TROISIÈME PARTIE
CHAPITRE XIII
Les grandes reconnaissances
LA RAHLA (Amicale des Sahariens)
Les Amis du Sahara n° 16 Juillet 1935
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L’introduction au Sahara de l'automobile et de l'avion n'a pas eu pour effet de ralentir l'essor des compagnies sahariennes. Sans doute la mise en œuvre de moyens mécaniques modernes a-t-elle permis d'étendre le rayon de notre activité et de pénétrer dans des régions jusqu'alors inaccessibles en raison de leur extrême aridité. Cependant les méharistes ont conservé le rôle capital dans l'exploration rationnelle du désert et c'est toujours sur eux que l'on compte principalement pour l'achèvement de la pacification dans certaines contrées.
Dans le Sahara occidental, après la jonction d’El-Mzerreb en 1920 dont il a été parlé précédemment, les méharistes algériens ont procédé à des reconnaissances vers l'oued Drâa et la Seguiet-el-Hamra.
C'est au printemps de l'année 1923 que se place la première de ces reconnaissances à grand rayon. Un groupe de 150 méharistes commandé par le capitaine Ressot parcourut durant trois mois les régions d'El-Menekeb, de Meherrah, de l’Iguidi, avec mission d'engager des pourparlers avec les tribus nomades insoumises, mais non hostiles, de surveiller les pistes fréquentées par les rezzou et, le cas échéant, de livrer la chasse aux pillards. Le détachement passa à Chenachan, séjourna dans le Hank, se rendit à Sbita, à Touila, à Aouinet-Legrâa et Aïn-el-Barka, point d'eau important qui n'avait été reconnu qu'une seule fois en 1913 par le lieutenant Mougin. Il rejoignit ensuite sa base à Tabelbala par Ghemilès, après avoir couvert en 49 jours plus de 1 600 kilomètres.
Au cours de cette reconnaissance les officiers se livrèrent à différentes études intéressantes. Le capitaine Ressot recueillit des renseignements géologiques et géographiques inédits et il soumit également un certain nombre de fossiles à l'examen des professeurs de la Faculté des Sciences d'Alger. Son travail fut très apprécié des géologues qui en reconnurent la valeur scientifique et en firent les plus grands éloges. Le médecin aide-major Tripeau étudia particulièrement la flore et la faune de la région traversée et il expédia à Alger des spécimens de plantes et d'insectes. En collaboration avec les deux autres officiers du détachement, ce praticien fit des recherches d'ethnographie saharienne ; le mémoire qu'il présenta sur les gravures rupestres relevées, ainsi que sur les monuments mégalithiques et les redjems visités, fut jugé curieux et bien documenté par les techniciens auxquels il fut communiqué.
La même année, au cours de l'hiver, un rezzou de 400 fusils avait attaqué le peloton méhariste de Tombouctou et réussi à s'emparer d'un important butin. Le capitaine Ressot reçut l'ordre de constituer un détachement avec des éléments de son unité et de la compagnie du Touat pour essayer de couper la route de retour aux razzieurs en exécutant une reconnaissance vers Aïh-el-Barka et Aouinet Legrâa. Le groupe du Touat, arrivant du sud de l'Iguidi où il avait réussi à châtier quelques pillards, rejoignit le 5 novembre 1923 à Oglet Yacoub le groupe de la Saoura, et le détachement au complet, comprenant 130 méharistes, se dirigea vers Aouinet Legrâa qu'il atteignit le 16 novembre.
La reconnaissance s'engagea alors sur l'immense plaine du Yetti où elle retrouva les traces des débris du gros rezzou qui, contre-attaqué avec succès par les soudanais au lac Faguibine, avait dû se disperser. Mais l'avance des pillards étant trop grande pour qu'une poursuite pût être exercée, le capitaine Ressot décida de séjourner dans le Yetti et d'explorer une partie du massif montagneux du Solb. Pendant plus de quinze jours les patrouilles rayonnèrent dans cette région inconnue où la marche ne pouvait être guidée qu'à l'aide de la boussole. Les renseignements recueillis permirent de constater que les grands rezzou, en se dirigeant vers le Soudan, passaient désormais plus au sud qu'autrefois, par les points d'eau du Hank méridional, preuve évidente de l'efficacité de l'action des groupes méharistes. Il fut constaté également que les bandes qui se constituaient dans le Sahara occidental pour aller piller les tribus soumises de la boucle du Niger ne comprenaient plus de Beraber, mais seulement des contingents recrutés parmi les Reguibat Lgouacem et les Aït Oussa.
La dislocation du groupe s'opéra à El-Ghers le 16 décembre, après avoir parcouru 1 700 kilomètres dont près de 600 dans une zone jusqu'alors inexplorée, et rapporté des levés d'itinéraires entièrement nouveaux.
Pendant que se poursuivaient ces grandes reconnaissances, les méharistes laissés en réserve dans la région de Tabelbala n'étaient pas restés inactifs. Des groupes légers avaient visité à plusieurs reprises le sud du Tafilalet, parcourant le nord de l'erg Raoui jusqu'à Oglet Beraber, le Kem Kem Irjedan, patrouillant vers le Touariz et le Saheb Touil ainsi que vers la région d'Ougarta et de Bou Maoud. En avril 1924 un détachement plus important comprenant 150 hommes franchissait l'oued Daoura par Oudika, explorait la zone comprise entre ce puits et Chefâa et rentrait ensuite à Tabelbala. .Ces diverses reconnaissances eurent une grande importance politique. Du point de vue géographique elles comblèrent les nombreuses lacunes qui existaient encore dans la connaissance des régions visitées.
En vue de coordonner les efforts tendant à la pacification du Sahara occidental, une conférence eut lieu à Marrakech en janvier 1925 entre des représentants des trois pays intéressés à la question : Afrique occidentale française, Maroc, Algérie. Au cours de cette conférence il fut décidé que les méharistes algériens feraient une reconnaissance dans la région de Tindouf, restée jusqu'alors hors de notre atteinte. L'opération eut lieu en avril et mai 1925 avec l'aide d'un détachement de 130 hommes dirigé par le capitaine Ressot et comprenant également trois officiers, un médecin et un géologue, M. Mentchikoff.
Après avoir atteint le 9 avril la bordure du Mahjez, le groupe algérien traversa la Daoura, arriva à Tinfouchy, déjà reconnu une première fois en 1920, puis, de là, il pénétra dans une région totalement inconnue, s'en remettant entièrement à sa bonne étoile et à la perspicacité du guide djakani qui l'accompagnait. Dès lors, le détachement s'engagea dans le Djebel Ouarkiz, prenant sur son parcours un contact pacifique avec des campements de la tribu des Oulad Arib. Du puits de Zemoul la reconnaissance descendit vers le sud, par les Hauts Plateaux du Drâa, atteignit Tindouf le 27 avril où elle séjourna le temps nécessaire pour recueillir une documentation inédite sur la petite cité saharienne abandonnée ; elle explora ensuite la dépression de Daïa-el-Khadra, mais elle arrêta sa marche vers le sud-ouest au puits de Tenouchet, car depuis Tindouf le groupe marchait à la boussole et il eut été imprudent de continuer dans de telles conditions dans une zone où se trouvaient sans doute de nombreux campements Reguibat.
Le contact avec les Reguibat fut pris au retour vers Daïa-el-Khadra. Ceux-ci reçurent le détachement à coups de fusil, mais ils rompirent aussitôt le combat et prirent la fuite en abandonnant leurs troupeaux qui constituèrent une bonne prise. Le groupe algérien reprit alors la direction du nord avec les 400 chameaux et chamelles de butin, repassa dans l'Ouarkiz et parvint à Tabelbala le 19 mai après avoir parcouru plus de 1 600 kilomètres en 43 jours.
Cette magnifique randonnée eut une répercussion considérable dans tout le pays insoumis. À l'exception du point de Tinfouchy, les régions de l'Ouarkiz, du Haut-Plateau du Drâa, de Tindouf et de la Daïa-el-Khadra n'avaient jamais été reconnues. De plus, des travaux intéressants furent exécutés au cours de la reconnaissance, parmi lesquels il convient de citer des levés topographiques et un plan de Tindouf, une étude géologique avec prélèvement d'échantillons, une étude sur la botanique et enfin une étude sur Tindouf et les Tadjakant.
En ce même printemps de l'année 1925 la compagnie du Touat faisait effectuer une reconnaissance sur la lisière occidentale de l'erg Chech par un groupe mobile placé sous le commandement du lieutenant Flye Sainte Marie. Pendant quatre mois, totalisant près de 2 000 kilomètres de marche, le détachement franchit la région si difficile de l'erg Chech ; il visita les puits de Grizim, Zmila, Tarmanant, Toufourine, s'engagea vers l'ouest dans une zone inconnue et il rentra enfin vers le nord par Sbita et Chenachan. De cette longue et pénible tournée le lieutenant Flye Sainte Marie rapporta d'utiles indications sur les contrées explorées ainsi qu'un levé d'itinéraire donnant des renseignements topographiques nouveaux.
Les années qui suivirent furent aussi actives pour les méharistes algériens. Au début de 1926, pendant qu'un groupe de la compagnie de la Saoura exécutait une nouvelle tournée topographique au-delà de la Daoura, un détachement du Touat effectuait une reconnaissance dans la région du Hank et de Taoudeni. Il se rencontrait en ce point avec un groupe de méharistes de la compagnie du Tidikelt-Hoggar, relevait des itinéraires inédits, atteignait les axes de marche suivis par les grands rezzou et opérait une liaison à Toufourine avec un détachement de la compagnie de la Saoura qui devait, selon le programme établi, faire une jonction vers Agueraktem avec les troupes mauritaniennes, jonction qui ne put être réalisée par suite de circonstances fortuites.
Au cours de l'hiver 1926-1927 aucune reconnaissance à longue portée ne fut exécutée vers le sud-ouest. Le ministre de la Guerre venait de décider de créer à Bou-Bernous, dans le Menakeb, un point d'appui et de ravitaillement pour les groupes méharistes et il était indispensable de maintenir dans la région toutes les forces disponibles afin de protéger les ouvriers employés à la construction du bordj, ainsi que les convois de vivres et de matériel. Ce point d'appui de Bou-Bernous, auquel a été donné le nom de Bordj Viollette en hommage à l'ancien gouverneur général de l'Algérie, allait constituer un sérieux adjuvant pour la défense des oasis sahariennes comme pour la protection de la grande voie de pénétration automobile de Reggan au Niger.
En janvier 1928 un peloton méhariste de la compagnie du Touat et deux pelotons de la compagnie de la Saoura quittaient Tabelbala sous les ordres du capitaine Ressot pour aller reconnaître les régions encore inexplorées au nord et à l'ouest de l'erg Iguidi ainsi que la contrée comprise dans le quadrilatère Aouinet Legrâa, Bou-Garfa, Tindouf et Aïn-el-Barka. Cette reconnaissance avait également pour mission d'exercer éventuellement des représailles contre les groupements des Reguibat Fokra coupables de pillages récemment commis sur les tribus soumises. M. Mentchikoff, savant géologue déjà connu pour ses recherches scientifiques dans le Sahara occidental, accompagnait le détachement. Celui-ci rentrait le 5 avril à Tabelbala, après deux mois d'absence, sans avoir rencontré aucun campement. Les Reguibat avaient fait le vide devant lui.
De toutes les tribus guerrières du Sahara occidental celle des Reguibat est la plus importante.
Elle compte une population d'environ 50 000 individus et sa richesse, uniquement constituée par le cheptel camelin, porte sur plus de 80 000 têtes de bétail. C'est une confédération très turbulente, difficile à saisir par suite de la proximité de la colonie espagnole du Rio de Oro où elle trouve un refuge assuré contre toute tentative de poursuite.
À côté de cette tribu guerrière vivent des groupements maraboutiques, en particulier celui de la famille des Ahel el Aïnin, dont Smara garde le tombeau vénéré de l'ancêtre. Le chef actuel, Merebbi Rebbo, qui vit à Kerdous est le frère du fameux El Hiba qui, en 1912, à la tête de ses « hommes bleus », s'était proclamé Sultan de Marrakech.
Cette famille maraboutique, très influente, s'est toujours montrée notre adversaire. En septembre 1927 elle reçut une dure leçon. Ses partisans, envoyés en rezzou en Mauritanie, attaqués par un groupe méhariste mauritanien, furent tous tués y compris le chef du rezzou, propre neveu du marabout Merebbi Rebbo.
Une année plus tard, les nomades du Sahara occidental enregistraient une nouvelle défaite. Au mois d'octobre 1928 un groupe de 50 Reguibat ayant attaqué un détachement soudanais à Tisserlitine, au nord-ouest de Tessalit, fut repoussé avec vigueur ; le rezzou s'enfuit, mais poursuivi et rejoint il fut presque entièrement détruit par les méharistes du Soudan au-delà de l'oued In-Akantarer, à l'est de l'Adrar des Iforas.
Une nouvelle reconnaissance vers les confins de la Mauritanie fut organisée au mois de décembre 1928 sous le commandement du lieutenant Flye Sainte Marie. Partie d'Adrar le 3 décembre et composée de 140 méharistes du Touat, cette reconnaissance visita plusieurs points du Hank et du sud de l'Iguidi ; elle rentra à sa base le 13 mars après s'être rencontrée le 9 janvier à Mraïti avec les méharistes de la Mauritanie.
Depuis quelque temps une grande effervescence régnait dans le sud marocain et les djiouch se montraient de plus en plus entreprenants. Après le tragique événement de Ménouarar dont il a été parlé dans un précédent chapitre, des mesures de sécurité complémentaires avaient été prises, mais ces mesures s'étaient révélées insuffisantes. Seule l'occupation du Tafilalet pouvait mettre un terme à l'audace des pillards et rétablir la sécurité dans la région des confins algéro-marocains. L'affaire de Djihani, survenue le 14 octobre 1929 à 90 kilomètres au sud-ouest de Colomb-Béchar, au cours de laquelle 42 légionnaires et 8 mokhazenis furent tués, vint confirmer cette nécessité. Dès ce moment les forces militaires du sud-oranais et du sud-marocain furent considérablement renforcées et c'est alors que, par décret du 3 février 1930, le gouvernement décida la création d'un commandement militaire des confins algéro-marocains dont il a été parlé dans un chapitre précédent. Après une série d'opérations le Tafilalet était occupé par nos troupes ; le 15 janvier 1932 Riçani, fief de l'agitateur Belgacem N'Gadi, tombait entre nos mains ; mais le marabout réussissait à s'échapper avec ses proches et ses partisans, entraînant avec lui vers le Drâa la tribu des Ait Hammou.
Durant cette période les méharistes de la Saoura et du Touat participèrent aux opérations ou contribuèrent à assurer la sécurité de la voie transsaharienne Colomb-Béchar–Gao. Cependant le Sahara occidental se ressentait de l'agitation qui régnait dans le sud-marocain et de nombreux engagements avaient lieu entre les nomades de cette région et les groupes méharistes de l'Afrique occidentale française. Vers la mi-avril 1932, le groupe nomade d'Araouan anéantissait à Bir-el-Kseib un djich de Reguibat. Un peu plus tard un rezzou de près de 200 fusils était tenu en échec par un petit détachement de 16 gardes de Ghinguetti et ceux-ci réussissaient, par leur héroïque attitude, à faire fuir les pillards qui laissèrent 15 des leurs, sur le terrain. Le 18 août enfin le groupe nomade du Trarza soutenait à Akreidit un dur et sanglant combat qui se terminait par la déroute du rezzou Reguibat, mais qui nous coûtait la vie d'un jeune et vaillant officier, le lieutenant de Mac Mahon, de 5 sous-officiers et de 32 méharistes sénégalais ou maures.
Après l'occupation du Tafilalet le commandement des confins étendit son autorité dans le district du Khaoua, vers le coude du Drâa, avec l'appui des méharistes de la Saoura. Au mois de décembre 1932 le groupe mobile du Touat effectua une liaison à Oum-el-Assel avec le groupe nomade d'Araouan, puis il parcourut les régions de Toufourine et de Chegga avant de rejoindre sa base. Au mois de février 1933, les méharistes de cette même unité réussirent un beau coup de main sur les Reguibat insoumis en leur razziant à Feidj-el-Abiod un troupeau de plus de 500 chameaux et chamelles.
En cette même année 1933 les troupes sahariennes d'Algérie prêtèrent leur concours à l’occupation du Djebel Sagho, puis à celle de l’Assif Melloul ainsi qu'aux affaires de Kerdous et d’Ifer qui mirent fin aux opérations ; celles-ci furent très pénibles pour nos troupes et coûteuses en vies humaines. Au cours des combats livrés dans cette région, le capitaine Ressot, le vaillant explorateur du Sahara occidental, trouva une mort glorieuse sur le champ de bataille.
À la fin de l'année 1933 nos troupes Occupaient le Tafilalet, le Djebel Sagho et d'importants points de l'Anti-Atlas ; elles commandaient également les palmeraies du coude de l'oued Drâa, Akka, etc.
Notre progression vers le sud du Maroc avait rendu plus complexe le problème de la pacification du Sahara occidental. Naguère encore le danger, de ce côté, n'était pas bien grand ; on avait surtout à faire à des bandes de pillards d'un effectif atteignant rarement une centaine de guerriers que nos forces de police sahariennes suffisaient généralement à tenir en respect. Mais à mesure que nos colonnes avançaient vers le sud elles repoussaient, en direction du Drâa et de la Séguiet-el-Hamra, les groupements dissidents ; leurs contingents bien armés, aguerris, animés d'un esprit de farouche résistance étaient ainsi venus renforcer nos habituels adversaires de sorte que la question de la pacification de l'ouest saharien s'était considérablement élargie.
Le gouvernement prit alors la décision de réorganiser le commandement des confins algéro-marocains. Un décret daté du 5 août 1933 sanctionna cette modification, mais le nouveau commandement ne devait entrer en action qu'après achèvement de la tâche essentiellement marocaine dévolue à l'ancien commandement des confins.
Cette tâche, les généraux Giraud, Gatroux et François en poursuivirent la réalisation, sous la haute direction du général Huré, commandant supérieur des troupes du Maroc, avec une vigueur couronnée du plus grand succès. Toute une série d'opérations heureuses provoquèrent des soumissions nombreuses. Le 12 mars 1934 le vieil agitateur du Tafilalet Belgacem N'Gadi se rendait au colonel Trinquet, commandant militaire du territoire d'Aïn-Sefra. Quelques jours après, le 31 mars, le général Giraud occupait sans combat, avec le groupe du colonel Trinquet, l'oasis de Tindouf qui allait devenir un observatoire de premier ordre, siège de la compagnie saharienne de la Saoura.
Cette prise de possession de l'ancienne cité des Tadjakant fut immédiatement suivie de la première liaison entre le Maroc et l'Afrique occidentale française, exécutée le 6 avril au puits de Bou-el-Guerdane, à 380 kilomètres au sud de Tindouf, entre un détachement motorisé commandé par le colonel Trinquet et un groupe nomade de Mauritanie, sous les ordres du commandant Bouteil, commandant le cercle de l'Adrar, venu de la Koudiat d'Idjil.
Quelques mois auparavant les méharistes du Touat dirigés par le capitaine Gierzynsky avaient exploré la région d'Agueraktem, important point d'eau situé au sud de l'Iguidi et du Hank, déjà visité, au printemps de l'année 1928, par un détachement du groupe nomade de Ghinguetti. Le groupe algérien s'était rencontré, le 7 décembre 1933, au puits de Terhazza avec les méharistes d'Araouan, conduits par le capitaine Delange. Après cette jonction les sahariens du groupe Gierzynsky avaient pris la direction d'El-Mzerreb où devait les inspecter le 6 janvier le colonel Trinquet. Le 30 janvier 1934 les méharistes du Touat étaient de retour à Bou-Bernous après avoir réalisé, avec, leurs camarades de l'Afrique occidentale française, l'une des plus belles liaisons que l'histoire de la pénétration saharienne ait enregistrées.
Le succès des opérations militaires dans l'Anti Atlas et vers le sud-marocain allait rendre possible l'entrée en action du nouveau commandement des confins algéro-marocains. Une instruction interministérielle du 13 avril 1934 régla les détails d'exécution du décret de 1933 ayant réorganisé ce commandement, et une décision du Président du Conseil fixa au 1er mai 1934 la date de mise en vigueur de ce décret. Le colonel Trinquet était en même temps appelé à diriger cet important commandement tout en conservant celui du territoire d'Aïn-Sefra.
Le nouveau territoire englobant la partie de la Mauritanie septentrionale située au nord du vingt cinquième parallèle, l'un des premiers soins du colonel Trinquet fut de se mettre en rapport avec les autorités de la colonie voisine en vue d'établir un plan d'action commune pour entreprendre la pacification définitive du foyer de banditisme qu'était toujours le Sahara occidental. Le 21 décembre 1934 le commandant des confins se rencontrait au puits de Bir Moghreïn avec l'Administrateur en chef des colonies Chazelas, délégué du gouverneur de la Mauritanie. Au cours de cette entrevue une convention fut conclue pour fixer la politique à suivre à l'égard des Reguibat. Le contrôle des Lgouacem était attribué à Tindouf, tandis que la Mauritanie conservait celui des Reguibat du Sahel.
Cette conférence de Bir Moghreïn avait été appuyée d'un important mouvement de troupes, comprenant des éléments motorisés et un détachement d'aviation d'Algérie et du Maroc. D'autre part, la compagnie saharienne du Touat avait envoyé deux pelotons de méharistes sous les ordres du capitaine Gierzynski en direction d'Aïoun-Abd-el-Malek pendant que deux pelotons de la compagnie de la Saoura occupaient les points d'eau et les terrains d'aviation d'Aïn-ben-Tili et d'Agmar avant de se porter sur Bir Moghreïn. Le 16 décembre, autour du colonel Trinquet et de l'Administrateur en chef des colonies Chazelas, se trouvaient réunis à Aïoun-Abd-el-Malek les détachements automobiles d'Atar et des confins, des forces aériennes du Maroc et de l'Algérie, et, enfin, les méharistes algériens et mauritaniens.
Mais la France n'est pas seule intéressée à ce problème de la pacification de l'ouest-saharien. Depuis 1884 l'Espagne possède, en effet, dans cette zone une bande côtière assez profonde qui s'étend de l'oued Drâa au cap Blanc et dont la superficie totale atteint environ 297 000 kilomètres carrés. Les Espagnols n'occupent pas tout ce vaste territoire ; ils se bornent à placer de petites garnisons en différents points de la côte, notamment à Villa Cisneros et Cap Juby, laissant tout le reste de leur colonie à la merci des populations belliqueuses qui y trouvent un refuge contre de légitimes représailles de notre part.
Nos voisins ont paru toutefois disposés à une occupation plus effective. En 1933 ils ont créé deux mia méharistes dont l'organisation cherche à imiter celle de nos compagnies sahariennes. De plus, les officiers espagnols se sont rapprochés des nôtres en vue d'une collaboration plus étroite. Les événements d'Espagne ont arrêté ces heureuses modifications dans l'action politique espagnole, mais il est à souhaiter, lorsque le calme sera revenu dans la péninsule ibérique, que les bons sentiments ainsi manifestés se renouvellent afin de hâter la pacification définitive de ces régions.
Les dispositions prises par le colonel Trinquet suivant un programme méthodiquement, poursuivi ont apporté une amélioration sensible de la sécurité dans le Sahara occidental. De nouveaux postes, capables d'abriter une garnison d'une centaine d'hommes et un détachement automobile, ont été construits, notamment à Chegga, sans doute futur centre de commandement de la compagnie saharienne du Touat, et à Bir Moghreïn. D'autres points d'appui moins importants, mais de grande utilité également, ont été créés sur toute la périphérie du Rio de Oro et tous ces postes sont reliés entre eux par des pistes automobilisables et par la télégraphie sans fil.
En même temps le colonel Trinquet instaurait une politique d'attraction et cherchait à rendre à l'oasis de Tindouf l'activité économique qu'elle avait connue jadis. Des caravanes vinrent à nouveau du sud oranais, du Maroc, du Soudan, de la Mauritanie et ce mouvement naissant, encore modeste, laisse espérer que, dans un proche avenir, Tindouf redeviendra le centre économique qui attirera tous les caravaniers transsahariens.
Après avoir assuré la sécurité du pays, doté la région de voies de communications nombreuses et durables vers la Mauritanie et le Sénégal, il restait au commandant militaire des confins, pour parachever son œuvre saharienne, à ouvrir aux moyens motorisés la voie Maroc-Soudan par l'erg Chech, connue seulement des méharistes. Le colonel Trinquet estimait que c'était une nécessité tant pour les besoins de la défense nationale que pour l'extension des relations de toute nature à travers le continent africain.
Cette reconnaissance d'itinéraire qui devait atteindre Taoudeni par Agueraktem, dans une région réputée infranchissable, put être accomplie avec succès. Le 30 novembre 1935 le commandant des confins parvenait à Taoudeni en avion, où l'avait déjà précédé le lieutenant Hourcabie avec son détachement d'autos spéciales sahariennes de Colomb-Béchar. Le colonel Trinquet rencontrait dans la cité du sel le lieutenant-colonel Chapsal commandant le cercle de Tombouctou. Reparti le même jour il atterrissait à Chegga où se trouvait le général Mussat, commandant les troupes du Soudan. Arrivé le 1er décembre à Tindouf, il y recevait le lendemain le général Villain, commandant supérieur des troupes de l'Afrique occidentale française, piloté par le célèbre aviateur le commandant Pelletier d'Oisy.
Pour compléter ces liaisons sensationnelles une liaison aérienne Tindouf-Taoudeni et retour était exécutée du 26 au 30 novembre par une patrouille de trois avions du Maroc dirigée par le colonel Bouscat. Cette patrouille pouvait opérer sa jonction à Taoudeni le 28 avec le général commandant supérieur des troupes de l'A.O.F. et le commandant Pelletier d'Oisy, commandant l'aviation de cette colonie.
Dans son rapport (Afrique Française mai 1936, p. 268) le colonel Trinquet, promu depuis général de brigade, a fait ressortir les difficultés qu'il fallut surmonter. Le succès de la liaison n'avait été obtenu que « grâce à un effort presque surhumain dont il est difficile d'imaginer l'intensité ». La conclusion était que la piste suivie ne pourrait être aménagée à des fins commerciales et qu'il fallait rechercher un autre itinéraire plus accessible aux automobiles.
Une seconde reconnaissance fut donc organisée sur l'itinéraire général Mreiti-Mjebir-Mrayer-Bou Maya sur le M'Dahar Oualata. Cette reconnaissance à laquelle prirent part : le détachement des autos spéciales sous les ordres du lieutenant Hourcabie, le peloton motorisé du Touat dirigé par le lieutenant Monnier, un détachement automobile du 1er Étranger avec le lieutenant Goujon, le détachement des automobiles d'Atar du capitaine Chapelle, soit au total 21 véhicules, comprenait également des éléments d'aviation : 3 avions du sud marocain et 2 de l'escadrille de Colomb-Béchar, aux ordres du commandant Dasque.
Les méharistes apportèrent aussi leur concours en occupant différents points du parcours.
Le succès le plus complet couronna les efforts. Du 20 au 31 janvier 1936 l'itinéraire fut parcouru en entier. Une double liaison directe automobile et aérienne Maroc-Soudan était réalisée. Une nouvelle voie venait d'être ainsi ouverte à travers une des régions les moins connues du Sahara occidental. Le personnel à la tâche comme le chef qui a conçu, préparé, organisé et conduit au succès une expédition de celte envergure, si pleine d'embûches et d'aléas, méritent les plus vifs éloges. Ils sont les dignes continuateurs de ceux qui les ont précédés au désert pour y faire régner la paix sous l'égide de la France.
Le Sahara central, appelé aussi le Sahara touareg, n'est plus un territoire de guerre comme l'est encore le Sahara occidental. Ce pays est entièrement pacifié ; les populations qui y nomadisent sont calmes et paisibles et la compagnie saharienne du Hoggar, au passé si glorieux, n'a plus à jouer désormais qu'un rôle effacé dans la police du désert.
Les méharistes de cette unité ont cependant réalisé en ces dernières années quelques reconnaissances à grand rayon vers l'Adrar des Iforas et le Timetrin. Leurs groupes mobiles ont assuré la tâche ingrate de protéger la piste automobile transsaharienne dans la région de l'Ahnet jusqu'à la lisière de l'Afrique occidentale française, et des liaisons annuelles ont été exécutées tant avec les méharistes du Touat qu'avec ceux des colonies du Soudan et du Niger.
Mais, bien que le Sahara central ait été parcouru en tous sens par nos détachements et qu'il n'y subsiste que peu d'endroits restant totalement ignorés, il n'en est pas moins vrai qu'il y a encore dans cette zone immense, géographiquement parlant, de nombreux problèmes à élucider, par exemple celui du cours de l'oued Tamanrasset. Cet oued quaternaire prend sa source dans le massif du Hoggar et il reçoit dans son lit un nombre considérable d'affluents descendant des pentes, sud de l'Atakor. Son cours supérieur est bien connu et les cartes sahariennes les plus récentes l'indiquent d'une manière assez précise. Mais à partir du parallèle de Timissao il se perd dans le Tanezrouft. Il en est ainsi également de l'oued Takouiat qui vient de la Tifedest et qui coule parallèlement au Tamanrasset.
Or, l'on n'est pas encore fixé de façon précise sur les circonstances qui firent disparaître les deux oueds dans le Tanezrouft, ni quelles relations exactes ils peuvent avoir avec les salines de Taoudeni et avec les oueds qui descendent du nord de l'Adrar des Iforas ou du Timetrin. S'il est vrai, comme l'affirment certains auteurs, qu'il existait jadis, aux époques géologiques, une mer intérieure reliée à l'Atlantique et se prolongeant de la région actuelle de Tombouctou jusqu'à celle de Taoudeni, il est à présumer que les grands oueds fossiles du Hoggar venaient se déverser dans cette dernière dépression. Le problème, non encore résolu, recevra sans doute bientôt une solution grâce aux travaux poursuivis dans cette région durant l'hiver 1935-1936 par M. Th. Monod, assistant au Muséum d'Histoire naturelle.
Au nord du massif du Hoggar s'étend un reg immense entouré de montagnes où l'eau et la végétation font également défaut. C'est cependant dans ce pays désolé que Pline a placé sa ville garamantique et qu'il a signalé l'existence de précieux gisements d'émeraudes. Le reg d'Amadror, ainsi qu'est appelée cette région, est à peu près uniformément plat, traversé par l'oued du même nom, dont le thalweg n'apparaît que de loin marqué par quelques touffes.
Cette contrée est bien connue des Touareg ; mais ce ne sont pas les hypothétiques richesses révélées par l'historien latin qui l'ont rendue célèbre au Sahara. Bien que la fameuse sebkra d'Amadror, dont le nom embellit toutes les cartes du désert, ne soit en réalité qu'une, dépression blanchâtre à peine visible, il existe en ce point, à proximité d'un mont d'origine volcanique et des collines de Tidjellioun, des salines importantes. L'extraction du sel y est très facile puisqu'il se trouve à peu de profondeur en petits cristaux agglutinés par une gangue terreuse dont on peut aisément le débarrasser. Les salines d'Amadror sont exploitées par les Touareg du Hoggar, non seulement pour leur propre consommation, mais aussi pour le commerce d'échanges avec l'Aïr et le Damergou. Chaque année de nombreuses caravanes transportent dans ces pays la denrée si recherchée et elles en ramènent des cotonnades ainsi que du mil.
L'Amadrof a souvent été visité par nos méharistes. En 1922 un jeune géologue, M. Conrad Kilian, a étudié en détail toute la zone comprise entre Fort Flatters et le Hoggar et séjourné pendant plusieurs mois dans le massif de l’Atakor. Il rapporta de son exploration une ample documentation géographique et géologique et son livre constitue le seul ouvrage écrit sur cette région par un spécialiste qui ait recueilli lui-même sur place ses informations.
En examinant ce qui a été fait depuis trente ans environ que la France a pris possession du Sahara, l'on constate que c'est principalement dans les débuts de l'occupation des oasis et du Sahara touareg que nos savants ont cherché à en pénétrer les secrets. En 1903 M. le professeur E. F. Gautier, géographe, séjourna au Touat et au Gourara, où il étudia surtout le régime des eaux des oasis sahariennes, puis il poussa une reconnaissance jusque dans le Mouydir. Deux années plus tard il se rendit dans l'Adrar des Iforas en prenant la piste directe d'Akabli par l'Ahnet, dite « route des moutons », et après plusieurs semaines de séjour dans cette région il poursuivit sa mission jusqu'à Gao sur le Niger. En cette même année 1905, M. le professeur Chudeau, géologue, parcourut l'Adrar, le Hoggar méridional et l'Aïr pendant cinq mois et il se consacra ensuite exclusivement à l'étude des régions soudanaises.
Parmi les études importantes qui furent exécutées dans les premiers temps de l'occupation il convient de rappeler celle de M. l'officier interprète Benhazera qui séjourna pendant six mois chez les Touareg du Hoggar en 1905 et rassembla une documentation extrêmement intéressante sur les mœurs et coutumes des populations de cette contrée.
En 1907 M. Félix Dubois, désireux de donner une suite à son livre « Tombouctou la Mystérieuse », traversa le Sahara et rapporta de son séjour sur les rives du fleuve le magnifique ouvrage intitulé « Notre beau Niger ». La même année une mission dirigée par M. Etiennot, inspecteur des postes et des télégraphes, étudia un tracé pour l'installation éventuelle d'une ligne télégraphique entre l'Algérie et le Soudan.
Un observateur astronome, M. Villatte, ancien compagnon de Foureau, resta pendant trois mois de l'année 1908 dans le Hoggar et y recueillit de nombreuses observations astronomiques qui complétèrent celles déjà enregistrées par les officiers sahariens Niéger, Arnaud, Cortier, Sigonney. Quatre ans après, le Sahara fut parcouru par la mission transafricaine dirigée par le capitaine Niéger.
Citons enfin les remarquables travaux du R. P. Charles de Foucauld depuis 1905, date de son installation dans le Hoggar, jusqu'en 1916, époque de sa mort. Le Père de Foucauld s'est surtout livré à des recherches linguistiques. On possède déjà de lui des grammaires et lexiques touareg et un recueil de poésies. Mais son œuvre est certainement beaucoup plus considérable, et il est à souhaiter que les parties qui restent encore inédites soient bientôt livrées au public.
Cette brève énumération permet de se rendre compte qu'il y a encore beaucoup à faire pour enrichir l'inventaire scientifique du Sahara central. Au printemps de l'année 1927 une mission fut chargée d'explorer le massif du Hoggar et toute la zone située au nord de ce massif. D'éminentes personnalités du monde universitaire de l'Algérie composaient cette mission : MM. le docteur Maire, professeur de botanique à la Faculté des Sciences d'Alger, correspondant de l'Institut, étudia la flore et la végétation ; le docteur Leblanc, doyen de la Faculté de Médecine d'Alger, porta ses investigations sur les divers types humains berbères de la région ; Seurat, professeur de zoologie, porta son attention sur la faune ; le docteur Foley, de l'Institut Pasteur d'Alger, étudia la pathologie humaine et la parasitologie humaine et animale ; Reygasse, chargé du cours de préhistoire nord-africaine à la faculté des Lettres, rapporta des renseignements précieux sur l'ethnographie et l'archéologie ; de Peyerimhoff, conservateur des Eaux et Forêts, procéda à des recherches d'entomologie et de climatologie. Enfin un artiste peintre, M. Paul-Elie Dubois, exécuta des toiles et des croquis du Hoggar qui eurent un grand succès.
Déjà, en 1924-1925, M. Reygasse avait participé, avec la mission de Prorok, à des fouilles du monument connu sous le nom de tombeau de Tin-Hinan. Ce tombeau, situé à Abalessa, à environ 80 kilomètres au sud-ouest de Tamanrasset, contenait, outre le squelette de Tin Hinan que les Touareg nobles du Hoggar considèrent comme leur ancêtre maternelle, un intéressant mobilier ainsi que des bijoux, dont des bracelets en or massif. En 1933 le distingué professeur se rendit de nouveau à Abalessa pour compléter ses fouilles, et il mit à jour un véritable petit fortin rappelant par sa forme les constructions berbéro-romaines.
Parmi les expéditions scientifiques qui parcoururent le Sahara central ces dernières années, une mention particulière doit être donnée à la mission Augiéras-Draper. Placée sous le patronage de la Société de Géographie de France, le groupement comprenait, en plus du capitaine Augiéras et de M. Draper, le lieutenant Gierzynski, chef de convoi, ainsi que MM. B. Besnard, diplômé de l'Université de Moscou, et Th. Monod, docteur ès-sciences, assistant au Muséum. Du mois d'octobre 1927 au mois de février 1928 la mission étudia successivement les régions du Hoggar, du Tanezrouft méridional, les confins sahéliens du Tinieirin et du Tilemsi et l'Azaouad Meraïa. Elle rapporta de cette longue reconnaissance une nombreuse documentation : levés géographiques, observations météorologiques, récoltes géologiques, collections d'objets lithiques et céramiques, de numéros zoologiques, mensurations de Touareg, collections botaniques, etc. On lui doit l'identification du fameux « loup » touareg de Duveyrier qui, d'après M. Monod, est en réalité un animal soudanais dont la présence au Sahara était restée jusque-là imprécise. C'est également à cette mission que revient l'honneur de la découverte très intéressante, faite à Asselar, près de la vallée du Tilemsi, du squelette d'un homme fossile. Selon M. le professeur Marcellin Boule, l'âge géologique de ce squelette remonterait au paléolithique supérieur, c'est-à-dire à l'âge du renne. L'homme fossile ne présente rien de commun avec les Touareg ; il s'apparenterait plutôt aux Hotlenlots. Cette découverte est importante, car elle apporte la preuve que des populations résidant actuellement dans le sud de l'Afrique ont pu s'étendre, à une époque très reculée, au nord de l'Equateur.
Dans le Sahara oriental, le pays des Touareg Ajjers constitue une région particulière. À part une bande sablonneuse au nord, dernier prolongement du grand erg oriental, il est formé tout entier d'un plateau montagneux, le Tassili. Ce plateau pelé, tourmenté, chaotique, où l'on ne circule que difficilement, s'étage en degrés successifs du nord au sud, et tombe en falaise sur la grande plaine algéro-soudanaise du Tanezrouft. Un peu de végétation n'existe que dans les oueds, canons aux parois abruptes, et dans les dépressions où ils se déversent. En quelques points l'eau est abondante et les palmiers apparaissent. On en compte quelques centaines à Harir et à Aharrar et Djanet en possède une vingtaine de mille. Mais les deux plus belles oasis de la région sont celles de Ghat et d'El-Barkat, situées sur le versant oriental, dans la zone italienne. En somme, le Tassili des Ajjers est un pays extrêmement pauvre, mais non absolument désertique. II fait songer à une Kabylie plus âpre, plus sauvage, plus hostile, dominant les vagues successives de l'erg comme la Kabylie domine la mer et pareillement habitée par une race berbère. Le pays des Ajjers a été reconnu en tous sens par nos officiers sahariens et les nombreux levés d'itinéraires qu'ils ont exécutés ont permis d'en dresser une carte à peu près complète. D'autre part, Duveyrier nous a laissé, sur cette contrée qu'il a parcourue pendant plusieurs années, un magistral ouvrage.
Du côté de l'est le Sahara français confine à la Libye italienne et les accords franco-italiens de 1919, sanctionnés en 1923 par un vote du parlement, ont apporté au profit de la colonie voisine des rectifications assez importantes à la frontière jusqu'alors admise. Le nouveau texte diplomatique stipule, en particulier, que « de Ghat à Tummo la frontière sera déterminée d'après la crête des montagnes qui s'étendent entre ces deux localités en attribuant toutefois à l'Italie les lignes de communications directes entre ces mêmes localités », et il ajoute que « le tracé de la nouvelle frontière entre la Tripolitaine et l'Algérie sera établi par voie de vérification sur les lieux ».
Si la région comprise entre Ghadamès et Ghat est assez bien connue, il n'en était pas de même récemment encore au sud de cette dernière ville. Les monts Tummo notamment, que les cartes sahariennes représentent, d'après des renseignements indigènes, comme un important massif, étaient totalement ignorés et la zone située entre Djanet et Bilma, Tanezrouft hyperbolique sans végétation et presque sans eau, n'avait jamais été visitée par nos méharistes.
Il était cependant indispensable de recueillir des renseignements précis sur cette contrée et de connaître la véritable configuration des monts Tummo. Une première reconnaissance, placée sous le commandement d'un officier de la compagnie saharienne des Ajjers, le lieutenant Duffau eut lieu-au printemps de 1924. Elle ne put s'aventurer jusqu'au puits de Tummo n'ayant pas de guide connaissant cette région, mais elle traversa l'immense plaine désertique, reconnut un passage pour les automobiles et se rencontra à Djado, puis à Bilma, avec des détachements méharistes de la colonie du Niger.
Le même itinéraire fut suivi plus tard à méhari par M. Bruneau de Laborie, puis en 1925 par la mission automobile du lieutenant-colonel Courtot qui alla de Tunis au Tchad par Djanet et Bilma. Au début de l'année 1927, une nouvelle jonction eut lieu à Djado entre les méharistes algériens et les méharistes du Niger. Au retour le détachement algérien opéra la reconnaissance du puits de Tummo et de la frontière présumée entre ce point d'eau et Djanet. Cette magnifique randonnée fait le plus grand honneur aux deux officiers qui l'ont dirigée : le capitaine Duprez et le lieutenant Fouquet. Des renseignements géographiques et topographiques extrêmement intéressants, de nombreuses observations astronomiques, des documents géologiques, apportèrent une contribution sérieuse à une connaissance plus complète de ces régions.
En 1928 une reconnaissance dirigée par le lieutenant Toubeau de Maisonneuve, de la compagnie saharienne des Ajjers, s'est rencontrée à In-Azaoua, au nord du massif de l'Aïr, avec un détachement de méharistes venu d'Agadez, Après avoir séjourné quelques jours à In-Azaoua, la reconnaissance algérienne remonta le cours de l'oued Tafassasset en ayant fréquemment recours à la boussole, et elle atteignit In-Ezzan le 15 février. En ce point elle fit jonction avec une section de méharistes venue de Bilma et les deux détachements gagnèrent Djanet de conserve. Cette belle reconnaissance permit au lieutenant Toubeau de Maisonneuve de relever 2 700 kilomètres carrés de territoire encore inexploré et d'apporter certaines précisions sur le cours de l'oued Tafassasset.
Ce grand oued quaternaire prend sa source dans le Djebel Ounan, sur le versant méridional du Tassili, et il reçoit un grand nombre d'affluents dont la plupart descendent de ce plateau par la plaine d'Admer, tandis que d'autres proviennent des pentes nord-est du massif du Hoggar. Son cours, tel qu'il est indiqué sur les cartes, apparait assez capricieux. Jusqu'à In-Afalehleh il se dirige sans hésitation vers le sud-est, puis, brusquement, à partir de ce point, il s'infléchit vers le sud-ouest en direction d'In-Azaoùa décrivant un arc de cercle très prononcé.
Or, si le cours du Tafassasset a été reconnu jusqu'à In-Afalehleh, au delà de ce puits il n'avait jamais été identifié et en présence d'opinions opposées exprimées à son sujet par de savants explorateurs, on pouvait se demander si c'est bien cet oued quaternaire que l'on retrouve dans les dépressions d'In-Azaoua et d'Assiou, à la limite algéro-soudanaise. Von Bary, se basant sur des renseignements indigènes, a indiqué que le Tafassasset aboutit à Bilma dans le Kaouar. Si cette hypothèse était admise il se rattacherait alors au bassin du Bahr-el-Ghazal et ne décrirait pas la belle et harmonieuse courbe qu'un dessinateur a portée sur la carte. Barth et Duveyrier, ayant puisé leurs informations à la même source que leur prédécesseur, ont pensé, au contraire, que l'oued est un tributaire du fleuve Niger. C'est cette opinion qui, jusqu'ici, a prévalu.
Le problème du Tafassasset a également été étudié par M. Conrad Kilian qui a exploré le Ténéré en 1928. Sans escorte, accompagné seulement de deux guides touareg, ce jeune et hardi géologue parcourut une grande partie de ce désert, reconnut l'emplacement des monts Tummo et rapporta de son exploration de précieux renseignements.
Au mois de décembre 1931 le capitaine Duprez, chargé de trouver un itinéraire accessible aux automobiles entre Djanet, In-Afalehleh et Djado, fit liaison à Chirfha avec le groupe nomade de N'Guigmi. Au retour il franchit de nouveau le Ténéré, mais en diagonale, pour atteindre le puits d'In-Afalehleh. Le chef de bataillon Carbillet, commandant militaire du territoire des oasis, qui s'était rendu à Bilma où avait eu lieu une conférence avec les autorités de l'Afrique occidentale française et de l'Afrique équatoriale française, comptait prendre au retour, avec son convoi automobile l'itinéraire, reconnu par le capitaine Duprez, mais les difficultés signalées par cet officier obligèrent le commandant militaire à renoncer à ce projet.
Quelques mois après, au printemps 1932, le lieutenant Noé, à la tête d'un détachement méhariste de la compagnie saharienne des Ajjers, exécutait une belle reconnaissance sur Madama et Affaf en vue d'assurer la liaison entre Djanet et l'Afrique équatoriale française. À la même date un détachement de la compagnie du Hoggar se rencontrait à In-Guezzam avec le groupe nomade du Niger. En janvier 1934 enfin, un détachement de la compagnie des Ajjers quittait Djanet pour procéder à l'étude d'un itinéraire automobilisable entre Djanet et Agadez à travers le Ténéré.
Dans le domaine scientifique le pays Ajjer a récemment soulevé un coin du voile qui enveloppait son mystérieux passé. Un officier de la compagnie saharienne, le lieutenant Brenans, ayant découvert au cours de reconnaissances dans le Tassili de fort belles peintures à l'ocre ainsi que des gravures rupestres, s'empressa d'en faire quelques croquis qu'il communiqua à MM. les professeurs Gautier et Reygasse. Les deux savants organisèrent alors une mission. Ils se rendirent dans le Sahara oriental pendant l'hiver 1933-1934 et ils recueillirent une importante documentation qui fit l'objet d'une communication à l'Académie des Sciences. Les peintures à l'ocre représentent des soldats armés de sagaies et de boucliers et revêtus d'une tunique à manches. D'autres reproduisent des chars de guerre identiques à ceux déjà découverts dans le Fezzan, mais en plus grand nombre. Les gravures sur roche sont des figurations humaines mêlées à des figurations d'animaux.
M. Gautier s'est exprimé ainsi au sujet de ces découvertes (Monde Colonial Illustré, juillet 1934) : « L'an dernier, hiver 1933, les fouilles de M. Reygasse du tombeau de Tin Hinan à Abalessa ont révélé que, à une date précise, au Ve siècle après J.-C, une grande route de caravanes, passant par le Hoggar, unissait à travers le Sahara touareg la Méditerranée et le Soudan.
La mission de 1934 nous reporte beaucoup plus loin dans le passé. Plus anciennement que le Ve siècle avant J.-C, nous trouvons les montagnes touarègues occupées par les Garamantes, prédécesseurs et peut-être ancêtres des Touareg, dont la grande affaire était déjà le convoi vers le Soudan des influences méditerranéennes et vice-versa : les premiers transsahariens que nous puissions nommer et dater.
Il peut nous sembler, au moins comme hypothèse commode et provisoire, qu'ils furent à l'origine une colonisation Egéenne et Egyptienne, peut-être de ceux que les Egyptiens appelaient les Peuples de la Mer. Ils ont importé en tous cas un art d'affinités gréco-égyptiennes, déjà tout formé et qui par la suite a dégénéré. Les Touareg ; ont l'air de retrouver là leurs ancêtres, leurs papiers, ou du moins leurs souches de famille, leurs archives ».
Les grandes reconnaissances sahariennes d'exploration sont aujourd'hui terminées. L'inventaire purement géographique du désert comme sa pacification totale sont pour ainsi dire achevées et, bientôt, lorsque le Sahara occidental aura cessé tout à fait d'être un repaire de pillards, le rôle des compagnies sahariennes se trouvera réduit à une facile besogne de police. Mais un champ d'activité à peu près inépuisable demeure ouvert aux savants. Désormais ceux-ci pourront poursuivre leurs recherches en toute tranquillité d'esprit et offrir ainsi de nouvelles découvertes qui enrichiront notre patrimoine intellectuel et révéleront peut-être des ressources minières encore insoupçonnées.