PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE I

Les premiers pionniers


LA RAHLA (Amicale des Sahariens)
Les Amis du Sahara n° 2 - Janvier 1932
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France



       Il n’existe sans doute pas, sur toute l’étendue du globe, un continent possédant, comme l’Afrique, un passé dans lequel l’historien se perd en conjectures et en hypothèses. L’Afrique, qui est à la fois la plus ancienne et la plus récente conquête de l’humanité, est doublement le continent noir, par les populations qui l’habitent et par le mystère de sa destinée. Le monde a été occupé, colonisé, civilisé avant que l’Afrique, qui était aux portes de la civilisation, voisine de l’Égypte des Pharaons, fût seulement explorée. Ce n’est qu’après dix ou vingt mille ans peut-être que l’homme, achevant de parcourir la planète, découvrit enfin cette terre, la dernière qui eut encore échappé à ses convoitises.
       Les premiers occupants furent surtout attirés par l’immense réservoir d’hommes dans lequel on pouvait puiser sans se lasser pour satisfaire les exigences de l’esclavage. Les Asiates de la famille de Sem y vinrent les premiers avec leurs troupeaux occuper les régions accidentées, voisines des côtes orientale et septentrionale ; mais ils se heurtèrent contre les blancs d’Europe de la famille de Japhet ; pendant des siècles la lutte méditerranéenne se prolongea entre les deux races ; guerres puniques, croisades, expéditions mauresques, qui illustrèrent les noms d’Annibal, de Scipion, d’Omar, de Charles Martel, de Saladin, de Saint Louis. Ce duel gigantesque ne prit fin que lorsque l’Europe, prenant à revers le continent africain, alla porter son attaque jusque dans l’Océan Indien, dont les populations côtières vivaient jusque là tranquilles, à l’abri de toute agression.
       C’est sur l’Afrique orientale que les premiers conquérants s’abattirent comme des rapaces, pillant et capturant pour l’esclavage des peuples sans défense. On connaît les vers immortels du poète :
       Comme un vol de gerfauts, hors du charnier natal,
       Fatigués de traîner leur misère hautaine,
       De Palos, de Moguer, routiers et capitaines,
       Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

       La France peut s’honorer d’avoir été la première à entreprendre l’émancipation de ces peuples opprimés et à se lancer dans l’œuvre humanitaire de la libération africaine. À la fin du 18e siècle, Bonaparte s’emparait de l’Égypte et répandait les premières semences de la civilisation nouvelle sur la vieille terre des Pharaons. En 1830, les états barbaresques étaient mis dans l’impossibilité de continuer leurs méfaits et nos colons venaient plus tard faire prospérer et grandir sur le sol africain, le génie de la race européenne. Le percement de l’isthme de Suez, par Ferdinand de Lesseps, vers 1860, faisait enfin à l’Afrique l’incision définitive et mettait toute la côte orientale en communication directe, immédiate avec l’Europe. Dès lors, l’Afrique devenait une île immense, abordable en tous sens à la circumnavigation européenne, et allait enfin entrer dans le champ des préoccupations du monde civilisé.
       Il n’entre pas dans le cadre de cet exposé de présenter un historique, même succinct, de toutes les explorations africaines. On se bornera donc à indiquer les grandes étapes de la pénétration au Sahara, sans remonter jusqu’aux Romains, bien que ces grands conquérants aient laissé dans le désert, dans celui de Libye notamment, des traces nombreuses de leur occupation.
       Le premier explorateur saharien dont le nom soit vraiment digne de figurer dans l’histoire, fut le Major Anglais LAING, qui partit de Tripoli en 1825 pour se rendre à Tombouctou, où il arriva en avril 1826 après avoir traversé le Tidikelt et l’Ahnet. Expulsé de Tombouctou, l’explorateur fut étranglé par son guide berabiche, sur la route d’Araouan, et ses constatations ne furent jamais connues, ses bagages ayant été détruits.
       Avant LAING, le Sahara n’avait attiré que des prédicateurs de l’Islam, venus d’Arabie et d’Égypte, avec les invasions hilaliennes, ainsi que de sinistres trafiquants d’esclaves, qui, depuis le Moyen-Age jusqu’au siècle dernier, allaient prendre livraison de leur troupeau humain, dans les oasis du Touat et du Tidikelt.
       Le XIXe siècle s’ouvrit sur une radieuse figure, celle d’un jeune et hardi Français, René CAILLÉ, dont l’existence mouvementée a été tracée avec talent, par André LAMANDÉ et Jacques NANTEUIL.
       À 26 ans, René CAILLÉ conçoit, seul, le chimérique projet de traverser le Sahara et d’atteindre la mystérieuse capitale du Soudan. Aujourd’hui que Tombouctou a irrémédiablement perdu son halo de mystère, nous concevons avec peine ce qu’était alors un tel dessein. « Je pars pour Tombouctou », cela devait sembler en 1826, une bien inquiétante confidence ! Mais, même de nos jours, n’existe-t-il pas plus d’un contemporain qui regarde encore le courageux mortel, revenant de l’ancienne métropole soudanaise, avec cet œil soupçonneux que les enfants de Florence jetaient sur l’AIighieri, à son retour des Enfers ?
René CAILLÉ put atteindre Tombouctou au prix de nombreux dangers et de grandes souffrances. Il réussit surtout à en revenir en suivant le même itinéraire de retour, que le Major LAING ; mais, plus heureux que celui-ci, il rentra sain et sauf au Maroc, ayant ainsi relevé le premier itinéraire régulier, reliant, à travers le désert, le bassin du haut et moyen Niger à la côte méditerranéenne. Plus réellement que l’illustre Florentin, René CAILLÉ est descendu aux Enfers et, en remontant, il a écrit sur le sable saharien un beau poème de l’audace française. Ce qui l’attira au Sahara, c’est le danger et ce sont aussi les difficultés réputées insurmontables qui y étaient accumulées. CAILLÉ restera toujours le héros qui tente, accomplit et réussit une rare prouesse.
       En décembre 1835, l’Anglais DAVIDSON essayait à son tour d’atteindre Tombouctou par le Nord-Ouest. Parti de Tanger en suivant la côte, il arrivait en avril 1836 sur l’oued Noun où il restait immobilisé pendant-plus de six mois, aucune caravane ne s’étant mise en route vers le Soudan durant cette période. Il réussissait enfin à poursuivre son voyage en se joignant à des caravaniers Tadjakant. Mais il subissait le même sort que son compatriote LAING : en décembre 1836 il était mis à mort par un parti d’Ouled-Arib, près de l’Oued-Sous.
       Cette mort tragique ne découragea pas les explorateurs. Un autre Anglais JAMES RICHARDSON, qui avait déjà réussi, en 1845, un voyage de Tripoli à Ghadamès et à Ghât, fut chargé par son Gouvernement d’une mission importante ; il s’agissait d’établir des relations suivies, basées sur des traités commerciaux, avec la Tripolitaine et le Soudan. RICHARDSON s’adjoignit deux compagnons, les docteurs BARTH et OVERWEG. Les trois voyageurs, partis de Tripoli, visitèrent successivement Mourzouk – Ghât – Agadez et se séparèrent ensuite en se donnant rendez-vous au lac Tchad. RICHARDSON mourut pendant le trajet et OVERWEG expira entre les bras de BARTH, à Kouka. Du lac Tchad, BARTH se dirigea vers le bassin du Niger, parvint jusqu’à Tombouctou et revint, par les mêmes régions, au lac Tchad d’abord, puis à Mourzouk, par les oasis du Kaouar et arrivait enfin à Tripoli, au mois d’août 1855, après six années de voyages presque continuels.
       BARTH a été l’un des plus grands explorateurs du Sahara. C’est lui qui, le premier, fit connaître les races du centre de l’Afrique septentrionale. Avant lui, tout n’était que fables ou données vagues, aussi bien sur le pays lui-même et sa géographie, que sur ses habitants. CAILLÉ n’avait rapporté sur les Touareg que des indications fort peu précises et encore n’avait-il entendu parler que des tribus du sud-ouest. RICHARDSON, à son premier voyage, n’avait pu s’aventurer au-delà de Ghât. Il était réservé à BARTH de rapporter au monde civilisé des notes précises sur la région du Tchad et sur le Sahara, de fixer la géographie encore très incertaine de ces pays, d’étudier l’histoire des tribus qui les habitent, enfin de recueillir des renseignements d’une valeur inestimable sur l’ethnographie, l’histoire ancienne et l’état politique des vastes étendues de territoires qu’il a parcourues.
       Le voyage de BARTH fut en quelque sorte, sinon la cause première, du moins une des causes déterminantes des missions successives du capitaine de Bonnemain, d’El-Oued à Ghadamès en 1856-1857, de l’interprète Bou-Derba, du M’Zab jusqu’à Ghât en 1858, et enfin du voyage d’Henri DUVEYRIER, au pays des Touareg Ajjer.
       Plus jeune encore que René CAILLÉ, n’ayant que 18 ans lors de son premier voyage au Sahara, DUVEYRIER avait terminé ses explorations célèbres, arrêté par la maladie, à 23 ans. Comme René CAILLÉ, il est tout audace. En 1857, à son premier voyage, il écrit de Biskra à son père : « Je ne redoute qu’une chose, c’est que, soit par raison politique, soit par défiance de mes forces, soit par un faux intérêt pour mon sec individu, on me refuse la liberté d’aller plus loin ». On ne l’arrêta heureusement pas. Dans une lettre adressée à un coreligionnaire, Si Othman, son guide en pays touareg, ne trouve qu’un reproche à lui adresser, son extrême courage. « Nous ne savions, dit-il, comment faire pour le retenir ». Son biographe, MASQUERAY, l’a caractérisé en ces termes : « Il était le fils d’un Saint-Simonien de marque et l’élève de BARTH. Son père avait embrasé son âme d’idées généreuses et son maître lui avait indiqué le Sahara Central, comme le plus beau terrain d’apostolat scientifique ».
       Voilà le mot qui explique l’homme : l’apostolat scientifique ! Ce que DUVEYRIER a aimé dans le Sahara, c’est la science la plus noble, une science plus complète que celle qui ne connaît que les méditations du laboratoire, la science virile qui unit l’action à l’étude, celle qui exige des apôtres prêts à verser leur sang, à sacrifier leur vie.

       On connaît les résultats obtenus par le jeune et célèbre explorateur. Au retour de son séjour au Sahara il put, dans son grand ouvrage « Les Touareg du Nord », faire une histoire aussi complète que possible du pays des Ajjer. La langue, les mœurs, les coutumes des Touareg, leur vie intime, leurs usages politiques, leurs différentes tribus et leurs territoires de parcours y sont étudiés tour à tour et chacun de ces points si divers a été développé de main de maître par ce jeune homme de vingt ans. Son ouvrage est et restera longtemps encore le document le plus complet que nous possédions sur cette partie du Sahara et ses habitants.
       Nous passerons rapidement sur les explorations de COLONIEU et BURIN au Gourara et au Touat, en 1860 ; sur la mission MIRCHER – de POLIGNAC qui provoqua la signature du traité, dit de Ghadamès, en 1862, avec les chefs Touareg Ajjer ; sur celle de Gérard ROHLFS, qui fut le premier à rapporter des renseignements sur In-Salah, en 1864. Citons encore l’assassinat de l’exploratrice hollandaise, Mademoiselle TINNE, perpétré au sud-ouest de Mourzouk, en 1869, et nous arrivons à la cruelle épreuve de 1870-1871.
       Après la guerre de 1870-1871, la patrie blessée devient plus chère à tous ses fils. Ceux-là même qui se proclamaient avant le désastre « Citoyens du monde », confessent que leur cœur a changé : « J’en suis maintenant économe » dit Sully-Prudhomme dans un courageux aveu. Rendre au pays sa grandeur, voilà le devoir que désormais s’imposent les meilleurs de ses enfants. Le mouvement d’expansion coloniale naît de ce sentiment national. Il inquiète même de bons français qui se demandent si cet élargissement des frontières par delà les mers, ne risque pas de faire oublier l’inguérissable plaie d’une autre frontière. Ceux qui ont foi dans une plus grande France pour refaire toute la France, ne doutent pas que son avenir soit en Afrique. C’est cette conviction qui, à partir de 1870, deviendra la caractéristique commune des grands sahariens Français.
Mais l’étranger ne resta pas non plus indifférent au mouvement d’expansion de la vieille Europe en Afrique. Des explorations dont le retentissement fut grand et qui eurent le Sahara pour théâtre, furent exécutées quelques années après la guerre. La première, dirigée par VON BARY, eut une importance considérable en faisant connaître des régions jusqu’alors inexplorées. Durant les années 1876-1877, VON BARY, parti de Tripolitaine, s’aventura jusque dans l’Air, qu’il visita en détail, et il rapporta de cette expédition des documents de grande valeur. Trois ans plus tard, en 1880, Oscar LENZ gagnait le Sénégal en passant par Tindouf et Tombouctou, et apportait, lui aussi, une contribution précieuse à la Science. 

       C’est à cette époque, en 1879, que l’Ingénieur DUPONCHEL, soutenu par l’opinion publique, convainc M. de FREYCINET, Ministre des Travaux Publics, qu’il faut atteindre le Soudan, libre et sans maître, par le rail. Et le Ministre confie au Colonel FLATTERS, commandant supérieur du cercle de Laghouat et grand enthousiaste de la liaison Algérie-Soudan par le désert, la mission d’étudier un projet de voie ferrée dont le tracé devait aboutir entre le Niger et le lac Tchad.
       Pour mieux juger les événements qui se produisirent au Sahara à ce stade de la pénétration, il convient de se représenter l’état d'esprit des « africains » à ce moment. Encore sous l’impression-du Romantisme pourtant à son déclin, on imaginait un Sahara accueillant, peuplé de guerriers chevaleresques, fidèles à la parole donnée, d’une loyauté rare. On rappelait l’impression profonde que les Touareg avaient laissée à DUVEYRÏER qui avait pu vivre plusieurs années au milieu de leurs tribus, accueilli par tous avec des sentiments de la plus profonde amitié. Comment aurait-on pu mettre en doute la sincérité de ces sentiments, alors que le jeune et enthousiaste explorateur en avait apporté la preuve indiscutable ? Aussi, attachait-on au traité de Ghadamès, signé en 1862 par Mircher et Polignac, une importance très grande. Personne ne songeait à suspecter la bonne foi des chefs Ajjer, signataires de ce traité que l’on considérait un peu comme un talisman, un sauf-conduit autorisant désormais les voyages au Sahara en toute sécurité. Un Ministre français ne déclarait-il pas solennellement que ce traité donnait toute sécurité aux caravanes françaises et algériennes ?
       L’illusion sur l’efficacité de ce traité était si profonde, si fortement enracinée, que même les échecs successifs de diverses missions ne parvinrent pas à désiller les yeux. Ni l’assassinat de DOURNAUX-DU-PERRÉ et de ses deux compagnons de voyage, au sud de l’oued Ohanet, en 1874, ni l’insuccès de SOLEILLET devant In-Salah un an plus tard, ne réussirent à entamer la confiance en la parole donnée par les Touareg. Il est vrai qu’en 1875 et en 1876 Victor LARGEAU avait pu atteindre Ghadamès et en revenir sans incident, tandis que l’année suivante l’un de ses compagnons, Louis SAY, explorait le grand erg oriental jusqu’à Temassinin. Mais à la même époque (1876) les Pères Blancs des missionnaires d’Afrique, PAULMIER, MÉNORET et BOUCHARD étaient mis à mort par leurs guides Touareg sur la route d’In-Salah avant d’arriver à Inifel, cependant que le succès de deux autres missionnaires, les Pères RICHARD et KERMABON, qui purent se déplacer dans le Tassili des Ajjer, durant près de deux mois en 1879, faisait vite oublier cet assassinat.
       Bref, l’optimisme était général en France. En Algérie, si le plus grand nombre des officiers des bureaux arabes, mieux résignés sur les réalités sahariennes, étaient loin de partager cette confiance, d’autres au contraire, et non des moindres, se laissaient bercer par les mêmes illusions que les Français de la Métropole. Le colonel FLATTERS était précisément parmi ces romantiques du désert.
       Tandis que l’ingénieur CHOISY était chargé d’étudier comparativement un tracé de voie ferrée sur les itinéraires Laghouat – El-Goléa et Biskra – Ouargla, et que, de son coté, l’ingénieur POUYANNE recevait une mission analogue dans le sud-oranais en direction du Touat, le colonel FLATTERS quittait Biskra le 1er Février 1880 et se dirigeait vers le pays touareg. Arrivée au lac Menghour, la mission dût s’arrêter et rebrousser chemin en présence de l’attitude équivoque des Châambas d’escorte et des menaces proférées par les Touareg Ajjer.
       Pour la clarté de cet épisode et des événements qui suivirent, les plus douloureux que l’histoire de la pénétration saharienne ait enregistrés, il semble intéressant d’indiquer brièvement dans quelles conditions furent organisées les deux missions FLATTERS.

       J’ai dit que le colonel FLATTERS était un romantique du désert. Je veux dire par là que, captivé par le Sahara, il avait tendance à apercevoir toutes choses par leur côté le plus favorable. Ayant conçu le projet louable de mettre l’Algérie en relations directes avec le Soudan, il professait la plus entière confiance en la réussite de ce projet et il n’entrevoyait à sa réalisation aucune difficulté sérieuse. On lui a reproché l’organisation défectueuse de sa mission, qui ne disposait que d’une trop faible escorte. Mais est-il le seul coupable de cette grave négligence ?
       En fait, la commission transsaharienne siégeant à Paris, opposée à une expédition militaire, confiante en la parole donnée par les Touareg, répugnait à donner le commandement de la mission à un officier. FLATTERS proposa alors de renoncer à toute escorte de troupes régulières, ainsi qu’il avait été primitivement décidé, et c’est sous cette condition qu’il fut choisi. Il partit donc avec un personnel indigène composé de 50 chameliers et de 30 goumiers ; nous avons vu quel fond il pouvait faire sur une semblable escorte recrutée au hasard, et à quelle solution la mission dut, en définitive, avoir recours.
       Cet insuccès ne découragea cependant pas le colonel. Il prépara derechef une mission, sur les mêmes bases que la précédente, ceci toujours pour les mêmes motifs. Pourtant, cette fois, le détachement d’escorte comprenait en plus des sokhars et des guides, 47 tirailleurs indigènes, mais, pour ne pas alarmer les Touareg, ces tirailleurs avaient été camouflés de telle sorte qu’on ne pût les distinguer des chameliers. Bref, l’ensemble du détachement comptait, sans le chef de la mission, 96 personnes, parmi lesquelles se trouvaient les Français dont les noms suivent : capitaine MASSON, médecin-major GUIARD, lieutenant de DIANOUX, sous-officiers et soldats Français DENNERY, PORÉGUIN, MARJOLET, BRAME, ainsi que les ingénieurs BÉRINGER, ROCHE et SANTIN.
       C’est le 4 Décembre 1880 que le lieutenant-colonel FLATTERS quitta pour la seconde fois Ouargla. Cette fois il comptait passer par le Hoggar, espérant rencontrer chez les Touareg de cette région un accueil plus favorable que celui reçu quelques mois auparavant chez les Ajjer.
       La traversée du Gassi de l’erg oriental, de l’oued Igharghar, de la Sebkha d’Amadror, s’effectua sans incident grave. Cependant, en pénétrant dans le massif de la Koudia du Hoggar, on constata des symptômes inquiétants dans l’attitude des guides Châambas, notamment celle de Seghir ben Cheikh, qui devenait suspecte ; d’autre part, les Touareg Hoggar, en dépit du groupe venu se présenter au Colonel au-puits de Temassint, le 11 Février, pour lui exprimer des sentiments pacifiques de la part de l’aménoukal Ahitaghel, avaient des allures alarmantes. Aussi le chef de la mission redoublait-il de précautions, surtout la nuit, pour assurer la sécurité de son détachement.
       Pourquoi, en cette journée du 16 Février 1881, le colonel FLATTERS commit-il l’imprudence qui devait lui être fatale ? Ce jour-là les guides Touareg, récemment recrutés, s’étaient, égarés et le détachement avait été contraint de camper en un endroit dépourvu d’eau. Il fallait donc aller à la recherche d’un puits qui, d’après les renseignements des guides, devait se trouver à quelques heures de marche dans la montagne. Le colonel, accompagné du capitaine MASSON, de MM. BÉRINGER, ROCHE, GUIARD et DENNERY, et précédé de tous les chameaux du convoi, s’engagea à la suite de ses guides, laissant son camp sous la garde des autres Français, avec une quarantaine d’hommes. Les conseils d’un fidèle Châambi, Cheikh ben Boudjemaâ, qui lui faisait remarquer le danger de cette tactique, ne lui firent pas modifier sa décision. Le détachement atteignit sans encombre l’Hassi Tadjemout, mais à peine avait-il mis pied à terre et se livrait-il à diverses occupations, que de grands cris se faisaient entendre et que de nombreux Touareg, dissimulés derrière des rochers, se précipitaient sur lui. L’attaque fut si prompte que personne n’eut la possibilité de se défendre. En un instant tous les Français furent massacrés et, parmi les indigènes, une dizaine seulement parvinrent à s’enfuir, puis à regagner le camp.
       La situation des survivants de la mission était angoissante, sans montures pour eux-mêmes et sans animaux pour le transport des vivres et de l’eau. Le lieutenant de DIANOUX, ayant pris le commandement, décida la retraite immédiate et, pendant des jours et des nuits, ces malheureux montèrent un véritable calvaire, suivis des Touareg qui, tels des rapaces à l’affût, attendaient le moment propice pour tomber sur eux.
       Dès le 23 Février, les vivres faisant défaut, les hommes se nourrirent d’herbages. Le détachement parvenait néanmoins à atteindre le puits d’Amguid, non sans avoir dû abandonner quelques morts en cours de route. Arrivé là, le lieutenant acceptait l’offre que lui firent des Touareg, de lui fournir des dattes ; mais celles-ci étaient empoisonnées avec de la bettina qui n’est autre chose que de la jusquiame, plante qui a la propriété de frapper de folie ceux qui l’absorbent. Profitant du désordre occasionné par cette perfidie, les Touareg attaquaient alors les survivants de la mission qui, malgré leur misérable état, réussissaient néanmoins à repousser les assaillants avec de lourdes pertes. Cependant ils avaient eux-mêmes perdu non seulement leur chef, mais encore tous les autres Français, sauf le maréchal des logis POBÉGUIN qui devait lui aussi trouver la mort quelques jours plus tard. En définitive, de tout le personnel de la mission, il ne rentra à Ouargla qu’une vingtaine d’indigènes seulement. Tous les autres avaient été massacrés ou étaient morts de faim ou de fatigue.
       En apprenant ce désastre, l’émotion fut considérable en France et en Algérie. On ne voulut même pas entendre parler de réparer l’affront fait à notre pays, ni permettre à nos tribus de venger leurs morts. Ce douloureux échec était un coup décisif porté à notre prestige dans le Sahara et, durant une période de près de quinze années, la pénétration saharienne subit un temps d’arrêt, simplement marqué par quelques explorations isolées qui ne s’étendirent cependant pas jusqu’au pays touareg.