Les Jeunes
de France n° 44 du 15 octobre 1935
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Beaucoup d’entre vous, au cours de voyages en automobile, ont connu la fâcheuse panne d’essence qui oblige le conducteur et ses passagers à faire du footing imprévu vers le premier poste à essence venu, ou même s’il n’est pas trop loin, à pousser la voiture en suant à grosses gouttes.
C’est le bienheureux bidon d’essence qui hante l'esprit des automobilistes sur toutes les routes du monde, même dans les endroits les plus isolés.
Aujourd’hui, il est de bon ton d’entreprendre une petite randonnée automobile dans le désert, et si l’expédition est devenue sans danger, il n’en est pas moins vrai que, durant les dernières années, il n’en était pas de même.
L’essence prévue pour un parcours donné par une température moyenne s’est trouvée dans bien des cas volatilisée par suite de la température élevée, et les prévisions du conducteur devenues fausses, celui-ci se trouvait en panne au beau milieu du désert. Dans une semblable situation, le malheureux, pensiez-vous, n’avait plus qu’à mourir de faim, ou en tout cas, à abandonner son véhicule afin de gagner à pied, un poste de secours. En réalité, il en était bien autrement, puisque de loin en loin on avait établi des sortes de relais à des endroits fixes de la piste ; dans les cachettes se trouvent de l'essence et quelques vivres, et cette cachette se manifestait aux yeux des voyageurs sous la forme d’un simple petit bidon d’essence qui prenait des dimensions gigantesques pour le malheureux, anxieux de savoir s’il pourrait arriver jusque-là.
Cette cachette se manifestait sous la forme d’un bidon d’essenceLes voyages dans le désert n’ont plus aucun charme depuis que l’avion existe ; les « bidons » d'autrefois se sont agrandis puisqu’ils sont maintenant non seulement des relais de voyageurs à cheval, en chameau ou en auto, mais également de ceux qui empruntent la voie aérienne. Le plus célèbre de ces points d’escales est BIDON-V qui se trouve situé sur la route du Tchad, et qui est devenu l'escale obligatoire des avions qui vont de Colomb-Béchar à Gao.
Vous pensez bien que, dans ces conditions, le petit bidon de l’origine s’est transformé en un village et l’on peut même presque dire en une petite ville, où du moins se trouve, quelque étonnante que semble la chose, un véritable hôtel édifié à quelques dizaines de mètres du fameux bidon. Celui-ci s’est avéré beaucoup trop petit pour dépanner les nombreux visiteurs qui ont recours à ses réserves, si bien que de même que dans les rues de Paris, on a édifié une magnifique pompe à essence destinée à alimenter tous les véhicules de passage. Ainsi Bidon-V est, on peut le dire, la capitale économique et touristique du Tanezrouft (regardez vos Atlas). D’ici peu, on enverra certainement un contrôleur des contributions à Bidon-V, car le fisc est tout à fait mécontent de « Monsieur Bidon-V » : en effet, le contrôleur des contributions directes d’Adrar s’est vu dans l’obligation de lui envoyer du papier timbré, le sommant d’acquitter les droits de voirie. Il paraît que la Compagnie Transsaharienne qui est propriétaire du poste, a refusé tout paiement pour avoir le plaisir de voir un huissier venir « saisir » Bidon-V...
Pour parler de choses plus sérieuses, disons que le fameux Bidon n’existe plus maintenant, il vient d’être remplacé par un phare de 32 mètres de hauteur dont le croquis ci-dessous vous donne une idée exacte ; on le nomme maintenant le phare Vuillemin, le premier qui éclaire le Sahara. Six autres phares seront construits à la suite de celui-ci, le long de la route transsaharienne de Reggan à Gao, assurant ainsi le balisage de nuit de cette route très fréquentée. De la sorte, les avions circuleront en toute sécurité la nuit dans le Sahara et pourront assurer des traversées régulières et plus rapides. Dans un avenir plus ou moins éloigné des phares jalonneront la piste de cent kilomètres en cent kilomètres, dès que le premier effort actuel sera terminé.
Pour les techniciens, disons que le phare éclaire au moyen d’un brûleur à incandescence muni de trois manchons et alimenté au gaz ; le sable impalpable ne peut pas pénétrer à l'intérieur de la lanterne.
Le pinceau lumineux projeté par cette lanterne se compose d'un éclipseur à éclat simple donnant un feu d’une minute et demie succédant à une minute et demie d’ombre.
Le fameux Bidon vient d’être remplacé par un phare de trente-deux mètres de hauteur...Ce signal est parfaitement visible en l’air la nuit, et ainsi avant plusieurs années les avions circuleront jusqu’au centre du continent africain de jour et de nuit en parfaite sécurité.