Ils ont choisi le Sahara pour horizon. Aujourd’hui, ils nous ouvrent grand les portes du désert. Jean-Marc Durou, éternel coureur des sables, a suivi l’une des dernières caravanes de sel à travers le Ténéré. Au cours de ses pérégrinations, Théodore Monod, l’impénitent amoureux du Sahara, a essuyé les plus belles tempêtes de sable dont un naturaliste puisse rêver. Odile Dayak, l’épouse du chef de la rébellion touareg, Mano Dayak, a partagé son existence libre et nomade. Le photographe Hans-Gerold Laukel, lui, a surpris la vie privée des fennecs. Ils racontent.

RENCONTRES AVEC LES RENARDS DES SABLES

Il a fallu dix ans à Hans-Gerold Laukel
pour approcher les fennecs.
Et se faire apprivoiser par eux

Il y a vingt ans, je suis parti au Sahara voir des fennecs en liberté.
Mes amis touaregs de l’oasis d’El Goléa, en Algérie, m’avaient aidé à chercher un terrier. Sans résultat. Le jour de mon départ, ils m’ont dit : « Ne t’inquiète pas, dès que nous trouvons les fennecs, nous t’avertissons. » Neuf ans plus tard, je reçois un télégramme : « Viens vite, nous avons trouvé le terrier. » Huit jours plus tard, j’étais là-bas. Le terrier se trouvait dans la vallée du Saura, dans l’Erg occidental du Sahara algérien, à deux jours à dos de chameau de l’oasis.
Dès mon arrivée, une tempête de sable d’une force inouïe s’est levée. Pendant un jour et une nuit, la pluie s’abat avec violence au milieu des tourbillons de sable brun. Mais, le matin suivant, plus un nuage. Dans l’oued, le lit à sec d’une rivière, les rochers brillent au pied des falaises noires. L’air est sec, il commence à faire chaud, les flaques d’eau s’évaporent.
Je rampe le long de la rive rocheuse vers mon poste d’observation, un surplomb sur un plateau élevé. J’ai de là-haut une vue fantastique sur l’oued et toute la vallée. Sur la rive opposée s’étend un immense paysage de dunes, l’Erg occidental, un océan de sable modelé par le vent. Au bout de la vallée, tel un mirage, l’oasis de Ksab se découpe sur la mer de sable ocre jaune, avec ses palmiers dattiers verts, le minaret blanc et sa vieille fontaine. J’observe à la jumelle la base d’une dune géante. Quelques buissons de tamaris et de genêts : c’est là que se trouve la tanière. Un ami de l’oasis me l’a indiquée.

Le fennec passe le jour dans la fraîcheur de sa tanière
souterraine et chasse aux heures fraîches de la nuit.
Ses oreilles démesurées captent les sons et régulent la température de son corps.

APRÈS UN MOIS D'ATTENTE SEUL DANS LE DÉSERT,
JE L'AI APERCU POUR LA PREMIÈRE FOIS UNE NUIT FROIDE DE PLEINE LUNE

Autour du buisson, je ne vois d’abord que de minuscules traces de coléoptères. Sous les branches fines d’un buisson de genêts, je repère un monticule de sable, couvert d’innombrables traces circulaires. C’est là qu’ils doivent se trouver. Je les vois : deux petits fennecs, exactement du même jaune que le sable. Pas plus de quelques semaines. Ils s’étirent au soleil. Après plusieurs jours de mauvais temps, ils profitent de la chaleur.
La tanière a trois entrées, la principale se trouve à l’est, au milieu du buisson. Tout autour, j’ai trouvé leurs jouets – racines mâchonnées, cailloux et plumes colorées, qui ont sans doute appartenu à un guêpier. En plus d’un mois d’observations, je n’ai vu la mère que trois fois. Timide et prudente, elle ne s'approche jamais de la tanière par 1’entrée la plus visible.
Je l’ai aperçue pour la première fois une nuit froide de pleine lune. Elle jouait avec ses petits devant l’entrée de la tanière, couchée sur le côté, pattes étendues et gueule ou verte. Les petits sautaient, sur elle et tout autour d’elle. Cela n’a pas duré. Elle est vite repartie par sa porte secrète en direction de l’oued. Les fennecs ne chassent qu’aux heures les plus fraîches de la nuit.

Sur les traces de Saint-Ex

Il est des rencontres dont on se demande si elles sont fortuites ou si elles ont été favorisées par le désert. Celle de l’auteur du Petit Prince et du fennec a eu lieu il y a tout juste soixante-dix ans, en plein Sahara. « J’élève un renard-fenech ou renard solitaire, écrit Antoine de Saint-Exupéry à sa sœur Gabrielle, qu’il surnomme Didi. C’est plus petit qu’un chat et pourvu d’immenses oreilles. C’est adorable. Malheureusement, c’est sauvage comme un fauve et ça rugit comme un lion. » C’est le temps de l’Aéropostale et Saint-Exupéry est en poste à Cap- Juby. Il découvre le désert, entame son premier livre, Courrier Sud. Apprivoise les gazelles, les caméléons et les hommes. « C’est mon rôle ici d’apprivoiser. Ça me va, c’est un joli mot », note-t-il la même année. « Qu’est-ce qu’apprivoiser ? demande le Petit Prince. Et le renard répond : C’est créer des relations. »
Lettres à sa mère, Gallimard (1984).

« Cette planète est toute sèche, et toute pointue et toute salée. » Le Petit Prince

J’ai bientôt trouvé ses traces devant ma tente. Malgré leur extrême timidité, les fennecs sont très curieux. Les Touaregs m’ont raconté qu’ils visitent souvent les campements la nuit. Ils explorent les vergers des oasis, adorent les dattes bien mûres et sucrées. Ils sont devenus très amicaux avec moi, mais je n’ai pu approcher que la femelle. Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai pu voir un mâle, au même endroit.
Aujourd’hui, mes amis touaregs m’écrivent que les fennecs utilisent toujours le même terrier. Ils trouvaient étrange cette fascination pour ces renards : un Européen fou qui reste là, seul pendant des semaines pour prendre des photos. Mais les Touaregs ne vous laissent jamais seul dans le désert. Tous les deux jours, quelqu’un vient vous voir, vous apporte lait, viande, couscous.
Parfois on leur offre des fennecs au marché, pour leurs enfants. La plupart du temps, les renards des sables meurent. Les habitants des oasis aiment leur compagnie parce qu’ils les préservent des serpents et des scorpions. Ils vont les chercher tout petits dans les terriers, ou les capturent avec des pièges. Les fennecs, habitués au silence du désert, ont alors une vie bien triste, enchaînés, dans le vacarme constant, les cris des enfants et les aboiements des chiens. Des renards si petits, et cette chaîne si lourde autour de leur poitrine, cela me peine.

J’en ai ramené un avec moi et j’en ai acheté un autre, né en Allemagne. Après deux ans, ils ont eu quatre petits. Mais ils sont tombés malades, leurs bronches sont fragiles. Deux petits sont morts. J’ai décidé de tous les ramener au Sahara.
L’un des adultes et un jeune sont partis. Les autres restaient près de ma Jeep, ils ne voulaient pas de la liberté. Les Touaregs leur ont alors construit un enclos dans leur jardin et les gardent, par amitié pour moi. Ils m’écrivent : « Tes renards sont toujours là. »

De tous les prédateurs, le renard du désert est celui qui a le
mieux réussi son adaptation aux zones les plus chaudes du globe.
Son domaine s’étend de l’Afrique du Nord à l’Arabie.

 

Source :

n° 126 de mars 1998

 

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