Jean-Pierre DUQUERROY

appelé du contingent 65 1/A
71ème Bataillon du Génie à Colomb-Béchar

 

 

Le récit, les photos et les légendes sont de Jean-Pierre DUQUERROY

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L’ÉPOPÉE D’UN SAPEUR-MINEUR DU GÉNIE AU SAHARA
« AVOIR 20 ANS DANS LA HAMADA »

          « Je suis arrivé un beau matin du mois de janvier » (1965, le 6 pour être plus précis). C’était à Avignon, jolie ville du Vaucluse, célèbre pour son pont, ses papes et leur palais… et son régiment du Génie, le 7ème. (CIG 7), caserne Chabran.

           Dès mon arrivée, après la perception du paquetage réglementaire, je savais que j’étais un « EGE AFN », en clair : élève gradé d’encadrement, afrique du nord.

          Affecté à la 3ème compagnie, sous les ordres de l’adjudant-chef JULIAN (quel homme !), nous avons eu droit au tir, à la marche, aux défilés, aux prises d’armes, aux grenades, aux explosifs, (on nous a appris à tout faire sauter !) à la navigation et bien sûr au pontage. Et croyez-moi, l’eau du Rhône en février est très froide : j’en ai fait la triste expérience.
Les ponts n’ont plus aucun secret : Bailey, M2, M4 (sur flotteurs et sur chevalets), portières : tous y sont passés. Il fallait également monter la garde, à la caserne et au dépôt de munitions.
Et puis est arrivé le grand jour : Direction Marseille, le Camp Sainte-Marthe, et l’embarquement sur le paquebot « El Djezaïr ». Comme dit la chanson, « quand on a vu le quai s’éloigner s’éloigner, y en a qui n’ont pas pu s’empêcher de pleurer ». Une nuit de tempête à fond de cale dans des transats : quel confort ! Heureusement (si l’on peut dire) j’ai pu passer une partie de la traversée dans la cabine du médecin du bord. En effet, lors de ma permission de détente, je m’étais ouvert le bras et j’ai profité de la traversée pour demander l’ablation des fils. Et ce fut l’arrivée dans un joli port : Oran. C’était le 19 juin 1965 ; souvenez-vous, un certain Boumediene venait de renverser le gouvernement Algérien !  Qu’allait-il faire de nous ?


Mers el-Kébir
La base vue depuis le DATIK

Après une nuit au DATIK à Kébir (remarquable par ses punaises plutôt que par ses étoiles), retour à Oran pour prendre le train. Dans la soirée, arrivée à Perrégaux (aujourd’hui Mohammadia). Là, les insurgés et les troupes régulières se tirent encore dessus. À la nuit tombée, nous embarquons sur « la Rafale » : train bien connu de nombreux bidasses sahariens : banquettes en bois et WC à la turque. Enfin, vers midi le lendemain, nous arrivons à Béchar (Colomb-Béchar). Direction le camp Hufschmidt (je ne garantis pas l’orthographe) casernement du 71ème Bataillon du Génie (Regroupement de 2 anciennes compagnies sahariennes : la 3ème CSG et la 122ème CTGS) commandé par le Chef de Bataillon ARRIGHI. Nous y resterons consignés 1 mois car nous ne savions pas quelle décision prendrait le nouveau gouvernement algérien. J’étais à la 2ème compagnie, dont le commandant était le capitaine OUALID (un chic type).


Insigne du 71ème BG

J’avais déjà mon affectation : le SMT, PC du Bataillon sous le commandement du capitaine VILAIN, un officier super ! Je ne l’ai salué qu’une fois lors de mon arrivée ; après c’était la poignée de main.
L’effectif du bureau : 1 capitaine, 1 lieutenant, 1 adjudant-chef, 1 adjudant, 1 caporal-chef, 1 caporal, et un chauffeur. À part la chaleur, le boulot était supportable : la gestion du matériel du Bataillon, de la 2 CV au TBO, en passant par les scrapers, CR8, niveleuses, rouleaux compresseurs, GLR, GBC, GBO, Unimog, le tout réparti de Béchar à In Amguel !!! Nous avions également la gestion du matériel de l’OS (organisme saharien) ancien OCRS.
Malheureusement, après quelques jours, j’ai attrapé une angine compliquée de rhumatismes articulaires aigus : hôpital, aspirine et pénicilline avec infirmière militaire garantie d’origine (elle avait dû faire l’Indo ?). Pas très bon pour le moral. À l’hôpital, il y avait vraiment de tout : civils et militaires, adultes et enfants. Ce sont eux qui m’ont le plus frappé : beaucoup avaient des membres en moins ; pieds ou jambes, mains ou bras, sans parler des multiples plaies sur le tout le corps. Pourquoi ?
Je l’ai vite appris . Toutes ces mutilations étaient le résultat de rencontres avec des mines !!! Toutes celles que nos prédécesseurs avaient posées dans les barrages de la frontière algéro-marocaine. Beaucoup d’entre-elles ont été emportées par les oueds et se baladaient très loin de leur emplacement d’origine. Peut-être en traîne-t-il encore dans les environs ?
Enfin, sorti de l’hosto, j’ai pu me balader dans Béchar. Notre camp n’était pas loin, juste après la Barga sur la route du CIEES, avant le passage à niveau.
Ceci dit, nous en avions vite fait le tour : la palmeraie, la place des chameaux et… Fifine (inutile de vous préciser l’adresse).
Le train-train quotidien, quoi !

 

Béchar

Préfecture de la Saoura
Le vieux Béchar
La palmeraie

Entrée du mess
sous-officiers
Livraison de légumes au mess
Camp près du
mess sous-off
(quelle arme ?)
Place d’armes
compagnie 71/2

Le comité d’accueil
Hôtel Transat
La Barga
Monument
3ème CSG (71:2)

Les
couleurs 71/2
Match de football
Génie-Légion
Notre mascotte

La Quille (trou de mémoire)
sauf le gars en chemise : WEBER


L’été est vite passé et puis et arrivé l’automne avec les pluies et la crue des oueds. D’aucun ont entendu parler d’Abadla et de l’oued Guir avec son pont Bailey.
Des milliers de mètres cube de pierres enlevées aux collines environnantes à coup d’explosifs. Des pieux enfoncés à 25 mètres sous terre pour soutenir les futurs appuis du pont. Tous ces travaux se sont ajoutés à ceux de l’entretien des pistes : RTO (rabotage de tôle ondulée) avec des pneus et des pistes d’aviation de Béchar et des bases du sud.


Abadla

Carrière
Application des
cours d’explosifs !
Il fallait pas caler !

T’as vu le caillou !
La passerelle
Coucher de soleil sur l’oued Guir

L'oued Béchar
(à sec)
Sonnette de battage

Premiers travaux, faut boucher le trou

Les géomètres les
pieds dans l’eau
Abadla vu de
l’oued Guir
Le pont terminé
(côté Béchar) :
pas large pour un GBO

La digue (accès ouest)
L’oued Guir (à sec)
vers le sud
Le Pont


Pendant ce temps, il n’y a plus grand monde à Béchar. Et ceux qui restent travaillent presque jour et nuit, un jour sur deux : la nuit à la garde et le jour au boulot . En plus du camp, il faut aller monter la garde au mess de garnison.
Une nuit, alors que j’étais de garde au mirador derrière l’atelier et la station service du 71ème, j’ai eu la plus grosse trouille de ma vie : un bruit de pas et de fil de fer. Nuit sans lune, projecteur en panne, tout pour l’ambiance.
J’arme mon MAS et fait les sommations réglementaires mais plus rien. Le lendemain, comme c’était l’usage, je fais mon rapport au chef de poste et à l’adjudant de compagnie qui me prend pour un rigolo et me traite de trouillard. Après une visite de la clôture, nous constatons un trou d’un mètre dans le grillage et les barbelés à dix mètres du mirador !! La proximité de l’atelier attirait bien des convoitises : pneus, boites à outils, huile, carburant : tout était bon à piquer et à revendre.
Puis ce furent les journées d’hiver, 40° le jour et la nuit le mercure descendait en dessous de 0°. On apercevait la neige au sommet du djebel Béchar. J’appréciai la capote sur le treillis les nuits de garde, quand il n’y avait pas dessous un survêtement, un pull et quelques fois une quatrième épaisseur.

          Quelques mois m’ont permis d’acquérir des galons : cabot chef. Plus d’emme…. que d’avantages : sergent de semaine, garde comme chef de poste, tenue impeccable bien sûr. Cela ne m’a pas empêché de choper de la salle de police pour ne pas avoir porté mes galons (l’adjudant de compagnie, toujours lui, nous n’avions pas d’atomes crochus). Mais la tôle, située derrière le poste de garde ne fermait que par une serrure. Si on ne la fermait qu’à un tour, il suffisait de pousser bien fort pour sortir et aller dormir dans son lit !!! (Les sous-off. appelés connaissaient le truc et ne fermaient jamais à 2 tours).

          À part quelques balades autour de Béchar en Land Rover, piscine au CIEES, je n’ai pas beaucoup bougé. Destruction de munitions, reversement de matériel au parc du génie ou à la compagnie du matériel. Abadla pour les vérifications de nos « outils de travail autour du pont et … B2 Namous pour convoyer du matériel de forage. Quelle balade !!
Partis de Béchar tôt le matin avec un GBC cargo rempli jusqu’en haut des ridelles. Nous n’avons pas dépassé Béni-Ounif : le moteur nous avait lâché ! On nous envoie un nouveau GBC qui sortait de révision : moteur, peinture et pneus : on l’aurait crû sortir de chez Berliet, un bijou !! Arrivés au poste de garde de B2, le planton de faction dit au chauffeur : « Bébert, tu vas perdre une roue ! » Effectivement, les roues n’avaient pas été resserrées et la roue arrière gauche ne tenait plus que par deux écrous . Bien sûr, le tambour était naze. Il a fallu tout démonter. Deuxième problème : lors du remontage, Bébert avait oublié de remettre le demi arbre en place... deuxième démontage. Le retour sur Béchar s’est fait en partie de nuit après avoir décollé des six roues sur la piste. Tout s’est ouvert : les ridelles, les portes, le capot moteur. C’est solide un GBC !!!


B2 Namous

Première panne
La hamada entre B2 Namous et Beni Ounif

La réparation :
Albert MANGUINE dans le cambouis !

La piscine et
la Base vie
La place d’armes
Monument B2 (?)

Les restes des barrages :
attention danger ! MINES

           Petite remarque sur Bébert. Il avait déjà fréquenté B2 comme convoyeur de munitions sur les sites de tir. Un matin, surpris de ne pas retrouver son Dodge, quel ne fut pas son étonnement de s’entendre dire qu’on l’avait détruit : il était contaminé. J’espère que Bébert ne l’était pas : je ne l’ai jamais revu, ni à Béchar ni dans le civil. C’est vrai qu’il était Niçois et moi d’Argenteuil.


Béchar : matériel

TBO et GBO de l’OS *
Pousseur CR8
CONTINENTAL
Moi
TBO et niveleuse :
départ chantier
* TBO & GBO : j’ai retrouvé sur la page de Jean-Pierre PLANQUAIS le même camion avec sa remorque
(immatriculation civile de l’OS. L 414 AF) étonnant non ! mais sans capot moteur et sans calandre.

Une partie du parc du 71ème BG
TBO et GBO
et X & Y
(trou de mémoire)

Le DIPLODOCUS,
engin poseur de ponts ferroviaires du 5ème RG,
exemplaire unique au monde
De retour dans la vie civile, j’ai travaillé dans une entreprise de TP spécialisée dans les travaux de voie ferrée.
J’y ai retrouvé des militaires du Génie de Versailles qui servaient l’engin ci-dessus et qui avaient travaillé
sous les ordres d’un adjudant que j’avais connu à Béchar, au SMT du 71ème BG : le monde est petit !
Pour plus d’infos concernant cet engin, aller sur le site du 5ème RG,
Régiment dissous le 10 juin 2010 : http://patrimoine5rg.free.fr/ferroviaire/wagon/diplodocus.html


           Petit à petit, après avoir ingurgité quelques centaines de litres de Kro, j’y suis arrivé. À la quille bien sûr ! Avec un peu de retard (la Rafale était en panne) j’ai quitté Béchar en Nord 2501 par un vent de sable à ne pas tenir en l’air le 22 mars.
Après quelques trous d’air, nous avons rallié Bou Sfer et puis Istres dans la soirée. À Marseille nous avons sauté dans le premier train mais comme il allait sur Strasbourg, nous sommes descendus à Dijon pour en prendre un autre venant de Suisse.
En attendant, nous avons occupé le buffet.
Là, j’ai enfin pu sortir « Moustache » de sa boite. Moustache c’était un magnifique lézard des sables (uromastyx ou dob) d’une quarantaine de centimètres de long. Mais il y avait à côté de nous un couple avec un boxer attaché au pied de la table. À la vue de la bête, le chien a détalé en emportant la table jusque sur le quai. Ses maîtres n’avaient pas vu Moustache, je l’ai vite remis dans mon sac et ne l’ai ressorti qu’en arrivant chez moi. (Il y a vécu quelques années en bouffant toutes les plantes grasses de ma mère. Il dormait sous le radiateur et dès qu’il entrait quelqu’un dans la maison, il se précipitait à la porte pour lécher les pompes du nouvel arrivant. Quelle surprise pour celui ou celle qui ne connaissait pas la bête !!)
Arrivé à Paris le 23 mars, il neigeait : quel dépaysement !! Il a fallu enfiler la capote, c’était la tenue de rigueur à cette période de l’année.


           La boucle était bouclée. Retour à la vie civile le 30 avril 1966.

           Après quelques années à Argenteuil et Les Mureaux, j’ai déménagé pour Poitiers où j’habite toujours. En retraite depuis 2006.

           Mon épouse et moi avons cinq enfants à nous deux (remariage) quatre fils et une fille et cinq petits enfants : deux filles et trois garçons.

Avec Léonce. l'un de
mes petits-enfants


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À Marc HANTZALIS (qui nous a quittés)
À Michel KIEFFER
À Michel KAUDY
À Michel AIN
À Albert MANGUINE (le « Bébert » de B2 que je viens de retrouver : il est toujours vivant ! les gaz ne l’avaient que peu contaminé).
À SAILLY, l’armurier, que j’ai mis en tôle le jour de nos 20 ans (il était monté sur le capot du Land Rover du lieutenant, adjoint au Cdt de compagnie, et lui faisait les essuie-glaces).


Et à tous les autres dont je ne me rappelle pas les noms, mais qui je le pense se retrouveront à travers ces quelques lignes, qu’ils soient simples appelés, sous-officiers ou officiers (il y en avait des biens !). Dans le Génie, ils étaient plus techniciens que militaires.

J’en garde un souvenir impérissable, même si, dit-on, 20 ans c’est le plus bel âge, et que l’on en a fait cadeau à la France.

J’espère que je ne vous ai pas trop ennuyé avec ces quelques lignes.