TÉMOIGNAGE D’UN TOUBIB AU SAHARA


Nous sommes en septembre 1962, jeune médecin capitaine, je viens d’être placé hors cadre et nommé Médecin chef de l’Hôpital civil de Laghouat.
C’est une structure modeste mais très active : elle dessert plus de 10 000 km² et environ 120 000 habitants.
L’hôpital et ses dispensaires fonctionnent bien grâce à la petite communauté de sœurs blanches toutes intrépides, infirmières ou sages femmes chevronnées.
Elles sont aidées par une équipe de 12 infirmières algériennes compétentes et dévouées.
L’indépendance toute neuve n’a pas dans cette belle cité lumineuse des confins du Nord Saharien, suscitée de haines ni de conflits majeurs malgré la présence conjointe d’un bataillon de l’ALN et de deux compagnies CSPLE de la Légion.
Comme avant, les communautés Françaises, Algériennes, Nouveaux Cadres administratifs et Sahariennes (citadins et nomades) s’estiment, se respectent et continuent à coopérer malgré les frictions.
Mais les « événements » et la confusion qui règnent à Alger et sur les routes nous empêchent d’évacuer les malades ou blessés civils vers les grands hôpitaux du nord.
Il faut se débrouiller avec les moyens du bord et avec l’aide précieuse de nos camarades (notamment les médecins de la Légion).
Parmi tous les problèmes techniques et logistiques (ravitaillement sanitaire) nous affrontons celui du sang.
Il y a en effet de nombreux blessés (accidents, bagarres) beaucoup de parturientes en hémorragies, d’enfants exsangues qui ont besoin de transfusions. Je lance un appel aux autorités civiles et militaires pour obtenir des donneurs de sang bénévoles.
La première réponse vient de la Légion, le Commandant m’envoie un beau contingent : trente légionnaires se présentent, en rang et en tenue impeccables, conduits par un lieutenant de la 2ème C.S.P.L.E.
Je les remercie et les félicite mais précise que leur sang est destiné à tous les malades ou blessés reçus à l’hôpital, donc en grande majorité à des familles algériennes, soldats de l’ALN éventuellement compris : sont-ils d’accord ?
Au nom de tous, le lieutenant déclare : « cela nous l’avons déjà compris et soyez sûrs nous sommes fiers de pouvoir offrir notre sang à tous ceux et celles qui en auront besoin, sans distinction ». Dans la foulée, les légionnaires sont reçus, ponctionnés, fichés, classés selon leur groupe sanguin. Huit jours plus tard, un grave accident (autocar tombé dans un oued, 40 blessés) nécessitera de faire appel à 12 d’entre eux.
Le lendemain, je vais voir le sous Préfet de Laghouat et lui rend compte des faits, en lui précisant que seuls, jusqu’à présent, les légionnaires ont répondu à mon appel de donneurs… Rassurez-vous me dit-il, vous aurez bientôt du renfort !
Et 8 jours plus tard, c’est une délégation de l’ALN qui se présente, encadrée par 2 officiers, anciens sous-officiers des tirailleurs algériens ! Plusieurs dizaines de donneurs volontaires. Le scénario se répète… et c’est ainsi que l’hôpital de Laghouat se trouve en possession d’un solide fichier, large source d’approvisionnement en sang et plasma.
Combien de dons de sang, combien de vies sauvées, combien viennent de la Légion et combien des militaires Algériens ?
Dieu seul le sait.
Mais il sait aussi que, là encore, la Légion a donné l’Exemple.

Docteur Bourel de la Roncière
 

Source :


Amicale des Anciens de la Légion Étrangère de Paris
Les récits des Anciens
http://amalep.free.fr/index.html

 

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