Le Hoggar


Méharée dans le massif du Hoggar
Photo : Wikimedia Commons.

Pour les puristes le mot « Hoggar » est étranger par rapport au pays auquel on l’applique : il est arabe. Certes la langue arabe à ses beautés, sa richesse est immense, son génie universellement reconnu. Mais le pays des Touareg, des hommes bleus de la légende, ne saurait être autre chose que l’'Ahaggar des anciens Berbères. Au nom d’un très long passé et de toute la charge émotive d’une épopée que les joueuses d’imzad chantent encore avec nostalgie il faut affirmer fermement l’originalité de l'Ahaggar.
Naguère encore (c’était hier) le départ vers ce que les géographes arabes ont nommé « le pays de la peur » avait lieu depuis El Djezaïr, l’île bien nommée car très vite on pratiquait la navigation hauturière, marchant au cap à travers de sombres hamadas où le moutonnement court et figé des pierres noires cachait mille embûches. Puis venaient les hautes crêtes des dunes à travers lesquelles les méharis, véritables vaisseaux du désert, progressaient avec une sagesse à peine stimulée par la promesse du prochain port, l’oasis encerclée par le désert. Les jours succédaient aux jours. On en était bientôt aux semaines puis aux mois car lorsque tout allait bien on pouvait se féliciter de franchir cinquante kilomètres par jour en moyenne. Mais personne ne connaissait ce chiffre. L’unité c’était la journée de méharée comme dans l’ancienne marine la journée de navigation.
Et chaque soir comme chaque matin les rites immuables de la vie chamelière se succédaient pour ponctuer l’existence monacale d'une poignée d'hommes unis par les mêmes peurs, les mêmes espoirs et la même aventure. Les étapes étaient mathématiquement déterminées par la présence des puits et l'on s'en remettait à Dieu pour éviter la rencontre de pillards qui n'étaient, le plus souvent, que d'autres nomades affamés. Pour le reste la vie était simple : au matin réunir les montures dispersées par la capricieuse quête nocturne de rares touffes d'herbe, mettre les bâts ou les rahlas, vérifier les guerbas, ces précieuses outres en peau de chèvre dont l'étanchéité est la seule garantie de la vie de leur propriétaire, assurer le chargement des bêtes, puis, au petit matin, se lancer sur la piste.
Le soir, avant le feu traditionnel, le thé et la chorba il fallait débâter, entraver les méharis, assurer la sécurité des précieux chargements et accomplir les multiples tâches d'un nomade conscient. L'eau était parcimonieusement répartie, toute chose mesurée, prévue, méditée. Telle était la vie d'une caravane dans le Sahara d'avant l'automobile, Sahara fait pour des hommes n'attendant rien que d'eux-mêmes, de leur courage, de leur volonté farouche de vivre et, de ce fait, ayant redécouvert le code perdu de quelque fière chevalerie du désert luttant pas à pas contre l'emprise mortelle d'un modernisme dépoétisé.


Photo Jean Marc Durou

De nos jours c'est par l'avion que l'on rejoint les abords de l'Ahaggar. Ce qui se trouve gagné en temps est perdu en originalité. On peut aller dans la journée de Paris à Tamanrasset. Finie donc la savante progression géographique que l'auto avait respectée : on ne bourlingue plus à travers hamadas et dunes en direction des montagnes bleues formant le bastion central d'une région presque aussi grande que la France (environ 530 000 km²). Avant de partir il faut consulter un atlas si l'on veut y comprendre quelque chose. Ici la géographie s'explique largement par la géologie. En gros, une poussée interne puissante a fait apparaître sur une immense surface primitivement plane le vieux socle cristallin antécambrien. Circulairement, sur les bords de ce soulèvement, les couches sédimentaires profondes autrefois sagement litées au-dessus du socle apparaissent en étages superposés dont la tranche est tournée vers le centre et qui s'inclinent plus ou moins vers l'extérieur. Au fur et à mesure que l'on s'éloigne du centre ces étages sont de plus en plus récents. Deux sont particulièrement remarquables : le premier, formé de grès silurien, porte le nom de Tassili interne ; l'autre, de grès dévonien, celui de Tassili externe. Ces tassilis sont plus nets au sud, à l'est et au nord, moins homogènes à l'ouest où ils ne sont plus attestés que par de rares vestiges. Au centre de la région ceinturée par les tassilis un puissant volcanisme a transformé le socle antécambrien en passoire et, en plusieurs étapes, provoqué la formation d'un haut massif éruptif. Cratères égueulés, coulées de lave, champs de scories, dykes innombrables jaillis du sol à la verticale forment le paysage essentiel et dantesque du centre de l'Ahaggar.
Tout ceci est évidemment très simplifié et ne tient pas compte de toute une série d'événements géologiques qui expliquent bien des points de détail. On peut cependant comprendre pourquoi certaines régions sont à 1 000 mètres d'altitude, d'autres à plus de 2 000 et aussi pourquoi les sommets de l'Atakor se situent à près de 3 000 mètres ! (Illaman 2 760, Asekrem 2 728). En somme, tectonique, sismique et volcanisme se sont amplement combinés pour donner au « massif central » cette allure tourmentée et contrastée qui étonne toujours les voyageurs les plus blasés.
Les Touareg, bien entendu, ont débordé depuis longtemps les limites de l'Ahaggar. Entre le Tibesti à l'est et le Tilemsi à l'ouest ils se sont largement dispersés en fractions souvent très régionalisées. L'Aïr est resté l'un de leurs fiefs et naguère encore ils allaient de Tombouctou à In-Salah, d'Agadès à Bilma, on les trouvait partout comme si la traversée des déserts les plus rudes avait été leur spécialité.
Mais au fait qui sont ces hommes ? Que représente le peuple touareg ?
Henri Lhote (1), spécialiste incontesté en la matière, dans Touareg du Hoggar cite l'opinion d'Henri Duveyrier (2) qui en 1864 écrivait : « Nous sommes Imoghar, Imocharh, Imajirhen et notre langue, suivant les tribus, s'appelle tamahaq ou tamacheq ; tous ces mots dérivent de la même racine, le verbe iohargh, qui signifie il est libre, il est franc, il est indépendant, il pille. Et si tu nous demandes de mieux préciser les origines de chaque tribu et de distinguer les nobles des serfs, nous te dirons que notre ensemble est mélangé et entrelacé comme le tissu d'une tente dans lequel entre le poil du chameau avec la laine du mouton.


Photo Jean Marc Durou

Il faut être habile pour établir une distinction entre le poil et la laine. Cependant nous savons que chacune de nos nombreuses tribus est sortie d'un pays différent. À défaut de sources écrites sérieuses qui semblent faire totalement défaut à la confédération touareg, les historiens n'en savent guère plus aujourd'hui. La préhistoire est de médiocre secours et la protohistoire s'y est peu intéressée. Les quelques pièces du puzzle venues jusqu'à nous incitent à penser que deux éléments sont fondamentaux dans le texte de Duveyrier : d’abord les caractéristiques morales que s'attribuent les Touareg et, par voie de conséquence, l'importance de la racine iohargh, ensuite la réalité des origines multiples du groupe ethnique qu'on ne pouvait effectivement mieux définir que par l'image d'un « tissu de poil de chameau et de laine de mouton ».


Le point de départ de la confédération touareg a partie liée avec cette immense série d'ouvrages dont certains, par leur aspect architectural élaboré et gigantesque, frappent l'imagination et évoquent une société remarquablement structurée. C'est en parlant d'eux que les guides touareg ont souvent évoqué ces « gens du matin » à la passionnante histoire. Personne n'a oublié Ti-n-Hinan, la « reine des Touareg », dont la renommée prit son vol après les fouilles du monument d'Abalessa conduites par l'Américain Byron Khun de Prorok aidé par le Français Chapuis. L'Atlantide de Pierre Benoit datait et relatait l'histoire étrange d'Antinéa, descendante de Cléopâtre et de Marc Antoine, qui devenue reine du Hoggar attirait et faisait périr les explorateurs.


Texte : Henri-Jean Hugot.


1) Henri Lhote (1903-1991) est un préhistorien français qui a particulièrement recensé et fait connaître les peintures et les gravures du Tassili


Photo Wikipédia

(2) Henri Duveyrier (28 Février 1840 au 25 avril 1892) était un français explorateur du Sahara né à Paris. En 1857 et 1858. À l'âge de dix-neuf ans, Duveyrier, qui avait déjà appris l'arabe, a commencé un voyage dans le nord du Sahara qui a duré près de trois ans. En 1864, deux ans après son retour en France, il a publié L'exploration du Sahara : les Touareg du nord, pour lequel il a reçu la médaille d'or de la Société géographique de Paris.


Henri Duveyrier.
Photo Bertall, illustrateur, caricaturiste et graveur français.

 

Alain CHUETTE - Avril 2011

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