BERLIET GDM MORY 1941 : BIOCARBURANTS AU SAHARA

 

 

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La mission MORY (mars-mai 1941), une expédition méconnue sur les pistes africaines.

 

9 000 KM ALLER-RETOUR ENTRE ALGER ET COTONOU

1941 : la France subit l’occupation allemande et la pénurie de carburant est générale. En Algérie, la société des transports Mory monte une mission dont le but est de tester le remplacement du gasoil par de l’huile d’arachide ou de l’huile de palme produites toutes deux en Afrique coloniale française.

 

La Mission Mory au départ d’Alger

La mission, composée de 14 personnes, est conduite par Gérard Prohom, directeur de Mory pour l’Afrique. L’écrivain Roger Frison-Roche y participe. Trois camions Berliet type GDM et une voiture pick-up Ford prennent le départ d’Alger. Objectif : se rendre au sud des grands déserts pour se ravitailler en huile « à la source » et prouver du même coup son efficacité en l’utilisant comme carburant pour le trajet du retour.

 


Membres de la Mission

UNE MÉCANIQUE DE POIDS

Les camions choisis sont des gros Berliet GDM8 fraîchement équipés du tout nouveau moteur 6 cylindres MDER licence Ricardo « Comet 2 » et rebaptisés GDME10. Les ingénieurs ont adapté au moteur un compresseur d’air type Westinghouse, permettant de disposer d’un freinage à air comprimé. Après la guerre, ces véhicules seront appelés GDM10W, suite à la généralisation du système Westinghouse, la réserve de gasoil octroyée pour les besoins de l’expédition Mory étant très limitée, les trois Berliet sont équipés de gazogènes à charbon de bois (gazogène Dupuy licence Lang).


extrait doc publicitaire


Le chauffeur Sanchez pose devant un des générateurs gazogène

PREMIÈRES AVARIES

À l’aller, la mission devait économiser le carburant grâce aux équipements gazogène mais rien ne se passe comme prévu. Très rapidement, la plate-forme de la réserve de charbon ne résiste pas aux trépidations de la piste et l’attelage se brise au col d’Ain-Sefra.

 


Itinéraire de la Mission Mory

 

PÉNURIES… ET TRACASSERIES ADMINISTRATIVES

Sans gazogène, l’expédition épuise vite son gasoil. Elle doit laisser deux véhicules à Gao et un seul camion – le n°316 – arrive à Niamey pour remplir sa citerne d’huile d’arachide, objet principal de la mission. Malheureusement, les autorités militaires de Niamey bloquent la transaction : elles concèdent tout juste assez d’huile d’arachide pour permettre au GDM de faire le trajet de 400 km jusqu’à Cotonou (Dahomey) où, par défaut, l’équipe espère pouvoir acheter de l’huile de palme.


Dégroupage du camion n°313 qui va rester à Gao avec le n°315
Dans le Dahomey

L’HUILE DE PALME : DÉFI POUR LE TRAJET DU RETOUR

Malgré ces soucis d’approvisionnement, la première partie de l’expédition est une réussite. C’est la première fois qu’un camion relie d’une traite Alger à Cotonou (4 500 km). On peut enfin remplir la citerne avec le précieux « bio carburant ». Prochain challenge : remonter sur Alger et tester les performances de cette nouvelle substance.


Huile de palme liquide

Problèmes de température…

Contrairement à l’huile d’arachide, l’huile de palme s’épaissit si sa température est inférieure à 50° et se fige en dessous de 28°. Afin de réchauffer et maintenir l’huile au niveau fluidité requis, le tuyau d’échappement du camion GDM est déplacé dessous et contre son réservoir à carburant. « Cet ingénieux dispositif de chauffage s’avère indispensable (…) Songez que si nous tombions en panne alors que nous carburons à l’huile de palme, toutes les canalisations du moteur seraient instantanément obturées par une sorte d’épaisse pâte rouge. » (Roger Frison-Roche)

…et de consistance.

Le capot du camion est levé, le chauffeur démarre au gasoil et le mécanicien, assis sur l‘aile, est chargé de tourner le robinet de la tuyauterie quand la température est atteinte, permettant au moteur de de passer à l’huile de palme. Plus le temps est frais, plus la transition gasoil-huile est longue à venir. Le soir – 5 ou 6 km avant le bivouac, le mécanicien repasse au gasoil pour nettoyer les canalisations et éviter également l’attaque des pièces par l’acidité.

 


Sanchez et Frison Roche
Réglages moteur GDM

DES POINTESÀ 60 KM/H SUR LA PREMIÈRE PARTIE DU RETOUR

L’expédition atteint Colomb-Béchar en 14 jours sans avarie sérieuse. La chaleur sèche de la région du Niger frise les 46° à l’ombre… une température idéale pour l’huile de palme !

« Nous écoutons notre moteur, appréhendons une baisse de régime, rien ne nous indique que nous avons changé de carburant, sauf une odeur écœurante de « catalou » * qui se dégage de l’échappement
(Roger Frison-Roche)
vent de sable dans le désert du Tanezrouft (pays de le soif), zone réputée du Sahara à l’ouest du Hoggar
* plat traditionnel du Dahomey
extrait rapport de Frison Roche

 

Entre Dosso et Niamey, un basculement au fossé va nécessiter 6h de travail pour remettre le camion sur la piste, avec l’aide d’autochtones venus en renfort. « Dans la cabine, nous somnolons, vaincus par la chaleur… un choc nous réveille, le camion a mordu sur l’accotement de la piste et a basculé. Nous sommes cinq hommes pour relever 20 tonnes… On va creuser sous le camion jusqu’à ce qu’il se relève tout seul, fait Sanchez. Nous nous mettons au travail (…) Au moment de l’accident, la brousse était déserte, mais voici qu’arrivent de nulle part des villageois munis de houes. Comment ont-ils été alertés ? » (Roger Frison-Roche).


planté dans le fossé
Le GDM au fossé

DERNIÈRE PARTIE TRÈS ÉPROUVANTE :

À partir de Gao, l’expédition entre dans le climat saharien : les journées sont très chaudes et les nuits très froides. Chaque soir, les mécaniciens redoublent de précaution pour nettoyer soigneusement les canalisations et le moteur. Tout va fonctionner correctement jusqu’à Colomb-Béchar mais par la suite, une météo effroyable va compliquer sérieusement la traversée de l’Atlas. « Les pistes rendues boueuses étaient impraticables et nous eûmes toutes les peines du monde à franchir les cols (…). À diverses reprises, nous dûmes bivouaquer dans des conditions difficiles. Gérard Pohom qui ne se remettait pas d’une grave atteinte de fièvre, va profiter d’une voiture militaire qui passait pour être rapatrié sur Alger, me laissant la direction de la mission ». (Roger Frison-Roche)


Petit lever froid dans le Tanezrouft
Foum-Hassa / cols

 

« À 20 km de Mécheria, nous cassâmes une soupape et il fallut installer une chèvre de fortune, déculasser le moteur, réparer. Au moment de repartir, nous nous aperçûmes que toutes les canalisations étaient obstruées d’huile de palme figée par le froid. Nous fîmes alors pendant plusieurs heures, un feu d’alfa sous le moteur, jusqu’à ce qu’on soit certains de tout était redevenu fluide. Puis il fallut remplir le réservoir ! l’un de nous puisait l’huile solidifiée à grandes pelletées dans la citerne et nous la faisions liquéfier dans un seau sur le feu. » (Roger Frison-Roche).

Dans la vallée du Cheliff, le moteur lâche une seconde fois mais le camion continue en couvre cahin-caha les 200 derniers kilomètres. avec un piston en moins. L’expédition fait son entrée à Alger en mai 1941, trois mois après l’avoir quittée. Au total, plus de 9 000 km ont été parcourus – en majeur partie sur des pistes où aucun camion n’avait jamais roulé.

Le rapport de la mission Mory sera remis au général Weygand, délégué militaire en Afrique.

Le camion 316 à Gaya
Le bac à Gaya
Gare de Parakou, Dahomey
Ensablement
Plaine du Tabankort
Canyon près de Kersag

 

Je remercie Madame Nathalie MAUBERT
du centre de Documentation de la Fondation Marius Berliet
pour son autorisation à publier cet article sur notre site

 


Alain CHUETTE – Septembre 2025