AU PAYS D’ANTINÉA

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VERS LE HOGGAR PAR LES PLAINES DU TIDIKELT (1)


    In Salah, 24 décembre, 4 heures. – Dans la nuit, près de la porte du bordj encore close qui fait face au sud-ouest, les voitures se sont rangées. Le capitaine de Saint-Martin, ses officiers et ses sous-officiers sont là. Ils ont tenu à nous serrer la main et à nous souhaiter bon voyage.
    Cette sollicitude affectueuse que nous témoignent toujours et partout ceux qui représentent la France dans les solitudes sahariennes, restera parmi les meilleurs souvenirs de notre raid.

    5 heures. – Deux méharistes blancs ouvrent les portes du bordj. Après un dernier adieu, nous nous enfonçons dans la nuit.
    Sans les traces de nos trois voitures de ravitaillement qui, avec le lieutenant Estienne, ont poussé jusqu'à Tesnou, au sud du Mouydir, nous ne pourrions encore nous diriger. Un vent froid que rien n'arrête balaie les immenses plaines du Tidikelt. Le jour se lève bientôt, jour un peu gris, d'une tristesse morne. On dirait qu'il hésite à éclairer ce paysage rudimentaire, solitude implacable et nue, infiniment désolée, morte à jamais, tellement plate que le moindre accident de terrain y prend des proportions gigantesques. C’est ainsi que de petits gours (2), simples taupinières dressées dans l'est, paraissent immenses. Cette impossibilité d'apprécier la proportion des choses à son exacte valeur est un phénomène bien connu de tous ceux qui parcourent le désert. Un physicien l’expliquera sans doute à l’aide de subtiles argumentations, en prenant pour base les lois fondamentales de l’optique. Le nomade a l’imagination plus féconde et plus naïve ; pour lui, cette duperie est l’œuvre maléfique des djouns et des effris, et de cela naquit tout un cycle de légendes que les chameliers se racontent entre eux quand ils cheminent, lentement bercés par le pas cadencé de leurs montures.
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(1) La publication du Journal de la mission Citroën par la maison Plon s'annonce comme un événement de librairie sensationnel. Nous avons la bonne fortune de devoir aux auteurs de ce raid, MM. Haardt et Audouin-Dubreuil, le récit d'une de leurs plus impressionnantes étapes.
(2) Gour (pluriel gara), collines isolées aux formes ordinairement régulières et géométriques.

    Vers 7 heures, nous passons à un kilomètre ou deux du puits de Hassi Gouira, gardé par deux méharistes ; mais ceux-ci doivent dormir dans leur trou de sable, et le vent qui souffle en tempête les empêche d'entendre nos moteurs.

    9 heures. – C’est la plaine, la plaine infinie, sans rien à l’horizon, qu’une ligne indécise et floue, où se fondent le bleu délavé du ciel et le ton d’ocre pâle des terres arides.
    Des cadavres de chameaux jalonnent notre itinéraire. Carcasses blanches, macabres ; des cages thoraciques, des vertèbres dispersées, des crânes plats, d’une étrange forme reptilienne, évoquant on ne sait quelle bizarre parenté avec les grands sauriens des époques géologiques.
    Un jour, alors que la plaine ressemblait à quelque immense champ de lave sous le souffle embrasé du siroco, la bête est tombée là, tout d'un bloc, vaincue par la soif ou la fatigue. On l’a débarrassée de sa charge, non par pitié, mais parce que sa défaillance la rend désormais inutilisable. La caravane s’éloigne. Alors commence la lente, l'atroce agonie. Les paupières s’affaissent sur de grands yeux pleins de terreur, les flancs battent, les longues pattes grêles s'allongent, agitées d'un spasme convulsif dont le sable gardera la trace, le cou se retourne, se tord lentement, jusqu'au moment où la nuque viendra toucher la bosse. C'est fini. Nerfs, muscles et sang, toute cette bête souffrante s'immobilise à jamais; la mort a fait son œuvre. Viennent maintenant les chacals, puis les fourmis et les scarabées noirs qui sont les fossoyeurs du désert. Ces ossements épars, voilà tout ce qu'ils ont laissé, un peu de phosphate de chaux qui va lentement se dissoudre pour s'incorporer, atome par atome, aux sables éternels, éternellement roulés par le vent.
    C'est le destin de la race que de mourir ainsi, après une vie sans repos, une vie de labeur, de continuelles souffrances, au long des pistes implacables.
    Vers 11 heures, nous apercevons une sorte de petit plateau, et nous traversons une ancienne sebkra, de 6 à 8 kilomètres de long ; terrain d'argile durcie.
    À 11 h. 30, nous arrivons devant une immense coupure abrupte. Nous sommes à Hassi El Khenig. Le puits est situé au pied de la falaise qui s'élève vers l'est.
    Une halte s'impose, car la dernière voiture vient de tirer un coup de carabine pour nous demander de l’attendre. Nous ne la voyons pas, mais elle doit se trouver à un ou deux kilomètres.
    La voiture-raid n° 1 retourne voir ce qu'elle devient. Pendant ce temps, nous faisons nos pleins. La retardataire nous rejoint bientôt. C’était une poulie qui venait de sauter.
    Nous continuons notre route, en longeant pendant un certain temps l’oued Botha, dans un sable un peu mou qui ralentit notre marche.
    Jusqu’ici, le terrain avait été splendide, et nous avions roulé presque constamment à 30 kilomètres de moyenne.
    Vers 15 heures, nous arrivons à l’oued In Takoula. Le sol est plus dur ; c’est une espèce de reg vallonné à gros graviers souvent noirs.
    Nous distinguons maintenant les premières montagnes du Mouydir.
    Notre itinéraire est toujours jalonné de cadavres de chameaux. À la longue, cette vision macabre, sans cesse renouvelée, devient pénible comme un cauchemar. Maurice Penaud essaie de plaisanter pour en secouer la hantise.
    – Pièces détachées pour méhari, dit-il en montrant les côtes et les vertèbres éparses sur le sol.
    À 15 h. 30, nous arrivons à l’entrée d’un col qui traverse les premières montagnes, au poste de Tiguelguemine. Il est occupé par quelques Sahariens.
    Courte halte.
    Nous donnons un peu de thé et de sucre à ces braves méharistes, puis reprenons notre route. Comme toujours, nous n’aurons pas eu besoin d’eau. D’ailleurs les deux guelta dans lesquelles on en trouve sont situées en pleine montagne, à trente minutes de marche de l’endroit où nous passons. D’après les renseignements qui nous sont donnés, l’une contient de l’eau un peu salée, l’autre de l’eau très bonne.
    Maintenant, nous roulons dans les montagnes du Mouydir. Peu de vent ; un grand calme règne sur ce pays.
    Le soleil descend rapidement, donnant des tons divers, excessivement doux, aux collines rocheuses qui nous entourent. C’est surtout le bleu qui domine, un joli bleu, tantôt ardoise, tantôt gris très clair.
    Quelques mauvais passages. Nos voitures sont obligées d’escalader plusieurs grosses roches, puis ce sont des vallées plus larges où le terrain est bon et où nous roulons à bonne allure.
    Nuit complète lorsque nous arrivons aux gorges de Tiretemine. Paysage chaotique, grandes murailles livides. Tout cela est purement minéral ; pas une herbe ; rien que l’immobilité éternelle de la pierre.
    Il fait presque chaud après les nuits glaciales que nous avons passées sur le plateau du Tademaït.
    La piste sinueuse dessine de capricieux méandres, tantôt sur un reg noir, tantôt sur un terrain caillouteux. Avec leurs phares, nos cinq voitures semblent un long serpent lumineux qui s’est glissé à travers les montagnes dont se dressent les grandes silhouettes pâles sur le ciel étoilé.
    À minuit, nous apercevons soudain un feu près du puits de Tadjemout où nous attendent les voitures de ravitaillement laissées par Estienne sous la garde de quelques méharistes.
    C’est la nuit de Noël. Tandis qu’en France on réveillonne gaiement, nous nous asseyons autour d’un grand feu de plantes sahariennes dont la fumée qui embaume monte tout droit dans l’ombre.
    Certains de nos compagnons sont un peu songeurs en pensant à leurs foyers de là-bas. Cette nuit de Noël rappelle davantage la France qu’on a quittée.
    Nous écrivons quelques notes et quelques lettres. Un méhariste ira porter ces dernières à In Salah, au capitaine de Saint-Martin.
    Le feu brûle et pétille. Nos mécaniciens font rapidement leurs pleins, et on dîne vers 2 heures du matin.
    Nous rentrons sous nos tentes.
    L’étape du lendemain devant être moins longue, nous ayons décidé de ne pas partir avant le jour.

    Tadjemout, 25 décembre. – Quand nous sortons de nos tentes, le soleil est déjà levé.
    La surprise est toujours grande lorsqu’on revoit au jour le lieu où l’on est arrivé et où l’on a bivouaqué la nuit. Parfois ce sont des montagnes qui s'élèvent à l'endroit où l'on pensait trouver une plaine de sable ; quelquefois ce sont de simples ondulations de terrain qui vous avaient paru de grandes collines.
    Lorsqu’il y a clair de lune, on se rend mieux compte où l’on se trouve, surtout lorsque la lune est pleine, car au Sahara, sous ce beau ciel limpide, le clair de lune est presque un demi-jour.
    Nous quittons Tadjemout à 8 h. 30 pour longer, direction nord-sud, une chaîne de montagnes rectiligne. Vers l'est se creusent de grandes échappées sur un chaos de dunes blondes dominées par d'autres montagnes.
    À 9 h. 30 surgissent devant nous les hautes falaises dans lesquelles commencent les étroites gorges d’Arrak. Nous pensions les franchir en quelques heures sans trop de difficultés, mais le soir, à la tombée de la nuit, elles nous enfermeront encore.
    Nous pénétrons dans les gorges à 10 heures. Pas un souffle d’air, un soleil brûlant, une température de fournaise.
    Nous marchons lentement, tantôt essayant de nous accrocher à la piste qui longe la vallée, tantôt redescendant dans les fonds sableux de l’oued. Nos voitures prennent des positions assez dangereuses, défiant toutes les lois de l’équilibre.
    À midi, nous nous trouvons au pied d’un énorme rocher appelé Takount Arrak. Les Touareg l’appellent château fort des djouns. Quelques tourbillons de sable : ne sont-ce pas ces génies mécontents qui nous les jettent à la figure, pour nous punir d’avoir violé leur retraite ?
    Nous faisons nos pleins et déjeunons rapidement pour continuer notre route à travers des éboulis fantastiques. La piste tracée autrefois n’existe plus.
    Le paysage est très varié. Parfois, après un couloir étroit, foré en pleine pierre, entre deux parois verticales qui montent d’un seul jet pour border à plus de mille pieds au-dessus de nos têtes un mince ruban de ciel bleu, nous débouchons soudain dans un large cirque ou règne une végétation splendide de joncs, de tamaris et de lethel.
    Vers le crépuscule, nous approchons d’Amzir, puits situé près de la sortie des gorges. C’est avant d’y arriver que nous entrons pour la première fois en contact avec les Touareg. La race mystérieuse des hommes voilés nous est soudainement révélée d’une façon un peu théâtrale par un jeune guerrier à la stature magnifique qui nous regarde avec calme, sans que ses yeux paraissent exprimer la moindre surprise. Il se tient debout, immobile et sculptural, fièrement appuyé sur sa lance, devant un rocher derrière lequel nous apercevons son campement. À le voir ainsi, on dirait un jeune dieu de la solitude.
    Deux Chaamba du poste d’Amzir arrivent au trot de leurs méhara, sautent à terre et nous présentent les armes. Eux aussi sont magnifiques, d’une beauté noble et simple qui s’harmonise pleinement avec la sauvagerie du décor.
    Le puits est à 100 mètres à peine. Nous y trouvons un brave brigadier Chaamba qui nous offre du lait, seule richesse qu’il possède.
    La nuit tombe.
    À 18 heures, nous reprenons notre route et sortons bientôt des gorges.
    La journée a été très fatigante et très chaude. On sent les mécaniciens un peu las. Nous conduisons à tour de rôle leurs voitures, tandis qu’ils dorment d’un profond sommeil, accrochés, pour ne pas tomber, par leurs courroies de mousquetons.
    À 20 heures, nos feux éclairent des ombres blanches qui courent, se détachant sur le fond sombre des grands lethel ; c’est le petit poste de Meniet qui se précipite sur ses armes.
    Court arrêt à Meniet, et nous repartons dans la nuit.
    Terrain mou et assez lourd. Marche plutôt lente. Les dernières voitures roulent dans un véritable nuage de poussière blanche.
    Les mécaniciens que nous avons relayés dorment profondément.
    Nous nous arrêtons vers 11 heures afin de nous restaurer, puis nous reprenons la piste laissée sur le sable par les chenilles de nos voitures de ravitaillement. Pourrons-nous plus tard marcher ainsi dans la nuit, lorsque nous n’aurons plus ces traces ?
    À une heure du matin, nous apercevons Tesnou où nous retrouvons avec plaisir les deux Estienne ainsi que les mécaniciens Remillier et Piat qui étaient un peu inquiets de savoir comment nous avions pu traverser les gorges d’Arrak qu’eux-mêmes avaient eu beaucoup de peine à franchir.
    Nous trouvons aussi le lieutenant Bergounioux, un jeune Saint-Cyrien plein d'allant et de distinction.
    Le lieutenant Bergounioux est déjà un de nos vieux amis, car nous avons eu le plaisir de l’amener de Ouargla à In Salah, lors de notre premier ravitaillement sur ce poste.
    Les derniers phares s’éteignent à 2 heures et demie du matin et le camp s’endort sous la garde d’un peloton de méharistes Chaamba.

    Tesnou, 26 décembre. – Quel étonnement lorsque nous sortons de notre tente ! Le bivouac est installé sur une sorte de plage blonde au pied d'une montagne aux formes arrondies, infiniment harmonieuses, dont nous n'avions même pas soupçonné la présence hier au soir.
    À l’est, quelques rochers d’un aspect bizarre : bêtes apocalyptiques, crânes de reptiles géants, dominent nos voitures ; au sommet d’un de ces rochers, immobile, se détachant comme une belle statue sur le ciel bleu, un méhariste scrute l’horizon.
    Nous ne partirons aujourd’hui qu’après déjeuner ; il faut laisser les mécaniciens se reposer un peu, puis revoir soigneusement le graissage des voitures. Ce sera notre unique repos avant le Niger et Tombouctou.
    Le lieutenant Estienne va maintenant nous accompagner. Jusqu’à Tit, il conduira une voiture de ravitaillement que nous avons décidé d’emmener avec nous, afin d’assurer plus complètement notre provision d’essence. Emportant notre courrier, les deux voitures de son frère René reviendront à In Salah, en prenant une piste nouvelle qui évite le passage très difficile des gorges d’Arrak.
    Vers 10 heures, le soleil tape avec force.
    On s’étend sur des rochers unis et chauds pour y mettre à jour le carnet de route et pour rédiger les notes et les lettres qui vont bientôt partir vers le nord. Après un des rares déjeuners confortables que nous ayons pris au bivouac depuis le début, nous nous préparons au départ. Nous faisons nos adieux à notre petite équipe de ravitaillement, au lieutenant Bergounioux et à ses fidèles Chaamba.
    À 13 heures, nous quittons ces jolies montagnes. Le lieutenant Bergounioux nous lance un joyeux « au revoir », tandis que, figés dans une attitude impeccable, ses Chaamba nous présentent les armes. Sans doute leur pensée va-t-elle nous suivre vers ce Hoggar que leur race n’avait jamais pu atteindre avant que nous ne les y menions, et vers ce Tanezrouft qui est, pour eux, le pays le plus terrible.
    En quittant Tesnou nous roulons sur un joli sable uni d’où s’érigent brusquement de belles montagnes arrondies sur lesquelles reposent des pierres aux silhouettes bizarres dont les formes rappellent tous les monstres de la paléontologie et même de la légende.
    Voilà maintenant de petits oueds encaissés où notre itinéraire, des plus sinueux, est coupé de passages rocheux assez difficiles.
    Vers 15 heures, nous débouchons dans une large vallée sableuse. Nos voitures y roulent assez facilement. Des montagnes plus ou moins éloignées s’élèvent à l’est et à l’ouest ; elles portent, sur la carte, le nom de Taourit.
    À 16 heures et demie nous obliquons sur l’est et franchissons une brèche étroite entre deux falaises aux cimes déchiquetées, puis nous reprenons notre route plus au sud pour apercevoir bientôt le massif d’Iniker où nous comptons nous arrêter cette nuit. À l'est, à une vingtaine de kilomètres, d’autres montagnes s’élèvent ; ce sont les massifs de Mellet et d’Edefest.
    À l’ouest, nous longeons pareillement de petits massifs montagneux. La nuit tombe. Nous nous arrêtons quelques instants pour nous couvrir, car l’après-midi, très chaude, nous avait permis de rouler sans pardessus et même sans veston.
    La lune se lève. Notre route est assez difficile à reconnaître ; elle n’est jalonnée que par quelques pierres, mais les montagnes d’Iniker nous donnent la bonne direction.
    Bientôt nous suivons cet important massif rocheux que nous avions déjà aperçu avant le coucher du soleil. Il est impossible de se rendre compte de sa grandeur. Il semble toujours qu’on va le dépasser, et cela pendant plus de dix kilomètres, sans cesser de voir se profiler sur le ciel ses cimes arrondies. C’est une immense coulée de lave gris-bleu, qui prend par endroits, sous les reflets de la lune, des teintes livides dont la blancheur absolue, paradoxale, miroite et scintille comme si la pierre était recouverte d'émail.
    Nous passons près du puits intermittent d’Iniker sans l’apercevoir. Cela a peu d’importance car notre réserve d’eau est suffisante.
    À 21 heures, arrêt à l’abri des rochers et montage rapide des tentes. Nous devons nous trouver environ 10 kilomètres au nord d’In Amguel. Autour de nous la solitude est absolue, c’est le grand silence des terres mortes. Il faut avoir connu ces nuits sahariennes, l’immobilité des roches chauves, tragiquement dressées au-dessus des plaines infinies que la lune inonde de ses reflets bleus, pour comprendre le sens complet du mot « silence ». Le silence est ici quelque chose de tangible, une force naturelle, physique, au même titre que la pesanteur, le froid ou l’effluve électrique, une contrainte que l’on subit, une tyrannie impérieuse qui s’impose et contre laquelle on n’ose à peine s’insurger, parlant bas comme si le timbre d’une voix trop haute était une sorte de sacrilège.
    Nos phares projettent leurs lueurs vives sur de rigides surfaces minérales. Le paysage qui nous enveloppe n’a rien de terrestre. On songe aux aspects que doivent avoir, sur la surface de la lune, ces cirques desséchés dont les télescopes nous révèlent la désolation.
    Départ à 4 heures, en pleine nuit. Nous arrivons sans trop de difficultés à poursuivre notre itinéraire. À quelques kilomètres avant In Amguel, passage rocheux assez difficile.
    À 8 heures et demie, voici In Amguel, le premier petit village targui du Hoggar, habité seulement par des Imrad (tribus serves), car les nobles Touareg préfèrent vivre sous la tente. In Amguel se compose de quelques malheureuses petites huttes, en briques de terre, mais les jardins qui l’entourent sont assez fertiles et bien cultivés.
    Nous avons beaucoup de peine à franchir l’oued au milieu duquel s’élèvent ces jardins. Des joncs se dressent à une hauteur impressionnante et nous bouchent à peu près complètement le passage. Nos voitures triomphent pourtant de cet obstacle d’un nouveau genre; elles laissent derrière elles un profond sillage, pareil à ces pistes d’éléphants que les chasseurs d’ivoire rencontrent plus au sud encore, dans les marais de Bahr el Gazal.
    En quittant In Amguel, on traverse pendant une vingtaine de kilomètres un massif assez montagneux : passage parfois très difficile, où nos voitures franchissent des rochers et des coupures impressionnants.
    Tout à coup, vers 10 heures, surgit à nos yeux tout le grand massif du Hoggar. C’est le pays de la peur, le vrai centre du Sahara. Il s’élève devant nous, avec tout son mystère. Nous reconnaissons la grande Koudia et le pic Illiman, dont l’altitude est d’environ 8 000 pieds.
    Cette cime aiguë se découpe nettement sur le ciel d’un bleu d’émail. Sa base est striée de légères ombres par des gorges dont quelques-unes restent encore inviolées. Que recèlent-elles dans leurs grottes profondes ?... De merveilleux palais où vivent, loin des regards humains, les fées et les djouns, ou bien la voluptueuse et fatidique demeure d’Antinéa ?... On songe ici à l’étrange destin de Morhange et de Saint-Avit ; mais qui donc oserait le dire cruel, ce destin symbolique par lequel l’art d’un romancier a su si bien exprimer l’envoûtement du Sud ? O beauté magique des nuits bleues, joie d’errer sans but précis dans la lumière, langueur inexprimable des repos chèrement gagnés, goûtés sur le bord des sources vers lesquelles se penchent, comme de longs cils sur un œil plein de séduction, les grands dattiers grêles, parfum des feux de rethem, couleur changeante du sable à l’aurore, splendeur des crépuscules qui donnent à la dune palpitante l’aspect magnifique d’une jeune poitrine dévêtue ; le voilà, le sourire d’Antinéa ! c’est l’appel profond' impérieux, irrésistible, qui monte de ces terres chaudes !
    Les fantômes de Morhange et de Saint-Avit s'estompent et disparaissent, pour laisser la place au souvenir des grands morts dont il n'est pas possible de ne point vénérer les noms, quand on a le bonheur de goûter, après eux, aux lèvres de l'enchanteresse. Nous vous saluons très bas, devant le Hoggar qui se dresse ici comme s’il était votre cénotaphe, ô vous qui fûtes les vrais amants d’Antinéa, Duveyrier, Flatters, enseigne de vaisseau Aube, lieutenant-colonel Bonnier, marquis de Morès, commandant Molle, Camille Douls, colonel Lebœuf, général Laperrine.

    Nous longeons à quelque distance ce massif du Hoggar, constitué par de nombreuses chaînes parallèles ayant comme direction principale le nord-sud, et franchissons de nombreux oueds.
    À 13 heures, la mission s’arrête dans le lit d’un de ces oueds, à l’ombre d’un grand lethel, puis elle reprend bientôt sa route vers Arrem Tit.
    Il fait très chaud. Un violent vent arrière nous renvoie tout le sable soulevé par nos voitures. Dans le fond des vallées l’air devient irrespirable.
    À 14 heures nous arrivons dans une région de légère végétation. Il nous semble tout d’un coup nous trouver en France, aux environs de Nîmes, lorsqu'on descend les Cévennes vers la vallée du Rhône. C’est dans ce paysage banal, où seules les montagnes lointaines jettent Une note originale et moins monotone, que nous apercevons, pour la première fois, réunis en « rezzou », les sinistres hommes voilés du désert.
    Ces Touareg sont pourtant des amis. Ils nous remettent des télégrammes que leur avait confiés le lieutenant Vella, résident du Hoggar, et nous annoncent que cet officier est arrivé à Arrem Tit depuis hier soir, avec l’aménokal Akhamouk et tous les nobles de la région.
    Il convient de donner à la mission un air martial pour la réception qui se prépare ; aussi débâchons-nous nos mitrailleuses.

    14 heures. – Voici les Touareg ; ils s’avancent à vive allure, tous fièrement campés sur leurs méhara aux pattes fines ; leurs boucliers de cuir, leurs glaives aux gardes cruciales, le litham (3) qui couvre leur visage, ne laissant voir que les yeux, leurs longues lances, les vêtements bleus dont ils sont enveloppés, leur donnent une physionomie des plus mystérieuses.
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(3) Litham : voile noir dont les Touareg (singulier targui) ont coutume de se couvrir le visage.

    Ces guerriers des vieux âges sont rangés autour de leur chef, l’aménokal Akhamouk. L’aménokal est un véritable souverain à la manière des anciens Rois pasteurs. Sans doute serait-il téméraire de rattacher par des liens d’origine les grands nomades blancs des déserts africains aux conquérants presque fabuleux de l’ancienne Égypte ; pourtant, avec ses amples vêtements bien drapés dont les couleurs se superposent non sans art et sa face énigmatique, soigneusement dissimulée sous un voile noir, ce personnage aux gestes pleins de noblesse et d'aisance fait songer à ces mystérieux Hycsos venus de la presqu’île du Sinaï, que nous voyons s’abattre sur la vallée du Nil à la fin de la quatorzième dynastie, et dont les cartouches funèbres gravés sur les plus vieux monuments du Delta révèlent encore aujourd’hui la puissance.
    Depuis l’ouvrage aujourd’hui classique de Duveyrier, publié en 1864, on a beaucoup écrit sur les Touareg. Rappelons simplement que ces Berbères du Sahara forment quatre confédérations ayant chacune pour centre un massif montagneux : Hoggar, Azdjer, Aïr et Adrar, d’où ils rayonnent au loin sur le désert.
    Les Touareg du Hoggar furent longtemps les maîtres des oasis du Touat. Les Azdjer tiennent sous leur domination effective Ghat et Rhadamès ; une de leurs fractions habite même un faubourg de cette dernière ville.
Avant d’avoir accepté la domination française les Hoggar organisaient des expéditions guerrières à des milliers de kilomètres de leurs repaires montagneux. Ce sont des méharistes prodigieux, ignorant la fatigue et sachant demander à leurs dromadaires, soigneusement sélectionnés, un rendement qui semble en contradiction flagrante avec l’aspect de ces grands animaux aux pattes étonnamment fines, à la poitrine étroite, au long cou grêle.
    Grâce à la politique adroite du général Laperrine et à l’influence de nos officiers du cadre saharien, les Hoggar sont récemment devenus nos auxiliaires. Il n’en est point encore de même des Azdjer qui subissent, au voisinage de la Tripolitaine méridionale et du Fezzan, l’influence sénoussiste et dont quelques fractions fournissent à Sultan Ahmoud, notre vieil ennemi, ses meilleurs guerriers.
    Les Touareg de l’Aïr, nommés Keloui, sont presque tous à demi sédentaires. Par des croisements incessants avec les femmes noires des tribus autochtones, ils perdent peu à peu leurs caractères ethnologiques.
    À la différence de leurs frères du Hoggar et de l’Azdjer, ceux de l’Adrar, les Aoulimmiden, ne sont pas seulement des méharistes, mais aussi des cavaliers. Leurs fractions dominèrent jadis toute la Boucle du Niger, après avoir refoulé les Tademekkes et abattu l’empire Songhaï.
Quand nous prîmes Tombouctou ils étaient les maîtres de la ville dont la population sédentaire leur payait un écrasant tribut.
    Nous aurons l’occasion de les rencontrer dans les plaines du Soudan.
    Les Touareg sont divisés en tribus nobles (Chaggaren) et en tribus serves (Imrad). Leur organisation sociale a quelques rapports avec la féodalité, mais, à l’encontre de ce qui se passait dans notre moyen âge chrétien inféodé à la loi salique, et de ce qui se passe ordinairement dans toute société musulmane, la filiation se définit chez eux par la ligne maternelle. Il faut sans doute voir dans cette coutume une survivance du matriarcat qui aurait été, d’après certains savants, l’état primitif de tous les groupements humains en voie d’organisation. Le matriarcat règne encore aux Indes dans certaines tribus de l’Himalaya où les femmes pratiquent la polyandrie. Si la polyandrie a jadis existé chez les Touareg elle ne s’y rencontre plus, mais la femme targuia est demeurée très libre. Jeune fille elle n’ignore aucune des subtilités sentimentales et autres du flirt ; mariée, elle divorce volontiers, par simple caprice, pour avoir le droit d’accueillir dans sa tente un autre époux.
    Les Touareg parlent le tamachek, un vieil idiome, kouchite, sans doute le même que leurs aïeux les Numides. Ce langage est proche parent de tous les autres dialectes berbères parlés dans le nord de l’Afrique, soit par les Kabyles algériens, soit au Maroc par les indigènes du Haut Atlas, soit par les Matmatas de la Tunisie méridionale et par les montagnards du Djebel tripolitain.
    Le tamachek comporte un système d'écriture : le tafarek (pluriel : tifinarh), qui se rapproche du punique.
    Les Touareg ont conservé l’habitude ancienne de commémorer les événements par des inscriptions gravées sur les rochers.
    Ce sont des musulmans assez tièdes ; ils n’observent jamais le ramadan, ne font pas les ablutions régulières et s’abstiennent de saigner les animaux, conformément aux prescriptions coraniques.
    Nous sommes présentés au souverain des Imoharh (tel est le nom que se donnent les Touareg) par le lieutenant Vella, résident du Hoggar. Akhamouk s’incline ; nous nous inclinons ; nos mains s’étreignent. Il nous dit qu’il est heureux de nous recevoir et forme des vœux pour le succès complet de notre audacieuse entreprise.
Ses paroles dénotent une grande sincérité. Si cet homme fut jadis notre adversaire, adversaire d’ailleurs toujours loyal, il est aujourd’hui complètement acquis à la cause française. Nous répondons à ses compliments en lui disant combien nous sommes fiers de l’amitié qu’il nous témoigne.
    Une soudaine rumeur interrompt brusquement notre conversation. Pourquoi tous les nobles personnages qui nous entourent ont-ils abandonné leurs poses de statues, pourquoi poussent-ils des exclamations gutturales et des éclats de rire ? Quelques-uns sont tellement surpris qu’ils s’oublient jusqu’à soulever leur litham. Il faut sans doute un événement aussi inattendu que considérable pour les faire ainsi déroger aux exigences du protocole.
    Cet événement, c’est l’apparition de Flossie.
    Notre mascotte dormait sous la bâche d’une de nos voitures ; s’étant réveillée, elle vient de sauter à terre et d’entrer au milieu du cercle pour rejoindre son maître.
    Jamais nos hôtes n’ont encore vu bête de cette espèce.
    – C’est un mouton, hasarde l’un d’entre eux.
    Mais Flossie ne peut laisser s'accréditer une semblable erreur. Comme preuve de la noblesse de sa race, elle donne de la voix.
    L’effet est irrésistible.
    – C’est un chien, s’écrient les Touareg.
    Ils n’en reviennent pas.
    Un chien de la grosseur d’un fenek et dont le corps est couvert d’une toison crépelée de laine blanche. Vit-0n jamais semblable prodige !
    En face des autochenilles les habitants du Hoggar ont manifesté peu de surprise, et quand nous proposerons à l’aménokal d’essayer ce mode de transport pourtant si nouveau pour lui, ce sera le plus naturellement du monde qu’il prendra place sur la banquette de la voiture dont l’un de nous tiendra le volant. Il fallait Flossie pour que les nobles Touareg se départissent de leur habituelle réserve !

    À 15 heures, précédés par nos nouveaux amis, nous descendons en bordure de l’oued Tit, à l’endroit où une hutte de jonc a été construite à notre intention. Le bivouac est coquet et pittoresque.
    Autour de nous s’élèvent les petites tentes de cuir de nos hôtes. La plupart d’entre elles sont adossées à de gros blocs de rochers aux formes bizarres. Lorsque nous arrivons à ce bivouac le tobol (4) de guerre se met à résonner. C’est un honneur inappréciable qui nous est rendu, car on n’entend le tobol que pour les grands événements.
    Dans un coin du camp, les Imrad dansent sur un rythme sauvage, en agitant leurs fusils.
    Réunies sur une petite élévation les femmes nous regardent venir. Toutes sont immobiles et comme figées dans des attitudes d’idoles.
    La journée a été fatigante. Demain le départ ne s’effectuera pas avant la fin de la matinée, peut-être même sera-t-il retardé jusqu’à l’après-midi.
    Sous notre hutte de jonc, nous rédigeons notre télégramme d'arrivée au Hoggar que nous envoyons immédiatement par un méhariste au poste de Tamanrasset, situé en pleine montagne, à 40 kilomètres d’ici.
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(4) Tobol : tambour.

Tamanrasset, 8-28-12, 22 heures.

Après deux jours de repos nous sommes repartis le 24 décembre aux premières lueurs du jour. Nous avons franchi les vastes plaines du Tidikelt battues par des grands vents et jalonnées de cadavres de chameaux. Puis nous avons quitté le désert de sable pour rentrer dans le désert de pierres. Nos voitures ont abordé ces nouveaux terrains sans ralentir la régularité de notre marche qui se poursuit, malgré des parcours souvent sans tracé, à une moyenne supérieure à deux cents kilomètres par jour. La nuit de Noël nous avons campé dans les dernières montagnes bleues du Mouydir, aux confins du Hoggar. Le 26 décembre nous sommes rentrés par Arrem Tit sur le territoire des hommes du voile, au Hoggar, l’Atakor, comme l’appellent les Touareg, le véritable centre du Sahara.

HAARDT AUDOUIN-DUBREUIL.

    Après avoir rédigé ce bulletin de victoire, nous sortons. Des Touareg nous entourent. Distribution de cadeaux à ces grands pillards du désert qui trouvent très naturel ce que nous leur offrons. Autrefois, avant que nous soyons les maîtres du pays, ils nous auraient massacrés pour les prendre eux-mêmes.
    Comme nous avons exprimé le désir de saluer les dames nobles de la tribu, celles-ci viennent sous les tentes où ce soir, la diffa doit nous être offerte.
    Voici Dacine, parente de l’aménokal, la femme poète du Hoggar, celle qui prend part à toutes les réunions des guerriers. Dacine, nous dit-on, eut beaucoup d’aventures. Ce fut une grande amoureuse, la Ninon du désert. Tallemant des Réaux eût trouvé dans sa vie ample moisson de galantes Historiettes. Ce passé quelque peu orageux ne diminue du reste en rien le respect que lui témoignent les guerriers, ni le très réel ascendant qu’elle exerce sur les tribus.
    Auprès d'elle se tient la jeune épouse de l’aménokal, jolie et bien en chair, avec la figure couverte de safran.
    Dès qu’ils nous ont présenté leurs femmes, les maris se retirent pour nous laisser causer plus librement avec elles ; au Hoggar, il est de mauvais ton de paraître jaloux.
    Flossie est là, reniflant tous les mollets. Elle a le même succès qu’auprès des hommes.
    Les jeunes filles nous recevront sous leur propre tente. Ainsi l’exige l’étiquette. Elles sont beaucoup plus farouches que les femmes mariées, ou peut-être seulement plus coquettes. Toutes commencent par se dissimuler le visage en riant, mais le voile tombe de lui-même lorsque nous leur offrons des colliers de perles et de verroterie.
    Le lieutenant Estienne adresse à ces dames et à ces demoiselles des « matoulem » (compliments) incessants.
    – Il me semble que je suis dans quelque bar select de la capitale, dit-il.
    Le soir l’aménokal Akhamouk nous offre une diffa.
    Voici d’abord un splendide couscous, mais il est, hélas, assaisonné de beaucoup de sable qui craque sinistrement sous les dents.
    On apporte ensuite le méchoui. Nous qui avons si souvent été reçus par les grands chefs arabes et qui connaissons tous les genres de diffa offertes, nous sommes cependant fort surpris lorsque arrive le plat de résistance.
    Ces magnifiques Touareg, si élégants à voir dans tous les événements courants de leur vie, mangent avec une sauvagerie vraiment extraordinaire. Certains mordent à même dans des cuisses entières. Lorsque la viande offre un peu de résistance, ils la coupent à la hauteur de leur bouche avec un couteau, nous passant aimablement le morceau qui reste. D’autres arrachent les côtes à pleines mains, les palpent et les pétrissent longuement avant de nous les présenter. Nous n’avions encore jamais vu semblable repas. Pas d’aiguières comme chez les Arabes, pour se laver les mains. Les Touareg profitent de ce qu’ils ont les mains un peu grasses pour se les passer sur la figure, les jambes et les cuisses, car la graisse ne peut que leur donner plus de lustre, et les embellir davantage.
    Très tard, dans la nuit, nuit glaciale, nous nous retirons sous nos huttes de jonc. Elles sont entourées de petits feux qui pétillent, auprès desquels les Touareg, blottis, causent entre eux.
    Un beau clair de lune. Pas de vent. Des notes mystérieuses et douces d’amzad (violon à une corde) arrivent jusqu’à nous. Une femme chante lentement, sur un rythme inconnu qui nous berce et nous pénètre puis, peu à peu, le silence enveloppe ce camp barbare entouré de hautes montagnes.

    Arrem Tit, 28 décembre. - Dans la matinée, on procède à l’examen des voitures.
    D’anciens esclaves vont nous chercher de l’eau à une petite source peu éloignée.
    Avant de quitter le Hoggar et de nous enfoncer dans le Tanezrouft, où nous serons plusieurs jours sans rencontrer de puits, il faut faire les pleins les plus complets de tous les réservoirs, en prévision d’une erreur de direction, d’une tempête de sable ou encore d’un accident imprévu nous obligeant à rester plus longtemps dans le désert de la soif.
    Nous pourrions prendre cette précaution à Silet, dernière petite oasis située aux limites du Tanezrouft, mais ceci nous ferait peut-être perdre beaucoup de temps, car nous ignorons le débit exact du puits de Silet; enfin à Tit, l’eau est meilleure.

    À 16 heures, dernière inspection des voitures. Tout est prêt. Nous pouvons aborder le Tanezrouft.
    Le lieutenant Vella nous conseille une grande prudence dans notre marche, surtout lorsque nous aurons atteint le massif Abedoun, à la hauteur de Tin Rhehro. Nous couperons alors les terrains de parcours des tribus pillardes du Rio de Oro, les Ouled Djerir et les Reguibat, dont les djouch vont parfois razzier les caravanes à plus de 3 000 kilomètres de leurs repaires, jusque dans l’Aïr.

    Les Touareg nous accompagnent pendant quelque temps, puis nous continuons vers Abalessa, petite oasis située à une quarantaine de kilomètres.
    Vers 17 heures, les montagnes du Hoggar que nous laissons derrière nous commencent à diminuer. Le crépuscule tombe avec rapidité. Les pics deviennent bleus, mauves, roses, puis enfin disparaissent dans la nuit.

    Nous quittons le pays de la peur pour entrer dans le pays de la soif.


HAARDT ET AUDOUIN-DUBREUIL.

 

Au pays de la soif