Sciences et Voyages : revue hebdomadaire illustrée n° 344 du 1er avril 1926
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

Le Sahara est le pays le moins connu du monde

 


Le Sahara est peuplé de tribus touareg et maures qui sont un danger pour les caravanes.
À droite : le camp d’une de ces tribus. À gauche et en haut : nomades se préparant un repas et en prière
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LE SABLE ET LE VENT, VOILA LES VRAIS MAITRES DU DÉSERT

    NOUS avons tellement entendu parler du Sahara, depuis ces dernières années, qu’il nous semble que les paysages du grand désert nous soient familiers. Cependant, cette immense région est encore l’une des moins connues du monde, et, il est à peine besoin de le dire, des plus inhospitalières...
    Il est bon de le rappeler, car on l’oublie trop lorsque l’on parle du Sahara, celui-ci est vaste à peu près comme l’Europe.... Plaçons par la pensée la France au milieu de ses vastes étendues, elle n’y occupera qu’une toute petite place.
    De notre empire colonial relève d’ailleurs la plus grande part du Sahara : plus de 6 millions de kilomètres carrés, « du sable que pourra gratter à son aise de ses ergots le coq gaulois ! » disait dédaigneusement lord Salisbury lorsqu’en 1898 l’accord franco-anglais nous le concéda. Les distances y sont énormes. Songeons que, de Aïn Sefra (Sud oranais) aux rives du Niger, la distance est de 2 000 kilomètres, qu’elle s’élève à plus de 2 500 kilomètres entre Biskra et la lisière du Soudan.
    Ce sont là des chiffres qu’il faut toujours avoir présents à l’esprit lorsque l’on parle des traversées du Sahara, si l’on veut avoir une idée du courage des sportsmen ou des explorateurs qui les accomplissent.

GRANDE COMME L’EUROPE, LE SAHARA POSSÈDE DE HAUTS PLATEAUX ROCHEUX

    Il n’est pas de routes, dans le Sahara, et il ne peut y en avoir... Les quelques lignes brisées qui, sur un atlas, unissent le sud du Maghreb avec les pays nigériens ou le Tchad sont semblables à celles qui sur les mers indiquent les routes des paquebots d’un port à l’autre... Elles montrent les trajets approximatifs des caravanes, trajets fixés depuis des centaines d’années par les voyageurs préoccupés de trouver sur leur route le plus grand nombre possible de points d’eau.
    Comment, en effet, pourrait-on tracer des routes dans le Sahara ? Il est formé, non pas entièrement de sables, comme on se l’imaginait jadis, où on le voyait sous la forme d’une immense cuvette dont il eût suffi de casser le rebord pour y amener les eaux de l’Atlantique et le transformer en une vaste mer intérieure, — mais pour une part de sables, l’erg, et pour une part de vastes plateaux rocheux, les hamadas, à la surface absolument nue et plane...
    Comme c’est dans la région des sables que se trouvent les oasis, ports de relâche nécessaires, c’est donc par-là que passent les caravanes, et nul ne pourrait songer, même si l’importance du trafic le commandait, ce qui n’est pas le cas, à tracer des routes sur un sol aussi mouvant... Fussent-elles, par impossible, tracées, qu’elles auraient presque aussitôt disparu sous la ruée des sables perpétuellement agités par le vent.
   Le sable et le vent. Voilà, en effet, les vrais maîtres au désert, et c’est de leur collaboration, l’un transportant, accumulant, modelant l’autre suivant son caprice, que naît le paysage saharien. Considérons les étendues uniformes du grand désert, où rien, ni colline, ni rivière, ni bouquet d’arbres, ne met de la variété, et qui se répètent, d’une effrayante monotonie, d’un bout à l’autre des grands ergs ; quel en est le trait caractéristique : ces monticules de sable en croissant de lune creusés, sur leur face intérieure, d’une sorte de cirque, et qui chevauchent plus ou moins les uns sur les autres et qui semblent une mer immobilisée au moment précis où une tempête jetterait des vagues pressées à l’assaut du rivage...
    Notre impression n’est pas trompeuse. Les monticules, les dunes, sont bien des vagues. Tout comme la surface de la mer, celle de l’erg, au sol très meuble, est agitée par le vent qui, poussant les uns sur les autres les grains de sable comme les molécules d’eau, la boursoufle en vagues; ces vagues se bousculent, s’effondrent et tendent à s’écrouler les unes sur les autres ; ainsi s’explique la forme de la dune, dont le rebord convexe correspond à la partie tournée dans la direction du vent (vers la haute mer, pour reprendre notre comparaison) ; le cirque concave à l’écroulement des sables dans la direction opposée au vent...
    Les dunes, que les Arabes appellent parfois, d’un mot qui fait image, siouf (ou lame de cimeterre), sont unies les unes aux autres par leurs pointes ; elles forment ainsi de longues chaînes qui s’alignent les unes derrière les autres à l’infini...


Cette saisissante photo vous donne bien l’aspect revêtu par les dunes du Sahara,
sur lesquelles toute trace de route et de pas ne saurait demeurer.
C’est comme une immense mer figée par un jour de tempête.

    Ce qui, pour les géographes, dépeint le désert, c’est son absolue sécheresse : il est bien rare qu’il pleuve dans le Sahara, et, lorsqu’il pleut, les orages, d’ailleurs d’une extrême violence (tel celui qui est décrit aux premières pages de l’ Atlantide), durent quelques heures et n’apportent guère d’humidité au sol, toute l’eau qu’ils laissent tomber étant rapidement pompée par les sables altérés.
    La sécheresse presque absolue de l’air produit de bien curieux effets : les cadavres des animaux qui tombent dans le Sahara se dessèchent sans pour ainsi dire se décomposer... Bientôt la chair disparaît, laissant à nu le squelette, qui apparaît aussi net, aussi dépouillé que s’il avait subi une minutieuse préparation anatomique. Et c’est un document tout à fait caractéristique à ce point de vue que la carcasse, de chameau dont nous donnons la photographie.
    Cette sécheresse est naturellement exclusive de toute végétation. Celle-ci apparaît seulement au-dessus des nappes souterraines qui révèlent ainsi, mais seulement, bien entendu, lorsqu’elles sont à une faible profondeur, leur existence. Ce sont, petites ou grandes (les unes réduites à quelques arbres autour d’un puits, les autres, comme par exemple, celles du M’zab, groupes de florissants villages noyés dans de magnifiques palmeraies), les seuls endroits où se tienne une population sédentaire...
    Cependant, en dehors des oasis, le Sahara n’est pas complètement dépourvu d’habitants...
    Parmi les sables de l’erg ou sur les plateaux de la hamada, vaquent des nomades, Touareg au centre du Sahara, Maures à l’ouest, dont l’existence est restée, depuis des siècles, presque sans changement.
    À cela près qu’ils portent le fusil, de vieux fusils, d’ailleurs, d’un modèle ancien, ils sont tout pareils à ce qu’étaient leurs ancêtres, au temps où l’Islam les conquit. Ils sont parfois agriculteurs, ou pasteurs, tirant quelques ressources de leurs maigres troupeaux, parfois caravaniers, mais plus souvent encore brigands...
    Car il leur serait la plupart du temps impossible de manger à leur faim s’ils n’« empruntaient » pas une partie de leurs ressources alimentaires aux habitants des oasis... Il s’agit bien souvent, cela va sans dire, d’un emprunt forcé. Et, malgré l’établissement de la paix française, presque tous les ans encore les tribus touareg se réunissent pour former des bandes pillardes, les rezzou, qui vont razzier les sédentaires...
    Touareg et Maures pillards, cependant, sont loin d’être des sauvages, et la meilleure preuve en est l’importance qu’ils attachent à l’instruction... Il y a chez eux relativement peu d’illettrés — du moins parmi les hommes. Et chaque tribu, ou presque, a son maître d’école, maître d’école ambulant comme ceux de nos marchands forains, qui la suit dans tous ses déplacements...


Les tribus de nomades qui sillonnent le Sahara ont des maîtres d’école qui apprennent aux enfants à lire et à écrire les versets du Coran.

    Et lorsque, accroupis à l’ombre d’un bouquet de beaux palmiers, ou même, lorsque l’étape est trop longue, entre deux oasis, sur la dune, le maître explique les versets du Coran et qu’il apprend à ses élèves à en tracer les signes sur le sable, la scène ne manque certes pas de fruste poésie.


Au sein de l’oasis, à l’heure de la prière du soir, tous les Arabes se sont prosternés dans le sable, la face tournée vers l’est, du côté de la Mecque.

    Ainsi se forment de « vrais croyants » qui, chaque jour, formant de longues files orientées vers la Mecque, se prosternent devant la face d’Allah. Non loin du Sinaï, au temps de Moïse, on eût pu voir sans doute des tableaux semblables.
    Le désert est conservateur. Son aspect reste immuable depuis le jour, perdu dans les brumes de la préhistoire, où survint le grand dessèchement. Et il a façonné ses enfants à son image.


Sous l’ardent soleil du désert, sous l’effet du vent et du sable, les cadavres d’animaux sont rapidement ramenés
à l’état de squelettes aux os d’une blancheur aussi éclatante que s’ils avaient subi une préparation anatomique.


Léon ABENSOUR,
Agrégé de l'Université, docteur ès lettres.