Point de
vue, Images du monde n° 257 du 7 mai 1953
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
VOICI
LE SAHARA DANS L’INTIMITÉ
par Roger FRISON-ROCHE
Pour bien comprendre le Sahara, il faut avoir constamment à l’esprit ses dimensions extraordinaires. Je ne vous ferai pas un cours de géographie — je sais que vous connaissez tous votre géographie, bien que Français — vous savez que le Sahara se trouve en Afrique du Nord, entre la Méditerranée, le Niger et le Tchad. Seulement peut-être est-il bon de rappeler que le Sahara est beaucoup plus grand qu’on ne le pense : de l'océan Atlantique à la mer Rouge, il s’étend sur 6 000 kilomètres, et, du nord au sud, de la Méditerranée jusqu’au pays noir, il mesure 3 000 kilomètres.
Un grand savant, le professeur Gauthier, avait défini le Sahara comme une mer ; il entendait par là, non pas la mer romantique des dunes et des palmes, mais quelque chose de comparable à un océan au sens physique du terme, c’est-à-dire un vaste espace où il n’y a rien, un espace qui justement, en raison de sa solitude et de son étendue désertique, unit bien plus qu’il ne sépare.
Cette étrange vision d’un oasis a été prise au-dessus d’El Oued. Chaque îlot de palmiers se trouve enfoui dans le sable, et c’est un
travail incessant pour dégager la végétation et lui permettre d’être au contact avec la nappe d’eau souterraineLa terre des Foucauld et des Laperrine…
Frison Roche (47 ans) c’est non seulement l’auteur du plus gros tirage de l’après-guerre, c’est l’un des meilleurs grands reporters de l’époque. C’est à la fois comme guide et comme journaliste qu’il a débuté dans la vie. Dès 1935 il explore le Sahara avec le capitaine Coche, il y retourne sans cesse. Après le célèbre Premier de Cordée, c’est au Sahara qu’il mène ses lecteurs avec La Piste oubliée et Le Grand Désert. Nul mieux que lui n’était qualifié pour exposer l’aspect du désert aujourd’hui livré aux touristes.
Il n’y a cependant pas tant de différences entre le Sahara et la montagne. C’est d’ailleurs un guide qui a découvert le Sahara. C’est, en effet en 1935, alors que j’étais guide à Chamonix, que le capitaine Coche me demanda pour gravir les sommets de la Garet el Djenoun du Hoggar et de la Tefedest.
Eh bien ! j’avoue que je me suis tout de suite senti à l’aise là-bas. J’ai trouvé des sensations qui dépassaient peut-être celles que m’avait procuré la montagne, non pas nouvelles, mais beaucoup plus grandes, dans le temps, dans l’espace et même dans le cœur.
Il y a cependant, au Sahara, des gens qui vivent normalement ; ce sont, ou les sédentaires dans les oasis, ou les grands nomades, en dehors des oasis et des pistes. Il y a entre eux de nombreuses différences. Les gens des oasis sont un peu comme les habitants des îles du Pacifique ; ils vivent dans un petit univers fermé dont ils ne peuvent s’évader. Les grands nomades, au contraire, ont trouvé le moyen de dompter cette nature hostile et ils parcourent des régions que personne ne connaît, qui sont restées aussi primitives et aussi pures qu’il y a des millénaires.
À 1 320 kilomètres d’Alger à vol d’oiseau, voici In-Salah dans une cuvette d’effondrement, c’est une oasis de toub rouge, d’aspect soudanais. Là convergent toutes les races de l’Afrique, venant du Nord, de l’Est, de l’Ouest, de Mauritanie, du Fezzan, d’Afrique du Nord, du Niger ou du Tchad.
Plus au nord, une autre oasis, séparée de tout par 400 ou 500 km Ghardaïa, la ville mozabite, la ville blanche, aux ruelles animées. Vous voyez des légumes, ces pâles légumes du désert, que l’on fait pousser en allant chercher l’eau parfois à 800 mètres de profondeur.
Très loin, dans le Sud, voici Djanet, à 2 853 kilomètres d’Alger par la piste, une piste très dure, qui n’est pas la transversale africaine. C’est Fort-Charlet, un des postes les plus lointains de notre pays où vit une poignée d’hommes, dans un climat très dur, mais dans un paysage prenant.*
Cette femme au regard charmeur, on la nomme Chaoui, la Chouette : c’est une grande nomade de la tribu des Chaamba. Ceux de sa race et elle-même vivent toute l’année sous la tente, en plein désert, poussant des troupeaux de chameaux, de chèvres et de moutons, et quelquefois elle se rend à Ghardaïa où elle apprend le tissage des tapis aux petites filles de l’ouvroir.
Une femme de Djanet, une targuia et son bébé, quelques mouches sur le front du bébé, mais rassurez-vous, c’est l’hiver ; si c’était l’été, à la saison des dattes, on ne verrait pas le bébé, il serait derrière les mouches !
*II y a du monde à In-Salah, mais surtout un trouvère, le pauvre aveugle d’In Salah. Lorsqu’il voit arriver un noble étranger — et là-bas tous les étrangers sont nobles et supposés riches — il va s’accroupir sur le sable devant sa tente et, sortant son stradivarius, il commence à jouer un air extraordinairement prenant. Cela ressemble au grincement d’une scie à métaux sur un fil de fer, il improvise des paroles dans le genre de celles-ci : « Tu es le plus grand, tu es le plus beau, tu es le plus noble... » Il en dit tellement que la poitrine se gonfle d’orgueil et, finalement, on donne à ce pauvre aveugle une obole en proportion de l’orgueil ressenti et du plaisir pris a entendre vanter ses propres mérites. Satisfait, le pauvre aveugle va s’accroupir devant une autre tente et recommence : « Tu es le plus beau, tu es le plus grand... »
*Voici Tamara. Tamara est une courtisane du pays Hoggar, une reine, car là-bas c’est un métier de reine pour laquelle les chameliers, les grands nomades font des milliers de kilomètres. Il en vient de l’Aïr ; du Fezzan, du Tassili, du Tidikelt ; ils font des semaines de chameau, apportant des présents à proximité de la tente de la belle Tamara et là ils improvisent à leur tour des chansons et des poèmes pour conquérir son cœur. Souvent ils s’en retournent ruinés mais contents vers leurs lointains pâturages. Tamara est une de ces femmes du Hoggar qui sont souveraines, qui règnent sur les hommes, qui commandent même la politique du pays.
L’aménoka, burnou rouge de commandement, accroupi dans sa position favorite, à même le reg. Ce grand seigneur, car il contrôle toute la confédération des Touareg Hoggar, ce grand seigneur n’a pas de palais. On lui a, certes, fait bâtir à Tamanrasset une très belle maison à colonnes doriques, mais lorsqu’il vient de sa tente située à quelques kilomètres dans un oued, lorsqu’il vient pour affaires ou pour rendre un jugement à Tamanrasset, il s’accroupit devant sa maison mais n’y rentre point. Rentrer sous un toit, pour un Targui, porterait malheur.
Il était éternellement vêtu et voilé du litham. On ne connaîtra rien de son visage. Les Touareg nobles ne laissent percer que leur regard, et encore, qui peut savoir ce que pense un Targui ?
*Ce Sahara, pour bien le connaître, il faut le pratiquer à dos de chameau. Voici le véritable seigneur du désert. Sur son dos, on met tout : des vivres, des provisions et, surtout, les précieuses peaux de chèvre, les guerbas rendues imperméables et qui emportent nos provisions d’eau ; le méhari sans quoi rien ne serait possible là-bas !
*
Si au Sahara on court quelque risque, on vit cependant des heures bien douces et bien belles.
Voici, par exemple, la nuit du méhariste. Après la marche de 50 à 60 km dans la journée, le soir vient. Fatigué, on étend son tapis de sol à même le sable après avoir vérifié qu’il n’y a pas de scorpion. L’on pense : « Je vais bien travailler, classer mes notes. » Et l’on se prend à rêver, à rêver, et l’on ne fait rien jusqu’au lendemain matin...
Le lendemain matin, on repart vers de nouveaux horizons. On scelle son méhari. Du nez de l’animal pend l’arzema ; autour du cou l’entrave qui sert, le soir venu, à lui entraver les pieds de devant, avant qu’il s’en aille au pâturage. Le cou du chameau a été râpé par mes propres pieds. Je ne pensais pas avoir la plante des pieds aussi coriace.
*
Une de ces pistes ignorées du grand désert, pleines de souvenirs pour Tairraz et pour moi, c’est la Baraka Hamma...( ?) un nom barbare comme le pays et le site. C’est une de ces pistes qui traversent les montagnes du Serkout. Très peu d’Européens sont passé par là. C’est par ces pistes que jadis les Touareg allaient razzier les Harratines, à quelque 50 ou 100 kilomètres de là ; c’est là qu’a été anéantie la mission Flatters.
Nous avons réussi à y pénétrer. Nous avons traversé un paysage hallucinant, presque angoissant et, au bout de huit jours, nous étions heureux de nous trouver devant des horizons plus vastes, à voir devant nous de grandes plaines.
Dans le Tassili des Ajjer, un porche gigantesque creusé par l’érosion. Le méhariste qui franchit cette porte naturelle sur son chameau de course mesure cinq mètres de hauteur. On dirait un épervier planté sur ses serres, on remarque même, à droite, les griffes de l’oiseau.
Comment ne pas concevoir que les indigènes éprouvent, à l’égard de cette forêt de pierre, une superstition ; ils ne s’y engagent qu’en priant et en chantant à haute voix.
Véritable forêt de pierres aux colonnes de 80 mètres de hauteur. Il y a des milliers de colonnes de grès qui couvrent une superficie de 200 km x 100.
C’est un paysage étrange, un des plus curieux du Sahara : un des plus riches sur le plan archéologique.
*Je ne veux pas m’étendre sur l’œuvre de la France là-bas. C’est inutile parce qu’il y en a des preuves tangibles. Depuis 1935, je parcours le désert, et souvent dans des coins très ignorés, des coins isolés et même des coins récemment conquis comme au Fezzan. Je n’ai jamais eu d’escorte. Je n’ai jamais eu que des armes de chasse et je n’ai jamais eu un seul ennui tout au long de mes explorations.
Cela est dû au prestige des Français là-bas, ce prestige a été acquis non par la force mais par la charité, par la bonté, par la douceur, par toutes les qualités que concrétise une petite poignée de Français. Ils ne sont pas nombreux dans chaque poste : un capitaine, qui est plus un administrateur qu’un officier. Il y a des chefs de peloton qui sont toute l’année dans le désert, un docteur, des infirmiers, des instituteurs et des institutrices civils, des radios, des météos des gonios. Et cette petite poignée de Français répond fort bien à l’idée que nous devons nous faire de notre pays, c’est à-dire servir constamment pour le bien-être de ceux qui ne connaissent pas encore tout ce que nous pouvons avoir acquis au cours de siècles de civilisation.… devient un terrain de camping idéal
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VOICI LES PRÉCAUTIONS À PRENDRE :
Examiner le terrain sur lequel vous allez monter votre tente. Soulever les pierres avec précautions : un scorpion peut se trouver dessous. Avant d’enfiler vos vêtements ou vos chaussures, secouez-les. Le matin ne quittez pas votre tente sans avoir roulé votre duvet. Le soir, avant de vous glisser dans votre duvet, secouez-le. Le jour et de nuit, fermez hermétiquement votre tente,
Air France, grâce à des circuits étendus et à des tarifs préférentiels très étudiés, permet à une couche de clientèle sans cesse élargie de pratiquer en touriste ce qui, naguère encore, faisait figure « d’expédition » saharienne.• Huit cents campeurs ont l’année dernière marqué ces parcours. Des milliers se préparent à en faire autant.
• Le Sahara devient ainsi le lieu de vacances idéal, pour l’hiver notamment. C’est en janvier que les roseraies d’El-Goléa (la perle des oasis) sont en pleine floraison.
• Au cours de ces randonnée le Touring Club de France prend en charge le transport des campeurs, détermine l’emplacement des camps et, pour les randonnées méharistes, procure guides, chameliers et méhara.
• Les campeurs n’ont à se préoccuper que du montage de leur tente, de l’achat et de la préparation de leurs vivres.
• Pour les excursions dans la Koudiat du Hoggar et sur le plateau du Tamrit (Tassili-des-Ajjer) il est prévu l’emploi de chameaux et de bourricots pour le transport des campeurs et des bagages.
• Chaque campeur procédera lui-même à l’achat de ses aliments et à leur préparation. Dans presque toutes les oasis on trouvera des marchés et des boutiques bien approvisionnés en n0urriture locale : mouton, chameau, dattes, figues, sucre, sel, poivre, huile, pois chiches, tomates séchées, oranges, citrons, vin (plus rares : pommes de terre, salade) Il est recommandé d’emporter un peu de beurre, du thé ou du Nescafé.
Le coût d’une nourriture courante n’excède pas 500 francs par jour.
• Le Sahara pour les géologues est le pays où les précipitations annuelles ne dépassent pas une hauteur de 100 millimètres.
• Lorsqu’un nuage crève sur une région absolument désertique, cinq jours après elle se couvre d’herbe et de fleurs.
• Les graines de ces fleurs emportées par le vent à des centaines de kilomètres attendront dix ans peut-être l’occasion de germer à nouveau.
• Le sable ne couvre que la septième partie du désert. Le Sahara a son vocabulaire. La hamada, c’est le plateau rocheux. Le reg : étendue plate semée de cailloux. L’erg : accumulation de poussières ténues charriées par le vent et qui forment des dunes. Oued : cours d’eau.
• Il n’est pas prouvé que la mer ait recouvert le Sahara. Par contre il fut jadis boisé et hanté par des hippopotames, des girafes et des lions.
• Le palmier et le chameau sont parfaitement adaptés au pays. Le premier se contente d’eau magnésienne, le second peut résister à la soif et à la faim plusieurs jours.
• Avec l’un et l’autre, l’Arabe peut vivre. Le chameau fournit la laine, le cuir, le lait, la viande, l’engrais. Le second, le combustible, le matériau de construction, la nourriture, l’alcool. Il faut 60 palmiers pour faire vivre une famille d’Arabes.
• Depuis l’assassinat du père de Foucaud en 1916, le pays est totalement pacifié et le touriste y jouit d’une sécurité totale.
• Si le thermomètre peut dépasser 50° à l’ombre, il descend parfois à — 7 degrés la nuit.
• Le père de Foucaud a écrit en parlant du Sahara : « La vue est plus belle qu’on ne peut ni le dire ni l’imaginer. »
• Dans quelques années il sera aussi courant de visiter le Sahara qu’aujourd’hui l’Espagne ou l’Italie.
• L’invitation au voyage saharien touche spécialement les jeunes mariés : ils bénéficient sur les bateaux et sur l’avion de 30 % de réduction le mois suivant le mariage.
• Dans les oasis du nord, les femmes sont voilées, certaines ne laissent voir qu’un œil. Chez les Touareg au contraire ce sont les hommes qui portent le voile. L’héritage du nom et des biens se fait de la mère à la fille aînée.
Cette carte du Sahara montre comment, grâce à l'avion, en quelques heures,
il est possible désormais d'arriver au coeur même...
... du désert où d'excellents hôtels accueille les riches touristes.
Mais les sportifs y trouvent aussi un terrain idéal de camping.
L'AVION LIVRE LE SAHARA AUX TOURISTES
• Avant la guerre, seuls quelque 300 touristes milliardaires, par an, pouvaient s’offrir ce voyage dans le plus mystérieux et peut-être le plus beau pays du monde • Le voyage des oasis se faisait en auto ; il durait plusieurs mois • Aujourd’hui l’avion, en 2 h 20, vous mène d’Alger à Touggourt, aux portes du Sahara, et dans une demi-journée au cœur du désert à Tamanrasset, le pays du père de Foucauld • On met moins de temps aujourd’hui à se rendre de Paris au cœur du désert en avion, que de Paris à Nice en auto • Le week-end au Sahara est une réalité • Les campeurs succèdent aux milliardaires • Le T.C.F. organise pour 10 500 francs le circuit des oasis (12 jours, 2 100 kilomètres), pour 39 500 francs le circuit du Hoggar (14 jours, 2 100 km en auto, 70 km. à méhari, 1 600 km par avion.
Roger FRISON-ROCHE.