La Dépèche Algérienne n° 17 885 du 23 avril 1935
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

Une initiative de la « Dépêche Algérienne » réalisée

Le 15 avril, en présence de nombreuses personnalités réunies à Bidon-V,
M. Delaplace a remis solennellement au général Meynier
le Phare Vuillemin, lueur salvatrice dans la Mer des Sables

Alger – Bidon V – Gao — Alger par Raymond Faouën et Dutheriez
à bord d’un « Caudron-Phalène-Renault »

 

Préliminaires

    Un mercredi soir, vers 18 heures, boulevard Laferrière, devant l’Hôtel de « La Dépêche Algérienne », une Citroën à traction avant, pilotée par M. Lagarde, adjoint technique de la Société Nord-Africaine Citroën d’Alger, transportant MM. Viré, collaborateur de « La Dépêche Algérienne » et Laffargue, collaborateur de l’ Écho d’Alger » prenait le départ en direction de Reggan, Bidon V et Gao où devait avoir lieu en trois phases l’inauguration officielle du phare Vuillemin, premier phare érigé au centre du Tanezrouft, de la mer de sable, du pays de la soif.
    Le surlendemain, un vendredi, vers 15 h, un « Caudron-Phalène » moteur « Renault-Bengali » piloté par M. Dutheriez, chef-pilote de l’école Caudron, ayant à son bord MM. Faouën, rédacteur à « La Dépêche Algérienne » et Lombarde, collaborateur de « La Presse Libre », décollait de l’aérodrome de Maison-Blanche. À son tour il prenait la direction de Reggan, Bidon V et Gao.

En vol vers le Sud

    En 2 h 15 de vol par un temps mi- couvert, le « Phalène » couvre la distance séparant Alger de Laghouat. Voyage au « cap » sans histoire si ce n’est quelques « coups de tabac » assez sérieux au-dessus des montagnes blidéennes.
    Samedi matin, les prévisions météorologiques étant bonnes, un vent favorable soufflant pour nous, notre « Phalène », tiré par ses cent quarante chevaux, prend rapidement l’air au lever du jour. Le Mzab, ses oasis, ses collines torturées qui nous secouent quelque peu au passage, l’oued Djafou sont dépassés à une allure de bolide — moyenne horaire 200 kilomètres— Et bientôt c’est El-Goléa avec ses taches magnésiennes. Une pose est rendue nécessaire pour faire le plein des réservoirs. Pendant cette opération le trimoteur de la Régie Air-Afrique, allant au Congo, atterrit à son tour. Le ravitaillement en essence terminé, nous jugeons utile — ô ! combien — de faire le plein de « nos estomacs » et de calmer une soif qu’attise de plus en plus un soleil qui commence à devenir tropical.

Au-dessus des sables

    Nos appétits satisfaits c’est l’envol vers Fort-Mac-Mahon — Timimoun. Le soleil chauffe de plus en plus. Il est midi et la valse aérienne nous secoue sans discontinuer mais notre estomac est bien accroché et notre déjeuner arrimé mieux encore.
    Timimoun la rouge, avec ses bâtisses au style bizarre nous apparaît dans un halo de lumière, se détachant nettement de son oasis.
    L’accueil du capitaine Athenour, chef d’annexe, et de Mme Athenour est simple et cordial. Nous apprenons avec plaisir que l’escadrille du général Lacolley composée des capitaines Schmitter et Paolacci, du lieutenant Desclair, de l’adjudant-chef Vincent, de l’adjudant de Fraissinet et des sergents Surjus et Colon nous attend au bordj. Nous revoyons avec plaisir nos amis de l’aviation militaire. Après une excellente nuit passée sous le toit de M. Fohetti, l’aube nous surprend sur le terrain d’aviation de Timimoun et c’est de nouveau l’envol vers des cieux plus brûlants encore.

À Reggan

    À cent mètres la piste, mince ruban, déroule sous nos pieds ses lacets capricieux. Scrupuleusement nous la suivons car des exemples restés fameux nous ont appris qu’il ne fallait pas s’en écarter. Et au bruit joyeux, au chant mélodieux de ses six cylindres notre Bengali nous entraîne vers Reggan, vers un banquet auquel sont conviées de nombreuses personnalités.
    Dieu ! qu’il fait chaud. Le soleil nous écrase de ses ardents rayons... mais il n’empêche pas les noirs Ouled-Reggan de nous gratifier d’une fantasia, d’un tam-tam et d’une danse guerrière du plus bel effet — constatation en passant, le rythme de la danse guerrière pouvait faire une rumba que ne désavouerait pas le jazz Rossotti — M. Salé, le cinéaste de la mission Delaplace, en profite pour faire quelques prises de vue qui viendront, s’il en était possible encore augmenter l’intérêt du documentaire pris tout au long de la construction du phare Vuillemin.
    Une heureuse surprise nous attend à l’entrée du bordj. Mme Delaplace nous accueille. Depuis plus d’un mois elle partage avec son mari et ses collaborateurs le souffle brûlant des vents de sable et les journées interminables pendant lesquelles la langue reste accrochée au palais. Pour elle c’est du sport, du beau sport.
    Sous les ordres de M. Bauret, les boys s’activent pour préparer les quarante couverts du banquet. Ça n’est pas tous les jours que Reggan connaît une si grande affluence..., mais tout se passe très bien grâce à une glace abondante, fabriquée sur place, qui vient rafraîchir nos palais embrasés.
    De nombreux discours sont prononcés. MM. Laffargue, au nom de l’Automobile-Club de la Province d’Alger ; Bories, au nom de la Fédération Aérienne Nord-Africaine, et le général Lacolley, au nom de l’aviation militaire, félicitent MM. Viré et Faouën de leur initiative ; M. Delaplace, administrateur-délégué de Butagaz, d’avoir osé le montage d’un phare, malgré les difficultés de la tâche, en plein cœur du Tanezrouft et M. le Général Meynier, pour avoir aidé de sa haute compétence les réalisateurs de cette œuvre gigantesque.
    M. Delaplace, en termes sobres, dit toutes les difficultés qu’ont rencontré ses collaborateurs. Il dira aussi tout l’esprit de sacrifice et de volonté surhumaine que ses collaborateurs durent déployer pour supporter et venir à bout, dans un paysage de Dante, d’une construction qui permettra aux aviateurs de réaliser sans encombre les vols de nuit au-dessus du Sahara.
    Après lui le général Meynier, président du comité du Phare Vuillemin, prononce le discours suivant !

Discours du général Meynier

    Messieurs,
    Lorsque, vers le milieu de mars de cette année, notre ami M. Delaplace nous informa, par télégramme, de la mise à feu du phare de Bidon-5, nous sentîmes tous qu’un nouveau pas et d’importance, venait d’être franchi, dans la suppression virtuelle du Sahara ,en tant qu'obstacle opposé par la nature à l’union entre l’A.O.F. et l’Algérie. Il nous parut que pour célébrer cet événement capital, il ne suffirait pas d’un banquet à Alger ou à Oran chez de bons traiteurs, mais que c’était sur place à Reggan, à Bidon-5 et à Gao, qu’il était céans de rendre hommage à ceux qui venaient de réaliser un nouveau miracle français.
    Un banquet à Reggan ! un vin d’honneur à Bidon-5 ! un second banquet à Gao et le tout échelonné sur moins de trois jours, cela parut d’abord paradoxale, impossible et cependant, aujourd’hui, nous nous trouvons réunis plus de trente représentants des plus hautes autorités de la colonie, du commerce et du tourisme sportif algérien, autour de cette table de l’hôtel transsaharien de Reggan, et j’ai tout lieu d’espérer que le 15 et le 17, nous pourrons encore nous réunir en plein Tanezrouft, puis sur les bords de notre beau Niger.
    À vrai dire, cet empressement, cet enthousiasme me paraissent absolument justifiés. La création entre Oran-Alger-Constantine et Reggan-Gao, d’une vaste voie Impériale, chaque jour plus fréquentée et plus sûre, affirme mieux que tout discours, l’importance des liaisons entre les différentes parties de notre admirable Afrique française. Elle démontre tout d’abord que le Sahara occidental est pacifié. C’est pour nous une occasion de nous rappeler l’action efficace de notre ami le colonel Trinquet qui sous les ordres du général Giraud, a su mettre un point final à l’insécurité chronique du Sahara. Nous devons remercier tout particulièrement l’armée de l’Afrique du Nord et ses grands chefs : le général Huré et le général Noguès.
    Du point de vue politique, elle est une preuve de la volonté ferme qu’a la France de constituer en un empire fortement cimenté sous l’égide française, des populations de ces diverses régions.
    Enfin, s’annoncent de nouvelles possibilités, économiques pour le transport des courriers, des voyageurs, fonctionnaires, commerçants et touristes, sinon encore, pour celui des marchandises de peu de valeur.
    C’est encore et surtout l’espoir de voir s’ouvrir des voies nouvelles aux vigoureuses populations algériennes, qui, un jour sans doute prochain désireront se rendre au Soudan, pour y apporter les ressources immenses de leur expérience agricole et commerciale, et plus tard peut-être leurs capitaux et leurs enfants.
    La grande route du Niger à Oran, Alger et Constantine doit passer par ici, par ce grand axe de la France africaine dont parlait M. Gradis. L’érection du phare Vuillemin auquel se relieront six autres feux de moindre grandeur, soulignera le caractère de cette voie impériale qui le jour où elle atteindra ses prolongements naturels vers Bamako, Bobo-Dioulasso, et Cotonou du Dahomey n’aura d’égal en signification et en importance, que celle britannique du Cap au Caire.
    Dès maintenant, les automobiles circulent fréquemment par ici : voitures de tourisme, cars de transport en commun, souvent aussi véhicules des sections militaires. Les avions de la Régie, comme ceux de la Transsaharienne, et du tourisme empruntent la même voie. Pour tous, ce sera un puissant réconfort, que ce pointillé lumineux qui jalonnera du Nord au Sud, la partie la plus rude de la grande route du désert. Mais malgré les résultats obtenus, la France se doit de voir plus grand et de substituer aux pistes quelque peu primitives et précaires que les maigres budgets des Territoires du Sud ont permis seulement de réaliser, de véritables routes capables de supporter un trafic vingt fois, que dis-je, cent fois plus considérable que celui qui passe aujourd’hui.
    De cet acte de foi et en même temps d’espérance que représente l’érection d’un phare de 32 mètres de haut, à Bidon-V, il faut remercier les inventeurs et les auteurs.
    Ai-je besoin de vous rappeler, que c’est sur l’initiative de « La Dépêche Algérienne » et plus précisément celles de MM. Viré et Faouën ici présents, que fut créé à Alger, le comité d’action du Phare Vuillemin ? Aussitôt constitué, le comité reçut des dons importants de nombreux souscripteurs auxquels nous adressons d’ici un remerciement collectif. Mais surtout, et il faut lui rendre cette justice, il y eut la Société U.R.G., dite Butagaz, qui par l'entremise de M. l’Ingénieur Delaplace, s’offrit à mener à bien une entreprise jugée d’abord impraticable. Bien plus, elle nous promet de créer encore six phares secondaires, en des points où ils pourront être le plus utiles.
    Aujourd’hui la première et la plus difficile partie de la tâche est accomplie. M. Delaplace, le meneur d’hommes, comme l’appellent les membres de la vigoureuse équipe qu’il a constituée, a réussi au prix de difficultés sans nombre, que seuls les véritables Sahariens peuvent mesurer, à dresser ce phare monumental de trente mètres qui constitue presque un paradoxe et un défi aux puissances occultes du Sahara. De ceci, je dois proclamer la profonde admiration que méritent M. Delaplace et son équipe et je leur rends ici un hommage public et mérité en attendant que, un jour que j’espère proche, puisse leur être accordé un témoignage plus précieux de la reconnaissance française.
    Nos remerciements vont aussi à la Société Butagaz qui a su montrer qu’autant que tout autre elle fabrique un gaz Butane français en étendant sa générosité aux œuvres désintéressées de la pénétration saharienne.
    Ils vont aussi aux autorités représentées ici en ce jour : M. le Gouverneur général Carde dont chacun connaît les états de service saharien et qui sait conduire d’une main aussi ferme les destinées du Sahara que celles de l’Algérie. M. le Gouverneur général de l’A.O.F. et M. le Gouverneur du Soudan qui ont été toujours si accueillants aux messagers de la grande colonie voisine et enfin la presse algérienne toujours si empressée à servir les idées neuves dès le moment qu’elles s’accordent avec les intérêts du pays.
    C’est dans une chaude, une très chaude atmosphère de sympathie que prenait fin ce banquet, premier acte officiel de l’inauguration du Phare Vuillemin.

Vers Bidon V

    À 22 heures, un convoi automobile composé d’une voiture transportant MM. le capitaine Gierzynski et le lieutenant-médecin Rolland ; de deux camions automobiles transportant M. Delaplace et ses collaborateurs et la Citroën à traction avant dans laquelle se trouvaient MM. Lagarde, Viré et Laffargue, partait de Reggan pour Bidon V où il devait arriver le lendemain matin vers 10 heures après avoir roulé toute la nuit.
    Le 15 avril au matin trois « Phalène- Bengali », pilotés respectivement par MM. Monteil, Dutheriez et Bories et trois appareils militaires décollaient de l’aérodrome de Reggan pour atterrir à 9 h 20 sur le terrain d’aviation Vuillemin.

Le phare

    Le phare Vuillemin, pylône d'acier de trente-deux mètres de haut, est là nous dominant. L’idée émise par mon camarade Viré et moi-même a pris corps. Devenue une réalité, la voici tangible, tranquille et sûre de remplir efficacement la mission que nous lui avions choisie : guider de nuit sur cette immensité désertique l’aviateur qu’une dérive insoupçonnable pourrait conduire à la mort.
    Sous le soleil presqu’au zénith, le désert se peuple d’images étranges, le mirage nous fait voir de l’eau à trois cents mètres, de l’eau dans laquelle se mirent des centaines de palmiers. Sous cette chaleur, la tentation est grande d’aller se baigner... mais au fur et à mesure que vous avancez l’onde, proie insaisissable, se rit de vos efforts et s’éloigne.

Le banquet

    À midi, sous la tente, tous les convives de la veille se trouvent réunis en un banquet pantagruélique. Hors-d’œuvres variés, asperges, méchoui, petits pois sont servis. Le Butagaz est passé par là.
    Au champagne — frappé selon les règles — MM. le capitaine Gierzynski, Bories, Faouën, dirent tout le mérite qu’a cette poignée d’hommes d’avoir réussi, malgré les embûches du désert, à construire un phare d’une puissance lumineuse aussi grande que ceux des aérodromes du Bourget et de Croydon. M. Delaplace reporta tout le mérite de cette construction sur ses collaborateurs que la lourde tâche de construire un phare en plein pays de la soif n’avait pas rebutés. Une fois de plus, le général Meynier parle de l’œuvre accomplie.

Discours du général Meynier

    Messieurs,
    Nous voici donc réunis en plein Sahara, autour de ce monument qui jalonne le milieu du Tanezrouft, obstacle jugé, depuis plusieurs décades, comme absolument infranchissable par les caravaniers et les pillards sahariens les plus réputés. le phare qui se dresse ici, illuminant le désert à plusieurs dizaines de kilomètres, constitue autre chose qu’un outil technique perfectionné destiné à guider avions et automobiles à travers le plus grand désert qui soit au monde. Il a également une haute signification de symbole : il constitue un véritable acte de foi dans les hautes destinées de l’Afrique française qui s’intégrera étroitement dans la France tout court.
    Excusez-moi si cette cérémonie solennelle m’en rappelle une autre de même importance. Cela se passait le 15 novembre 1915 à Ouargla, en la présence de M. le gouverneur général Lutaud. Ce jour-là, il s'agissait de l’inauguration du premier poste de T. S. F. installé dans le Sahara et M. Lutaud voulait bien me faire l’honneur de cette introduction, résultat, disait-il, d’une persévérance que d’aucuns taxaient d’entêtement.
    N’est-ce pas un peu grâce à cet entêtement qui, recueillant une idée généreuse près de sombrer, nous vaut aujourd’hui d’inaugurer le phare Vuillemin ?
    Le Tanezrouft, après avoir été traversé jadis par une route transsaharienne fréquentée, route de l’or et des esclaves, tracée en ligne directe d’Aoulef et Ouallen à Tessalit, était complètement abandonnée par les caravanes par suite de l’assèchement des points d’eau, lorsque le capitaine Cortier, membre de la mission du Transsaharien du capitaine Nieger, en 1912, réussit, par un coup d’audace admirable, à le franchir avec un seul méhariste, entre Ouallen et Tessalit, soit plus de 800 kilomètres sans eau. Cortier avait trouvé sur sa route les vestiges funèbres de plusieurs caravanes d’esclaves anéanties par la soif et si le Tanezrouft lui avait paru de parcours relativement facile, il avait relevé sur sa route plusieurs bandes d’ergs qu’il jugeait d’un franchissement difficile.
    Aussi aucun Saharien ne croyait à la possibilité de faire traverser le Tanezrouft par des automobiles, lorsque le général Estienne, l’éminent protagoniste des chars Renault de la guerre, traça sur la carte, devant moi, d’une main qui ne tremblait pas, la route directe de Reggan à Tessalit. Il fit plus encore. Sans hésiter, il lança sur cette voie nouvelle et dangereuse ses deux fils, Georges et René Estienne, qui, du premier coup, réussirent leurs dangereuses aventures. C’est donc à juste titre que cette route sur laquelle nous sommes a mérité le nom de « route Estienne » ; d’autres l’appellent « route Gradis », du nom de l’administrateur de la société Renault qui, en 1924, à la suite d’un voyage effectué en compagnie du maréchal Franchet d’Esperey, définit le premier le grand axe de la France africaine, de l’Algérie à Cotonou du Dahomey.
    Depuis ce moment, voyages d’explorations et de grands raids se sont succédés sans arrêt. Il est juste de rappeler les exploits des voitures à chenilles Citroën qui passèrent par ici lors de la première croisière noire, ceux des six roues Renault qui conquirent le premier record de la traversée de la grande mer saharienne. Nous demandons aux représentants de la société Citroën et de la firme Renault de dire à leurs maisons : nous avons pensé en ce jour à leur œuvre de précurseurs.
    Ce furent ensuite le voyage des Chambres de Commerce d’Algérie en 1926, voyage poussé jusqu’à Bamako et Dakar ; le voyage de M. Maginot, ministre des Colonies, en 1929 ; le grand Rallye saharien de 1930, celui du général Gouraud et de M. Taittinger en 1933 et pour finir les circuits récents organisés par le T.C.F. de France que dirige avec tant d’autorité le président Edmond Chaix.
    Mais l’événement capital dont aujourd’hui le souvenir est spécialement commémoré, c’est cette seconde et admirable Croisière Noire qui, au printemps de 1933, conduisit le vol des quarante avions du général Vuillemin au-dessus de l’Afrique française tout entière. Exploit remarquable, plus important encore du point de vue politique que du point de vue technique, exploit qui montra aux yeux du monde l’importance et la bonne tenue morale de nos possessions africaines.
    Mais tout ceci est le passé. Après ce souvenir ému donné aux grands devanciers, il faut maintenant regarder vers l’avenir, à la lumière du présent.
    Sans doute, ce présent est-il déjà satisfaisant avec ses services réguliers de transport en commun que la Compagnie générale transsaharienne assure fidèlement depuis près de dix ans sous l’autorité pleine de tact de M. Bonhomme. Sans doute, de nombreux avions ont survolé le Tanezrouft d’une rive à l’autre du Sahara, et les services de la Régie Aérienne Française, ceux de la Sabéna et les avions de la Transsaharienne survolent-ils avec régularité.
    Mais il faut, d’ores et déjà, prévoir plus grand et plus large. Il faut que voyageurs, courriers, marchandises aient à leur disposition des moyens de transports amplifiés et fréquents sur une route que l’expérience démontre comme plus directe, plus rapide et aussi sûre que tout autre. Personnellement, nous voyons la solution dans la création d’un groupement en faisceaux étroits de toutes les entreprises d’État ou privées intéressées au développement des relations économiques et touristiques entre les deux rives du Sahara.
    Peut-être quelque jour considérera-t-on le système des entreprises de transports transsahariennes, qu’elles soient terrestres ou aériennes, comme constituant au même titre que tels chemins de fer d’intérêt général, des affaires nationales auxquelles l’Etat français devra donner son investiture et son appui officiel.
    C’est dans cet ordre d’idée que, chargé par M. le Gouverneur général d’une importante mission qui a pour objet le développement des relations économiques et touristiques entre l’Algérie et l’A.O.F., je me propose de diriger tous mes efforts.
    En face du phare Vuillemin, hommage rendu à l’activité désintéressée de tant d’illustres précurseurs, je vous demande de travailler avec moi à tirer de leur action, pour la prospérité de la France et de l’Afrique Française, toutes les suites qu’elle doit comporter.

L'inauguration du phare Vuillemin

    Simple mais combien émouvante fut l’inauguration de ce phare. Sous les ordres du lieutenant Monnier, une vingtaine de méharistes présentaient les armes. À quelques pas étaient massés tous ceux que n’avait pas rebuté un voyage au Sahara. Au pied du phare, MM. Delaplace, le général Meynier, le général Lacolley, entourés des collaborateurs de Butagaz et des deux promoteurs, Viré et Faouën. À quelques pas, toute rose d’émotion, malgré le hâle saharien, Mme Delaplace, marraine du phare, sacrée sultane de Bidon-V par les invités, attend la minute solennelle où elle cassera sur l’armature métallique la traditionnelle bouteille de champagne.
    Sobrement, M. Delaplace fait remise du phare à M. le général Meynier, président du Comité du phare Vuillemin, représentant M. Jules Carde, gouverneur général de l’Algérie. Puis, toujours aussi simplement, il présenta tous ses collaborateurs au général Meynier, pendant que le cinéaste Salé fixe sur la pellicule les différentes phases de cette inauguration.

Vers Gao

    Le mardi matin, automobilistes et aviateurs reprenaient le départ pour Gao, à l'exception de l’avion de l’Aéro-Club de Mostaganem et des trois appareils militaires qui s’en retournaient vers l’Algérie.
    Après cinq heures de vol au-dessus des Marcoubas — désert de sable sur lequel pousse un arbuste rabougri — le Niger et ses marigots nous apparaissent réduits à leur plus simple expression, c’est la période des basses-eaux. Gao et ses cases, plantés sur le bord du fleuve. À sept kilomètres, l’aérodrome sur lequel nous nous posons... et c’est la cordiale réception du capitaine Vigouroux et du lieutenant Hutin, de l’escadrille de Gao.

Séjour au bord du Niger

    Les pilotes et les passagers des deux avions, MM. Monteil et Duteriez ; Mme Delaplace ; MM. le général Meynier ; Goubault, inspecteur général de la Compagnie générale transsaharienne ; Faouën et Lombarde, prennent place dans un car qui les transporte rapidement vers la douche et les boissons rafraîchissantes.
    Le mercredi, vers la fin de la matinée, la Citroën toujours vaillante et ne portant pas trace de cette dure randonnée à travers les sables et les marcoubas, précédant le convoi automobile, arrive à quatre-vingts à l’heure à l’Hôtel de la Transsaharienne. Un succès est réservé à la voiture... et à ses occupants. C’est la première automobile à traction avant vue à Gao.

Le banquet officiel de Gao

    À 20 heures, toutes les personnalités marquantes de la colonie, MM. le colonel Chapsal, représentant le gouverneur général du Soudan ; l’administrateur civil ; le délégué de la Chambre de Commerce de Bamako ; Baraud et Mme ; lieutenant Hutin, etc..., et celles arrivant de Bidon V : MM. le général Meynier ; Delaplace et Mme ; Goubault, Lagarde, Viré, Lombarde, Durini, Forgeaux, Paoli, Monteil, Duchêne, Pescara, Miveclaz, etc., se réunissaient en un banquet servi dans les jardins de l’Hôtel de la Transsaharienne.
    Au dessert, M. le colonel Chapsal félicita les réalisateurs du phare Vuillemin de leur entreprise et, s’adressant tout particulièrement au général Meynier, rappela qu’à la fin du siècle passé, ce dernier traversait le désert alors qu’il était jeune officier pour conquérir et entrer dans Tombouctou la mystérieuse.
    À mon tour, je prenais la parole : « Pour la deuxième fois en quarante-huit heures, la parole m’est dévolue. J’en suis gêné, car il est plus facile pour un journaliste d’être auditeur qu’orateur ; mais il est un devoir impérieux que je me dois de remplir, au nom de mon camarade Viré et au mien : celui de la reconnaissance.
    « À Delaplace, point n’est besoin de discours, car pour un homme d’action, seuls les actes comptent ; mais qu’il me permette, dusse sa modestie en souffrir, de lui dire toute la gratitude et la reconnaissance que je lui dois pour avoir réalisé, dans un laps de temps aussi court, une idée qui m’était chère.
    « Pendant cinq mois, des hommes se sont volontairement retranchés du reste du monde pour édifier, au centre de la mer de sable, un phare qui jettera, par intermittence, sa lueur salvatrice.
    « De cela, à M. Delaplace, à ses hommes, au général Meynier, aux souscripteurs, à tous ceux qui ont contribué à cette œuvre, dont on ne dira jamais assez la grandeur, je dois un grand merci ».
    M. Delaplace, d’une voix tranquille, s’oubliant volontairement, raconta simplement comment se monta le phare, comment ses collaborateurs surmontèrent les difficultés sans nombre qui se dressaient à chaque pas et qu’il fallait résoudre.
    M. Goubault, au nom de la Transsaharienne, après avoir rappelé le raid des frères Estienne qui, les premiers, tracèrent la route saharienne et qui la balisèrent de fûts d’essence vides, félicita M. Delaplace de sa réalisation, consécration des efforts poursuivis au Sahara par les automobiles, d’abord, et les avions, ensuite, de cette compagnie.
    M. le général Meynier clôtura les discours en évoquant le glorieux passé d’hommes qui n’hésitèrent pas à se lancer à travers le terrible pays de la soif pour qu’en 1935 d’autres hommes, tout aussi résolus, puissent y édifier un phare, commencement d’une ligne de balisage lumineux, afin de resserrer les relations entre l’Afrique du Nord et l’Afrique occidentale française.
    Un tam-tam d’honneur avait été organisé, au cours duquel les meilleurs danseurs et danseuses de Gao se livrèrent à des ébats chorégraphiques aussi variés que bizarres... Une sauterie — à la mode européenne, cette fois ci — clôtura définitivement l’inauguration du phare Vuillemin à Bidon-V.

Le retour

    En deux jours et demi, forçant l’allure, le « Caudron-Phalène-Bengali » refit en sens inverse le chemin de l’aller. Sans défaillance il survola les marcoubas aux pistes nombreuses et mêlées, aux balises quasi-invisibles, et il se comporta vaillamment dans le vent de sable qui nous assaillit entre Bidon-V et Reggan, dans les rafales de vent et de pluie qui nous secouèrent comme salade en son panier entre El-Goléa et Laghouat... et hier matin, à 9 h. 15, nous nous posions sur l’aérodrome de Maison-Blanche satisfaits d’une randonnée aérienne au pays du soleil, du mirage et de la soif.
    Nous ne terminerons pas ce compte rendu sans remercier MM. Des Noyers, d’El-Goléa ; Fohetti, de Timimoun ; Mentzer, d’Adrar ; Bauret, de Reggan ; Miveclaz et Baraud, de Gao, qui nous accueillirent particulièrement bien et le lieutenant-médecin Rolland qui donna ses soins pour la guérison de blessures heureusement peu sérieuses. Nous remercierons tout particulièrement M. Estienne, directeur de la Société Algérienne des Transports Tropicaux et Goubault, inspecteur général de la Compagnie Générale Transsaharienne qui assurèrent chacun d’eux, en ce qui le concerne, notre sécurité sur les pistes.
    Une mention toute spéciale est à adresser à la Société des Avions Caudron-Renault qui mit à notre disposition un avion qui nous mena sans anicroche d’Alger à Gao et retour et au pilote Duteriez qui, à maintes reprises, nous démontra sa parfaite maîtrise du « manche à balai ».


    Hier matin, le convoi automobile a repris le chemin du retour par Timiaouïne, Bidon-V, Reggan, Adrar. De ce point, les camions Butagaz remonteront vers Colomb-Béchar tandis que la Citroën à traction avant, pilotée par M. Lagarde et transportant MM. Viré et Laffargue, reviendra par El-Goléa et Laghouat.

 

R. FAOUËN.

À voir : Naissance de Bidon V par Georges ESTIENNE