LONDRES – PORT DARWIN

Le premier raid du Capitaine W.N. LANCASTER


Photo : Source Internet

Alain BROCHARD - Juin 2017


AVANT–PROPOS

    Ce premier raid du Capitaine William Lancaster, je l’ai découvert au travers de la lecture de l’excellent livre de Ralph Barker intitulé « VERDICT ON A LOST FLYER ». Ce livre m’avait été conseillé par mon ami Brian Crozier.


Ralph Barker

Comme je l’avais écrit en rédigeant « UN PAPILLON DANS LE DÉSERT » :
http://www.3emegroupedetransport.com/Unpapillondansledesert.htm

Ce livre édité en 1969 était pour moi le seul crédible sur l’extraordinaire vécu de Lancaster. Après sa publication, je pense que Ralph Barker servit de référence à de nombreux écrits concernant la tragédie de Bill Lancaster. Bien des évènements se sont produits depuis cette date, la sortie en 2014 du reportage cinématographique d’Andrew Lancaster petit-neveu de Bill :

« THE LOST AVIATOR » :
http://www.3emegroupedetransport.com/LondresTheLostAviator.htm

Puis la publication en 2015 de la reprise du livre « VERDICT ON A LOST FLYER » par Sarah DUNCANSON, fille de Ralph, sous le titre : BILL LANCASTER, THE FINAL VERDICT.



Disponible sur le Net


Enfin début 2017, Andrew Lancaster sort le DVD de : « THE LOST AVIATOR ».


Disponible sur le Net

Ma participation à ces deux évènements fut, bien entendu, de bonne grâce.

Pour tous ceux qui ont suivi cette « saga », Sarah a su en quelques photos résumer sur la couverture de son livre l’histoire complète de Bill. Mon « papier » (qui suit) a été beaucoup inspiré des recherches de Ralph Barker, Sarah m’ayant autorisé et je l’en remercie, à puiser autant qu’il m’en serait nécessaire dans l’ouvrage de son père. Après avoir interrogé Sarah sur les sources de Ralph, elle m’a raconté la rencontre de son père et de Chubbie à son domicile, je lui laisse la parole :

Bonsoir Alain,

Oui, Papa a interviewé Chubbie, principalement par correspondance (j'ai toujours ses lettres) mais elle est venue nous rendre visite à Catheram et est restée pendant 3 ou 4 jours. Je me souviens d'une petite femme âgée, chaque soir avec une cigarette dans une main et un gin tonic dans l'autre! Elle a ri quand ma cousine et moi avons dansé sur de la musique pop: elle a dit: « J'ai vu mieux en Afrique ! » Je pense que c'était en 1967.Après Papa a écrit le manuscrit, Chubbie a tout lu (ou peut-être seulement les sections pertinentes). Bien sûr, il a consulté beaucoup d'autres sources (la famille Lancaster, d'autres qui avaient connu Bill, les journaux internationaux, les documents juridiques et la veuve de Jim Carson etc.), mais je pense que nous devons admettre qu'il avait compté sur Chubbie pour une grande partie de l'histoire, et donc beaucoup sont de son point de vue. Je suis impatiente de lire le livre de Carol Baxter : je pense qu'elle, aussi, est une chercheuse très minutieuse. La plupart des informations ne pouvaient venir que de Chubbie ou d'autres personnes qui connaissaient Bill : tous étaient vivants dans les années 60, mais maintenant ils sont décédés.

Sarah
- Extrait d’un e-mail du mercredi 12/04/2017 21:35

Puis évidemment, j’ai parcouru le Net autant que possible pour retrouver et collecter tous les articles et photos possibles évoquant ce raid Londres-Darwin.

Mon texte est illustré, autant que faire se peut, des éléments apportant un maximum d’intérêt pour une meilleure compréhension de cette aventure. L’absence d’informations concernant certaines photos m’a conduit à les placer arbitrairement dans le texte en fonction de la logique du raid, avec comme mention « lors du parcours » !

Remerciements :
- à Sarah Duncanson pour m’avoir autorisé à m’appuyer grandement sur le livre de Ralph Barker son père.
- à Andrew Lancaster pour les différentes photos.
- à Graham Powell pour l’aide apportée et les nombreux documents fournis.
- à Michel Fernez pour son soutien, ses recherches personnelles et ses conseils.

Alain BROCHARD


LA RENCONTRE

    Le brouhaha qui fusait par les fenêtres d’un petit studio de Baker Street laissait augurer de l’ambiance qui se jouait à l’intérieur. Nous étions en juin 1927 et les fenêtres ouvertes déversaient le son d’un piano accompagné de chanteurs qui étaient des plus célèbres voix de Londres accompagnés par deux invités de marque, les chanteurs noirs américains Layton et Johnston qui s’égosillaient sur un air de « It ain’t gonna rain no more »

It Ain't Gonna Rain No More, Piano Roll, Pete Wendling ...

C’étaient les folles années 20, la vie du vingtième siècle grisante, émancipée. Une guerre était derrière eux, l’autre pas encore là et les voix chantèrent « I can’t get over a girl like you »

Ted Lewis - I Can't Get Over A Girl Like You (1926)

C’était une nuit où l’excitation et l’insouciance étaient de mise.

Chubbie et sa collègue australienne vivaient dans l’appartement au-dessous de chez George, un artiste qui n’avait pas hésité un seul instant à les inviter. Bill faisait également partie de cette fête. À ce moment il vivait séparé de son épouse Kiki qui avait trouvé un emploi dans le Sud pour essayer de pallier les problèmes financiers du couple.

Bill lui en avait terminé avec le service court effectué à la RAF. Désœuvré, il avait la tête dans les nuages et au bout de son rêve il apercevait déjà Port Darwin !

George présenta donc Bill à Chubbie lui disant : C’est l’officier d’aviation Bill Lancaster. Il a vécu en Australie, ce qui devrait vous permettre d’évoquer des souvenirs communs. Lancaster fit plus que de parler à Chubbie et il évoqua son idée d’effectuer un vol en solo vers l’Australie dans un avion léger, ce qui n’avait pas encore été réalisé.

Le bruit ambiant de cette soirée ne leur permettait plus désormais de s’entretenir sur ce projet qui avait de suite interpellé Chubbie. Ils décidèrent de se rencontrer le lendemain pour prendre le thé au Club des Auteurs cour de Whitehall.

Le lendemain Bill arriva avec des notes concernant son intention, quelques ébauches de cartes sur lesquelles étaient inscrites les distances approximatives entre les différentes étapes.

Le point de départ serait l’aéroport de Croydon et la première étape Abbeville soit à peu près 200 Km. Il s’agissait lors de ce premier « saut de puce » de s’assurer du meilleur fonctionnement de l’avion. À savoir que l’objectif de ce vol serait essentiellement de tester l’endurance d’un petit avion.

Si le descriptif de son projet n’était qu’embryonnaire, il savait par contre quel type d’avion il lui fallait. Son choix s’était porté sur un petit avion tout nouvellement sorti, un biplan de la marque Avro Avian qui était équipé d’un moteur Cirrus A.D.C. d’une puissance de 80 chevaux. C’était un biplace d’un poids total d’environ 500 Kg qui pouvait pratiquement transporter son propre poids.

L’appareil pouvait voler sur des distances de 1 500 Km à 140 km/h, et puis en lieu et place du passager, il ferait installer un réservoir supplémentaire.

Si sur la question de l’avion, Bill semblait bien connaître son affaire, lorsque Chubbie lui demanda s’il disposait d’un tel appareil, la réponse fut évasive ou plutôt non !

Sur le plan du financement de ce vol, Bill ne disposait d’aucun moyen. Son père avait d’ailleurs refusé de l’aider, mais Bill avait toujours l’espoir d’arriver à le persuader. Toutes les promesses qu’il avait pu obtenir de droite et de gauche n’avaient été qu’illusoires. Chubbie comprit de suite que ce projet ne verrait jamais le jour à moins que … Elle lui proposa de faire équipe avec lui comme partenaire. Comme l’avion était un biplace, elle lui dit tout cru : « Si je trouve la moitié de la dépense totale, pourrais-je venir avec vous ? »

Bill resta pantois, en entendant une telle proposition ! Bien entendu, il n’était pas du tout enchanté de se voir contraint d’embarquer un passager, de plus s’agissant d’une femme ! Il n’aurait jamais pu supposer qu’elle puisse lui annoncer un tel scénario.

Bill avait relativement bien prévu les différents aspects techniques de ce vol, mais son manque d’enthousiasme à régler les différents problèmes financiers de cette affaire était le handicap majeur de la réalisation de ce raid !

Se retrouvant face à lui-même Bill commença à répertorier les différents problèmes qui se poseraient. Au-delà d’obtenir l’avion qu’il avait choisi, il y avait le problème de la mise en place des différentes cachettes pour stocker l’essence et l’huile qu’il faudrait acheminer tout au long du parcours. Il serait évidemment soutenu par les unités de la RAF situées à l’Est de Suez, mais passé l’Inde il n’y avait plus rien. De plus, le carburant, l’huile y compris l’avion devraient être payés d’avance.

L’affaire n’était pas simple et il ne s’agissait pas d’avoir seulement l’envie de réaliser un exploit, il était clair que ce projet ne pouvait être viable qu’avec la logistique nécessaire à sa réussite.

Déjà, il y avait le problème des cartes qu’il fallait faire éditer, les frais d’atterrissage, les licences, les visas, l’entretien, sans oublier les pièces de rechange…Tout cela représentait une importante somme d’argent et Lancaster ne disposait pas de la première « thune » !

Malgré tout Chubbie avait en peu de temps compris à la fois l’enthousiasme débordant de Bill pour ce vol, mais elle savait déjà que sans aide il ne pourrait pas aller au bout de son idée.

Pourtant Lancaster insistait, prétendant qu’un passager serait un poids supplémentaire et du coup la vitesse et les performances de l’avion seraient durement affectées. Il argumentait aussi sur le fait que ce serait un vol difficile, qu’il faudrait atterrir sur des terrains éloignés, sans hébergement et sans doute mal fréquentés ! Bref tout ce qui ne correspondait pas à un passager féminin.

Mais Chubbie, pour qui ce vol semblait cristalliser ce qu’elle souhaitait plus que jamais, s’accrochait au mieux pour ce retour en Australie qu’elle n’avait jamais imaginé par la mer. De plus n’ayant jamais volé, elle n’y avait même jamais pensé, Chubbie trouvait cette aventure sans doute dangereuse mais combien attirante, combien irrésistible de cet inconnu qu’elle n’imaginait même pas.


LES TRACTATIONS

    Chubbie n’avait aucune idée à ce moment de ce qu’elle pourrait faire pour obtenir les subsides nécessaires à la réalisation du vol. Elle soutint à Bill qu’avec sa ténacité, et c’était peu dire, elle saurait convaincre les « sponsors » potentiels de subvenir à leurs besoins financiers. Lancaster ne pouvait pas se résoudre d’admettre qu’il était dans l’incapacité de régler tous les problèmes de cette entreprise.

Prétextant au mieux que pour un vol en solo, il n’y aurait pas de problème mais avec une passagère tout devenait plus compliqué. En réalité Bill avait sans doute sous-estimé de façon inconsciente toutes les tracasseries que posait l’organisation du vol. En y réfléchissant, l’histoire était déjà écrite dans son passé et dans le cas présent l’aide de Chubbie devenait incontournable. Ils tombèrent d’accord, sans doute à contre-cœur pour Bill, de devenir partenaire et uniquement pour ce projet de voler de Londres à Port Darwin.

Le lendemain, Chubbie et Bill rencontraient Stanford pour obtenir les cartes indispensables à un tel parcours qui rappelons-le s’étalait sur 13 000 Miles (plus de 20 000 Km) entre Europe, Afrique, Asie et Australie !

Stanford leur expliqua qu’il pourrait réaliser l’ensemble des cartes en bande, elles couvriraient tout le trajet et seraient ainsi plus maniables pour la lecture en vol. Cela convenait tout à fait à Lancaster qui laissa l’ardoise de 40£ à Chubbie. Elle prendrait sur ses économies pour régler cette facture, pour elle ceci scellerait leur partenariat.

Lancaster avait prévu un parcours qui semblait le plus approprié, de Croydon il volerait jusqu’à Paris puis rejoindrait Marseille, passerait par Rome avant d’atteindre la Sicile et Malte. Ensuite il survolerait la méditerranée jusqu’à Tripoli, puis ce serait Le Caire, Bagdad et Karachi. Il rejoindrait Calcutta, Rangoon et Singapour. Ce serait pour finir, Sumatra et Java, le survol de la mer de Timor et Port Darwin.

Après avoir récupéré les cartes Bill eut l’idée d’aller les montrer à ses parents à leur domicile de Crystal Palace Road situé au sud de Londres. Les parents de Bill n’étaient pas favorables à ce vol et encore moins sachant qu’une femme ferait partie du voyage. Chubbie sut les impressionner en leur expliquant ce que serait le vol au travers de la bande de cartes que Bill avait affichée au mur.

La présentation que Chubbie fit de cette affaire avec la plus grande sincérité emporta l’acceptation d’Edward et Maud Lancaster à participer financièrement pour l’achat de l’avion. Maud Lancaster fixa toutefois une condition, au cours du vol des brochures d’une association caritative appelée « Mission of Flowers » (La Mission des Fleurs), seraient distribuées. Cette association s’était fixé pour rôle d’aider les nécessiteux, et d’apporter plus particulièrement de l’aide aux militaires ayant des besoins au retour de la guerre. Curieusement, les membres portaient tous des noms de fleurs, y compris Maud Lancaster, une personnalité très influente qui avait de surcroît été surnommée « Sister Red Rose ». De ce fait le nom de l’avion fut immédiatement trouvé, il s’appellerait « Red Rose » !

Ils rencontrèrent ensuite Sefton Brancker, le directeur de l’Aviation Civile qui montra de suite une certaine sympathie pour Chubbie.


Source Internet : Major Général William Sefton Brancker

Il examina l’ensemble du parcours du vol, leur suggéra nombre de contacts possibles et promis de s’occuper des permis nécessaires pour survoler les territoires étrangers.

De plus il leur dit qu’ils auraient toute l’assistance que lui permettait son statut. Lancaster avait déjà pris contact avec tous les promoteurs intéressés par le vol, compagnies pétrolières en tête, puis les fabricants d’instruments etc.

Chubbie et Bill étaient revenus les voir, ainsi Shell et B.P. leur avait confirmé qu’ils leur fourniraient l’essence pour tout le vol, qu’ils feraient déposer aux endroits convenus où ce serait nécessaire. Wakefield les fournirait en huile. Toute cette aide serait gratuite, sachant que les sponsors attendaient, avec l’espoir d’une réussite totale du vol, de véritables retombées commerciales de par la publicité qui en serait faite. Le fait également que le spectacle de cette petite femme si déterminée sur son intention de devenir la première à effectuer un tel vol.

Chubbie désormais manageait indirectement l’opération, elle appela un certain nombre d’hommes d’affaires australiens, en leur indiquant que ce vol avait une portée et un intérêt très clair pour l’Australie. Il découla de cette démarche quelques petits contrats, les promesses n’étant pas toujours suivies. Néanmoins deux journaux australiens, ainsi que l’éditeur du Daily Express leur apporteraient un petit soutien financier, dans la mesure où ils leur câbleraient un compte-rendu à chaque étape. Tout était bon à prendre et nos « aviateurs raiders » ne s’en priveraient pas.

Lancaster avait finalement acheté à un prix réduit l’Avro Avian MkII, il avait été prélevé sur la ligne de production en septembre 1927 pour être modifié. En effet, il s’agissait de l’équiper de réservoirs supplémentaires pour pouvoir réaliser de plus longs parcours et ainsi le modèle de base choisit devenait le premier Avro Avian MkIII. Il fut immatriculé G-EBTU.


Source Internet : Avro Avian MkIII, préparé pour Bill Lancaster…

Les modifications de ce modèle étaient minimes par rapport à l’étude d’origine, la conception avait toutefois été améliorée pour l’installation du moteur Cirrus. Son poids avait légèrement augmenté et il serait nécessaire de réduire les bagages à leur plus simple expression.
La société Avro, se rendant finalement compte que ce vol n’étant pas une simple lubie, se dit prête à coopérer au mieux. Lancaster avait d’ailleurs rappelé qu’il ne s’agissait aucunement d’une course, mais plus d’un vol comme test de fiabilité s’étalant sur plusieurs semaines. Chubbie avait fait savoir qu’elle tenait à ne faire aucune erreur vis-à-vis de la femme de Lancaster et qu’elle-même était mariée à Mr Miller.
Le 7 octobre 1927, Lancaster prenait possession de l’Avro Avian MkIII dont il venait de prendre livraison. Malgré le temps brumeux et automnal le vol d’essai se révéla impeccable.


Source Internet : Bill devant le Red Rose, Chubbie déjà dans le cockpit …

Chubbie embarqua ensuite pour son premier vol à destination de Croydon. Bill avait pensé piloter du cockpit arrière, mais une double commande était nécessaire dans le cockpit avant. Ce qui permettrait, après apprentissage, à Chubbie de prendre les commandes alors que Bill examinerait les cartes en vol ou même se reposerait. Les modifications furent réalisées par eux-mêmes à Croydon dans les jours qui suivirent. Désormais l’avion était prêt à décoller sous la bannière « Red Rose », le seul problème restant était l’assurance de l’avion lui-même. Le père de Lancaster avait promis de s’en occuper…Les compagnies d’assurances étaient plutôt réticentes, il leur fallait des garanties, Bill n’avait aucune notoriété comme pilote à l’inverse d’autres pilotes déjà renommés comme Scott, Mollison, Lindbergh ou Kingsford-Smith qui avaient déjà une antériorité. Ce vol n’était finalement pas vraiment pris au sérieux, un pilote amateur, une passagère et également la distribution de brochures à caractère religieux ! Bref tout ça semblait moins que sérieux et les professionnels qui suivaient cette préparation à Croydon gardaient leur sourire en coin. Malgré le scepticisme alentour, Bill et Chubbie n’avaient pas perdu le moral et ils s’envoleraient bientôt.


Chubbie préparatifs à Croydon…
Photo extraite du livre de Ralph Barker VERDICT ON A LOST FLYER


Source Internet : Bill et Chubbie posent avant le départ…

Un diner fut organisé dans la soirée du 12 octobre, c’était les adieux et Sefton Brancker les accueillait avant leur départ au Club de Murray.

Il en profita pour conseiller à Chubbie de prendre un minimum comme tenue de soirée, car elle ne manquerait pas d’être sollicitée lors des différents arrêts incontournables. Chubbie qui n’avait absolument pas pensé à ce genre de tenue se dépêcha dès le lendemain à suivre les conseils qui lui avaient été donnés. Le lendemain 13 octobre, les choses n’avaient toujours pas avancé côté assurance ! Ils décidèrent de décoller le 14. Kiki était revenue de la côte Sud pour aller les voir. Elle avait donné à Bill son entier accord pour ce vol en duo, elle serait là pour le décollage.


Pat la fille aînée de Bill dans les bras de sa mère Annie-Maud (Kiki), écrivant « Good Luck » sur le fuselage de l’Avro Avian à l’adresse de son père… Source Internet


LE VOL VERS PORT DARWIN


Source Internet: Bill et Chubbie à Croydon au moment du départ vers Darwin

    Ils s’envolèrent le 14 octobre à 14h40 de Croydon, faisant fi du problème d’assurance qui n’était pas réglé. Voir le petit document filmé par British PATHÉ
Lien ci-après :
http://www.britishpathe.com/video/the-longest-flight-ever/query/Jessie

En effet chaque jour de retard avait un coût et en parallèle la presse qui suivait cette affaire commençait sérieusement à s’impatienter. Il fallait donc partir.

Pendant ce temps-là, Edward Lancaster le père de Bill, faisant le maximum pour aboutir.

Le Haut-Commissaire pour l’Australie leur avait dit qu’il leur ferait passer une lettre pour leurs frais auprès du Premier ministre australien, sa femme Lady Ryrie avait promis d’aller les voir au moment de partir. Lady Ryrie fut convoquée et sur la petite place du tarmac construite devant l’aérogare, elle remit la lettre à Lancaster. Était présent à ses côtés le Colonel Ivo Edward du ministère de l’air. Bill dit quelques mots à la presse et ce fut le départ.


The Second Croydon Airport 1928-1959


Maquette de l’aéroport de Croydon
Le tarmac devant les bâtiments, sur la droite en diagonale, l’entrée de la piste d’envol.
Photos : Alain BOCHARD Octobre 2012


Source Internet : Control Tower Interior – Croydon Airport c. 1935


Source Internet: Chubbie et Bill devant le Red Rose avant le départ


Dernier baiser avec Kiki, désormais l’histoire s’écrirait autrement !


Départ de Croydon
Photos extraites du livre de Ralph Barker VERDICT ON A LOST FLYER

Avant de décoller, Bill s’était entendu avec son père pour se poser à Lympne et qu’il lui téléphonerait pour savoir où en serait le problème concernant l’assurance.

Le départ de Croydon fut filmé par British Pathé, voir le lien suivant :
http://www.3emegroupedetransport.com/TheLongestFlightEver1927.htm

Ce lien a été mis en ligne sur le site du 3ème GT dans la rubrique « William Newton Lancaster »
http://www.3emegroupedetransport.com/WilliamNewtonLANCASTER.htm

Sous le titre :
The longest flight ever 1927 (petit document filmé British PATHÉ) par Alain BROCHARD


Décollage de Croydon
Photo extraite du livre de Ralph Barker VERDICT ON A LOST FLYER

Vers 16 heures Bill arrivé à Lympne téléphonait à son père. Edward Lancaster avait réussi à prendre une couverture sur la vie mais concernant les sociétés d’assurance ne voulurent rien savoir à moins de primes prohibitives. Ils redécollèrent aussitôt en direction d’Abbeville.


LYMPNE >>> ABBEVILLE


Source Google Earth : Itinéraire Croydon, Lympne, Abbeville, Le Bourget, Dijon, Lyon, Marseille, Pise, Rome, Naples …
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

    Lorsqu’ils atteignirent Abbeville, il faisait pratiquement nuit. Lancaster ne put apercevoir l’aérodrome. Lympne avait pourtant bien envoyé un message pour prévenir le terrain d’Abbeville…Toujours est-il que l’aérodrome n’était pas éclairé et que Bill, après un survol de plusieurs minutes, dut se poser dans une prairie qui lui parut suffisamment dégagée. Des paysans se trouvant sur place se précipitèrent à leur rencontre. Après les avoir interrogés, Bill comprit que l’aérodrome se situait juste à côté mais à 3 Km de là. Il s’agissait désormais de rejoindre l’aérodrome. Bill comprit de suite que l’avion lourdement chargé n’aurait pas suffisamment de distance pour décoller de cette prairie. Il demanda à Chubbie de descendre de son cockpit, de prendre l’ensemble des bagages pour rejoindre l’aérodrome à pied où il l’attendrait après avoir redécollé et s’être posé sur le terrain d’aviation. Chubbie aidée de deux Français partit à pied vers l’aérodrome en trainant les bagages pour rejoindre Bill qui s’était déjà reposé. Ce petit incident mettait déjà « du piment » dans l’affaire, mais rien ne pouvait désormais ébranler leur souhait de continuer le vol.

Il est à noter que Chubbie démontra au cours de ce vol une étonnante philosophie et une endurance incroyable pour une jeune femme si frêle.

Puis ce fut la halte à Paris Le Bourget !


Source Internet

Ils redécollèrent ensuite pour Marseille et survolèrent Dijon et Lyon. Pour rejoindre Pise, j’aurais tendance à penser que Lancaster qui suivait au mieux la côte, survola Gênes au lieu d’effectuer directement la traversée Marseille- Pise, mais nous n’avons pas de confirmation de cette hypothèse. Les jours suivants Lancaster n’étant pas particulièrement pressé les arrêts furent : Pise, Rome et Naples.

Ce qui importait le plus à Bill dans cette première partie du voyage c’était surtout le bon fonctionnement de la machine.

Effectivement pour le moment l’Avro Avian MkIII fonctionnait à merveille. Ce faisant, à chaque arrêt, Bill soulevait les capots du moteur s’assurant ainsi que tout se passait bien. Quand le nombre d’heures était atteint, la vidange d’huile était réalisée puis c’était à nouveau le décollage. Il profitait aussi de ces moments pour montrer à Chubbie le minimum à connaître pour ces entretiens mécaniques indispensables.

Lancaster s’appliquait à planifier en affinant au fur et à mesure son vol, en étapes faciles à réaliser. Lancaster avait appris à Chubbie les rudiments du pilotage ce qui permettait à cette dernière de se sentir plus qu’une simple passagère. Néanmoins Bill gardait le « manche » pour tout ce qui était décollage et atterrissage. Le 22 octobre ils atteignaient Malte et furent enclins d’y rester le week-end.

Reçus à différentes soirées lors de leurs arrêts, Chubbie pensa qu’elle avait eu raison de suivre les conseils que Sefton Brancker avait su lui donner avant le départ sur la question habillement.

Malgré une météo plutôt défavorable ils traversèrent la méditerranée le 24 octobre après 4 heures de vol représentant environ 400 Km.

En écrivant de Tripoli, Bill parla en termes élogieux du « Red Rose », rajoutant que le moteur Cirrus de 80 CV donnait entière satisfaction. Il notait aussi l’accueil chaleureux, l’hospitalité et l’aide apportée par l’Armée de l’Air italienne.

Le 25 octobre au matin ils décollaient de Tripoli pour Benghazi une longue étape d’une distance de 700 Km. La plus longue étape qu’ils avaient à réaliser selon les estimations de Lancaster.

Pour le moment l’avion fonctionnait correctement, un test de vol approfondi avait été réalisé au-dessus de la terre ferme ainsi qu’une première traversée importante au-dessus de la mer.

Des vents contraires étaient à nouveau prévus en direction de Benghazi, Bill pensait qu’il leur faudrait au minimum sept heures pour effectuer ce vol. L’endurance de l’équipage était à toute épreuve et rien ne semblait pouvoir les stopper.


Source Google Earth : Itinéraire Catane, Malte, Tripoli, Benghazi, Sollum, Alexandrie, Le Caire, Ziza, Rutbah, Bagdad …
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Malgré tout, la visibilité se détériora, le sable du désert encombrait le ciel, la côte au-dessous d’eux qu’ils longeaient apparaissait puis ils ne la voyaient plus… Lancaster décida alors de descendre au plus bas, à une cinquantaine de mètres, mais ils ne pouvaient pratiquement encore rien voir. Compte tenu du vent contraire qui s’était renforcé Bill comprit qu’il ne leur serait pas possible d’atteindre Benghazi avant la nuit. Il décida d’essayer de rejoindre Syrte située à peu près à la moitié du parcours. Bien entendu il leur fallait trouver Syrte, ce qui n’était pas gagné, mais Bill ne donna pas l’information à Chubbie. (Il faut savoir que sans moyen de communication entre les deux cockpits, Bill tapotait sur la tête de Chubbie pour attirer son attention avant de lui passer une note écrite par une petite trappe prévue à cet effet !)

Lancaster fit donc connaître son intention de se poser à Syrte, en passant un message à Chubbie. Dès qu’ils aperçurent Syrte, après être descendus très bas, ils repérèrent une manche à air qui leur indiquait un aérodrome sur lequel ils se posèrent. Une fois au sol, ils constatèrent qu’il s’agissait effectivement du principal aérodrome militaire italien du secteur. Le lendemain matin le vent s’était calmé, le temps était à nouveau clair, ils s’envolèrent pour Benghazi.

Lorsqu’ils repartirent pour effectuer la liaison Benghazi-Sollum, une nouvelle tempête de sable s’était levée, volant au plus bas pour se repérer, ils se firent tirer dessus par des tribus au sol. Le 28 octobre ils atteignaient malgré tout Alexandrie. Le lendemain ils arrivèrent au terrain de la RAF de Héliopolis près du Caire. Une quinzaine de jours pour rejoindre Le Caire en partant de Croydon, c’était déjà un exploit à l’époque pour un petit avion.



Source Internet : Chubbie et Bill photographiés devant le Red Rose

De plus c’était le premier vol transportant un passager et la presse restée silencieuse jusque-là, commença à montrer de l’intérêt, comprenant enfin que le projet de Lancaster n’était pas une utopie. Pour la prochaine étape, il leur fallait rejoindre Ziza et Rutbah à travers le désert syrien. À Héliopolis, l’officier commandant insista en leur donnant une escorte de Vernon Vickers, ce qu’ils apprécièrent au mieux.


Source Internet : Vernon Vickers.

Puis ce fut une nouvelle tempête de sable, jusqu’au moment, à mi-chemin entre Ziza et Rutbah, quand Chubbie eut l’impression qu’il y avait le feu dans l’avion. Lancaster lui répondant « Wait and see ». Rien en effet ne se passa et ils atterrirent en toute sécurité à Rutbah.


Atterrissage à Rutbah
Photo extraite du livre de Ralph Barker VERDICT ON A LOST FLYER

Vingt-quatre heures plus tard, ils s’envolaient pour Bagdad se posant sur l’aérodrome de la RAF (de Hinaidi) où ils arrivèrent avec un temps épouvantable. La pluie et le vent étaient des plus forts et les avions stationnés sur place furent renversés par les rafales. Comme il n’était pas question de repartir avant plusieurs jours, Lancaster fit installer par la RAF un réservoir supplémentaire d’une cinquantaine de litres portant ainsi la capacité totale de l’avion à 210 litres soit une autonomie d’une dizaine d’heures de vol. Le 8 novembre Lancaster trouva un endroit sur le terrain inondé pour faire décoller le Red Rose et il profita d’une accalmie entre les trombes d’eau pour s’envoler.


Source Google Earth : Itinéraire Bagdad, Ur, Bassorah, Bushire, Bander Abbas
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Le décollage de Bagdad avait été tardif et Bill se doutait qu’il ne pourrait pas se poser avant la nuit à Shaibah, l’aérodrome de la RAF situé près de Bassora.

Il opta pour un terrain situé à mi-chemin, l’aérodrome de Wasiriyah (aujourd’hui Nasiriya). Mais au moment de se poser Bill s’aperçut que le terrain était très boueux et au risque de capoter, il continua en suivant la ligne de chemin de fer jusqu’à la jonction d'Ur situé à 160 Km au nord de Bassora. C’est dans cette situation, quand il fallait reprendre les cartes en vol pour se guider, que l’idée de Stanford d’avoir fait réaliser les cartes en bandes se révélait plus que bénéfique. Ils furent obligés de passer deux nuits à Ur.

Le Red Rose avait montré au cours des vols précédents quelques soucis de magnéto. Aidé de deux mécaniciens de la RAF arrivés de Bagdad, Bill « rafistola » autant que ce peut la pièce défectueuse.

Mais à Shaibah où ils arrivèrent le 10 novembre le diagnostic fut clair, pour continuer il était impératif de remplacer la magnéto. Un message fut envoyé en Angleterre pour la commander. Cela impliquant une attente d’une dizaine de jours avant de repartir. Pour aggraver les choses, ils furent mis en quarantaine une semaine en raison d’une peur de choléra !

Le séjour à Bassorah dura 16 jours, Chubbie fut hébergée par le consul britannique et sa femme, pendant que Lancaster lui, séjournait à Shaibah (aérodrome de Bassorah). Enfin le 26 novembre ils poussèrent jusqu’à Bouchir (Bushire), sur le bord du golfe Persique face à Bahreïn.


DIRECTION BUSHIRE


Source Google Earth : Le golfe Persique
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

    Le conseil leur avait été donné de suivre la côte pour rejoindre Bushire. En effet, la traversée du golfe pouvait présenter un risque majeur en cas d’amerrissage, l’eau était infectée de requins !

Lancaster, n’étant pas à un risque près, décida de traverser directement le golfe, sachant que par la côte la distance de vol était pratiquement doublée. Ils n’avaient pas parcouru une très grande distance lorsque la nouvelle magnéto commença à semer le trouble !

En regardant vers le bas, ils aperçurent dans un reflet brillant de la mer des dizaines de requins. L’angoisse prenant le dessus, Chubbie se mit à implorer le moteur suppliant ce dernier de continuer. Enfin malgré de nombreuses ratées le moteur Cirrus les amena jusqu’à Bushire. Chubbie s’était persuadée qu’ils seraient tombés et avoua qu’elle n’avait jamais eu une telle frayeur. À Bushire personne ne les attendait mais quand ils débarquèrent, surgissant d’on ne sait où, une escouade de soldats menaçants brandissaient leurs fusils baïonnettes aux canons rouillés, mais apparemment toujours en état. Ils donnèrent aux soldats toutes leurs cigarettes, en échange Lancaster leur demanda s’il était possible d’avoir de l’essence, de l’huile moteur, un logement et un peu de nourriture. Mais compte tenu de la langue, les soldats ne comprirent rien aux demandes du pilote. La chaleur était insupportable, ils étaient fatigués et affamés, Chubbie était à la limite des larmes. Un agent Perse arriva enfin et les conduisit jusqu’à une caserne qui était occupée puis il les quitta là. Un repas leur fut apporté, mais les aliments trempaient tellement dans l’huile qu’ils furent incapables de les manger.

Ils avaient quitté l’Angleterre depuis un mois et demi, le partage de cette vie d’aventures et du danger commun n’avait pu que rapprocher le couple. À Bassorah ils avaient été séparés pendant seize jours, sans activité, la perspective de la mort et d’être dévorés par des requins, le fait de ne pas avoir vraiment maîtrisé la situation, il leur semblait ne plus avoir ni passé ni avenir.

À ce stade, ils se retrouvaient moralement vidés de tous sentiments et de toutes émotions. Avec la douce cruauté d’un complet épuisement, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Le destin venait de frapper, désormais rien ne serait plus comme avant !!!


LE VOL VERS MUNTOK

    Pour arriver à Muntok située en Indonésie il leur fallait franchir plus de 7 000 km et de nombreuses étapes. Au-delà de l’aventure que pouvait être ce vol, s’ajouterait le fait qu’ils étaient désormais profondément amoureux. Mais pour le moment, ils étaient hors du monde, sans contact et n’avaient pas directement à faire face à cette situation. La situation de Bill avec son épouse était d’autant plus imprécise que Chubbie savait pertinemment que le couple ne vivait plus ensemble. Le ménage Lancaster n’avait pas résisté aux problèmes économiques obligeant de ce fait Kiki Lancaster à prendre un emploi. Malgré tout Kiki n’avait jamais eu l’intention de quitter son mari comprenant à la fois avec inquiétude les ambitions de ce dernier.

Elle ne pensa même pas au risque que Bill et Chubbie tombent amoureux lorsqu’il fut question du vol Londres-Port Darwin. Le problème à l’époque de la moralité publique sur l’image, s’il en était une, exerça certainement une influence inhibitrice sur Kiki. Néanmoins pour le reste du vol et même pour leur futur proche ou lointain Bill et Chubbie seraient obligés de retenir leur comportement amoureux sachant que tout autre mode de conduite leur serait préjudiciable.

Le dur accueil à Bushire fut vite oublié alors que le résident britannique les invitait à son domicile. Ils restèrent plusieurs jours là, bien que la réparation de la magnéto ait été réglée.

Le 2 décembre ils décollaient pour Bandar Abbas aux confins du golfe Persique. Le vol fut difficile, avec des vents forts, beaucoup de rafales, les nuages balayant le ciel à toute allure. Le petit Avro était bousculé et brassé sans pitié. Après quatre heures de lutte contre les éléments ils atteignaient enfin la petite station télégraphique de Bandar Abbas et atterrirent en toute sécurité. Ils furent hébergés pour la nuit à la station télégraphique et dès le lendemain à neuf heures ils décollaient pour Karachi.


Source Google Earth : Itinéraire Bander Abbas >>> Calcutta
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Avec les retards accumulés à Bagdad et Bushire Lancaster avait tenu à rattraper le temps perdu. Désormais il connaissait bien cette zone, il avait prévu un seul arrêt à Chah Bahar sur le golfe d’Oman pour se ravitailler. Il pensait couvrir les sept cents miles jusqu’à Karachi dans la journée. À Karachi la piste était éclairée par des balises pour une arrivée de nuit. Le moteur du Red Rose fonctionnait magnifiquement bien, de ce fait ils purent se poser à Karachi avant la tombée de la nuit après neuf heures et demie de vol. Depuis Croydon, ils avaient passé quatre vingt deux heures dans les airs en ayant volé près de 10 000 Km, ils en étaient presque à mi-chemin.

Lors de l’arrêt à Karachi, la R.A.F. leur avait réservé le meilleur des accueils. Assis en sirotant du whisky sous la véranda du mess des officiers ils profitaient de ce moment des plus agréables se remémorant les difficiles heures de vol de ces derniers jours, d’autant qu’ils étaient à la fois fatigués et sales ! Lancaster disparut dans le mess, revenant une quinzaine de minutes plus tard, propre, lavé, brossé et coiffé avec une chemise qu’il avait empruntée. Chubbie, qui n’avait plus l’allure d’un clochard qu’à autre chose, souhaita faire de même. Son désir d’utiliser des produits de toilette transparaissait réellement au travers de son attitude. Mais les règlements de la force aérienne interdisaient l’accès du mess à une femme, regrettait l’officier commandant à leur service. L’histoire ne nous dit pas comment Chubbie put se « décrotter ».

Leur arrivée à Karachi marquait véritablement le succès de ce vol. L’annonce, faite par les deux intervenants de Wakefield et d’Avro dans la presse internationale, soulignait la performance de leur matériel. Des « fonds » à hauteur de 250 £ (plus de 30 000 € de nos jours) furent immédiatement câblés aux deux aviateurs. Même si le temps du trajet avait dépassé l’objectif de Bill, ce dernier restait des plus satisfaits de ce qui avait été réalisé. La R.A.F. avait mis en exergue auprès du roi d’Afghanistan la réalisation de l’exploit des deux aviateurs dans cette province du Sind (aujourd’hui Sindh). Ceci afin que ce dernier se déplace pour que l’on puisse lui montrer ce qu’un avion léger britannique pouvait faire.


Source Internet : Chubbie et Bill photographié sur le parcours devant le Red Rose.

De ce fait un séjour de quelques jours à Karachi était devenu inévitable. En conséquence Lancaster était descendu au mess pendant que Chubbie était elle-même l’invitée d’un médecin de la R.A.F. et de son épouse. Lancaster estima qu’à cette occasion, il ne manquerait pas de démontrer les capacités de l’avion. Leur séjour à Karachi dura dix jours.

Désormais ils devaient se diriger vers le nord de l’Inde et ils décollèrent de Karachi le 15 décembre dans l’objectif de se poser à Agra situé à quelques 1 200 Km de là, puis dès le lendemain de pousser jusqu’à Allahabad.


Source Google Earth : Itinéraire Karachi >>> Calcutta
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Pour ce raid de plus de 22 000 Km traversant totalement la planète il nous est nécessaire de revenir aux cartes pour pouvoir se situer au mieux et comprendre quel fut l’exploit de Bill et Chubbie à ce moment où l’aviation en était à ses balbutiements !

La carte que produit Ralph Barker dans son ouvrage VERDICT ON A LOST FLYER est très explicite sur ce parcours de Londres à Port Darwin. Mais en balisant chaque étape sur Google Earth, la vue de ce raid à l’échelle du planisphère peut nous donner un certain « tournis » !!!

Arrivée à Allahabad, Chubbie s’aperçut du charme de Bill constatant que lors de la soirée à leur attention, une jeune femme sans vergogne passait et repassait devant Lancaster, vêtue à la limite de la décence dans une robe des plus provocantes. Chubbie fut amusée de cette situation se disant qu’à chacune de leurs haltes se produisaient des évènements qu’ils n’auraient jamais imaginés. Arrivé à l’aérodrome, sur le point de partir Bill eut le plus grand mal à démarrer le moteur. La chaleur était tropicale et malgré les efforts du pilote balançant à toute volée l’hélice, le moteur Cirrus « n’en voulait plus ». Au bout de deux heures d’efforts le Red Rose ronronna de nouveau, Lancaster imaginant que le mélange devait être plus riche que nécessaire !

En atterrissant à Calcutta le 19 décembre, les deux aventuriers avaient volé 13 700 Km depuis l’Angleterre battant ainsi le record du Capitaine Bentley qui lui n’avait couvert que 12 900 Km jusqu’à Cap Town et détenait le record de la distance en vol jusque-là !!!


Source Internet : Le Red Rose sur le parcours


OBJECTIF SINGAPOUR

    Ils firent parvenir à leurs amis quelques courriers de Calcutta :




Source Internet : Courriers envoyés de Calcutta

Ils quittèrent Calcutta le 21 décembre, décollage à 4h30 du matin pour avoir les meilleures conditions de vol, avec pour objectif d’atteindre Singapour pour Noël.


Source Google Earth : Itinéraire Calcutta >>> Singapour
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Ils volaient déjà depuis une heure lorsque Bill se souvint qu’il avait laissé toute sa trésorerie soit plus de 16 000 € sous son oreiller. De retour à Calcutta, ils revinrent à l’hôtel pour constater que l’argent avait disparu ! Ils se retrouvaient à nouveau « fauchés ». Ils redécollèrent aussitôt et cinq heures après ils se posaient à Akyab dans l’Arakan.

Suite à cette perte financière, Chubbie n’avait fait aucune récrimination acceptant tout simplement l’insouciance de Bill. Désormais elle s’occuperait elle-même de leurs finances ! Dans l’attente, elle câbla à sa famille pour obtenir de l’argent.

Le vol au sud de la côte birmane vers Rangoon se déroula sans incident. À certains moments du fait de la température extérieure, le moteur Cirrus avait tendance à chauffer. Sur ce type d’avion le moteur était refroidi par « air » ce qui était la raison du problème rencontré compte tenu de l’altitude à laquelle ils volaient. Chubbie pilotait du poste avant à l’aide de son manche de double commande. À Bagdad lorsque le réservoir supplémentaire avait été installé personne n’avait jugé utile de vérifier si la double commande avait la liberté de fonctionner dans tous les axes. Or cette installation empêchait le manche d’être poussé à fond ! Mais Lancaster qui l’avait compris demandait à Chubbie lorsqu’il pilotait d’enlever son manche de sorte à permettre un mouvement complet du sien. Cette fois-ci les deux avaient oublié de le faire. Au moment de la descente sur Rangoon, Lancaster poussa son manche vers l’avant de sorte à perdre de l’altitude et la double commande du cockpit avant se coinça sous le réservoir auxiliaire. L’avion en descente allait littéralement se crasher. Lancaster tapant sur la tête de Chubbie hurlait : « Décoincez ce manche ! Ressortez-le de dessous le réservoir ! Je suis bloqué, je ne peux plus manœuvrer ! »

Chubbie avait bien enlevé la goupille de verrouillage, mais elle n’arrivait pas à retirer le manche. Elle poussa et tira mais rien n’y faisait alors qu’à ce moment de la descente ils étaient environ à 150 mètres du sol ! De son côté Lancaster ne pouvait rien faire, le sol arrivait vers eux et dans un ultime effort Chubbie donna au manche un énorme coup et il se dégagea. À peine remis de cet incident alors qu’ils arrivaient en vue du terrain de Rangoon, le moteur surchauffé s’emballa dans une grosse pétarade et s’arrêta. Heureusement Bill avait repris suffisamment de hauteur pour survoler les montagnes couvertes de jungle à cet endroit et de passer au-dessus d’une rivière jusqu’à une zone de rizières qui se trouvait sous eux à quelques kilomètres de Rangoon.

Le Red Rose se posa en douceur sans dégâts dans les plantations de riz. La chaleur était telle que Bill avant toute chose enleva sa chemise. Il examina le moteur pour constater que la casse d’un piston était l’origine de l’arrêt moteur. Il fallut câbler à Calcutta pour obtenir les pièces de rechange et attendre une dizaine de jours. Les techniciens de la R.A.F. partis de Monkey Point les rejoignaient bientôt. Ils venaient les chercher et examiner la machine. Connaissant parfaitement la région ils expliquèrent au couple d’aviateurs que dans le secteur il y avait des « kraits », des serpents des plus venimeux dont la morsure était fatale. Lancaster et Chubbie n’avaient pas d’alternative et jusqu’à ce que le piston de rechange soit arrivé et remplacé, le biplan ne pouvait pas être déplacé. « Fermez absolument tout conseilla l’équipe de la R.A.F., de sorte que les serpents ne puissent pas s’introduire dans l’avion ». Il fallut bien une semaine avant que le piston de rechange n’arrive et que Lancaster puisse réparer le moteur… Dans l’attente ils passèrent le Noël à Rangoon.

Je soulignerais ici le fait que Lancaster avait une compétence certaine pour effectuer cette opération de remplacement du piston cassé suite à l’emballement du moteur Cirrus surchauffé.

Sans doute le piston livré devait être équipé de sa bielle et de sa segmentation, peut-être également que cet ensemble était pré-monté dans sa chemise, ceci permettant un remontage rapide sans besoin d’un outillage conséquent !


Source Internet : Remplacement du piston sur le moteur Cirrus


Source Internet : Remplacement du piston sur le moteur Cirrus

Nota : la série de photos qui suivent m’a été gentiment fournie par les archivistes lors de la visite très intéressante du musée historique de Croydon Airport programmée par mon ami Graham Powell, le 16 octobre 2014. Sans information, j’ai déduit que cette série de photos devait correspondre à la réparation du moteur du Red Rose, après la casse du piston évoquée plus haut !


Photo : Alain BOCHARD Octobre 2012
À droite Peter SKINNER (CAS Archivist), assisté de Peter MOUSON

Lire : http://www.3emegroupedetransport.com/LondresTheLostAviator.htm


Source : Croydon Airport.


Source : Croydon Airport.


Source : Croydon Airport.


Source : Croydon Airport.
Chubbie aux commandes pour l’essai moteur !

Dix jours plus tard le 2 janvier, le Red Rose redécollait en direction de Tavoy. Finalement ils n’avaient pas vu de serpents, leur préoccupation première ayant été de réparer au plus vite le moteur du biplan pour repartir dans les meilleurs délais. Ils avaient pris un peu « par-dessus la jambe » cette histoire de kraits qui désormais était derrière eux. Ils survolaient désormais le golfe de Martaban en suivant la côte Birmane côté sud de Tavoy. Le vol prit environ trois heures.


LE SERPENT

    À ce moment ils purent profiter d’un vol agréable en toute sécurité, la mer d’Andaman semblait houleuse a contrario de la jungle birmane paraissant très plate sur leur gauche. Lancaster en était à ses pensées lorsqu’il sentit un mouvement derrière lui. Regardant vers le plancher de l’avion, il vit à ses pieds quelque chose qui se tortillait pour se mouvoir, c’était un serpent. Il essaya bien de l’écraser avec son talon mais la « bestiole » s’enroula vers l’avant se déplaçant vers le cockpit de Chubbie par la petite trappe aménagée pour passer les messages. Bill avait beau crier, le rugissement du moteur couvrait sa voix.

Le pilote mis le moteur au ralenti continuant sa course en planant, ainsi Chubbie put l’entendre et croyant à une plaisanterie elle en éclata de rire… Puis regardant vers le bas elle aperçut la tête du serpent sortant de la petite trappe. Ce dernier était petit le nez émoussé, la queue et le ventre blanchâtre avec un dos sombre. Il était exactement comme les serpents qui leur avaient été décrits à Rangoon. Il s’agissait bien d’un krait.


Source Internet : Krait

Chubbie ayant pris conscience du danger releva instantanément ses pieds, le reptile s’étant niché sous son siège. L’heure n’était plus à la rigolade et lui fallait agir. Elle arracha instantanément le manche, seule arme dont elle pouvait disposer, l’avion planant dans le ciel de façon stable, elle se concentra sur sa cible. Malgré le stress et la peur elle commença à frapper sauvagement écrasant finalement la tête du serpent qui continuait à se tortiller. Enfin elle se rendit compte qu’elle avait fini par le tuer. Elle reposa finalement ses pieds sur le plancher, toujours empreinte d’une peur panique ! Lorsque Bill avait travaillé sur le moteur dans la rizière il avait dû ouvrir les panneaux d’inspection et les laisser ouverts un certain temps. Le krait en avait profité pour s’introduire dans l’avion à ce moment.

Ils avaient toujours les nerfs à vif et n’avaient pas encore récupéré de cet incident lorsqu’ils atterrirent sur la plage de Tavoy. Ils refirent le plein de carburant avant de repartir pour Victoria Point.

Le lendemain matin ils redécollaient pour Taiping en longeant la côte puis Kuala Lumpur dans le nord de la Malaisie. Le 6 janvier ils atteignaient enfin Singapour ! À Singapour il n’y avait pas encore d’antenne de la R.A.F. de ce fait après avoir été accueillis par le gouverneur par intérim, ils furent reçus et logés par l’aéroclub de Singapour.

Le lendemain, ils furent invités à un déjeuner de gala à l’hôtel « Raffles », à leur grande surprise le repas comprenait une « Omelette Lancaster », un « Rôti de perdrix Miller », puis un « Tournedos Red Rose », un clin d’œil bien imaginé par leurs hôtes. La réussite de ce vol jusqu’à Singapour fut acclamée de toutes parts et la récompense de leurs efforts pour cette réussite était bien méritée dixit CG Grey (journaliste aéronautique). En effet ce raid prit par la plupart pour une véritable plaisanterie, alors que tous imaginaient que les deux protagonistes n’iraient pas beaucoup plus loin que la France ! Malgré tout, ils avaient réussi et il ne leur restait plus que 4 000 Km à couvrir via les Indes orientales néerlandaises, Sumatra, Java et le Timor jusqu’à Port Darwin. Bien entendu un certain nombre d’étapes étaient nécessaires en volant surtout le matin, en vérifiant régulièrement l’avion et en se reposant les après-midi.


Source Google Earth : Itinéraire Singapour >>> Darwin
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Ils décollèrent de Singapour à sept heures le matin du 9 janvier et atteignirent Muntok sur l’île de Bangka à près de 500 Km au sud-est et atterrirent à 11h30 sur un bout de terre dégagé qui descendait en pente légère. L’étape suivante serait de rallier Batavia à quelques 500 Km de là. Le lendemain matin à 7 heures le Red Rose roula dans la descente sur une certaine distance et s’éleva sans problème jusqu’à une cinquantaine de mètres lorsque soudain le moteur s’arrêta !

Lancaster n’avait pas suffisamment de hauteur pour revenir à la piste d’atterrissage. Mais devant ce secteur particulièrement accidenté, il essaya de faire glisser l’avion sur le côté de sorte à perdre rapidement de l’altitude, mais l’aile droite percuta violemment le sol, le train d’atterrissage fut arraché et de nombreux débris jonchèrent le sol derrière eux.


Source Internet : Crash du Red Rose

Chubbie toute étourdie reprenant ses esprits se retrouva suspendue à ses sangles dans le cockpit. L’essence du réservoir supplémentaire coulait sur elle, mais heureusement elle ne pouvait pas entendre la fuite et le crépitement sur le moteur encore chaud. Le nez cassé, les yeux tuméfiés elle était ainsi piégée dans le cockpit, prisonnière de cette épave ! L’avion pouvait exploser à tout moment. De plus il n’y avait aucun signe de Lancaster.

Sans doute le casque qu’elle portait pour se protéger du soleil lui avait évité de nombreuses blessures, mais désormais le casque l’empêchait de sortir la tête de tout ce maillage.

Elle commença en premier à sortir les pieds en forçant sur tout ce qui bloquait son corps, ignorant la douleur, s’arrachant la peau des jambes.

Enfin elle put s’extraire pour constater que le cockpit arrière était vide ! Lancaster qui ne s’était pas attaché gisait sur le dos à une vingtaine de mètres de là, apparemment sans vie. Elle courut vers lui et fut consternée par ce qu’elle constata.

Du sang lui sortait de la bouche, ce qui laissait à penser à de graves blessures internes. Elle vit que ses dents avaient perforé sa lèvre inférieure. Elle se pencha et les décrocha, puis elle gifla doucement le visage de Bill pour le faire revenir à lui. À ce moment un soldat néerlandais arriva et elle lui demanda d’aller chercher de l’aide.

Finalement ils furent amenés à l’hôpital local où les blessures de Chubbie furent soignées et la lèvre de Bill recousue. De surcroît Chubbie eut également droit à une prothèse de nez ! Le lendemain, toujours ébranlés de leur crash, ils furent conduits à l’endroit de l’accident pour voir le biplan. Le Red Rose ou du moins ce qui en restait était dans un état pire que tout ce qu’ils avaient pu imaginer. Il était totalement écrasé !


Source Google Earth : Itinéraire Singapour >>> Muntok >>> Surabaja
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Il était clair que si l’accident s’était produit sur une base de la R.A.F., il aurait pu y avoir une petite chance de reconstruire le biplan, mais là sur cette île néerlandaise loin de tout et qui ne possédait même pas le moindre terrain comme celui d’un aéro-club, c’était sans espoir.

Lancaster fut malgré tout en mesure de diagnostiquer la panne… C’était bien ce qu’il avait pensé, un arrêt brusque dans l’alimentation en carburant avait provoqué l’arrêt du moteur.


LE RED ROSE SERA-T-IL RÉPARABLE ?

    Il avait tout simplement omis de remettre suffisamment d’essence avant le décollage, ce qui avait provoqué cette panne inopinée. Il n’était donc pas étonnant que le réservoir fût à sec ! Il était irritant que cette panne soit due à une véritable négligence. Et du fait, ils se retrouvaient à nouveau bloqués à cet endroit. Le mérite de ce que Lancaster avait réalisé avec Chubbie n’était pas complètement anéanti. « L’Avro-Avian avait réalisé jusque-là un vol splendide d’une plus grande distance de tout ce qui avait été fait jusque là pour une machine de si faible puissance » avait déclaré le magazine « Flight ». Néanmoins, même si le vol était compromis, ils pourraient être les premiers à atteindre l’Australie « comme des stars ». Le danger pour eux de ne pas être les premiers à Darwin était l’Australien Bert Hinkler, qui se proposait de rallier en une quinzaine de jours Port-Darwin en se lançant à la poursuite de Lancaster.


Source Internet : Bert Hinkler

Un message radio du gouverneur intérimaire de Singapour leur proposait une invitation pour y revenir. Ils voyagèrent lors du retour sur un petit cargo, sur le pont duquel ils transportèrent également la structure du biplan complètement démantibulée. De retour à Singapour Lancaster fut hébergé dans les quartiers de la police de la Maison du Gouvernement. Quant à Chubbie elle fut accueillie par Keith Bon et son épouse. Keith était australien et membre de l’aéroclub de Singapour.

Il s’agissait désormais de trouver quelqu’un capable d’évaluer les dommages du biplan et de voir s’il était possible de mettre en place un programme de réparation. Sans oublier aussi que nos deux protagonistes n’avaient pas le moindre sou en poche !

Sam Hayes, patron de l’une des plus grandes entreprises de courtage de caoutchouc de Singapour offrit de leur venir en aide en les finançant. Il avait la détermination, disait-il, de leur donner la chance de terminer le vol. Le succès, cependant, dépendait de deux choses : obtenir d’Avro et d’A.D.C. la société qui fabriquait les moteurs Cirrus, qu’ils envoient les pièces de rechange nécessaires et de trouver la personne capable de reconstruire l’avion.

Tout ceci était au-delà de la compétence de l’aéroclub de Singapour. Avro et A.D.C. avaient absolument besoin des listings des pièces détachées à cette reconstruction.

Mais là encore la bonne étoile de Bill arrivait à la rescousse, en effet un vol de quatre hydravions de la R.A.F. de Southampton avait quitté l’Angleterre le 17 octobre pour une croisière longue distance et se trouvait désormais en Extrême-Orient. Une partie de l’ingénierie de base les avait précédés par mer, en débarquant à chaque mouillage d’hydravion afin d’entretenir les machines et cette équipe était maintenant à Singapour.


Source Internet : Hydravion Southampton Supermarine arrivé à Seletar le 28 février 1928

Le leader de l’escadron Sydney Freeman, l’officier en charge, était un ex-marine, officier mandataire qui avait été transféré à la R.A.F. lors de sa formation en 1918.

Il avait entendu parler du vol du Red Rose et lorsqu’il rencontra Bill et Chubbie, il trouva un couple des plus pathétiques, à la fois marqué par leur accident et pourtant déterminé à poursuivre le vol.

Il accepta de convoyer l’avion à Seletar sur le détroit de Johor où une plate-forme en béton et une cale de halage était construite pour accueillir les hydravions. Freeman avait au départ pensé annuler sa participation mais ses sympathies étant engagées il fit savoir à la société Avro que le biplan était réparable en lui fournissant une longue liste détaillée des pièces de rechange dont il aurait besoin. Il avait également prévu une révision du moteur, qui lui paraissait un minimum. En même temps Sam Hayes avait promis de régler les factures des réparations. Il fallut attendre plusieurs semaines avant que les pièces de rechange expédiées par bateau n’arrivent à Singapour.

Pendant ce temps Freeman et ses hommes démontèrent tout le biplan pour anticiper au mieux cette réparation. Sans argent Lancaster et Chubbie étaient totalement dépendants de la gentillesse des autres pour pratiquement tout. Freeman aurait préféré que Lancaster aide à la réparation du biplan, mais ce dernier faisait du travail occasionnel pour les autorités civiles ou militaires, comme par exemple arbitrer un tournoi de boxe…

La sympathie de Freeman pour Chubbie dépassa malgré tout son ressentiment à l’égard de Lancaster.

Il comprenait que la position de Lancaster n’était pas facile en tant qu’invité de la Maison du Gouvernement et à la charge de Sam Hayes pour le coût des réparations. De plus Seletar était à peu près à 20 Km de Singapour, il était donc difficile d’effectuer des allers-retours quotidiens. Lancaster était aussi dans une phase où son amour pour Chubbie devait rester caché bien que les deux restaient complices au plus haut point.

Mais si Lancaster n’était pas clair quant à sa femme et sa famille, Chubbie de son côté s’apprêtait à négocier un arrangement pour se séparer de son mari.

L’attitude de Lancaster évolua face à la menace posée par Bert Hinkler. Ce dernier devait quitter Londres le 7 février dans un Avro Avian en projetant d’arriver à Singapour le 19 février. Sam Hayes, Keith Bon et d’autres sympathisants devinrent furieux de voir comment Hinkler tentait de voler la vedette à Lancaster.

Ils laissèrent entendre que l’avion de Hinkler n’irait pas au-delà de Singapour. Lancaster de son côté s’était rendu compte que Hinkler avait attendu jusqu’au dernier moment avant de se lancer dans l’aventure pour rejoindre Darwin, sachant que la tentative de Bill et Chubbie était très compromise. La réaction de Bill fut d’apporter toute l’aide possible à Hinkler.

À l’arrivée d’Hinkler, sachant que ses partisans ne plaisantaient pas Bill resta assis dans le cockpit de l’avion d’Hinkler pendant que ce dernier se reposait, s’assurant ainsi qu’aucune tentative ne serait faite pour retarder le pilote. Hinkler avait d’ailleurs remis à Bill une lettre poignante de sa femme Kiki. L’Australien décolla pour Bandung le 20 février et deux jours plus tard le 22 février il se posait à Port Darwin quinze jours après avoir quitté Londres, devenant ainsi le premier homme à avoir effectué un tel vol dans un petit avion. Sans le crash à Muntok cette distinction aurait été attribuée à Lancaster et Chubbie.

Pour résumer, PRIVATE FLYING reporte dans son article du 19 janvier 1928, que le vol d’Angleterre à Muntok, une distance de plus de 14 500 Km avait duré trois mois. Au cours de cette période, il y avait eu environ un mois de retard compte tenu des divers incidents rencontrés. Malgré l’arrêt à Muntok, les aviateurs avaient battu un record de la distance la plus longue couverte par un avion léger et sans la tentative de Bert Hinkler ils auraient été les premiers à atteindre l’Australie. À savoir que le Capitaine Lancaster avait cependant précisé en quittant l’Angleterre que l’intention n’était pas de créer un exploit spectaculaire, mais plutôt de tester l’endurance d’un avion léger.

Ce ne fut que la première semaine de mars que le Red Rose fut prêt. Il dut être transporté par camion jusqu’à l’hippodrome. Seletar à ce moment n’était encore pas plus qu’une base pour hydravions. C’était le début de ce qui plus tard devint la première base aérienne de Singapour.

La réparation du Red Rose avait été parfaitement réalisée et au matin du lundi 12 mars, exactement 2 mois après avoir quitté l’île de Bangka par la mer pour rejoindre Singapour, le Red Rose et son équipage décollait de nouveau pour Muntok. Mais cette fois ils traversèrent Muntok sans incident, volèrent vers le sud jusqu’à Batavia et prirent la direction de l’est en survolant Java et Sumatra pour atteindre enfin Atambua sur l’île de Timor le 17 mars sous une pluie battante.

La carte suivante permet de visualiser plus facilement ce périple !


Source Google Earth : Itinéraire Singapour >>> Muntok >>> Surabaja >>> Atambua
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Ils étaient désormais à 800 Km de leur objectif, mais ils devaient encore faire face à la plus longue traversée maritime de l’ensemble de leur vol, la mer de Timor !

Mais revenons à Atambua, il n’y avait aucun aérodrome à cet endroit, seulement une clairière de roseaux et de broussailles qui servait de terrain d’atterrissage.

Et vu les fortes pluies des derniers temps, le terrain était totalement détrempé. Bien qu’ils se soient posés en toute sécurité, Lancaster savait pertinemment que ce serait impossible de repartir avec la charge de carburant dont ils avaient besoin pour aller jusqu’à Port Darwin, tant que le sol ne serait pas parfaitement sec. De plus le terrain était aussi dangereusement court.

Les deux seuls résidents européens à Atambua étaient deux officiers néerlandais, mais Lancaster leur expliqua la situation et une heure plus tard, une bande de détenus de la prison locale, toujours enchainés au niveau des chevilles arrivèrent et commencèrent à creuser des tranchées pour drainer l’eau puis couper de l’herbe et des broussailles pour aplanir et allonger la piste de décollage. De plus des tapis fabriqués localement furent disposés bande après bande sur la surface, ainsi la piste devenait tout à fait praticable.

Le lendemain le dimanche 18 mars, ils recevaient un message à Atambua du représentant de la Compagnie Shell de Melbourne qui leur signalait avoir organisé leurs approvisionnements en carburant pour les étapes ultérieures du vol.


LE VOL CONTINUE

    Comme entre Atambua et Port Darwin il n’y a que la mer de Timor, cela laisse à supposer que d’autres étapes étaient déjà prévues au-delà de Darwin ! Dans l’instant l’agent posté à Darwin signalait que le terrain d’atterrissage était marécageux et que les pluies avaient été abondantes depuis le vendredi. Les prévisions météorologiques ne montraient aucun signe que cette période de pluie allait se calmer, sans compter une visibilité des plus mauvaises sur la zone.

Le représentant de chez Shell recommandait un report du vol et Lancaster décida de redécoller au mieux vingt-quatre heures plus tard.

À Port Darwin les autorités, n’ayant aucune connaissance du « câble » de Melbourne, avaient fait en sorte de préparer un secteur du terrain moins gorgé d’eau pour que le Red Rose puisse s’y poser. De ce fait toute la population de Port Darwin était présente le dimanche pour accueillir les deux aviateurs. En les attendant dans l’après-midi alors qu’ils n’arrivaient pas, un mélange de déception et d’inquiétude se fit ressentir dans la foule.

Lancaster envoya un « câble » le dimanche soir aux autorités de Port Darwin pour leur signifier qu’il ne décollerait que le lundi 19. Sans réponse Lancaster imagina que tout allait bien. Le lundi après leur décollage, les néerlandais signalaient leur départ par un bref message à Darwin.

Peu de temps après le décollage ce fut à nouveau les pluies torrentielles. Après avoir rencontré des conditions des plus abominables sur le plan météo, là c’était pire, ils n’avaient jamais rien vu de pareil et plus ils progressaient plus cela empirait, mais ils continuèrent. Ils volaient à une altitude d’environ 300 mètres et la visibilité était quasiment nulle. Au-dessous d’eux, ils savaient que c’était la redoutable mer de Timor. Il leur restait moins de la moitié du chemin à parcourir pour la traverser lorsque le moteur Cirrus se mit à faire des ratés et à crachoter, alors ils commençaient à perdre de l’altitude. Puis le biplan fonctionnait à nouveau correctement et ils reprenaient de la hauteur. Le moteur crachotait à nouveau et en perdant de l’altitude, ils se retrouvaient désormais dangereusement proches de l’eau. Lancaster ne trouvait rien qui puisse expliquer le problème, à moins que suite à la pluie de l’eau ait pu s’introduire dans le carburant. Comme le problème se représentait par intermittence, Lancaster commença à se dire que leurs chances d’atteindre Port Darwin étaient minces, car il avait du mal à maintenir l’altitude du vol.

Chubbie, dans le cockpit avant, n’était que trop bien consciente de leur situation. La répétition régulière des cafouillages du moteur qui leur faisaient perdre de l’altitude, puis ça s’arrêtait et le Red Rose reprenait à nouveau son envol ne les encourageait pas à imaginer que le vol n’allait pas se terminer dans l’eau.

Lancaster lui passa une note par la petite trappe, sur laquelle il avait noté : « Je ne pense pas que nous allons faire de vieux os, mais il y a eu de sacrés bons moments ». Chubbie sensible à ces quelques mots se détacha, se mit à genoux sur son siège et atteignit le haut du pare-brise de Bill, ils se serrèrent la main.

De retour à Atambua les Néerlandais venaient de recevoir un « câble » de Melbourne leur disant qu’il y avait eu de graves inondations y compris à Darwin et que le Red Rose ne devrait pas s’y poser !

Pendant ce temps Bill et Chubbie volaient à moins de cent mètres au-dessus de la mer de Timor, alors que les problèmes du moteur Cirrus perduraient. Ils arrivèrent presque au niveau de l’eau… La mer était assez calme, mais l’espoir d’arriver à Darwin était de plus en plus mince s’ils perdaient encore de l’altitude. N’importe qui à ce moment aurait pu perdre son sang-froid, mais semble-t-il Chubbie et Bill restaient parfaitement calmes. Chubbie savait pertinemment que si quelqu’un pouvait amener le biplan à Darwin ce ne pouvait être que Bill.

Était-ce la force de caractère de Bill ou son insouciante, toujours est-il que ce dernier ne montrait jamais la peur dans de tels cas de crise. Savait-il d’ailleurs ce que pouvait être la peur ?

Il lui passait une autre note : « 110 Km depuis le décollage et nous reperdons encore de l’altitude. Mais nous pouvons y arriver ». Après un vol de sept heures et demie, avec des pluies torrentielles et des incertitudes côté moteur, ils apercevaient enfin Port Darwin.


Source Internet : Le Red Rose

Arrivés au-dessus du terrain d’atterrissage ils constatèrent que les conditions étaient épouvantables, le terrain était inondé et désert, personne ne les attendait. Après un survol préliminaire pour choisir la zone la plus sèche, Lancaster posa le biplan en toute sécurité dans cinq centimètres d’eau. Épuisés ils s’écroulèrent sur leur siège à l’identique du Red Rose qui s’était légèrement enfoncé dans ce sol mou. À ce moment, ils se seraient damnés pour une cigarette, mais aucun des deux n’avait d’allumettes. Ils restèrent ainsi assis complètement immobiles pendant plusieurs minutes. Puis enfin quelqu’un arriva ! Ils sortirent de l’avion et pataugèrent vers lui dans l’eau jusqu’aux chevilles. L’homme les écarta en leur criant : « Je ne peux pas venir auprès de vous, vous devez d’abord être vu par l’inspecteur de la santé. On ne vous attendait pas aujourd’hui, mais il va venir ! » En même temps qu’il leur parlait, il leur jeta une boîte d’allumettes. Ce n’était évidemment pas du tout l’accueil auquel ils s’attendaient pour la fin de leur vol pour l’Australie.


Carte extraite du livre de Ralph Barker VERDICT ON A LOST FLYER

L'AUSTRALIE fit de son mieux les jours suivants pour rattraper le médiocre accueil après l’atterrissage du Red Rose et de son équipage. Une réception fut donnée pour les deux aviateurs à l'hôtel de ville de Darwin lors d’une soirée après leur arrivée, et un message du département du Premier ministre à Canberra les a invités à une réception informelle et à un déjeuner au Parlement. À ce moment Chubbie rêvait plus de détente et de massages, cependant, profitant de cette soirée et des rencontres, le malentendu de cet accueil raté fut rapidement dissipé. Puis Lancaster organisa leur départ pour l'aérodrome avant six heures le lendemain matin.

Il avait hâte de nettoyer le carburateur et de faire une révision du moteur en prévision du long vol à venir sur l’Australie. Ils étaient à un peu plus de 3 000 Km de Brisbane, avec un survol de millions d'hectares d’un territoire peu peuplé, puis à environ 1 100 Km de la côte jusqu'à Canberra, en conséquence l'avion devait être irréprochable…

Les problèmes qu'ils avaient eus en traversant la mer de Timor furent diagnostiqués par Bill comme une grosse prise d’air des bouchons de remplissage de l’huile. (En effet les spécialistes connaissent bien ce problème de dérégulation du régime moteur, lorsque le bouchon de remplissage d’huile d’un moteur thermique n’est pas fermé de façon étanche (Ndr).

Pour sa part, de retour en Angleterre, la société Avro réalisait une grande campagne publicitaire pour capitaliser sur le succès de son avion et les ventes des Avro Avian « explosèrent », de sorte qu'ils purent en réduire le prix à 600 Livres Sterling. « Cela signifiait qu’il était désormais possible d’obtenir une machine similaire à celles utilisées par M. Bert Hinkler et le Capitaine Lancaster pour leurs vols d'Angleterre en Australie », déclarait l'annonce, « et à un prix qui en faisait une valeur des plus intéressantes dans le monde de l'aviation ». Un hommage spécial avait été rédigé par un journaliste, C. G. Grey, qui avait toujours cru en eux. « L'arrivée de l’Avro Avian Red Rose à Port Darwin », avait-il écrit dans l'Aéroplane, « marque le succès, mais pas la fin, de l'un des vols les plus courageux de l'histoire de l’aviation ».
De plus, concernant le Red Rose, deux nouveaux records étaient réalisés, en ce sens qu'il s'agissait du premier vol transportant un passager jusqu’en Australie et aussi le premier avion léger à emmener deux personnes. « C'était le plus long vol jamais réalisé par une femme ».

Grey pensa que le plus grand crédit était peut-être dû à Chubbie. À son avis, son enthousiasme et son attitude avaient rendu possible la tentative. Mais Lancaster, en pilotant l'avion de main de maître et en le gardant en bon ordre, s'était démontré, selon Grey, être un aviateur de première classe.

Bien qu'elle ne soit considérée que comme passager, Chubbie avait appris presque tout ce qu'il y avait à connaître pour piloter et entretenir un avion léger au cours du voyage et sa réussite, en tant que femme de son époque, n'était certainement pas moins remarquable que celle de Lancaster. Trois mois plus tard, en juin 1928, le nom d’Amelia Earhart devait devenir familier.


Source Internet : Amelia Earhart

Tout simplement en effectuant un vol de traversée de l'Atlantique en tant que passager, une belle réalisation mais à ne pas comparer avec celle de Chubbie.

La presse mondiale, en reconnaissant l’exploit commun des deux aviateurs, fit des commentaires positifs, mais rien ne fut fait pour améliorer leurs finances et l'impatience de Lancaster d'aller de l’avant était plus que justifiée sur le plan économique. Le constructeur Avro, A.D.C. Company, Wakefield, Shell, les journaux, tous ceux qui avaient soutenu le vol de quelque façon que ce soit étaient prêts à trouver des financements possibles, car l'argent était important dans les différents contrats avec les journaux. Les prestations personnelles auxquelles ils seraient confrontés dans les villes, surtout à Sydney et à Melbourne seraient coûteuses.

Mais le long délai pour parvenir à les renflouer financièrement pouvait considérablement réduire leur impact publicitaire. Dans tous les cas, leurs gains potentiels seraient d’autant diminués du fait de l'arrivée préalable effectuée par Bert Hinkler.


21 mars 1928 D. TELEGR.

L’EXCITANT VOYAGE DU « RED ROSE »
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UN DÉCOLLAGE RAPIDE À
SIX PIED DES ARBRES

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De notre propre correspondant
PORT DARWIN. Mardi

    Le capitaine Lancaster qui, avec Mme Keith Miller, a réalisé le vol de Croydon jusqu’en Australie dans le « Red Rose » (comme déjà noté dans The Daily Fax), a déclaré en racontant les difficultés de la dernière étape depuis le terrain, d'où ils sont partis d’Atamboa pour traverser la mer de Timor, alors que le terrain était gorgé d’eau, mais que les indigènes ont déposé plusieurs centaines de pieds de roseaux et ainsi ont permis à la machine de décoller de ce champ humide.
    Au fur et à mesure qu'ils se levèrent, ils survolèrent les quelques arbres au bord de l'aérodrome d’à peine six pieds. Ils ont volé pendant quatre heures à cause de la pluie et de la mauvaise visibilité et ils pensaient à ce moment que tout était fini pour eux.
    Le moteur commença à tousser en raison de la pluie dans le carburant, et l'avion est descendu à une altitude de 700 pieds, mais, heureusement, le moteur s'est remis à fonctionner correctement et avec l'amélioration de la visibilité, ils ont pu bientôt reprendre leur véritable parcours.
    Après avoir quitté Atamboa, ils ont dû grimper à 3 000 pieds pour dépasser pour survoler les montagnes accidentées masquées par un épais brouillard blanc.
    Le capitaine Lancaster déclara que le voyage de Singapour à Port Darwin avait pris cinq jours pour totaliser le nombre réel de jours de vol depuis Londres soit trente-deux. Le moteur et la machine se sont comportés parfaitement et ont marqué un autre magnifique succès pour la production britannique.
    Au cours du vol, Mme Miller est devenue une mécanicienne compétente qui participa activement à tous les travaux sur le terrain.
    Le capitaine Lancaster se dirige maintenant vers Sydney en direction de Newcastle et de Brisbane.

Traduction : Alain BROCHARD



Source Internet : Bill et Chubbie à Port Darwin


ET MAINTENANT L’AUSTRALIE

    Désormais Port-Darwin était derrière eux, ils avaient décollé de bonne heure le matin et volaient en direction de Brisbane. Le premier arrêt serait à Longreach puis Charleville, Roma.


Source Google Earth : Itinéraire Darwin, Longreach, Charleville, Roma, Toowoomba, Brisbane.
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard



Source Internet: Chubbie pousse le Red Rose sur l’aérodrome de Roma vu le terrain boueux.

Puis ils arrivent à Toowoomba


Source Internet : Atterrissage à Toowoomba

Courrier de Brisbane du mardi 27 Mars 1928


Source Internet : Chubbie et Bill refaisant le plein à Toowoomba avant de décoller pour Brisbane.


Le Daily Standard évoque également l’accueil des deux aviateurs à Brisbane.

Dans un article du jeudi 29 mars 1928 le journal local Singleton Argus évoque l’arrivée du Red Rose à l’aérodrome d’Eagle Farm (Brisbane).

LE RED ROSE
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ARRIVÉE À BRISBANE
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    Le Capitaine Lancaster et Mme Miller, dans le « Red Rose », ont atterri à Eagle Farm l’aérodrome de Brisbane, peu de temps après 5 heures du soir ce lundi. Environ 2000 personnes étaient présentes, et lorsque les deux aviateurs ont quitté l'avion, ils ont été fortement applaudis. Ils ont été accueillis par Alderman Jolly, le maire de Brisbane. Une fois le biplan remisé dans le hangar, les aviateurs ont été conduits en ville.
    Au cours d'une interview, le Capitaine Lancaster, qui, comme Mme Miller, était en parfaite santé, a déclaré qu'ils étaient ravis d'être à Brisbane, parce qu'ils se rapprochaient de leur objectif principal qui était Melbourne. Depuis qu'il était parti de Darwin, il avait été frappé par les possibilités au niveau du Queensland, en ce qui concernait l'aviation. Il avait l'intention de rester à Brisbane jusqu'au jeudi, et partirait alors pour Sydney pour participer au concours aérien du samedi. Il continuerait ensuite son voyage jusqu’à Newcastle. En évoquant Mme Miller, le Capitaine Lancaster a déclaré qu'elle avait démontré une force et un courage extraordinaires tout au long, ayant traversé de nombreuses épreuves sur le vol qui était un véritable test sur l'endurance d'un homme, et encore plus d'une femme. Il avait la plus grande admiration pour Mme Miller. Il connaissait bien Hinkler et avait la plus haute estime pour lui. Hinkler a eu du courage et de la patience et la minutie qui a marqué son succès. Hinkler était probablement le plus grand aviateur britannique qui n’ait jamais été. Il attendait avec impatience de rencontrer Hinkler.
    Le capitaine Lancaster finira ensuite par se rendre à Canberra, où il sera l'invité de son frère.


Traduction : Alain BROCHARD


Ils reçurent à chaque arrêt une énorme acclamation et des foules enthousiastes les ont salués, leur faisant oublier de fait l’atterrissage à Darwin alors que personne ne les avait attendus !!!

Edward Lancaster le père de Bill, ayant appris le crash de Muntok et que le Red Rose serait réparé à Singapour, décida de se déplacer en Australie pour rencontrer son fils. Ils se sont rencontrés finalement en Nouvelle-Galles-du-Sud, (vraisemblablement à Newcastle). Le père de Bill avait compris le rapprochement de son fils avec Chubbie, il exhorta ce dernier à revenir en Angleterre.

En retour il reçut un non catégorique, Bill rappelant à son père que si Chubbie, au-delà d’avoir été la première femme à effectuer un aussi long vol, elle avait été une partenaire hors pair au cours de cette traversée Londres Port Darwin. Bien que le crédit de la réussite du vol revenait à Bill Lancaster, sans Chubbie la mission n’aurait jamais pu aboutir. De plus la tournée, et les différents contrats qui affluaient des principales villes australiennes où ils devaient se rendre, ne pouvait pas être abandonnés. Chubbie avait également l’avantage d’être d’origine australienne, elle serait donc la meilleure ambassadrice pour parler de ce raid des plus anecdotiques qui avait duré cinq mois.

Bill et Chubbie étaient très amoureux et en plus de leur attirance physique de l’un envers l’autre, ils avaient conclu un partenariat, non pas au sens juridique mais moral et spirituel.

En dehors d’une brève rencontre à leur arrivée à Sydney Chubbie n’avait pas revu son mari. Elle savait que son mariage était fini et elle n’en conserverait que le nom du mari. Pour elle il était hors de question de quitter Bill. Elle avait même fait un arrangement avec Bill pour qu’un tiers de leurs gains combinés reviennent à sa femme Kiki.

Bill joua un rôle important dans toutes les conférences en se déplaçant avec le Red Rose dans les différentes villes où il était accompagné de Chubbie, sans compter que les distances entre chaque étape étaient souvent importantes compte tenu du territoire australien.


Source Internet : Bill et Chubbie à Launceston
« Collection Andrew Lancaster »

Lancaster prit tous les contrats possibles pour renflouer leurs finances et même si parfois leurs frais d’hébergement étaient importants, ils arrivaient au final à faire des économies.

Source Google Earth : Le parcours en Australie
Le balisage de cette carte Google Earth a été réalisé par Alain Brochard

Un contrat, que Lancaster avait passé avec un photographe de Brisbane, consistait à rencontrer le 8 juin 1928, les Australiens Charles Kingsford-Smith et Charles Ulm avec leur équipage américain, le navigateur Harry Lyon et l’opérateur radio James Warner qui avaient réalisé la première traversée du Pacifique dans un Fokker Southern Cross. C’était la plus grande traversée réalisée à ce moment et sans doute le plus grand exploit de tous les pionniers. Lorsque ces derniers étaient arrivés à Sydney près de 250 000 personnes les attendaient pour les accueillir.


Source Internet : Le trimoteur Southern Cross se posant à Brisbane 1928.

Source Internet : À gauche Charles Kingsford-Smith et Charles Ulm
À droite James Warner et Harry Lyon.

Source Internet : Arrivée du Fokker Southern Cross à Sydney


Source Internet : Bill, Charles Kingsford- Smith et Chubbie photographiés devant le Fokker Southern Cross
Collection Andrew Lancaster

L’arrivée du Fokker Southern Cross était un autre volet du partenariat de Bill et de Chubbie. Depuis la rencontre fortuite à Londres dans l’appartement de Baker Street où le projet de voler jusqu’à Darwin avait commencé à prendre forme. L’intérêt du public pour tous ces exploits aériens ne déclinait pas. Lancaster et Chubbie restaient évidemment réceptifs à toute nouvelle offre.

Bien entendu il aurait été sans doute plus judicieux que Bill accepte les conseils de son père et retourne en Angleterre où les propositions d’emploi n’auraient pas manqué, mais son amour pour Chubbie restait le plus fort. Finalement Edward Lancaster renonça à persuader son fils de rentrer en Angleterre.

Alors que l’arrivée du Southern Cross n’intéressait plus la population, il en avait été de même pour Bert Hinkler, puis ensuite du Red Rose, le sensationnel n’étant qu’éphémère, Harry Lyon le navigateur américain du Fokker montra un message qu’il avait reçu d’Hollywood offrant 75 000 dollars à l’équipage pour aider à la réalisation d’un film d’aviation. Kingsford-Smith et Ulm ayant décidé de rester momentanément en Australie, la place devenait libre pour Lancaster et Chubbie et de les remplacer pour le projet en question.

Harry Lyon était quelqu’un de très chaleureux et des plus populaires en Australie, il jouissait à fond de sa soudaine célébrité. Il sympathisa aussitôt avec Chubbie et Bill, Warner avait aussi été sollicité mais il ne s’entendait pas vraiment avec Lyon et avait décliné sur cette proposition.

Pour Bill et Chubbie l’Amérique était comme une évasion, les séparant de leurs problèmes familiaux tant en Angleterre qu’en Australie. Ils décidèrent en conséquence de suivre l’idée d’Harry Lyon. Le biplan fut rapidement vendu et ils prirent rapidement leurs billets sur le Sonoma, le 23 juin ils partaient pour San Francisco, sans prendre le temps de faire leurs adieux. Ainsi Chubbie ne vit même pas son mari avant de quitter l’Australie !


Source Internet : Photos dédicacées de Chubbie et Bill

Pour les deux aventuriers, c’en était fini de leur périple australien et d’autres aventures les attendaient aux États-Unis…


Alain BROCHARD - Juin 2017