La compagnie de discipline

 

    Les archives personnelles du général ROLLET et celles de l’inspection de la Légion ne possèdent ni brouillon, ni double du rapport qui, en application de l’instruction ministérielle du 2 mars 1931 a dû être adressé au ministère à la suite de cette inspection. On ne sait pas les conclusions que l’inspecteur a tirées de ce voyage et les propositions qu’il a pu faire pour améliorer l’instruction et le rendement des unités visitées. Il eut été intéressant de connaître la manière dont il a présenté au ministre le malaise qui régnait à l’époque au 4e REI (malaise signalé au général Catroux) et ses conclusions à propos de la compagnie de discipline.

Organisation de la compagnie de discipline :

    Au moment où le général ROLLET est nommé inspecteur de la Légion étrangère, il est amené à donner son avis sur une étude entreprise par le bureau de l’organisation et de la mobilisation de l’armée, qui porte sur l’organisation de la compagnie de discipline de la Légion étrangère. Cette étude aboutit à la diffusion, le 26 octobre 1931, d’une instruction particulière qui stipule la mission de l’unité, composition de son effectif, son organisation interne, son encadrement, les conditions dans lesquelles sont prises les décisions d’envoi des légionnaires punis à la compagnie, la durée du séjour, les conditions de réintégration dans une unité active et enfin, le transport des disciplinaires depuis Sidi-bel-Abbès où ils sont groupés jusqu’à Colomb-Béchar.

    À l’époque où ce document a été mis en circulation, l’attention de l’opinion publique est appelée sur les conditions d’existence des disciplinaires, des hommes des sections d’épreuve et des exclus, rendues épouvantables, dantesques, affreuses, inhumaines… par une série de reportages plus ou moins fantaisistes.

    Cette instruction, qui n’a pas fait l’objet d’une diffusion restreinte (l’exemplaire adressé à l’inspection de la Légion sous couvert de la division d’Oran ne porte pas le timbre « secret ») permet de connaître les idées du haut commandement sur la répression des fautes très graves commises par des légionnaires.

1 – Missions de l’unité :

    La compagnie de discipline de la Légion étrangère remplit le rôle de section spéciale pour les militaires de la Légion autres que ceux séjournant en Indochine. Elle est destinée à recevoir « les légionnaires qui par des fautes réitérées contre les règlements militaire ou par mauvaise conduite habituelle, portent atteinte à la discipline et constituent un danger pour la valeur morale du corps dont ils font partie ». Elle reçoit en outre les légionnaires qui tentent de se « mutiler dans le but de se rendre impropres (sic) au service ou qui sans tenir compte des remontrances et des punitions simulent des infirmités dans le but de se soustraire au service ».
En plus des punis envoyés par les régiments et unités d’Algérie, de Tunisie, du Maroc et du Levant, y sont automatiquement envoyés les légionnaires provenant de la section spéciale du 5e REI (Tonkin) qui, au moment de leur rapatriement pour fin de séjour, « n’ont pas obtenu leur réintégration dans une unité active ordinaire ».


2 – Organisation de la compagnie :

    Elle est articulée en trois sections :

    – Une section ordinaire à laquelle sont affectés, en principe, tous les punis envoyés à la compagnie.

    – Une section de répression destinée à recevoir les légionnaires ayant déjà fait un séjour antérieur à la compagnie et que leur mauvaise conduite y a fait renvoyer, les disciplinaires de la section ordinaire qui, ayant encouru plus de cent jours de prison ou de cellule doivent être soumis à un régime plus sévère et, enfin les légionnaires coupables de mutilation volontaire. Il est a noté que les simulateurs sont incorporés à la section ordinaire et non à celle de répression.

    – Une section de transition à laquelle sont affectés les disciplinaires de la section ordinaire qui s’étant bien conduit pendant une durée de six mois, peuvent bénéficier d’un régime moins strict.

3 – Encadrement de la compagnie :

    Les officiers, sous-officiers et légionnaires du rang destinés à assurer l’encadrement des disciplinaires sont désignés par le général inspecteur de la Légion. Ils sont choisis dans les unités stationnées en Algérie, c’est à dire essentiellement à l’intérieur du 1er REI. Pour être sélectionnés, ces cadres doivent présenter des garanties réelles de conduite et de moralité : ils doivent se distinguer par un caractère froid et énergique. Le profil du personnel d’encadrement est donc loin de correspondre aux « sadiques » que se plaisent à dépeindre les journalistes.

    L’encadrement est composé d’un capitaine commandant l’unité, assisté d’un lieutenant et de deux sous-officiers chargés des travaux administratifs et comptables auxquels s’ajoutent – à la section de répression : un sergent pour six disciplinaires – à la section ordinaire et à la section de transition : un sergent pour dix hommes.

    En plus de ces cadres, la compagnie compte un caporal-chef ou caporal et deux légionnaires, pour un effectif inférieur à quarante disciplinaires, deux caporaux ou un caporal-chef et toujours deux légionnaires pour un effectif compris entre quarante et soixante-dix disciplinaires. Cet encadrement est augmenté d’un légionnaire si les disciplinaires dépassent le nombre de soixante-dix.


4 – Décision d’envoi à la « Discipline » :

    La décision d’envoi appartient au ministre de la Guerre qui se prononce sur avis du conseil de discipline du régiment auquel appartient le puni. Dans la pratique, le ministre délègue ses pouvoirs au général commandant la division d’Oran (1er REI), au général commandant les troupes du Maroc (régiments étrangers stationnés en territoire chérifien), au général commandant supérieur des troupes en Tunisie pour les unités qui y sont stationnées, enfin au général commandant supérieur des troupes du Levant (bataillon formant corps du 1er REI en Syrie).



La compagnie de discipline de Colomb-Béchar


5 – Durée du séjour :

    La durée minimum de l’affectation des punis à la compagnie de discipline est égale à neuf mois, dont six à la section ordinaire, et trois à la section de transition. Le séjour minimum à la section de répression est de trois mois ; toute punition encourue peut prolonger ce séjour de trois mois. Le temps total passé à la section répression n’est pas pris en compte pour le calcul global de la durée du séjour à la compagnie.

    Le disciplinaire de la section répression qui, pendant trois mois n’a pas encouru de punition et s’est bien conduit, est proposé par le capitaine commandant pour être muté à la section ordinaire où il doit passer six mois, avant de pouvoir être transféré à la section de transition. Le disciplinaire de la section transition peut, après avoir fait preuve d’une bonne conduite pendant trois mois, être réintégré dans une compagnie active ordinaire. Toutefois, le bénéfice de cette dernière disposition ne peut s’appliquer, en principe, à un mutilé volontaire.


    Parmi les dispositions particulières à la section de transition, il est à noter que les disciplinaires de cette section peuvent être autorisés par le commandant de la compagnie à sortir en ville deux heures chaque jour (pour ces sorties leur tenue est la même que celle des légionnaires ordinaires, mais sans armes). En prévision de leur réintégration, leur emploi du temps journalier comporte une demi-journée d’exercice et d’instruction. Il leur est interdit de communiquer avec les disciplinaires de la section ordinaire et celle de répression.

    Les disciplinaires, quelle que soit leur section d’affectation, ne peuvent bénéficier de permissions, même à titre exceptionnel, ni de congé de convalescence.

    En ce qui concerne les punitions, seules peuvent être infligées celles prévues par le règlement du service dans l’armée. Elles sont, en principe, subies dans des locaux individuels. Les punis sont par conséquent soumis à un régime cellulaire, mais uniquement en dehors de heures de travail et de corvées.

    Les disciplinaires ne reçoivent et ne peuvent se procurer à leurs frais du tabac, que si leur conduite et leur manière de servir sont jugées satisfaisantes. Le pouvoir de décision appartient au capitaine commandant la compagnie.

    La solde des disciplinaires, les portions de prime auxquelles ils peuvent prétendre et les sommes qui peuvent leur être adressées sont versées trimestriellement en leur nom par le capitaine commandant à la Caisse d’épargne ou, si l’intéressé le désire, à la Caisse nationale de retraite pour la vieillesse. Les livrets de Caisse d’épargne où de Caisse de retraite sont remis aux titulaires lorsqu’ils sont réintégrés dans un corps de troupe ou lorsqu’ils sont libérés.

    À titre de récompense, le capitaine commandant peut autoriser les disciplinaires à recevoir leur solde et à recevoir de l’extérieur en un ou plusieurs envois la somme mensuelle de vingt cinq francs.

    Les enveloppes des lettres écrites par les disciplinaires ne doivent porter aucun cachet faisant mention de la compagnie de discipline ou aucune indication de même type. Il leur est interdit de recevoir des lettres ou des paquets autrement que par l’intermédiaire du vaguemestre. Les lettres ou paquets sont ouverts par les intéressés en présence du capitaine ou d’un gradé désigné par lui. Des livres ou revues peuvent leur être remis, mais sous la surveillance du capitaine. Les disciplinaires punis ne peuvent correspondre qu’avec leurs parents immédiats.

    L’habillement est le même pour les disciplinaires et les hommes des unités d’actives des régiments étrangers, à l’exception des hommes de la section de transition, les disciplinaires ne reçoivent ni armes, ni équipement.

    Les disciplinaires sont logés sous marabouts dans des enceintes closes, comprenant chacune un ou deux marabouts, chacune des trois sections est totalement isolée des deux autres.

    Le général commandant la 19e CA, le général commandant la division d’Oran, les généraux commandant les circonscriptions territoriales sur lesquelles est stationnée tout ou une partie de la compagnie de discipline , le général inspecteur de la Légion, le chef de corps du 1e REI, ainsi que l’officier supérieur commandant le territoire d’Ain-Sefra ont droit de visite ou d’inspection de la compagnie. Celles-ci doivent être inopinées et donnent lieu à l’établissement d’un rapport de l’autorité inspectrice. Ce rapport est transmis à la division d’Oran qui signale éventuellement au ministre, les points spéciaux ou particuliers sur lesquels son attention doit être appelée.

    Les rapports doivent rendre compte de l’état moral et physique des disciplinaires, des réclamations exprimées et la suite qui leur est donnée.

    Le ministre peut déléguer un officier général pour inspecter la compagnie et les observations auxquelles donne lieu ces dernières inspections sont notifiées par le ministre aux généraux dont relève la compagnie.


6 – Réintégration des disciplinaires :

    Les disciplinaires qui ont eu une conduite satisfaisante pendant neuf mois peuvent être réintégrés dans une compagnie active normale. Les propositions de réintégration sont faites une fois par mois par le capitaine commandant. Elles sont adressées au général commandant la division qui, agissant par délégation du ministre, décide en « dernier ressort » s’il y a lieu d’accorder ou de refuser la réintégration proposée.

    Un acte de courage ou de dévouement accompli par un disciplinaire peut valoir à son auteur d’être proposé pour une réintégration à toute époque de l’année, sans que cette réintégration soit soumise aux conditions de durée de séjour à la section ordinaire et à la section de transition normalement requises pour bénéficier de cette mesure.


    Seuls les mutilés volontaires ne peuvent, en principe, faire l’objet d’une proposition de réintégration, ils terminent leur contrat à la compagnie de discipline avec, toutefois, la possibilité en cas de bonne conduite d’être affectés à la section ordinaire ou même à la section de transition.

    Les disciplinaires réintégrés rejoignent le 1e REI où ils sont affectés à l’une des unités du régiment stationnées en Algérie, ce qui paraît indiquer qu’un ancien disciplinaire ne peut rejoindre une unité stationnée sur un TOE.

    Le disciplinaire dont le contrat arrive à terme pendant son séjour à la compagnie ne peut, sauf exception, recevoir à sa libération du service, le certificat de bonne conduite, même s’il s’est bien conduit entre son arrivée à l’unité et la date de sa libération. Il ne peut contracter un nouvel engagement à la fin de son contrat.

    Il apparaît donc que les disciplinaires de la section ordinaire, et surtout ceux de la section de répression, sont soumis à des conditions d’existence qui ne doivent pas être très éloignées de celles que connaissent en Guyane, à la même époque, les condamnés aux travaux forcés. Toutefois ils ont la possibilité, à condition d’en avoir la volonté, de « s’en sortir » et de pouvoir à nouveau être affectés à des unités actives ordinaires.

    Le pourcentage de disciplinaires qui, à cette époque, est parvenu à s’amender, n’a fait l’objet d’aucune étude (les listes d’affectation de mutation qui figurent dans les journaux de marche mentionnant exceptionnellement les unités dont proviennent les nouveaux affectés ne permettent pas de faire de statistiques).

    Si les conditions d’existence sont rudes à la compagnie de discipline, les inspections inopinées, fréquemment passées par le général commandant le 19e CA ou la division d’Oran, ou même par le maréchal Franchet d'Esperey, et celles de l'inspection de la Légion et du chef de corps du 1e REI ne laissent aux cadres de la compagnie que des possibilités très réduites de se comporter en petits potentats. La lecture du journal de marche de l’unité pour les années 1930 à 1936 fait apparaître que le capitaine commandant n’a jamais hésité à infliger des arrêts de rigueur à ceux de ses sous-officiers qui « manquaient de sang-froid » en des occasions qui ne sont pas précisées.

    Pour sa part, le service de santé surveille de près, par des visites périodiques, la condition physique des disciplinaires, l’infirmier de l’unité peut donner les soins requis, et a l’obligation de surveiller la manière dont évoluent les affections bénignes dont souffrent les exempts de service.

    Au début de l’année 1931, le médecin capitaine chargé du service médical de la garnison de Colomb-Béchar appelle l’attention du médecin-chef de la Place sur l’organisation de l’hébergement des disciplinaires reconnus malades et exemptés de service mais dont l’état ne nécessite pas une hospitalisation à l’hôpital de Colomb-Béchar.



Monument (1962) de la compagnie de discipline des régiments étrangers.
On peut y lire cette célèbre maxime :
« Car il te faudra bien admettre que seul vaut ce qui a coûté du temps aux hommes »

 

Source :

Képi blanc
Journal mensuel de la Légion Étrangère
n° 575 – Février 1997