Chubbie Miller sa « fiancée » comme il aimait à le dire. C’est à ce moment qu’il avait décidé de battre le record Londres >>> Le Cap, histoire de se « redorer » le blason.

Les années passèrent, ses parents Edward et Maud, son épouse Kiki l’avaient rejoint au Jardin des Éternels, l’oubli avait pris la place…
Quand subitement, 29 ans après son crash, Bill refaisait la une de la presse.

On avait tout d’abord cru qu’il avait profité de ce raid pour se faire oublier sous d’autres cieux. Certains avaient imaginé qu’il avait intégré les services secrets et qu’on n’entendrait plus parler de lui. Balivernes…
C’était sans compter l’Adjudant Titus Polidori qui, à la tête du Groupe Saharien Mixte du Touat, remontait du Sud Tanezrouft, lorsqu’une zone de fech-fech l’obligea à mettre cap à l’Est pour rejoindre la Piste Impériale n° 2, la piste transsaharienne que Bill pensait plus proche de son point de chute.

Au soleil levant alors que les militaires français faisaient route à l’Est, ils aperçurent au loin une forme étrange, dénotant complètement dans ce paysage quasi lunaire, que la lumière rougeoyante du soleil levant découpait parfaitement sur l’horizon.
Après quelques hésitations Titus s’approcha de ce qui était la carcasse du Southern Cross Minor. L’Adjudant avait pensé entre autres choses à un crash d’hélicoptère suite aux différents essais réalisés sur In Ecker…
Une fois sur place, Titus comprit qu’il s’agissait de l’accident d’un petit biplan, quand il découvrit Bill gisant près de la structure de l’avion.

L’Adjudant Polidori informe alors par radio son commandement basé à Adrar. C’est le branle-bas de combat en ce dimanche après-midi du 11 février 1962. Les ordres fusent de toutes parts, le temps de le dire et la dépouille mortelle, du Capitaine William Newton Lancaster, est rapatriée par la Gendarmerie au Bordj Estienne. Deux jours plus tard Bill était inhumé à l’Oasis de Reggane.

Bill avait pris soin tout au long de sa vie de consigner dans des carnets les moments forts qu’il vivait. Auprès du Southern Cross Minor, abrité par la voilure d’une des ailes il avait écrit ses derniers moments de vie, où se mélangeaient les sentiments qu’il avait pour les siens, où il parlait de son accident essayant de comprendre ce qui avait bien pu se passer, il donnait aussi des recommandations de toutes sortes à ses chers parents, pour ses enfants, à Chubbie lui conseillant de ne plus jamais voler et d’éviter les déserts. Il disait aussi qu’il souffrait énormément de ce terrible soleil du Tanezrouft qui le brûlait le jour, alors que la nuit le froid le glaçait jusqu’aux os…
C’est l’histoire que j’avais découverte en débarquant à Reggane, au travers de la lecture des magazines « Paris-Match » que Guy m’avait montré.
Le titre de l’article était impressionnant, le rédacteur ayant noté :

COMMENT JE SUIS MORT, IL Y A 29 ANS DANS LE DÉSERT.

Nous venions donc d’arriver à Reggan Plateau, complètement dépaysés dans une aventure qui nous dépassait totalement. Déjà le nom de Reggane, inconnu de certains mais pour d’autres se traduisant par essais nucléaires signifiait pour nous une dimension au-delà du réel.
Qu’est-ce qui pouvait bien se passer dans un tel lieu ? Cet endroit qui avait fait la une de la presse, le lieu des explosions atomiques comme nous disions à l’époque. Cela ne nous rappelait qu’une chose, les atrocités subies par le peuple Japonais sur Hiroshima et Nagasaki à l’issue de la dernière guerre mondiale !

Finalement pour nous, jeunes appelés, en dehors d’un certain nombre d’anecdotes les unes plus succulentes que les autres, rien de spécial ne s’était passé pendant la période où nous fûmes confinés sur le « Plateau ».
Notre univers se limitait à la base où la frontière avec l’extérieur était dessinée par de gros « rouleaux » de barbelés.
Dans d’autres armes, en fonction des missions, d’aucuns pouvaient circuler ci et là, malheureusement je ne fus pas de ceux-là, mon univers Saharien ne se limitant qu’aux quelques dizaines de kilomètres carrés du CSEM.
Néanmoins je pus aller faire un tour à l’oasis de Reggane, ce que nous appelions, à l’époque Reggan-ville et ce fut là où avec quelques-uns j’étais allé sur la tombe de Lancaster. C’est également à Reggane, en y repensant, que ce fut pour moi le début de l’histoire.
Bien sûr l’histoire je l’ai déjà raconté au travers de plusieurs documents.
Mais après avoir dit ce qu’avait été la réalité des évènements du vol en partance de Reggane de ce pilote perdu, puis oublié dans le désert… L’histoire ne s’était pas arrêtée en 1962 ou mieux en 1975, ni en 1980, alors que le Southern Cross Minor avait pris ses quartiers au Queensland Museum de Brisbane…
Non, la « bobine » était là et il fallait continuer à en dérouler le fil.
Déjà, qu’était devenue la tombe de Bill enlevée de l’Oasis de Reggane en 1967.
Nous la recherchons encore, cette recherche, dont j’ai souvent parlé, fera d’ailleurs l’objet d’autres documents.
De plus, d’aucuns m’ayant rejoint dans cette quête de la vérité, il fut compris que les différentes informations sur l’endroit même de l’accident de Bill, manquaient totalement de précision.
Aujourd’hui par contre, la découverte du point crash est déjà pour ma part de l’histoire ancienne, histoire qui sera racontée dans un prochain document à une date ultérieure. Une recherche difficile dans un Tanezrouft inabordable et interdit de nos jours, recherche faite par une équipe de Sahariens des plus motivés. Le groupe qui a arpenté cette zone du Tanezrouft à plusieurs reprises dans tous les sens du terme n’a pas failli, au risque de se perdre, j’ai ici une petite pensée pour notre ami Cheik. Recherche après une étude approfondie des différents témoignages écrits ou téléphonés. Sans oublier les heures passées « à plancher » sur les cartes de toutes sortes, quelque part une véritable aventure dans le désert, mais je dirai cela plus tard. J’ai dès à présent rouvert le chapitre concernant la tombe de Bill, je ne doute pas un instant du travail qu’il nous faudra faire pour retrouver cette sépulture !
Bill a toujours jalonné son parcours, à nous de retrouver les traces et une fois de plus je me permettrais de redire, en ce mois d’avril 2014, mois pour mois, quatre-vingt-un ans passés de l’accident du Capitaine William Newton LANCASTER :

AU BOUT DE LA PATIENCE, IL Y A LE CIEL.

Alain BROCHARD - Avril 2014

Voir pour plus de détails les différents documents sur le site du 3ème GT

http://www.3emegroupedetransport.com/WilliamNewtonLANCASTER.htm