LA RAHLA (Amicale des Sahariens)
Le Saharien n° 96 - Mars 1986
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

HISTOIRE

La radio militaire au Sahara

 

 


Ce titre est celui d’un chapitre de l’« Histoire des télégraphistes coloniaux », écrit en 1954 par notre ami le colonel Jean d’Arbaumont. Ce livre est consacré aux militaires des Troupes coloniales (autrefois et aujourd’hui : Troupe de Marine) spécialistes des moyens qui ont varié à travers les âges : télégraphie électrique (avec fil), optique et sans fil (radiotélégraphie), etc...
Ce texte ne traite donc, pour la période 1910-1954, que des radio-télégraphistes de ces troupes opérant dans la partie saharienne des anciens territoires de l’Afrique occidentale française (A.O.F.) et Afrique équatoriale française (A.E.F.).
Souhaitons que bientôt nous puissions lire aussi un article sur l’évolution de la radio militaire dans les parties algériennes et tunisiennes du Sahara.
« Ce jour-là, en revenant vers le poste, Maxence admirait, au-dessus des gravats desséchés de la presqu’île, les quatre grands pylônes de la télégraphie sans fil. Il se considérait, Français, hautement possesseur de ce sol, et au-delà, par ces mâtures métalliques recueillant les nouvelles du monde, il prenait mesure de toute la terre. Et, dans l’enivrement de cette incomparable royauté : « Venez... » dit-il aux Maures. Des étincelles remplissaient l’espace d’une petite pièce vitrée où l’on percevait la confusion ordonnée des fils dans des tremblements de cuivre. Sous un hangar voisin, un moteur battait le sol et le bruit sourd parti de là se mêlait aux détonations formidables de la lumière.
« - Voyez, disait Maxence aux soldats, quelle est la folie des Maures qui veulent résister aux Français. Est-il à travers le monde une puissance comparable à la nôtre ?...
« Et c’est alors que fut dite – d’une voix douce et lointaine-la conclusion :

« - Oui, vous autres Français, vous avez le royaume de la terre, mais nous, les Maures, nous avons le royaume du ciel...

« Maxence regarde Sidia, la souffrance aiguë le saisit, un « Oh ! » s’étouffe sur ses lèvres. Mais à quoi bon répondre, et que répondre ?...

« Ainsi par sa T.S.F., Port-Etienne entrait dans la littérature, car vous avez reconnu là un passage du Voyage du Centurion du méhariste Psichari.

À vrai dire, la station de T.S.F., une des deux premières (avec Rufisque) construite en A.O.F., la première construite au Sahara - elle fut terminée au début de 1910 par le capitaine Poincelet de l’Infanterie Coloniale - n’était initialement saharienne que par sa position géographique ; elle constituait un maillon du réseau côtier, destiné à la protection de la navigation et au trafic poste à poste. C’était un poste de 10 kW, assez puissant, à étincelles, Psichari l’a bien noté, dont le matériel avait été étudié en France par le capitaine Vivet de l’Infanterie Coloniale, pionnier de la T.S.F. en A.O.F.

Mais son trafic devint saharien lorsque furent mis en service, le 3 mars 1914, les postes d’Atar et de Chinguetti, construits par le capitaine Brossier de l’Artillerie Coloniale, ce qui supprimait les longs délais d’acheminement des télégrammes que la colonne d’occupation de l’Atar, toujours en opérations, adressait à Saint-Louis.

Le poste de Port-Etienne vit son importance accrue avec l’extension de la guerre sous-marine ; la sécurité du secteur compris entre Dakar et Casablanca dépendait de la vigilance des Télégraphistes Coloniaux en service au poste et en 1918 le Ministre de la Marine sanctionna leur dévouement par une lettre de félicitations.

Le premier réseau dense de T.S.F. fut celui du Tchad. Il est important, car il répondait à une nécessité impérieuse et eut rapidement un rôle militaire actif et aussi parce qu’il marque un tournant dans la technique des transmissions : en effet, la radio prenait ainsi la place de la télégraphie et, pour la première fois, on expérimentait, pour un emploi permanent, le comportement des ondes au-dessus d’une surface entièrement continentale, les liaisons réalisées jusque-là en T.S.F. étant surtout marines et côtières.

En 1911, le Capitaine Lancrenon, de l’Artillerie Coloniale, entreprenait dans des conditions magnifiques la construction de la ligne télégraphique de Fort-Archambault à Fort-Lamy et il effectuait la reconnaissance et le jalonnement de la ligne de Fort-Lamy à N’Guigmi, qui devait souder les deux réseaux d’A.O.F. et d’A.E.F. ; les crédits de construction étaient obtenus. Mais le capitaine Brenot, adjoint du futur général Ferrié et conseiller de Messimy, ministre des Colonies, suggéra à ce dernier d’utiliser les crédits de la ligne télégraphique à la construction d’un réseau radioélectrique de six postes aisément transportables allant de N’Guigmi à Abéché. Ce projet, provoqué par l’émotion ressentie à la suite des événements de 1910 relatés plus loin, fut accepté en août 1911 et le capitaine Chaulard, de l’Artillerie Coloniale qui avait fait ses preuves de technicien averti de la T.S.F. à Madagascar, fut chargé de sa réalisation; cela ne fut pas d’ailleurs sans causer un cruel désappointement au « filiste » Lancrenon, qui pourtant, spontanément, « s’inclina devant le progrès et admira sans réserve ».

Mais nous reviendrons plus loin sur le réseau de T.S.F. du Tchad, qui poussa rapidement ses antennes jusqu’à Arada et Ounianga. Le troisième point d’ancrage de la T.S.F. est Tombouctou ou plutôt Kabara. Il s’agit là d’une grosse station de 150 kW. qui devait faire partie du grand réseau colonial conçu par le général Ferrié. Le capitaine Rinn, de l’Artillerie Coloniale, fut chargé de la monter et c’est en faisant débroussailler le terrain qu’il fut grièvement blessé par un lion. Mais la guerre survint et une partie du matériel destiné à Kabara fut utilisé à Bucarest. Toutefois, un poste de 10 kW. fut prévu pour communiquer avec les postes sahariens en projet.

Le développement de la radio au Sahara nigérien fut lié à la situation militaire créée par la révolte des Touareg en 1915 et aux attaques sénoussistes contre les postes du Sahara algérien et Agadès en 1916.

Ce fut le capitaine Poucet, de l’Artillerie Coloniale, ancien adjoint du capitaine Chaulard au réseau du Tchad, qui monta les postes de Kabara (février 1917) 1, de Zinder (octobre 1917) 2, Bilma (juin 1918) et Agadès (février 1918), un poste était prévu pour Bardai, mais la garnison ayant été évacuée en 1917, il ne fut pas mis en place. Le poste de Zinder, remplacé par un autre plus puissant, fut transféré à Tahoua (avril 1919).
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1 La liaison est prise avec In Salah en avril 1917.
2 Le capitaine Poucet avait-il lu Psichari quand il fit visiter le poste au Sultan de Zinder et cherchait-il à provoquer de sa part des réaction métaphysiques ? Un témoin raconte que le Sultan fut surpris, réfléchit et dit : « Allah est grand ! », puis qu’un « griot » de sa suite affirma : « Allah n’est pour rien dans cette chose, ce n’est que « manière de blancs ».

Ces postes du Niger, de 2 ou 5 kW. avaient été mis au point au début de 1917 à Issy-les- Moulineaux et à la Tour-Eiffel, ils étaient servis par une vingtaine de télégraphistes, constituant ce que l’on appela initialement la « Mission du Tibesti » ; beaucoup moururent de bilieuse et il fallut les remplacer en instruisant des Africains, dont certains devinrent de bons opérateurs.

Fut construit en outre le poste de Kidal.

Ainsi le général Laperrine, qui exerça de 1917 à 1919 le commandement temporaire des territoires sahariens, disposa d’un moyen de commandement efficace (un poste de 10 kW. à arc avait été créé à Colomb-Béchar en février 1917 et d’autres postes mis en place en différents points du Sahara algérien par le capitaine du Génie Provotelle).

Après la guerre, une station puissante était créée à Bamako 3 pour reprendre le rôle imparti à Tombouctou, le réseau fixe saharien se développait lentement. Araouan était doté d’un poste en 1926 par le lieutenant Lavielle ; les perfectionnements techniques augmentaient le rendement et en particulier l’emploi des lampes triodes apporta un soulagement aux opérateurs par une amélioration considérable des conditions de travail et une forte diminution du niveau de parasites.
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3 Déjà doté en 1918 par le capitaine Pincemin d’un poste provisoire de 10 kW.

Ainsi, dans cette même année 1926, le nouveau poste à ondes courtes de Kidal (sergent-major Pochet) obtenait la liaison directe avec Rufisque, Ouargla et Bilma.

Dans les années suivantes, dans le cadre du programme de mise en place des postes à ondes courtes, les Inspecteurs du Réseau Radio de l’A.O.F. (capitaine Staut, Mavel) remplaçaient les anciens postes et en installaient de nouveaux à Nouakchott, Akjoujt et Nioro.

Les stations fixes du réseau fédéral étaient civiles, le personnel, télégraphiste colonial à l’origine, fut progressivement remplacé par des opérateurs civils, qui étaient d’ailleurs assez souvent d’anciens marins ou d’anciens télégraphistes.

Les stations fixes purement militaires furent montées à partir de 1933 ; d’abord à Ras-el-Ma (ouest de Tombouctou), qui ne fonctionnait que pendant la saison fraîche, puis à Fort- Gouraud, nouvellement créé, d’une façon permanente. Enfin, en 1935-36 fut réalisé un réseau important dans le détail duquel nous ne rentrerons que pour signaler qu’en A.E.F. il fut poussé au Tibesti jusqu’à Zouar, Wour et Bardai et qu’il était particulièrement dense en Mauritanie.

Certes, les postes fixes rendaient des services appréciables, mais la sécurité du Sahara reposait essentiellement sur l’action des formations méharistes, les groupes nomades qui ne pouvaient être alertés que par des courriers à chameau. Il fallut un temps assez long pour réaliser un poste aisément transportable à chameau, héritier des véritables usines que constituaient les postes de T.S.F. de l’époque héroïque.

La T.S.F. fut employée par les méharistes pour la première fois au cours de la reconnaissance de l’hiver 1920-21 dirigée par le commandant Lauzanne, qui, partie de Rallaouïa, devait faire liaison à el Kseib du Hank avec les méharistes algériens du capitaine Augieras. Certes, il ne s’agissait que de réception. Le poste avait été construit par le personnel de la station d’Atar ; le matériel (boîte de réception et antenne en parapluie à six brins) pesait déjà 70 kilogrammes et constituait la charge d’un chameau. Atar passait toutes les nuits les signaux horaires de la Tour Eiffel utilisés pour déterminer la longitude et les renseignements d’ordre politique intéressant la reconnaissance. La réception fut très bonne, y compris sur la portion la plus éloignée de l’itinéraire, d’el Mzerreb à el Aïoun-abd-el-Malek. Une seule difficulté technique se révéla : la prise de terre, que, faute d’eau et aussi d’un peu de compétence, l’on dut rechercher quelquefois dans l’urinoir collectif !

Pour disposer à la fois de l’émission et de la réception, le lieutenant Raynal envisageait en 1924 l’emploi d’autochenilles dans les pelotons méharistes, c’est dire que le problème de l’encombrement n’était pas encore réglé.

Nomades, sinon méharistes, deux postes récepteurs avec cadres furent utilisés en 1922-23 par la mission de délimitation, entre l’A.E.F. et le Soudan Anglo-Egyptien, qui opéra jusqu’en Ennedi sous les ordres du lieutenant-colonel Grossard.

Ce ne fut qu’en 1928 que les groupes nomades d’Atar et de Chinguetti disposèrent de postes ER 13, employés en France dans les P.C. des grandes unités. Mais ces postes de faible portée, utilisant des mâts de 26 mètres ou des cerfs-volants, nécessitaient un nombre important de chameaux. Pourtant un tel poste servi par le sergent Penneneach participa à la liaison faite par le G.N. d’Atar le 8 janvier 1929 avec la Compagnie Saharienne du Touat du lieutenant Flye Sainte-Marie.

La solution ne fut vraiment trouvée que lorsque les postes ER 26 à ondes décamétriques, transportables en deux charges furent attribués aux groupes nomades et leur service bien adapté à leurs conditions d’emploi.

Les premiers furent mis en place en 1929-30. D’emblée ils donnèrent d’excellents résultats 4, mais le matériel souffrit rapidement d’usure due à un service très rude et les pièces de rechange fournies théoriquement pour deux ans manquèrent juste à l’époque d’une période de recrudescence des rezzous. Il était urgent de faire rétablir les liaisons interrompues en procurant aux opérateurs les moyens matériels nécessaires.
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4 En 1933, une liaison de 1 500 kilomètres put être établie entre les groupes nomades de Timetrin et de N’Guigmi.

 

Le lieutenant Meilheurat, le « Petit Lieutenant », cher au cœur des Télégraphistes Coloniaux de son détachement, fut chargé en fin 1931 de cette mission et son action fut couronnée de succès.


Il était temps.

Le commandement qui, avec le général Freydenberg, commandant supérieur, et le colonel de Boisboissel, son chef d’État-Major, avait obtenu l’extension du détachement de Télégraphistes Coloniaux, put enfin utiliser à plein la mobilité de ses groupes nomades en exploitant à temps des renseignements frais par des actions directes ou convergentes contre les rezzous toujours actifs au Soudan et en Mauritanie. La machine était bien rodée, tous les matins le chef d’État-Major trouvait sur son bureau les télégrammes reçus de tous les groupes nomades à la vacation de 7 heures.

Certes, la légende veut que certains officiers méharistes virent d’un très mauvais œil cette innovation qui leur enlevait une part de leur autonomie et que tel poste, miraculeusement en panne, permit de ne pas retarder un départ en contre-rezzou. Tel fut peut-être le rôle passif de la radio dans les domaines de l’action ! Mais son rôle actif fut loin d’être négligeable.

Dans la nuit du 5 au 6 avril 1931, le groupe nomade de Hohd fut attaqué au carré par un fort parti dissident qui, après un violent combat, fut repoussé et dispersé en plusieurs éléments. Ceux-ci furent presque entièrement détruits grâce à l’action offensive du groupe nomade du Hohd (combat de Frékiké) et aux interventions d’une part de l’aviation qui surveilla le franchissement du Dahr de Oualata et attaqua les Regueibat à la bombe, détruisant une bonne partie de leurs réserves d’eau, d’autre part du groupe nomade d’Araouan, qui fonça sur le puits d’el Kseib, l’atteignit avant les razzieurs et les défit après un rapide combat. Ces interventions n’auraient pu avoir lieu en temps utile sans la radio saharienne, grâce à laquelle d’ailleurs le groupe nomade put être averti quatre jours à l’avance du danger qui le menaçait.

Servie par des opérateurs, techniciens avertis et méharistes confirmés, elle gagna ainsi la confiance de tous et prouva aux dissidents qu’elle était plus rapide que le « selk el beïdane »5.

Ainsi les télégraphistes participèrent grandement à l’œuvre de pacification du Sahara.
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5 Le fil des Maures : allusion à la vitesse extraordinaire à laquelle se propagent les nouvelles en milieu indigène. Ici, chez les Maures.

Fixe ou mobile, la radio permit, en outre, une efficacité accrue des reconnaissances d’hiver et des liaisons avec les détachements et les postes du Sahara Algérien. Elle participa avec une conscience remarquable à la sécurité de l’aviation et facilita l’évacuation des malades ; les Télégraphistes Coloniaux se souviennent de ce trimoteur Bloch qui, en 1931, partit de Dakar pour évacuer un cas grave à Araouan, s’égara et put se poser à Kiffa grâce à l’intervention du sergent-chef Lely, radio du poste.

Ils n’oublient pas non plus ceux de leurs camarades qui sont morts à la tâche : les sergents Nicol et Robard des groupes nomades d’Agadès et de N’Guigmi atteints de scorbut dans les confins nigériens en 1930, le sergent Jacquolot, mort étant en service à la compagnie auto d’Atar, équipée comme celle de Gao de postes ER 26 bis à partir de 1933, ni le sergent Guillou, blessé le 7 septembre 1931 au combat de Chaïmam. Servant dans les cadres ou hors cadres, au détachement de Télégraphistes Coloniaux ou au réseau civil, ils peuvent être justement fiers de l’activité et de l’ingéniosité qu’ils ont déployées pour tirer le meilleur parti du matériel souvent ancien qu’ils utilisaient, créant et bricolant pour parer au manque fréquent de pièces de rechange, réparant dans un temps record les postes détériorés par les tornades6, réalisant et mettant en place sous la direction du capitaine Staut à force d’acrobatie un poste supplémentaire utilisé à Tessalit en 1930, pour la sécurité du rallye automobile saharien.

Ils ont complètement modifié l’activité militaire au Sahara, tant la radio a augmenté les possibilités du « royaume de la terre » de l’interlocuteur de Psichari.

Mais avant de quitter la radio saharienne, revenons au Tchad pour en fixer trois aspects dans le domaine de l’imagination littéraire, de la réalisation en ses débuts héroïques et de l’actualité.
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6 Par exemple, en Mauritanie, pluies exceptionnelles qui ont précédé de trois jours le combat de Moutounsi (18 août 1932).

 

Le fort prolixe romancier Paul Adam publiait en 1911 « La ville inconnue »et présentait son œuvre comme un récit « à peu près véridique ». C’est l’histoire entièrement imaginaire d’une colonne française quittant le Ouadaï vers le Nord pour agir contre un adversaire sénoussiste réunissant des éléments de toute l’Afrique Centrale et de la Libye, encore tout imprégné de traditions grecques, puniques et égyptiennes.


Cette colonne est dotée de moyens ultra-modernes : monoplans transportables à chameau et agissant pour l’observation, le réglage des tirs et l’attaque au sol... à coups de carabine, et T.S.F. Il ne s’agit que d’un poste récepteur à l’écoute d’Abéché (pas encore dotée de la radio) et l’auteur décrit, ma foi, assez bien, un des tous premiers postes, déjà dépassés à l’époque, avec cohéreur de Branly et enregistrement sur bande.

Ce poste suscite tout à la fois l’émerveillement des témoins du miracle que constitue la réception des instructions d’Abéché et la hargne du beau spahi, chef de la colonne, qui reçoit des ordres et ne peut pas communiquer lui-même ; cela donne à l’auteur l’occasion de confondre longueur d’ondes et portée !

Soyons sérieux et revenons avec le capitaine Chaulard dans le domaine du réel.

Lorsque cet officier venant par Zinder et son adjoint le lieutenant Poucet venant par le Congo arrivèrent au Tchad, ce territoire, contenant vers le nord l’action des Sénoussistes, était encore sous le coup des événements douloureux subis au Ouadaï le 4 janvier 1910 (colonne Fisgenschuh) et le 9 novembre 1910 (colonne Moll). Ces événements connus tardivement à Fort-Lamy et à Paris7 prouvèrent l’isolement dont souffrait le Tchad et expliquent que l’on ait recherché alors à mettre en place rapidement des moyens d’information efficaces plus vite réalisables que la ligne télégraphique. La Mission radiotélégraphique, constituée outre ses deux officiers, par 22 militaires de la Section de Télégraphistes Coloniaux et 5 brigadiers d’Artillerie Coloniale mécaniciens, se mit à l’œuvre aussitôt malgré les difficultés techniques : on s’aperçut, en effet, que dans ce pays au sol sec et peu conducteur, les conditions de propagation des ondes n’étaient pas celles prévues et il fallut adapter le matériel pour abandonner la longueur d’ondes de 600 mètres et utiliser celle de 1 600 puis de 2 500.
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7 L’un d’eux fut connu à Paris par des nouvelles du Soudan Anglo-Egyptien, avant que les rapports de Fort-Lamy ne parviennent.

Pourtant en 1912, N’Guigini, Mao, Fort-Lamy, Moussoro et Ati, étaient équipés avec les postes de 2 kW. à étincelle musicale avec antennes montées sur mâts de 30 mètres, souvent surélevés, et le 16 janvier 1913, Abéché rentrait dans ce petit réseau complété par Arada et Goz Beïda.

La T.S.F. remplaçait non seulement la ligne télégraphique de N’Guigmi à Fort-Lamy, mais aussi la ligne optique que le capitaine Lancrenon avait fait établir et exploiter par des télégraphistes autochtones en 1912 entre Miltou et Ati.

En 1913, le gouvernement, sortant du statu quo, décida l’occupation du Borkou et de l’Ennedi et chargea le colonel Largeau de cette mission. Elle fut réalisée méthodiquement après le dur combat d’Aïn-Galaka (27 novembre 1913). La T.S.F. fut de la partie.

D’abord uniquement pour la réception. La colonne dont le major était le commandant Tilho disposait d’un poste récepteur et d’une antenne suspendue à un cerf-volant.

Mais le vent était trop fort ou trop faible, le sable rentrait dans l’appareil, l’horaire des écoutes devait se plier à celui de la marche, et les opérateurs n’étaient pas spécialistes. Pourtant le commandant Tilho reçut des signaux horaires et capta un télégramme relatif au déplacement du poste de T.S.F. d’Arada. Largeau avait, en effet, prévu que ce poste se joindrait au détachement du capitaine Ripert participant à la concentration du Borkou ; il avait demandé au capitaine Chaulard, prochainement rapatriable et déjà remplacé par le capitaine Taulier, de faire l’installation. Chaulard rejoignit donc la colonne à Faya (aujourd’hui Largeau) avec un convoi de ravitaillement venant du Kanem. Au retour de sa reconnaissance sur Gouro et Ounianga, qui mit fin à la résistance des Sénoussistes, Largeau put voir se dresser hors de l’ancienne zaouïa, aujourd’hui engloutie par les sables, la fine silhouette du mât de la T.S.F.

Voici comment son adjoint, le capitaine Ferrandi8 raconte les débuts de la T.S.F. à Faya :

« Le capitaine Chaulard a installé le poste de télégraphie sans fil. En huit jours, il a pu communiquer avec Ati par l’intermédiaire du cerf-volant porte-antenne du commandant Tilho. Le 1er janvier, le mât était installé et les dépêches pouvaient être passées régulièrement. Le moteur est sous une simple case en nattes. Malgré le sable et le vent, il souffle sur le même rythme régulier.

Le maréchal des logis Colin, les soldats David et Baron arrivent à transmettre en une journée plus de deux mille mots. Nous pourrons ainsi recevoir à Faya le « Havas » qui, retour de France, nous annonce notre combat de Galakka.

« Le petit poste, de 2 kilowatts seulement, en service normal avec son mât, communique avec Ati à 500 kilomètres de Faya ; quand l’état de l’atmosphère permet l’emploi du cerf-volant, que les expériences tentées ont d’ailleurs fort endommagé, Fort-Lamy, distant de 720 kilomètres, entend clairement nos messages.

« Chaulard a dû faire un mât de fortune avec des matériaux économisés sur les autres postes du réseau et avec des éléments métalliques trouvés à Fort-Lamy.

« Cette installation si rapide et si sûre est certainement le tour de force le plus extraordinaire qu’il m’ait été donné de voir dans ces pays. Voilà ce que peut donner la science, jointe à un robuste optimisme. Quand le colonel avait demandé à Chaulard : « Pourriez-vous communiquer de Faya avec le Kanem ou le Ouadaï ? » Chaulard avait répondu : « Oui » sans hésiter, car il est un adepte de cette formule heureuse et bien française : « Si c’est possible, c’est « fait, si c’est impossible, ça se fera ».

Ainsi le 18 janvier 1914, Paris recevait un télégramme émis de Faya trois jours avant.

Quelque temps après un poste était installé à Ounianga.

L’implantation du réseau du Tchad fut d’une remarquable stabilité. Il est aujourd’hui à peu près identique9 à celui de son créateur. Certes le matériel a changé et le Tibesti longtemps inoccupé ne vit de postes fixes à Zouar, Bardai et Wour que vers 1935-36; certes les groupes nomades étaient déjà pourvus d’ER 26 depuis 1930.

Actuellement le réseau du Tchad servi par les Télégraphistes Coloniaux comprend onze stations militaires fixes et quatre mobiles (pelotons méharistes). Presque toutes comprennent un minimum de deux postes de modèles et de puissances variés ; le bon vieil ER 26 bis est toujours en service dans les petits postes et les pelotons méharistes, mais il est progressivement remplacé par les postes S.C.R. 694, employés dans tous les corps de troupe.

Tous les postes de la région du Borkou-Ennedi-Tibesti assurent aussi le trafic civil, et les chefs de poste cumulent souvent leurs fonctions avec celles d’agent postal et de météorologue.

Les Télégraphistes Coloniaux servant au Tchad ont ainsi des occupations variées et une vie passionnante. Séparés les uns des autres par des centaines de kilomètres, ils doivent ne compter que sur eux pour réparer un matériel qui se modernise, mais est encore délicat. Ceux des stations fixes, malgré leur emploi partiellement civil, ne sont pas des « fonctionnaires », ils participent étroitement à la vie militaire de leurs garnisons et peuvent même participer à des reconnaissances motorisées. Ceux des pelotons méharistes mettent un point d’honneur à vivre pleinement leur existence nomade : comme leurs camarades de l’Infanterie ils participent aux abreuvoirs et sont fiers à l’occasion de commander des détachements de tirailleurs ou de goumiers.

S’ils ont moins de mérites que leurs anciens, ils éprouvent la même joie qu’eux à servir dans une ambiance saharienne.
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8 Le Centre Africain Français : Tchad-Borkou-Ennedi.
9 Pendant dix ans le réseau comportait en outre la liaison régulière la plus longue, que les E.R. 26 bis ont assurée : Largeau-Koufra.

(extrait de Jean d’ARBAUMONT
Historique des Télégraphistes Coloniaux
Imprimerie Peyronnet -75006 Paris