Sur les traces de la Légion au Sahara

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Nous avions, dans notre numéro 201, reproduit une carte Michelin sur laquelle était indiquée la nouvelle implantation du 4ème R.E.I. Au bas du cliché, un simple nom : « Poste Weygand – Balise 250 ». Nous sommes heureux de constater que certains lecteurs « épluchent » attentivement notre revue. Car le colonel Miron d’Aussy, ancien du 1er R.E.C., tout en revendiquant la paternité de cet humble point qui fit partie de l’Empire français, nous ouvre une page peu connue de l’histoire légionnaire.
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Le poste d’Ouallen perdu dans les sables

    EN 1932, le Régiment Étranger de Cavalerie est en grande partie stationné au Maroc ou sur les confins algéro-marocains. Quatre escadrons sur six parcourent sans cesse des pistes précaires, prêtent leur soutien aux unités engagées dans l’Atlas, reconnaissent les itinéraires loin vers le Sud. C’est précisément cette dernière tâche qui est confiée au 6ème escadron, dont l’un des pelotons est détaché à Taghit en ce début d’année. Le lieutenant Miron d’Aussy vient d’en prendre le commandement.

    Tandis que les autres pelotons, dont celui que commande le lieutenant Weygand, vont opérer dans le Tafilalet, une mission très particulière sera confiée au « peloton Miron » : d’une part se tenir prêt à poursuivre et à intercepter les djichs que l’opération en cours risque de pousser vers le Tidikelt ou le Hoggar, d’autre part poursuivre les reconnaissances vers le Sud, tout en assurant la sécurité des missions civiles qui opèrent dans les environs.

    Les environs… c’est une énorme surface, pas trop bien délimitée, dont quelques chiffres suffisent à donner une idée imprécise : Taghit, d’où l’on partira, est situé à une centaine de kilomètres de Colomb-Béchar. En somme, la proche banlieue, Reggan, limite nord de la mission, n’en est qu’à… 815 kilomètres. Une promenade de santé. Ouallen, base avancée, en est à 1 135. Quant à la limite sud, ce sera la frontière du Niger…

    Dans cette immensité, 8 véhicules vont s’aventurer, parcourant 25 270 kilomètres… On reste confondu devant de tels chiffres, à cette époque.

    Donc, le dimanche 20 mars 1932, le Peloton Miron quitte Béchar où depuis cinq jours il vient de réviser son matériel. Ce matériel, ce sont trois voitures blindées Panhard X 46 et cinq camionnettes Laffly L.C.2, le tout chargé au maximum d’essence, de vivres, de pièces détachées et… de légionnaires.

    Douze heures de mauvaise piste, et le tout se regroupe à Beni-Abbès, après 250 kilomètres de parcours mouvementé. Seuls incidents : deux amortisseurs cassés. Réparation banale que les mécaniciens du peloton effectuent avec d’autant de facilité que votre garagiste change actuellement votre roue crevée…

    Le lendemain, le peloton se trouve à 400 kilomètres de son point de départ. Cette fois, les dégâts sont plus sérieux et les spécialistes s’affaireront une bonne partie de la nuit pour démonter le moteur d’une Panhard et changer son disque d’embrayage. Adrar sera atteint sans autre incident. On y restera deux jours, profitant de l’atelier du bordj Citroën pour remettre le matériel en état.

    25 mars. Étape Adrar – Reggan : 16 heures de route pour 150 kilomètres. Une Panhard, toujours la même, déclare presque forfait. Ce sont cette fois les biellettes, pistons et chemises qui doivent être remplacés. Mais rien n’y fait : le 27, ce malheureux devra être abandonné – déshabillé et désarmé – à 20 kilomètres du départ…

    Enfin le 26, le Tanezrouft est atteint. Il faudra douze heures pour traverser ces 220 kilomètres de sable et d’hamada, sous un soleil de plomb. Mais la journée n’est pas terminée : c’est seulement à 21 heures, alors que l’on roule depuis 7 heures du matin, que le bivouac est établi à 20 kilomètres au-delà du carrefour situé à 250 kilomètres de Reggan, d’où part une bretelle rejoignant le point d’eau d’Ouallen. Ce carrefour… c’est un simple bidon de 200 litres abandonné en plein désert, mais bien visible, et qui indique approximativement l’endroit où l’on doit changer de cap. En somme un amer perdu dans l’océan des sables. C’est la « balise Miron », qui deviendra le « poste Miron »…

    Le 29 mars, enfin, le peloton atteint Ouallen, après une courte mais difficile étape de 69 kilomètres. Seul attrait du lieu, outre quelques arbustes rachitiques, un puits qui débite une véritable richesse : 400 litres d’eau par jour !

    Deux journées pénibles suffiront à remettre les véhicules en état de marche. Cette fois-ci, les camionnettes se sont mises de la partie et le joint de culasse de l’une d’elles doit être changé.

    Et l’on repart… Les sept véhicules qui restent en course sont chargés, outre les vivres et les bagages, de 1 800 litres d’eau, de 3 000 litres d’essence auto et de 600 litres d’essence avion. On attend donc de la visite… De fait, le lieutenant-colonel Trinquet, commandant le Territoire, vient se poser avec trois avions à proximité du bivouac établi au kilomètre 370 de Reggan. Peut-être est-ce là que va se dérouler la première opération combinée de l’histoire saharienne…

    Tandis que trois véhicules partent à l’aube du 2 avril vers « Bidon V » (140 km !) et qu’un groupe est laissé à la garde des réserves d’eau et d’essence, une Panhard et une Laffly vont accompagner le commandant du Territoire dans une reconnaissance vers l’Ouest…

    Le reste de cette mission sera sans histoire et se terminera par le dépannage d’une mission chargée de « l’étude des carburants indigènes », ancêtre de nos modernes prospecteurs d’hydrocarbures. Deux voitures sont en panne… quelque part. L’une devra être remorquée, durant 11 heures, sur 90 kilomètres de dunes… Elle était chargée de 2 800 kilos de matériel divers ! Quant à l’autre, son pont arrière est cassé – infime détail – mais elle se retrouve à quelque… 490 kilomètres de la première ! Cinq jours plus tard, elle pourra reprendre sa route, réparations effectuées, vers Gao.

    Le point extrême atteint de ce fait vers le sud aura été le kilomètre 580 sud de Reggan, 70 kilomètres sud du fameux « Bidon V » dont le gardien – car il y en a un, perdu dans cette immensité où passent quelques avions par mois et une voiture par semaine… en moyenne – n’en reviendra pas sans doute de voir pour la première fois des légionnaires. Il recevra d’ailleurs, en guise de présent de bienvenue, un inestimable bidon de 20 litres d’eau.

    Le 16 mai, après 55 jours de pistes informes, de dunes, d’erg, de hamada, de pannes, de chaleur accablante, le peloton au complet – la Panhard éprouvée ayant été entre temps réparée à Reggan – rentrera à Béchar…

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    On s’imagine sans peine quelle endurance, devait être celle des équipages de ces engins qui nous semblent quelque peu démodés pour supporter pareille aventure. Quelles devaient être aussi les connaissances de toute sorte de leurs chefs ; navigation saharienne – on voyage, et l’on trace les itinéraires à la boussole et au compteur ; et cela avec des erreurs infimes – mécaniques surtout car il faut se débrouiller seul, loin de tout et avec les moyens du bord.

    Mais le lieutenant Miron d’Aussy, tout comme d’ailleurs son sous-officier adjoint le maréchal des logis Hamelin, possédait semble-t-il le génie de la mécanique, l’amour du record, l’idéal du sportif, l’endurance des champions : en 1938, il dirigea sur l’autodrome de Montlhéry une équipe militaire qui devait établir ou battre seize records mondiaux sur une motocyclette de 750 cm3 de cylindrée ! Sans doute l’expérience saharienne de 1932 n’était pas étrangère à cet étonnant succès…

 

Texte : sergent H. – Documents et photos appartenant au colonel Miron d’Aussy




Le général Rollet et le capitaine Miron d’Aussy à Colomb-Béchar en 1934


Panhard blindée X 46 du VI/1er R.E.C. à Ouallem – Mai 1933


Renault Vivastella – Type Sahara – à Reggan – Mai 1933


Camionnette Laffly L.C.2 – 1933

 

Source :

Képi blanc
La vie de la Légion Étrangère
n° 203 – Mars 1964