LA RAHLA (Amicale des Sahariens)
Le Saharien n° 232– Mars 2020
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

À propos de la météo au Sahara

Depuis des lustres nos concitoyens du midi de la France se sentaient bien proches du Sahara quand d’aventure cet univers, objet de notre curiosité, venait saupoudrer d’un nuage léger d’un sable fin et gracieusement coloré nos campagnes et nos villes. « Un peu de Sahara dans le ciel de France » titrait récemment une de nos pages d’actualité sur ce curieux phénomène. Jusqu’à présent, cette incursion de la sphère saharienne se limitait à cette invasion plutôt sympathique, empreinte d’une certaine poésie ; tout au moins à notre époque, car dans l’Antiquité et au Moyen Âge l’on redoutait cet étrange nuage de « pluie du sang » quand celui-ci était chargé en oxydes ferriques.
Et puis voilà que tout d’un coup nous nous sommes tous retrouvés cet été en plein désert, avec des températures extrêmes jamais connues dans des pays considérés comme baignant dans un climat tempéré. 45,9° record absolu dans le Gard pour la France : une température qui surpasse la moyenne annuelle du Sahara, atteignant même celle ordinaire de la célèbre Death Valley de la Californie ! Le Sahara viendrait-il jusqu’à nous ? C’est d’autant peu probable, que déjà nos grands anciens ont du mal à définir ce qu’est le vrai désert. En naturaliste distingué, Théodore Monod qui ne manquait pas d’humour et de bon sens avait décrété que le vrai Sahara se trouvait là où la mouche n’est plus en mesure de vous ennuyer... Plus sérieusement, il a montré dans une étude très exhaustive la complexité scientifique du problème en posant la question : Qu’est-ce qu’un désert ?1
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1 Monod Th (1988) : Déserts, Ed. AGEP, Marseille

À la recherche de la définition

La même année (1988) Jean Dubief, éminent climatologue saharien, dans son Précis sur le climat du Sahara y résume toute sa vie de recherche. Il met en lumière combien le sujet désertique suscite des controverses chez les scientifiques selon leurs disciplines. Notre seule ambition ici étant une simple digression sur un sujet bien compliqué et sérieux, nous nous garderons d’entrer dans le vif du sujet. On retiendra simplement après lui que le Sahara « ... a pour frontières généralement admises : au nord, la zone limite des palmiers dattiers ; au sud, celle de la lisière septentrionale de la zone occupée par le cram-cram. Ces limites sont voisines des tracés des isohyètes annuelles de 100 mm au nord, de 150 mm au sud. Le Sahara atteindrait ainsi le bord de la Méditerranée dans le fond du golfe de la Grande Syrte et dans l’est du delta du Nil. L’Atlantique et la mer Rouge le borneraient à l’ouest et à l’est. »2
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2 Œuvre méconnue, car n’a été publiée qu’en allemand : Die Sahara, eine Klima-Wuste. La bibliothèque de La Rahla possède l’un des 5 tapuscrits originaux en français; disponible pour les chercheurs.



Pour décréter que le mot Sahara laisse entendre qu’il y a Désert, encore fallait-il disposer de données météorologiques sérieuses. Certes, les explorateurs du XIXe siècle ont, dans la mesure du possible, réalisé des relevés globalement significatifs tels : G. F. Lyon et ses compagnons en 1819 à Mourzouk ; E Caillaud (1819-20) lors de son mémorable voyage en Égypte et au Soudan. Enfin les grands Sahariens H. Barth (1849-55), H. Duveyrier (1860-61), G. Rohlfs (1865-79), G. Nachtigal (1869-70). Malgré tout, ces relevés ne pouvaient avoir la rigueur que l’on met de nos jours : à défaut d’être fiables, ils ont le mérite d’avoir une valeur indicative.

Les premières stations : Biskra et Laghouat

En ce qui concerne le Sahara algérien, Biskra (1845) et Laghouat (1864) furent les deux premières stations météorologiques. Le réseau devait s’étendre progressivement, mais lentement. De plus, apparu un problème singulier : comme Tartarin de Tarascon, certains trouvèrent chic de figurer au Guiness des records en forçant le tableau, comme si déjà il ne faisait pas suffisamment chaud au Sahara. Ainsi, J. Dubief, de s’en offusquer déjà en 1959 : « on a beaucoup écrit sur les températures maximales absolues, et la plupart des auteurs traitant du climat saharien se sont appesanti sur celles-ci. Dans leur désir de citer des chiffres qui frappent l’imagination, de donner des « records », ils ont fait appel à des valeurs anciennes, donc contestables, car relatives à des abris mal adaptés aux régions sahariennes ». Et prenant l’exemple d’un auteur sur le Climat du Sahara écrivant qu’à In Salah en 1931 « on a observé un maximum absolu de 53°, au cours d’une période de 45 jours où les maxima moyens ont été de 48° ; le minimum n’est pas tombé au-dessous de 21°. C’est un record qui surpasse celui de la Death Valley ». Et J. Dubief de conclure qu’il n’avait trouvé aucune trace d’une telle température en cette station, ni en 1931, ni en d’autres années. De ses propres études, il note que les plus hautes valeurs des maxima ne se rencontrent pas au centre du Sahara, mais sur la bordure septentrionale, ce qui laisse supposer « quelles n’ont pu se produire que grâce à l’appoint d’un vent ayant une température élevée, acquise non seulement au cours d’un long trajet au-dessus du désert, mais aussi lors d’un affaissement ou d’un effet foehn ».3


Les stations du Sahara central

Au Sahara central, Charles de Foucauld, on l’a vu récemment,4 a été l’un des tout premiers à réaliser des relevés climatiques sérieux à l’Assekrem, puis à Tamanrasset. L’insécurité au Sahara pendant la Grande Guerre entraîna inévitablement un long intermède en dépit d’une tentative du général Laperrine en 1919 auprès de l’Institut de Météorologie et de Physique du Globe d’Alger. Ainsi, les observations ne purent être reprises à Tamanrasset avant 1924. Parallèlement, un maillage de stations scientifiques du territoire saharien se met réellement en place dans les années 1930 avec une trentaine de stations bien réparties.
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3 Dubief J. (1999) :L’Ajjer, Sahara. Karthala, p. 417. L’effet de foehn étant la rencontre d’un vent dominant avec un haut relief, les nuages crevant d’un côté et alimentant un fort courant d’air chaud et sec de l’autre.
4 « Charles de Foucauld 1852-1916. Explorateur et scientifique ». Le Saharien, 2016, n°217-18, pp. 88-115.

Car, à la veille de la Seconde Guerre mondiale on prit conscience de l’intérêt que représentait la connaissance météorologique, aussi bien pour des raisons économiques (agriculture notamment) que stratégique. Si bien que l’on décida d’y mettre à contribution toutes les entités administratives du Sahara - les postes sahariens en particulier - au moyen de fiches mensuelles de renseignements météos élémentaires : pluies, oueds ayant coulé, vents de sable.

La présence de spécialistes pour des postes isolés n’était certainement pas une simple affaire, car elle nécessitait manifestement des volontaires à la personnalité bien équilibrée pour un séjour d’extrême précarité. Pour en avoir une idée, on en jugera par le témoignage suivant que la Rahla a reçu récemment pour ses archives. Il s’agit de l’expérience vécue par Jean-Marie Laporte, qui doit prendre en mai 1945 la station météo de Ouallen5 . Vous savez, ce poste perdu au beau milieu du Tanezrouft qui n’a pas servi à grand-chose, si ce n’est que c’est l’un des très rares points d’eau qui puisse exister à quelques centaines de kilomètres à la ronde. Peu de monde peut se glorifier d’y être passé, car il est loin de « l’autoroute » Reggan - Gao par Bidon V. Bref, le lieu idéal pour tous agoraphobes.
« [d’Alger] je m’enfonce vers le sud pour un voyage un peu extraordinaire et comme on n’a pas l’habitude d’en voir ici. À peine arrivé de France, non habitué à un climat pénible, car c’est déjà l’été, je vais en moins d’une semaine d’Alger à Ouallen. Départ mercredi [par le train}. Jeudi à Colomb Béchar. Je prends la piste avec un camion de la Cie Transsaharienne. Samedi j’arrive à Adrar. Dimanche à Reggane. Lundi à la Balise 250 en plein Tanezrouft. Je n’ai pas dormi une seule fois dans un lit depuis Alger. Je me repose sur la banquette du véhicule et je commence à être sérieusement fatigué. Lundi soir nous quittons la balise pour nous enfoncer dans ce fameux pays de la soif et de la peur. Nous arrivons mercredi matin à Ouallen (soit à 80 km de la piste en Reggane et Bidon V et à l’est) après avoir marché soit à chameau, soit à pied. Vous parlez d’un voyage ! Moi qui étais sédentaire et qui ignorais les mouches ! Rien qu’à l’arrivée il nous a fallu marcher 4 h 12 en plein djebel (colline de pierre), et Dieu sait s’il fallait trotter vite !
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5 Voir Verbatim, à la fin de l’article.


Ouallen c’est tout simplement un bordj (ou petit fort), un quadrilatère blanc en terre d’une quarantaine de mètres de côté dans une cuvette fermée par les djebels et au pied de l’un d’eux, un puits, mais pas d’arbres, ni de palmeraie, ni d’oasis. Il y a 3 radios, le météo et 6 méharistes. 2 camions de ravitaillement par an. Grâce à la relève météo le courrier pourra partir tout de suite, après il nous faudra attendre septembre. Mais surtout, que cela ne vous empêche pas d’écrire au pauvre isolé que me voilà devenu. L’hiver il passe ici les grandes caravanes du Soudan. On mange de la viande fraiche. Pour l’instant il n’y a que des conserves. En tout cas le moral est toujours bon... je n’ai pas encore le cafard. Mes appartements sont grands et sympathiques, propres et bien en ordre grâce à mon prédécesseur. J’ai tendu des toiles dans les portes, il fait frais. Entendez que l’après-midi il y a 36°, alors que ça monte déjà à 44° à l’extérieur. [...] Ce qui manque ici ce sont des bêtes. En hiver je tâcherai d’acheter une gazelle à une caravane et de l’élever. Je vais vous quitter, car un courrier fou m’attend, mais je voudrais encore vous dire que le désert est formidable et totalement différent de ce qu’on peut se représenter quant au film sur le Sahara. De la « rigolade » pure et simple. »6

Dans ce quadrillage serré, Tamanrasset était appelé dès 1932 à avoir un rôle essentiel en raison de sa position centrale, de son haut relief, et de l’antériorité de relevés effectués, pour devenir l’observatoire principal des recherches météorologiques au Sahara. Le site était évidemment favorable pour y poursuivre de fructueux relevés, notamment ceux relatifs à la radiation solaire et au magnétisme terrestre. Ce ne fut pas une simple affaire, car le projet était ambitieux, nécessitant des matériaux de construction nombreux et variés... à transporter sur des pistes alors bien chaotiques.
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6 J-M. Laporte fait sans doute référence ici au film S.O.S. Sahara, évoquant une romance tumultueuse en plein désert, du chef d’un poste de la Compagnie Transsaharienne qui voit revenir son ex-femme, créature sans scrupules. On imagine facilement le film guimauve… malgré la présence d’acteurs renommés comme Charles Vanel.

Trois pavillons scientifiques sont édifiés : l’un abrite les instruments magnétiques, l’autre servant la météorologie contient les baromètres, les anémomètres, un cabinet de photographie, etc., le troisième étant occupé par les divers postes de TSF et l’atelier... sans parler des bâtiments d’habitation. Autour de ces constructions, se trouvent disséminés, çà et là divers abris pour les actinomètres, thermomètres ainsi que des piliers pour supporter héliographes ou théodolites. Enfin, au milieu d’un parc se dresse une herse néphoscopique pour la mesure de la vitesse des nuages. Dès le début, seront aussi pratiqués des sondages atmosphériques par ballons-pilotes. C’est dire si l’importance météo de la station de Tamanrasset a complètement échappé aux touristes de passage ! Bien entendu, l’intrusion des technologies de nos jours a révolutionné non seulement l’application de ces différents matériels, mais aussi les compétences professionnelles ; bien naturellement, le site s’en est trouvé transformé, étant d’emblée inclus dans le réseau international.
La station de l'Assekrem ne va pas être oubliée pour autant. Dès 1955, grâce à la présence des Frères Alain, Édouard (très impliqué dans les relevés), et surtout Jean-Marie (ancien officier de Marine qui passa pratiquement trente années de son existence à l’Assekrem), une station modeste revoit le jour. Frère Antoine y fut aussi présent, mais seulement par intermittence compte tenu de ses responsabilités religieuses à Tamanrasset. Cette activité frôlait le bénévolat; qu’on en juge : en 1981, l’« indemnité » n’est que de 200 dinars, malgré un travail supplémentaire demandé par la Météo algérienne, sans être payés pour le dernier trimestre 1979 et pour le dernier semestre 80 ! Cependant, on apprend par une lettre du 29 août 1984 de Frère Jean-Marie à J. Dubief : « grâce à l’intervention du colonel commandant l’armée à Tarn, et du Wali, Édouard a été nommé observateur auxiliaire de météo avec un salaire de 1 000 dinars par mois, au lieu de 200 dinars que nous touchions jusqu’à maintenant. Mais il y a plus d’un an que nous n’avons pas été payés ! »
Ces années 1980 vont malheureusement modifier la physionomie de la plateforme de l’Assekrem : un radar de l’armée y fut dressé et pour monter tout le matériel nécessaire un chemin de halage spécial fut tracé dans son flanc qui en portera à jamais les cicatrices. De plus en 1984-85, une antenne relais-radio de 25 m de haut, la construction de 4 plateformes artificielles de 3 m de haut et finalement des bâtiments techniques vont défigurer le paysage... et empêcher l’accès à la plus grande partie de l’espace. Pour ce faire, une route fut tracée jusqu’au sommet... mais interdite aux touristes.
Si les stations de Tamanrasset et de l'Assekrem sont d’un intérêt tout particulier dans le réseau météorologique mondial, c’est bien en raison de leur implantation stratégique caractérisée par un climat influencé par les régimes soudano-saharien et méditerranéen avec une faible pluviométrie, une température élevée en été, une forte évaporation et un fort ensoleillement. Le site de l’Assekrem a de plus l’avantage d’être loin de toute source locale ou proche de pollution, ce qui permet de pratiquer des mesures spécifiques de pollution de fond : c’est ainsi que l’ozone total peut y être déterminé en fonction des irradiations de l’ultraviolet. Si bien que la continuité des mesures de l’ozone du Hoggar constitue un apport scientifique majeur pour notre époque inquiète de l’écologie de la planète !7
Ainsi, ce que nous avons vécu cet été en France n’est-il qu’un « accident de parcours » dans le déroulement du temps météorologique ? Une chose est sure : le « vécu » de nos agriculteurs du nord de la France n’a pas été, lui, un « mirage ». Espérons que le « ressenti » que nous avons eu restera qu’une simple impression n’affectant pas l’avenir, que la sécheresse de l’été ne soit pas une anomalie profonde du cycle hydrique qui ferait remonter le Sahara jusqu’à nous.8 D’autant plus que - ironie de la nature - les pluies soudanaises d’origine tropicale remontant vers le nord, deux scientifiques n’ont-ils pas réalisé une étude des plus sérieuse ayant pour titre : « Peut-on encore parler de sécheresse au Sahara ? »9
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7 cf photos en couleur tirées du rapport de Zeudmi-sahraoui Lahouari ; 9 Réunion des directeurs de recherche sur l’ozone des parties de la Convention de Vienne, 2014
8 Pour ceux qui s’intéressent à ces questions, voir la revue Sécheresse qui existe depuis 1990.
9 cf. article de C. Thirriot & A. Matari, dans la revue « La Houille Blanche », n ° 7/8, 1989.

 

Première lettre de J.-M. Laporte, jeune météo affecté à Ouallen