FEMMES DE L'OMBRE : TIN HINAN,
REINE DES TOUAREGS

Pierre Benoît, dans son roman l’Atlantide, raconte l’histoire d’Antinéa. Il s’agit en fait de Tin Hinan dont il a modifié le nom.

Tin Hinan est l’ancêtre originelle des touaregs nobles du Hoggar. Il s’agit d’une femme de légende que l’on connait aujourd’hui à travers la tradition orale touarègue qui la décrit comme « une femme irrésistiblement belle, grande, au visage sans défaut, au teint clair, aux yeux immenses et ardents, au nez fin, l’ensemble évoquant à la fois la beauté et l’autorité ». Son nom veut dire en tamashek, « celle qui se déplace » ou « celle qui vient de loin ».

« Celle qui vient de loin » aurait comme origine le Pays des Berabers tribu sud du Tafilalet, contrée pré Saharienne du sud marocain. Ce que l’on sait, grâce à la tradition orale rapportée par le Père de Foucault qui l’a recueillie dans le Hoggar, c’est qu’elle ne fut pas seule à faire le trajet mais qu’elle se rendit dans ce haut massif du Sahara algérien en compagnie d’une servante nommée Takamat (ou Takama).
On ne sait pas pourquoi cette femme a quitté le Tafilalet mais on suppose que le fait que la vie en Numidie, qui est à l’époque perturbée par l’invasion des Romains, aurait été l’un des arguments pour le départ, vers une région plus sûr et plus libre : Imazighen « les hommes libres ».
Autre hypothèse : un conflit personnel au sein de la famille ou de la tribu qui aurait incité Tin Hinan à fuir loin de son milieu d’origine. Une femme intelligente, une femme d’autorité qui prend la décision de partir…
Déjà à cette époque les berbères revendiquaient la liberté, laquelle est pour sa part donnée comme la mère des Touaregs plébéiens du Hoggar.
D’autres légendes donnent cependant une autre version de l’origine des Touaregs du Hoggar : elles les font tous descendre d’une femme unique, nommée Lemtoûna, et d’autres groupes touaregs donnent encore d’autres noms à celles dont ils font leurs ancêtres respectives.

Les heures de la journée sont chaudes et les voyageurs du désert qui subissent la brûlure du ciel accueillent la nuit avec soulagement. La pause du soir est bienvenue, surtout si elle se situe près d’un point d’eau et d’un pâturage. Les outres se remplissent et les bêtes se régalent. Il faut faire vite car l’obscurité tombe d’un seul coup. Tin Hinan connaît les principales étoiles, elle consulte le ciel pour trouver sa future direction. On dresse une tente faite de peaux de chèvres tendues sur des arceaux. Le repas est frugal : une bouillie de farine mélangée au lait que l’on vient de traire.
Un jour, enfin, le sable s’estompe et la roche granitique, surmontée de crêtes et de pitons, apparaît. Il faut contourner les montagnes, se faufiler dans les vallées, et surtout faire manger les animaux. Région magnifique, mais aride et difficile. Pourtant, c’est là que Tin Hinan s’installe. L’oasis d’Abessala, près de Tamanrasset.

Ces deux femmes étaient-elles accompagnées d’hommes pour ce voyage aventureux ? Rien ne le dit mais c’est vraisemblable. Traverser le Sahara était une aventure périlleuse, même si ce désert brûlant, dont le nom en arabe signifie le Fauve, connaissait un climat moins aride qu’aujourd’hui.
Que se passa-t-il dans les années qui suivirent cette installation dans le Hoggar ?

Toujours d’après la légende Tin Hinan eut trois filles :
Tinert, l’antilope, ancêtre des Inemba,
Tahenkot, la gazelle, ancêtre des Kel Khela et
Tamérouelt, la hase, ancêtre des Iboglân. Takama.
Qui fut le père des enfants de Tin Hinan ? Un compagnon venu avec elle du Tafilalet ? Un noble voyageur originaire de Libye ou d’Égypte ? Ou simplement un survivant de ces habitants qui occupaient les lieux précédemment ? Le nom de ce « père » n’est pas resté dans les récits véhiculés par la tradition. Mais, chez les Touaregs, la femme jouit d’un statut privilégié et le matriarcat est de règle, ainsi donc, n’est retenue que la descendance féminine.
La servante, aurait eu deux filles qui reçurent en cadeau de Tin Hinan les palmeraies de la région de Abalessa que possédent toujours leurs descendants.

Le monument de Tin Hinan
En 1925, à Abalessa, commune, située dans la wilaya de Tamanrasset, au sud-est de l’Algérie, dans le Hoggar, des archéologues découvrent la tombe d’une femme. Ils y trouvent outre un squelette bien conservé, des pièces de monnaies, des bijoux en or et en argent, ainsi qu’un mobilier funéraire.
La tombe, qui date du IVe, est attribuée par les archéologues à Tin Hinan, bien que les Touaregs eux-mêmes soient beaucoup moins affirmatifs sur ce point. Elle est aujourd’hui une attraction touristique.
Il occupe la partie supérieure d’une colline située sur la rive gauche de l’Oued Tifirt à proximité de l’oasis d’Abalessa au Hoggar dans le Sahara algérien. Ses dimensions sont de 26,25 m de grand axe, 23,75 m de petit axe et 4 m de hauteur.
Lors de sa découverte, le monument était recouvert d’amas de grosses pierres qu’il a fallu déblayer avant d’entreprendre les fouilles.


Le monument de Tin Hinan

L’enceinte, régulière, était formée d’un mur en pierres sèches et certains de ces blocs étaient si volumineux que se posait la question de savoir comment leur transport au sommet de la butte s’était effectué. D’où l’hypothèse de l’œuvre de populations étrangères à la région.


Les pierres de l’enceinte

La fouille du Mausolée, unique dans le Sahara, a permis de découvrir onze salles. La plus grande avait pour mesures 6 x 7 m et la plus petite 3,50 x 2 m. Une seule porte communique avec l’extérieur.

La seule salle explorée au cours de la mission franco-américaine de 1926 renfermait le squelette de la reine Tin Hinan placé dans un caveau souterrain protégé par des dalles de pierre. D’après la description, elle reposait sur un lit sculpté et portait des bracelets d’or et d’argent. À proximité des chevilles, du cou et de la ceinture, s’éparpillaient des perles en cornaline, agate et amazonite. Une écuelle de bois portait la trace d’une pièce à l’effigie de l’empereur Constantin.

Ces objets ainsi que le mobilier témoignent des relations qui ont pu se nouer entre les habitants de l’oasis et les voyageurs venus de l’Orient. Tin Hinan a donc été capable, non seulement de faire ce voyage à travers le Sahara mais aussi de créer les conditions de vie dans les lieux et de nouer des relations commerciales nécessaires à l’enrichissement du peuple né de sa descendance.


Sépulture de Tin Hinan au musée du Bardo à Alger

Nous reproduisons les conclusions du docteur Leblanc, doyen de la Faculté de Médecine d’Alger qui a examiné le squelette : « On peut affirmer que le squelette est celui d’une femme de race blanche. L’ensemble du squelette examiné rappelle fortement le type égyptien des monuments pharaoniques, le type des hautes classes, caractérisé par la grande taille élancée, la largeur des épaules, l’étroitesse du bassin et la minceur des jambes ».
Maurice Reygasse* a fouillé les autres salles en 1933. Avec Émile Félix Gautier* ils émettent les hypothèses suivantes : « Voilà un réduit à la fois sacré et fortifié où le mobilier atteste de très fortes influences romaines, et laisse d’ailleurs soupçonner des influences nègres.
Il semble bien que ce réduit, assez spacieux pour avoir contenu des magasins, ait dû être un gîte d’étapes entre la mer Méditerranée et l’Afrique noire. Influences méditerranéennes qui, nécessairement, se sont développées après l’apparition du chameau. »


Maquette du tombeau au musée du Bardo à Alger

Les Touaregs de l’Ahaggar ont donc naturellement conservé le souvenir de cette femme remarquable, et leurs récits, recueillis par le père de Foucault qui vécut en ermite à Tamanrasset au début du XXe siècle, inspira le romancier français Pierre Benoît qui, dans l’Atlantide publié en 1920, met en scène un jeune militaire rencontrant Antinéa, une femme énigmatique qui règne sur le Hoggar.

« Antinéa ! Chaque fois que je l’ai revue, je me suis demandé si je l’avais bien regardée alors, troublé comme je l’étais, tellement, chaque fois, je la trouvais plus belle... Le klaft égyptien descendait sur ses abondantes boucles bleues à force d’être noires. Les deux pointes de la lourde étoffe dorée atteignaient les frêles hanches. Autour du petit front bombé et têtu, l’uraeus d’or s’enroulait, aux yeux d’émeraude, dardant au-dessus de la tête de la jeune femme sa double langue de rubis. Elle avait une tunique de voile noir glacé d’or, très légère, très ample, resserrée à peine par une écharpe de mousseline blanche, brodée d’iris en perles noires. Tel était le costume d’Antinéa... »

L’imaginaire de Pierre Benoît nous conduit loin de la réalité et, pour retrouver l’ancêtre des Touaregs, il est préférable de lire des ouvrages scientifiques modernes, mais dans ceux-ci la trace de Tin Hinan est bien mince. Elle reste donc une reine de légende qui préfigure la femme moderne, capable de créer la vie et de gérer le bien public. C’est ainsi que les Touaregs nous ont transmis son image.

Les fouilles du site sont interdites, selon Aziri dans l’édition du 18 novembre 2007 du journal Elwaten. Les archéologues algériens, selon Malika Hachid, confirment seulement deux hypothèses. La première est que les spécialistes sur place ne savent pas le nom de la sépulture et aussi du squelette trouvé. La deuxième est que le monument au départ a été un fortin et une gravure date du IIIe siècle.
Les chercheurs demandent des fouilles complémentaires, puisque, d’après eux, le site a été mal étudié. Par contre, Slimane Hachi, directeur du CNRPAH d’Alger (Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques) veut absolument préserver le mythe fondateur des Touaregs qui remonte à Tin Hinan.

Le squelette de Tin Hinan est exposé au Musée du Bardo, un palais mauresque datant du XIIIe siècle et racheté en 1927 par le gouvernement général de l’Algérie.


La cours de marbre à l’intérieur du Musée du Bardo

* Maurice Reygasse (1881-1965) fut le premier conservateur du Musée de préhistoire et d’ethnographie africaine d’Alger. Il en fut aussi le fondateur car il avait fait don à l’Algérie de toutes ses collections recueillies au cours de ses années de recherche. Ces collections furent rassemblées au Bardo à Alger.

* Émile-Félix Gautier est un géographe et ethnographe français, spécialiste de l’Afrique du Nord, du Sahara et de Madagascar.

Références : résumé de plusieurs sites sur le net et

Le monde libyco berbère
dans l’antiquité
par Geneviève Vuillemin
Le Hoggar
par Claude Blanguernon


 

Alain CHUETTE - Octobre 2010