Robert COQUARD
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AU SAHARA

De Colomb-Béchar au Niger

Le Sahara est certainement le plus grand désert du monde. Il occupe, en effet, le 1/3 de l’Afrique, une superficie presque égale à celle de l’Europe, s’étendant :
– d’Ouest en Est sur 5 000 km, de l’Atlantique à la Mer Rouge ;
– du Nord au Sud sur 1 500 à 2 000 km, de l’Atlas, puis de la côte de la Méditerranée, au Niger, au Tchad, au Soudan anglo-égyptien.
C'est un très ancien massif usé sur lequel se trouvent des couches de terrains plus récents. Ce n’est pas une étendue plate. Il a ses montagnes, ses plateaux et ses plaines.
Le climat, très sec, est pénible par suite des grands écarts de température entre jour et nuit, été et hiver, mais il est supportable pour qui prend un minimum de précautions.
Ce n’est pas partout une étendue complètement aride et complètement morte. Sauf dans le Tanezrouft, absolument désertique, il y vit quelques animaux, quelques plantes.

Trois pistes importantes permettent la traversée du Sahara français :
– la piste de Mauritanie qui va du Maroc au Sénégal ;
– la piste Colomb-Béchar – Gao qui joint la région d’Oran au centre du Soudan ;
– la piste du Hoggar qui unit le Sud-Algérien et le Sud-Constantinois au Tchad.

 

Colomb-Béchar

À Colomb-Béchar commence la piste transsaharienne, à quelques kilomètres du terminus des voies ferrées d’Algérie et du Maroc, venant d’Oran et d’Oudjda. C’est sur la grande place bordée d’arcades blanches que le signal des départs est donné.
De là, les camions s’élancent vers le Sud sur une route goudronnée, laissant à l’Est le ruban de la palmeraie et le djebel (chaîne montagneuse), à l’Ouest l’agglomération de Béchar-Djedid, cité champignon née en quelques semaines sur un filon houiller.

 

Sur la piste

À 10 km de Colomb-Béchar, une borne monumentale marque la fin de la route, le début de la vraie piste.
Il faut, avant de s’élancer sur piste, se dire qu’en Afrique, tout est grand. La moindre étape au désert se chiffre par centaines de kilomètres.
Il faut savoir aussi que le temps importe peu. Ayant tout l’espace devant soi, il semble que l’on ait tout le temps.

 

Un premier aspect du désert

Sur un sol terne, grisâtre, par endroits sableux, légèrement accidenté, se déroule la piste.
Elle descend brusquement dans les lits d’oueds (torrents presque toujours à sec), remonte rapidement la berge, serpente, s’allonge, franchit péniblement parfois un col ensablé.

 

Face au Grand-Erg

Une petite partie seulement du Sahara est couverte de dunes. Elles constituent les ergs.
Le dessin de la page 5 représente, à Kerzaz, la bordure Ouest du Grand Erg Occidental, derrière laquelle s’étend la mer de sable.
Les dunes les plus hautes sont cotées 250 à 300 m. Celle du dessin a 300 m.
La piste ne pénètre pas dans l’erg. Elle le longe sur environ 300 km s’en rapprochant et s’en éloignant tour à tour.

C’est dès Taghit, à 53 km de Colomb-Béchar, brutalement au sommet d’un col entre deux collines grises, que s’étalent et s’élèvent, écrasantes, les dunes. Elles se détachent jaune d’or sur un ciel parfaitement bleu. À leur pied, la ligne verte de la palmeraie dessine le lit de l’oued Saoura, un lit fleuri de lauriers-roses. À mi-hauteur, au-dessus des palmiers, couronné d’un bordj (poste militaire éclatant de blancheur, se serre le ksar (village indigène) autour de sa mosquée : ensemble de cubes couleur chocolat où grouillent de petits arabes pieds nus et déguenillés, devant lesquels dort ou bavarde une population aux vêtements bigarrés.
On ne se lasse pas de regarder les dunes qui, selon l’heure, apparaissent roses, saumon, or ; parfois même l’ombre de quelques nuages fait temporairement ressembler à des crassiers quelques-unes d'entre elles.

 

La tôle ondulée

Menouarart, poste fortifié aux murs percés de meurtrières, est passé. Le téléphoniste, souvent seul Français du lieu, a signalé, à Colomb-Béchar, la bonne marche du véhicule.
Le camion fonce et danse. Sous l’effet mal expliqué des vents, peut-être des vibrations du sol produites lors du passage des véhicules, se forment sur des centaines de kilomètres de piste des rides de sable hautes de 3 à 4 cm, distantes les unes des autres de 70 à 80 cm ; c’est la « tôle ondulée » si pénible pour chauffeurs et camions. Ces rides ne s’écrasent pas sous le pneu. Imaginez donc les secousses et songez aux lames de ressorts qui peuvent casser.

 

Palmeraies

Les sables risquent souvent d’envahir les palmeraies à proximité de l’erg et ainsi de faire périr les dattiers. Les indigènes se défendent en fichant sur les dunes qui avancent des haies de palmes sèches.
Dans les palmeraies bien abritées et bien entretenues (palmeraie de Figuig, à 100 km au Nord de Colomb-Béchar par exemple), les jardins sont soigneusement partagés en plates-bandes protégées par de petits talus qui délimitent ainsi des bassins pouvant être inondés.
Les dattiers cultivés de ces jardins sont courts, robustes, tandis que les dattiers abandonnés élèvent haut leur bouquet de palmes perché sur un tronc grêle.
Il ne faut pas croire que l’oasis est un lieu toujours enchanteur. On est vite las de la chaleur qui se dégage des murs du ksar, de ses mouches innombrables et assoiffées, du vert uniforme des palmiers, de son isolement. D’ailleurs, on ne parle presque jamais d’oasis. La piste est jalonnée de postes, de points d’eau.

 

Irrigation des jardins

Parfois, un système de distribution d’eau, sévèrement contrôlé par les autorités locales indigènes, accorde à jour et heures fixes une part d’eau à chaque propriétaire. Mais combien est pénible l’irrigation quand il faut tirer l’eau d’un puits.
Le puits est un vulgaire trou en forme d’entonnoir. Sur des piliers de terre sèche élevés en bordure de l’excavation sont fixés un ou deux troncs de tamaris jouant le rôle de balanciers. Ceux-ci sont munis à une extrémité d’un contrepoids : grosse pierre ou énorme bûche, à l’autre d’une corde en fibre de palmier soutenant un délou, sorte de poche en cuir d’une dizaine de litres.
Au-dessus du trou, sur un savant échafaudage de troncs, le jardinier se tiendra en équilibre.
À longueur de nuit – il fait trop chaud le jour, et l’évaporation serait trop intense – d’un mouvement régulier de va-et-vient, il envoie le délou au fond du puits et à l’aide du balancier le remonte plein avec un minimum d’efforts. Il vide le récipient dans un tronc d’arbre creusé : gouttière s’avançant vers lui, fixée sur l’échafaudage et qui conduit l’eau au jardin. Les plates-bandes entourées de murettes de quelques cm de hauteur seront peu à peu inondées.
Par cette irrigation ingénieuse, les ksouriens (habitants du ksar) peuvent récolter quelques oignons, concombres, pastèques sous les abricotiers et grenadiers eux-mêmes abrités par les palmiers-dattiers.

 

Oueds


L’oued à sec (Photo Gayou)

L’oued est le torrent du Sahara. En temps normal, seul coule un mince filet d’eau.


L’oued en crue (Photo Gayou)

Le même oued en crue est un torrent. Les crues sont produites dans cette région (400 km Sud de Colomb-Béchar) par de violentes pluies sur l’Atlas.

 

Un second aspect du désert :
la Hammada

Après Taghit, après la traversée à gué de l’oued Saoura à Igli, va apparaître la hammada de Beni-Abbès.
La hammada est une vaste étendue à peu près horizontale, souvent caillouteuse, parfois sableuse (exemple de la photo). Elle est parsemée en certains endroits d’une sorte de lichen, à l’aspect de gros choux sans tige sur lesquels s’est aggloméré le sable. Ce sont les choux-fleurs de Bou-Amama.
Entassés, ceux-ci jalonnent la piste à peine apparente d’Ababdla à Tabelbala.
Le gros bourg de Beni-Abbès est le point terminus de la ligne téléphonique. Désormais il faudra correspondre par radio avec le Nord.

 

Un troisième aspect du désert :
le massif montagneux d’Ougarta

Après environ 80 km de hammada, la piste va à l’assaut du massif montagneux d’Ougarta, d’une altitude moyenne de 400 à 500 m. Hérissée de cailloux, elle y serpente, grimpe des pentes dangereuses bordées de ravins, s’engouffre entre de larges parois rocheuses.
La roche est nue et noire, brûlée par le soleil ; la surface des pierres, usée par le sable, est creusée de centaines de rides minuscules et désordonnées.
Dans les ravins poussent quelques arbustes épineux. C’est sur ces épineux qu’il est possible de trouver de magnifiques insectes vert mordoré de 4 à 5 cm de long, du genre bupreste et qui, desséchés et montés sur un support d’argent par les bijoutiers indigènes, constituent d’originales broches.

 

Adrar et ses constructions de terre rouge

Les kilomètres ont passé, le sol est redevenu plat. Enfin paraît à l’horizon la mince ligne verte de la palmeraie d’Adrar : centre important au cachet soudanais.
Dans les boutiques de terre rougeâtre, aux murs massifs, se trouve non seulement le ravitaillement en pâtes, thé, sucre, huile, de la population indigène, mais aussi des peaux de serpent d’A.O.F., des coussins de cuir rouge et vert, des peaux de mouton, des curiosités imitées de l’art targui.
La région du Touat (région d’Adrar) est grande productrice de henné, dont les feuilles séchées et pulvérisées fournissent une poudre avec laquelle les indigènes se teignent doigts et pieds pour durcir la peau.
Les constructions sahariennes sont élevées en briques de terre : une terre rouge – le tin –qui, broyée et transformée avec l’eau en pâte épaisse est mise à sécher au soleil dans des moules de bois. Cette pâte constitue également le ciment.
Toutes les habitations ont des terrasses sur lesquelles on dort pendant les nuits chaudes (3 mois environ par an).

 

L’eau d’Adrar

950 km séparent Adrar du premier point d’eau soudanais. Comme l’eau de Reggan, à 129 km d’Adrar, est quelque peu magnésienne, c’est à Adrar que se fait le plein d’eau pour la traversée du Tanezrouft.
Le système d’adduction d’eau aux oasis du Touat est remarquable. Elles sont alimentées par les foggaras, canaux souterrains de plusieurs kilomètres de long qui drainent l’eau du sous-sol à une profondeur variable de quelques mètres à quelques dizaines de mètres et qui communiquent avec l’air libre par de nombreuses cheminées de la largeur d’un homme. Des équipes de puisatiers nettoient chaque année ces tunnels et remontent parfois le squelette d’un noyé. On se délecte cependant de cette eau fraîche dans laquelle vivent des poissons.
Avant de partir pour le Tanezrouft seront remplis les fûts et les guerbas constituant une réserve de 200 à 400 litres d’eau.
La guerba, peau de bouc généralement tannée au goudron, gonflée du précieux liquide, est accrochée au flanc du camion. L’évaporation superficielle pendant la marche – car la guerba suinte – refroidit le liquide. L’eau paraît glacée par 50° à l’ombre.
« À quoi pense-t-il le pèlerin solitaire, exposé au plus violent soleil, au sommet de son méhari... Il ne songe – et ne peut songer – qu’à des citronnades frappées, à des boissons fraîches et gazeuses, aux petits glaçons qui fondent doucement et s’arrondissent en fondant, là-bas, chez les hommes, dans de grands verres de limonade. » (Th. Monod – Méharées – Éditions « Je sers » – Paris).
J’ajoute : il songe aussi aux eaux claires et torrentueuses de France, aux robinets qu’il suffit de tourner...

 

Un quatrième aspect du désert :
le Tanezrouft

Reggan marque la fin du monde hospitalier. L’hôtel transsaharien, seul avec le bordj militaire, ouvre son portail blanchi à la chaux sur les étendues inhumaines du Tanezrouft.
« On ne voit plus que la plaine infinie semée de gravier, sans une touffe d’herbe, sans une ondulation, un cercle d’horizon aussi régulier que celui de l’Océan. » (Gautier – Le Sahara – Éditions Payot – Paris).
La piste marque la direction du Sud. Elle est trop souvent sableuse et chacun roule à sa guise, à droite, à gauche, loin d’elle parfois, cherchant le terrain le plus favorable : plages de sable immaculé ou graviers multicolores, coupant et recoupant les traces existantes pour trouver toujours sous les roues la croûte superficielle intacte qui facilite la progression du véhicule.

 

La traversée du Tanezrouft

Dure et longue est la traversée de cette région, mais on ne saurait s’ennuyer.
Le poète se laisse bercer par le silence. Il regarde l’horizon qui, certains jours de chaleur, s’estompe. Où commence le ciel ? Où finit la terre ? Il épie le mirage : quelque immense flaque insaisissable et miroitante bordée de roseaux gris. Il compare à des elfes légers bondissant sur la plaine des herbes sèches roulant vertigineusement poussées par les vents.
Le curieux admire le tapis des silex de tous les rouges, les roses, les noirs, les blancs, les jaunes, les verts même qui recouvrent partout la surface du reg (surface plate du désert). Si la chance le favorise, il ramassera même une flèche préhistorique finement travaillée.
De place en place, derrière une balise, sous une tôle, il dérangera un oiseau perdu, épuisé, voué à la mort, en découvrira même certains momifiés. Et quelle ne sera pas sa joie lorsqu’aux approches du Sahara soudanais, il apercevra une première gazelle dont la robe jaunâtre s’évanouira dans l’air surchauffé sur le fond ocre du sol.
Trois jours de camion sont normalement nécessaires pour franchir cette inhospitalière région. Le chauffeur souffre du froid les matins d’hiver, de la chaleur en été. Pour ne pas trop fatiguer le moteur, il faut parfois passer 4 à 5 heures par 45 à 50° à l’ombre sous un camion, seul abri contre le soleil, à attendre que baisse la température.
Le sol est brûlant. On ne saurait rester pieds nus sur le sable. Les souffles de l’air dessèchent les lèvres, le nez, la gorge. En vain dons cette étuve cherche-t-on à lire, à penser, à sommeiller.

 

Les balises

Ces petites constructions de zinc (dimensions approximatives : longueur 5 m, largeur 1,50 m, hauteur 2 m) sur une armature d’acier ressemblent à une maison sans portes ni fenêtres.
Placées de 10 km en 10 km, à partir de Reggan, elles jalonnaient l’ancienne route aérienne. Beaucoup ont disparu, arrachées et tordues par les vents ou détériorées par les usagers.
Lorsqu’on se dit à la Balise 100, la distance qui sépare ce lieu de Reggan est de 100 km.
La moitié du trajet Colomb-Béchar – Gao est sensiblement à la Balise 250.
Bidon V est à la Balise 510, la frontière algéro-soudanaise à la Balise 660.

 

Une tempête dans le Sahara

Nous sommes à la Balise 140. Il n’est pas encore midi, mais les chauffeurs et moi-même nous nous groupons pour manger en commun un repas très simple. Il fait une température très lourde. Une boîte de sardines est ouverte, ainsi qu’une boîte de « singe » dans laquelle nous coupons finement des oignons crus. Un feu de camp hâtivement préparé chauffe l’eau avec laquelle nous ferons le breuvage baptisé café.
Nous n’avons pas encore commencé qu’apparaît tout à coup à l’horizon un nuage allant grossissant rapidement pour devenir en quelques minutes un mur gigantesque, irrégulier, crénelé, de couleur rousse, qui se dirige sur nous à une vitesse vertigineuse.
« La tempête de sable !... » Nous avalons, mâchant à peine, sardines et « singe ». La casserole de café est précipitamment placée dans la cabine d’un véhicule, les camions sont vite orientés, l’arrière dans la direction d’où vient la tempête.
Nous n’étions pas encore tous montés que la brume de sable poussée par un vent furieux déferlait sur notre campement.
Nous ne voyons plus rien, sauf devant nous, à quelques mètres, le sable glissant sur le sol. Nous l’entendons grésiller sur les tôles des camions, les frappant de ses milliards de particules.
Le vent mugit, a des sautes d’humeur, secoue parfois les véhicules.
Enfermés dans les cabines, notre visage plein de sueur se colore d’ocre. Le sable pénètre partout (jusqu’à l’intérieur des moteurs des montres), les yeux pleurent, nos dents crissent. Il est impossible de sommeiller.
J’essaie de sortir, torse nu comme à l’ordinaire. Mais le dos durement cinglé, je fais trois pas et retourne à l’abri.
La tempête dura 6 heures dans toute sa violence. Sur le soir, le vent se calma progressivement.
Un chauffeur qui avait parcouru le Sahara Oriental me disait avoir vu des tempêtes beaucoup plus violentes soulevant des cailloux avec le sable.

 

Le fech-fech

Les zones sableuses difficiles à traverser sont bien connues des usagers de la piste (Balise 100, Balise 360, Balise 600 surtout).
Lorsque le camion doit les franchir, le chauffeur passe prudemment à la vitesse inférieure, coupe en travers les traces existantes, tient solidement son volant.
Quelquefois, il s’éloigne jusqu’à 5-10 km à droite ou à gauche de la piste vers des régions moins fréquentées, donc au sol plus solide. C’est pourquoi dans les zones de fech-fech (sable pourri de la consistance de la farine) la piste prend-elle une largeur inaccoutumée.
Et pourtant le camion avance avec peine, s’enfonce. Va-t-il s’arrêter moteur calé ! Non, car aussitôt, à la vitesse inférieure, le moteur reprend vie un instant pour faiblir, faiblir encore. Avec une précision déconcertante, au moment où, à bout de souffle, ce sera pour la lourde machine l’arrêt sur le sable mou, donc l’ensablement à la prochaine tentative de départ, un nouveau changement de vitesse instantané permet encore de progresser de quelques mètres à une allure très lente, dans un ronflement soutenu et puissant du moteur, qui fournit l’effort maximum.
L’obstacle peut ainsi être franchi.

 

Ensablements

Avant d’aborder le Tanezrouft, il est prudent de vérifier sur son camion si les « chresbas » sont bien arrimées.
Les « chresbas » sont les quarts de tronc de palmier (voir coin inférieur gauche de la photo et page 14) ou les poteaux, genre poteau télégraphique raccourci servant au désensablement des camions.
Il arrive souvent que le camion s’immobilise sur le fech-fech. À la remise en marche, les pneus ne peuvent plus prendre appui sur un terrain si peu résistant. En général aussi, ayant labouré le sol lors de leur pénible avance, les roues ont amassé devant elles un bourrelet de sable de 20-30 cm de haut qu’elles ne peuvent plus franchir. Si l’on force, elles tournent sur place et s’enfoncent graduellement en chassant le sable derrière elles.
Il faut alors le déblayer à la main ou à la pelle s’il est trop chaud, placer les chresbas entre les roues jumelées de l’arrière.
Le moteur remis en marche, les pneus s’accrochent au bois et progressent. Il s’agit de se lancer assez vite sur quelques mètres pour passer sans s’ensabler à nouveau sur la croûte superficielle non encore entamée.
Mais un ensablement est parfois le début de nombreux autres. Il me fallut, un jour, 3 heures pour parcourir 150 mètres.

Passage du Tropique du Cancer

Cette photo a été prise sous le Tropique (balise 380) le 22 juin (solstice d’été). Ce jour-là, jour de l’été dans l’hémisphère nord, les rayons du soleil se trouvent au zénith sous le tropique, c’est-à-dire perpendiculaires à la surface du sol. Les rayons tombant tout droit (ils sont toujours obliques dans nos régions) l’ombre est réduite au minimum. Aussi peut-on remarquer l’ombre de la tête sur la poitrine, la toute petite ombre du corps et du casque colonial sur le reg du Tanezrouft.

 

Bidon V

Vers la Balise 500 apparaît à l’horizon la silhouette du phare Vuillemin, annonciateur de Bidon V, aujourd’hui Poste Cortier.
Posé sur un sol plat aux horizons illimités, en plein Tanezrouft. Bidon V possède, avec son phare, sept abris de la Compagnie Générale Transsaharienne qui constituent le gîte d’une nuit pour les voyageurs transsahariens. Deux de ces abris sont constitués par les carcasses des deux premiers autobus qui traversèrent le Sahara.
Un gardien noir et généralement deux radios vivent à Bidon V, sauf pendant les mois d’été. Pendant la guerre, après l’armistice, le personnel d’une entreprise de sondage y travaillait. On voulait trouver de l’eau potable, le point d’eau le plus proche étant à 300 km au sud. Après des mois d’efforts, une nappe importante, malheureusement salée, fut découverte à 160m de profondeur.

 

Les touareg à Tessalit

À Tessalit, premier point d’eau soudanais, le paysage change. La végétation s’épaissit dans les lits d’oueds du massif de l’Adrar des Iforas et dans les nombreux arbres roucoulent des milliers de ramiers. Le soir, des chacals glapissent dans la vallée.
Des touareg nomades viennent offrir lait de chamelle et chevreaux. Comme il est inquiétant le regard hautain de ces hommes vêtus d’une longue tunique bleue, le nez et la bouche cachés sous le litham (écharpe fine qui cache le bas du visage), le front ceint d’un bandeau, les cheveux embroussaillés.
Ils vivent, semi-nomades, sous des abris rudimentaires : de feuilles de palmier ou sous des peaux de moutons tannées posées sur des piquets.
Le climat lui aussi a changé. .Les tornades tropicales viennent jusque là en averses brutales et inattendues. Le ciel est bleu et le soleil brûle. Un point noir paraît brusquement à l’horizon. Quelques minutes plus tard le ciel est couvert et une pluie tiède cingle le sol.

 

Le Sahara soudanais

Le Tanezrouft franchi, il reste encore 500 km à parcourir, avant d’atteindre le Niger. On ne retrouvera plus un désert absolument nu.
Les points d’eau se rapprochent, le sol se recouvre peu à peu d’une brousse de petits arbustes épineux de moins en moins clairsemés. Le kram-kram, graminée aux graines hérissées d’épines aiguës à leur maturité, couvre d’immenses étendues.
Les traces de vie se font plus nombreuses. Dans le champ des phares, la nuit, des lièvres s’enfuient. Des vols de criquets de plusieurs km de long, ressemblant vus de loin à de petits nuages vaporeux, s’abattent sur les buissons. Dans les joncs d’Anefis pullulent sarcelles, canards et moustiques. Dans le ciel passent des centaines de gros oiseaux. La brousse, tout à l’entour, est peuplée de gazelles et d’outardes et parcourue par quelques antilopes.
Plus loin, des troupeaux de bœufs et de chèvres paissent. L’homme noir est présent tout en restant souvent invisible.
On sent l’approche du fleuve.

 

Le Niger

Ce n’est pas sans émotion deux jours après avoir quitté Tessalit que l’on découvre du haut de Bourem l’immense nappe miroitante, du Niger. Là, il s’étend sur plusieurs km de large, enserrant des îles vertes. Ses rives, bordées d’arbres, retentissent de chants d’oiseaux. Des pirogues, conduites par des Noirs musclés, glissent.
Les petits élèves de l’école, sous la surveillance de leurs maîtres, cultivent un coin de terre sur la rive du fleuve qui coule vers Gao et Niamey, s’infléchissant vers le Sud-Est, invitant à de nouveaux voyages.


Coucher de soleil sur le Niger

 

La place de la France au Sahara

Le dromadaire monté par le méhariste fut le premier mode de pénétration au Sahara.
En dehors des pistes parcourues presque journellement par des véhicules automobiles, il est encore le seul moyen de liaison avec les nomades sahariens et quelques puits isolés, tel celui de Taoudéni.
Un peloton méhariste, c’est un groupe d’indigènes rompus aux fatigues du désert, à la tête duquel se trouvent un ou deux français (officier et sous-officier en général).
Ce sont des pisteurs remarquables : un méhariste chargé de retrouver son lieutenant dans un ksar, put lui dire : « Je t’ai retrouvé parce que ta naïl (sandale) gauche est usée au talon gauche et parce que ton chameau a un cor à la patte avant droite.
Ces hommes, chargés de vivres pour 2 ou 3 mois, d’eau pour une douzaine de jours, partent pour 6 à 8 mois dans le « bled ». Se dirigeant à la boussole de point de repère occasionnel en point de repère : un simple caillou parfois, ils vont de puits en puits, de pâturage en pâturage. Un pâturage au Sahara est constitué par quelques touffes d’herbes vite sèches, distantes parfois de 50 m. les unes des autres.
Quel est donc le rôle de ces hommes ?
Ils représentent la France dans ces régions. Ce sont eux qui les ont pacifiées après de durs combats contre les pillards qui rançonnaient les oasis. Certains de ces combats sont restés célèbres : tel celui d’Oum-El-Assel en 1923, où après une poursuite épuisante et un combat acharné, quelques guerbas pleines d’eau sauvèrent la vie du détachement dont la plupart des hommes avaient perdu connaissance, tel celui d’In-Zize, en 1926, engagé après une poursuite d’une vingtaine de jours, en plein mois d’août, dans le Tanezrouft, les réserves d’eau étant épuisées. Une pluie violente et absolument inhabituelle sauva les poursuivants qui s’abreuvaient aux flaques laissées sur le reg. C’est au cours de cette poursuite que les pillards durent tuer dix de leurs chameaux pour recueillir comme boisson le liquide verdâtre que contient leur estomac.
Le rôle actuel du méhariste est moins héroïque. La sécurité est maintenant assurée au Sahara. Aussi leur besogne consiste-t-elle surtout à effectuer les recensements de nomades qui circulent de pâturage en pâturage au Sud du Maroc, au Nord du Soudan, s’avançant, plus ou moins, vers le Sud, selon les quantités de pluies tombées dans l’année.
Un tel est-il rencontré. La conversation s’engage. « C’est toi, un tel, de telle tribu. Tu avais 3 femmes l’an dernier, En as-tu d’autres ? Combien as-tu de chameaux, de moutons ? » Les renseignements recueillis complètent ceux qui sont portés sur un grand registre. « Sais-tu où est un tel, tel autre ? » On retrouve ainsi chaque année presque tous les nomades à qui l’on fait payer un léger impôt. Certains sont très riches (troupeaux de 400-500 chameaux).
Les officiers méharistes font également des travaux scientifiques. Certains étudient le relief, la nature des terrains, complètent les cartes existantes. En 1940, l’officier commandant un peloton du Touat releva des indications sur 2 800 km de parcours faits en 4 mois environ, moitié à chameau et moitié à pied pour ne pas trop fatiguer la monture.
Les pelotons surveillent aussi les déplacements de sauterelles Qui, venant du Soudan, se dirigent vers l’Afrique du- Nord. Ils signalent par radio l’importance et la direction de leurs nuages.
Ainsi vivent ces hommes dans « leur désert ».
Méharistes et chauffeurs l’aiment par-dessus tout. Ils s’ennuient à Colomb-Béchar, ils s’ennuient à Adrar. Il leur faut les vastes horizons, tout l’espace devant eux.
Dans la chaleur torride de midi, il leur arrive bien souvent de jurer et de médire de « leur » piste. De retour, loin d’elle, ils y songent sans cesse et ne désirent que la retrouver.


Source :
BIBLIOTHEQUE DE TRAVAIL
Collection de brochures hebdomadaires
pour le travail libre des enfants

Documentation de Robert COQUARD
Adaptation pédagogique des Commissions de l'Institut de l'Ecole Moderne


L'Imprimerie à l'Ecole
Cannes (A.-M.)
1er Avril 1953