Ils ont choisi le Sahara pour horizon. Aujourd’hui, ils nous ouvrent grand les portes du désert. Jean-Marc Durou, éternel coureur des sables, a suivi l’une des dernières caravanes de sel à travers le Ténéré. Au cours de ses pérégrinations, Théodore Monod, l’impénitent amoureux du Sahara, a essuyé les plus belles tempêtes de sable dont un naturaliste puisse rêver. Odile Dayak, l’épouse du chef de la rébellion touareg, Mano Dayak, a partagé son existence libre et nomade. Le photographe Hans-Gerold Laukel, lui, a surpris la vie privée des fennecs. Ils racontent.

MA VIE DE FEMME TOUAREG

Par amour du désert et du plus rebelle des Touaregs,
Odile Dayak a vécu la vie des nomades

Comment avez-vous rencontré Mano Dayak ?
Je l’ai connu lors d’un voyage au Niger, alors que j’étais étudiante. Il faisait ses études à Paris. Nous avons vécu ensemble et, quelques années après, nous avons décidé de nous installer au Niger. Nous sommes ainsi restés quinze ans dans ce pays, entre Agadès et Niamey.

Vous avez, pendant toutes ces années, partagé la vie des femmes touaregs. Votre intégration a-t-elle été difficile ?
Le seul obstacle, c’était la langue. Comme je ne comprenais pas le tamacheq, la langue des Touaregs, il y a eu au début un problème de communication. Mais malgré cela, les femmes m’ont très vite acceptée parmi elles.

Odile Dayak
au Niger

Et leur existence, comment se déroule-t-elle ?
Les femmes touaregs sont assez autonomes. Les hommes voyagent beaucoup. Ils s’occupent de l’élevage des chameaux, partent vers les pâturages. Pendant ce temps, la femme nomadise avec les chèvres, mais sur des distances beaucoup plus courtes. Elle déplace sa tente autour du campement. Chaque famille a sa propre tente, et les tentes d’une même tribu sont disséminées sur plusieurs kilomètres. Après la saison des pluies, on trouve de l’eau en abondance. Alors les tribus n’ont pas à se déplacer et restent plusieurs mois au même endroit. À partir du mois d’avril, le niveau de la nappe phréatique est trop bas et les Touaregs se rapprochent des points d’eau permanents.

Les enfants restent-ils avec elles ?
Oui, on voit parfois de grandes caravanes d’ânes conduites par des petites filles, très gaies, qui vont chercher de l’eau au puits. Elles remplissent les outres d’eau, les chargent sur les ânes puis reviennent au campement. Vers dix-douze ans, les garçons, eux, accompagnent leur père pour apprendre la vie de caravanier ou d’éleveur de chameau. Les femmes touaregs hésitent souvent à envoyer leurs enfants à l’école. Elles savent qu’en ville ils seront coupés de leur groupe d’origine et seront peut-être perdus pour la communauté touareg. L’idéal serait de mettre en place une école qui permette à ces enfants d’apprendre à lire et à écrire sans les isoler de leur communauté.

Les femmes touaregs, ici celles de la tribu des Tédélé, dans l’Aïr, se déplacent à dos d’âne. Seuls les hommes entreprennent les longues méharées. Les Touaregs sont de grands voyageurs, mais nomadisent sur de courtes distances. Rares sont les déplacements de tribus entières.

 

Dans les monts de l’Aïr, les enfants gardent
les chèvres et les jeunes dromadaires.
Les garçons partent avec les caravanes
dès l’âge de douze ans.

 

Quel avenir pour les Touaregs ?

Grands perdants de la décolonisation, les Touaregs sont écartelés entre Algérie, Mali, Burkina Faso, Niger et Libye. Alors que les autres peuples sahariens, Maures de Mauritanie et Toubous du Tchad, ont accédé au pouvoir dans leur propre pays, les Touaregs dépendent de gouvernements qui les accusent de ne pas tenir compte des frontières, de nourrir des intentions indépendantistes, sinon de faire le jeu géopolitique des pays frontaliers. La désertification, qui s’est accentuée depuis 1973, la corruption, qui a détourné l’aide internationale, et le retour des jeunes, que la sécheresse avait chassés, en particulier en Libye, ont favorisé le mécontentement.
Le 7 mai 1990, la mort de deux gendarmes nigériens à Tchin-Tabaraden déclenche une répression qui se propage au Mali. Exécutions, campements détruits, puits empoisonnés. Les Algériens, qui avaient expulsé en 1986 les réfugiés établis près de Tamanrasset, se posent en médiateurs et en protecteurs des Touaregs. En dépit d’accords de paix – au Mali en 1992 et au Niger en 1994 – accompagnés de promesses non tenues de démilitarisation et de développement des régions concernées, le climat de guerre larvée, nourrie de la proximité des guérillas tchadiennes et des influences islamistes, n’a jamais cessé.
Bernard Nantet

Quel est le statut des femmes dans la société touareg ?
Celles qui vivent encore de manière traditionnelle ont une certaine forme d’indépendance économique. Elles sont propriétaires de leur maison, de leur tente, elles possèdent un troupeau. Si elles ne s’entendent pas avec leur mari, elles peuvent très bien décider de divorcer, et elles partent avec tous les biens. On dit même que les hommes vivent chez leur femme. En ville, leur statut est différent: en général, la maison est louée par l’homme, et il est plus difficile pour elles de prendre leur indépendance. C’est dans les villes également que les hommes touaregs ont tendance à devenir polygames – chose impensable dans le désert. Je me souviens d’un scandale provoqué un jour dans un campement par un Touareg qui avait voulu prendre une seconde épouse. Au bout d’une semaine, il a dû rentrer dans le rang.

DANS LA SOCIÉTÉ TOUAREG, CE SONT LES HOMMES QUI PORTENT LE VOILE.
LES FEMMES, INDÉPENDANTES, VIVENT A VISAGE DÉCOUVERT

Est-ce que cette vie vous a plu ?
Oui, beaucoup. Il y a d’abord le soleil et la beauté des paysages bien sûr, mais il y a aussi une grande simplicité de vie. On ne s’encombre pas de choses inutiles, on ne se complique pas l’existence. On vit au jour le jour, sans faire de projections sur l’avenir. Et puis, il y a une grande connivence entre femmes. On papote et on s’entraide beaucoup, même pour l’éducation des enfants. Mes enfants ont ainsi plusieurs « mamans » parmi les femmes touaregs. En retour, je suis la « maman » de plusieurs d’entre eux. La vie est dure, mais il y a une grande qualité des relations humaines.

Sont-elles attachées à leur mode de vie ?
J’ai une amie touareg qui vient me rendre visite en France de temps en temps. Au bout de quelques semaines, elle éprouve une certaine nostalgie. Il lui tarde de retrouver cette vie communautaire qui peut exister entre Touaregs, cette entraide. Ici, on vit très seul, on peut passer des mois sans voir des amis qui habitent à dix minutes de chez soi. C’est une déformation des grandes villes que d’ignorer ceux qui vivent autour de soi. Là-bas, c’est totalement inconcevable. Il ne se passe pas une journée sans qu’il y ait une voisine qui vienne vous dire bonjour. On ne peut pas vivre sans aller voir les gens qui sont proches.

Le rebelle du désert

De la révolte touareg de 1990, issue du drame de la sécheresse et du sous-développement, émerge la figure emblématique de Mano Dayak, un Touareg de l’Aïr (Niger). Militaire dans l’armée française, puis étudiant en ethnologie, il est plus que tout autre à même d’être le porte-parole de son peuple. Revenu au Niger en 1974, il veut faire découvrir au public un Sahara qui n’existe qu’à travers le mythe du chamelier touareg. La rébellion armée qui éclate en 1991 propulse Mano Dayak au devant de la scène, comme porte-parole auprès des médias qui accompagnent le Paris-Dakar, fondateur d’un mouvement de libération, héraut de l’identité touareg et surtout médiateur auprès des autorités nigériennes et de la France, qui joue également les médiateurs. C’est après une tentative pour aplanir les dissensions au sein de la rébellion que son avion s’écrase au bout d’une piste dans le désert du Ténéré, le 15 décembre 1995.
B. N.


Mano Dayak, avec ses deux fils, Maouli et Madani.
Chef de la rébellion touareg, il s’est battu
pour la paix, et le respect de son peuple.

 

« LE DÉSERT SEMBLE ÉTERNEL À CELUI QUI L'HABITE,
ET IL OFFRE CETTE ÉTERNITÉ À L'HOMME QUI SAURA S'Y ATTACHER »
MANO DAYAK

 

Source :

n° 126 de mars 1998

 

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