Un miracle de fraîcheur
en pleine fournaise


Faire étape dans une oasis, c’est découvrir un refuge d’ombre, un morceau de paradis au cœur des sables : fleurs, fruits et eau en abondance.

L’air surchauffé vibre à la surface du chott el-Djérid. Cet immense lac desséché, dont la croûte de sel accentue la réverbération du soleil, s’étend à l’infini... À l’horizon, pourtant, se dessinent les contours vert sombre d’une palmeraie. Mais, plus on s’en approche, plus elle semble s’éloigner. Un mirage... annonciateur d’une réalité plus étonnante encore : à l’ombre d’un million de palmiers-dattiers, apparaissent Tozeur et Nefta, à 360 kilomètres au sud-ouest de Tunis. Les deux plus belles oasis du pays perpétuent l’image d’une certaine douceur de vivre, aux portes du Sahara.


L’oasis de Tozeur bénéficie d’un ingénieux système d’irrigation, mis au point au
XIIIe siècle par le mathématicien Ibn Chabbat et qui permet d’éviter tout gaspillage.

Malgré sa renommée touristique, Tozeur, quarante-trois mille habitants, a su garder son rythme de vie traditionnel. Adossé à la palmeraie, le centre-ville module son activité au gré de la course du Soleil. Sous les arcades de l’avenue Bourguiba, les magasins d’artisanat déroulent leurs tapis chamarrés, empiétant sur la devanture des petites échoppes et des cafés maures où se disputent d’interminables parties de cartes. Au-delà du marché couvert, réputé pour sa viande de chameau, se trouve l’une des cinq entrées de la médina. La vieille ville a été fondée au XIVe siècle. Le dédale des ruelles serpente entre de hautes maisons de briques d’argile pleines. Leurs murs ocre présentent des motifs géométriques qui rappellent ceux des tapis berbères. Derrière les portes en bois de palmier ou d’abricotier, suivant la richesse du propriétaire, la cour intérieure reste le lieu privilégié de la vie familiale. Au grenier, on continue de faire sécher les dattes dans des jarres de terre cuite...
La plupart des habitants de la médina possèdent une parcelle dans la palmeraie. Havre de fraicheur, l’oasis jouit d’un microclimat. À plus de 20 mètres du sol, les palmes verdoyantes, ployant sous les lourds régimes de dattes, filtrent les rayons solaires. Plus bas, les arbres fruitiers résonnent du chant des oiseaux tandis que l’eau ruisselle aux abords des plants de légumes. Le précieux liquide n’est pas gaspillé pour autant. Depuis la mise au point d’un ingénieux système de canaux d’irrigation par le mathématicien Ibn Chabbat au XIIIe siècle, chaque cultivateur bénéficie, selon la grandeur de son terrain, d’un certain nombre d’heures de distribution d’eau durant la journée et la nuit. Autant dire que ces jardins ne doivent leur exubérante beauté qu’au travail incessant des hommes.


Un coin de paradis pour les lavandières
Tandis que les lavandières de Nefta confient leur lessive aux eaux jaillissantes, les ouvriers
agricoles cueillent les dattes sous les palmiers. D’une belle couleur ambrée,
gorgées de soleil et de sucre, elles sont la plupart du temps destinées à l’exportation.

Fécondées au pollen

Rares sont les propriétaires qui mettent eux-mêmes leur parcelle en valeur. L’exploitation est généralement confiée au «khammes», ouvrier agricole qui perçoit un cinquième des dattes et un tiers des autres cultures en échange de son dur labeur. À 74 ans, Abdelatif Elgouth continue d’escalader le tronc de quelque deux cent cinquante palmiers femelles pour procéder à leur fécondation artificielle à l’aide d’un petit sac empli de pollen mâle. Chaque arbre peut ainsi produire jusqu’à 100 kilos de dattes par an. Les plus fameuses sont les Deglet Nour, « doigts de lumière », ainsi dénommées pour leur couleur ambrée. Gorgées de soleil jusqu’à en devenir translucides, elles sont presque uniquement destinées à l’exportation... En philosophe, Abdelatif rend grâce à Dieu de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille: « L’homme est comme le palmier. Si tu l’entoures d’amour et de soins, il te donnera de beaux fruits. » Tout au fond de la palmeraie, au-delà de la grande mosquée, se trouve l’entrée du « Paradis ». C’est un véritable jardin d’Eden qui, au printemps, embaume du parfum de milliers de fleurs et d’essences rares. Un petit zoo attenant permet d'approcher sans danger tous les animaux du désert. À quelques centaines de mètres, se dresse le belvédère. Lieu de prédilection du poète Aboulqassim Chabbi, mort en 1934 et auteur de l’hymne national tunisien, ce promontoire rocheux est un balcon naturel dominant le bled el-Djérid, le « pays des palmes ». On y découvre une vue panoramique sur Tozeur, l’immensité désolée du chott et, à l’ouest, le fin cordon de palmiers aux crêtes ébouriffées qui mène jusqu’à Nefta. Dernier écrin de verdure avant la frontière algérienne, cette « princesse du désert » ne se dévoile que lentement au regard du visiteur.
Au cœur de la ville se niche la Corbeille. Depuis le café du même nom, on peut contempler ce cirque rocheux au pied duquel, en mêlant leurs eaux, des sources chaudes et froides donnent vie à d’extraordinaires jardins. Sur l’autre versant, des dizaines de coupoles blanches rappellent que Nefta est la deuxième ville sainte de Tunisie. On y vénère le marabout de Sidi Bou Ali, venu au XIIIe siècle rétablir la prédominance de l’islam sunnite. Jusqu’alors, les habitants du Djérid suivaient le rite chiite importé d’Irak. Seul souvenir de cette période : les femmes portent encore le long voile noir.
C’est l’heure où la lumière se fait plus douce. Par petits groupes, on se dirige vers la palmeraie. Certains s’installent pour discuter, les pieds pataugeant dans les canaux d’irrigation. D’autres vont passer la fin de journée au jardin avec des amis. Il n’est pas rare que l’étranger soit également convié à prendre place autour d’un plateau de fruits à peine cueillis.


L e dessin de ce tapis reproduit le schéma d'iirigation des oasis


L’enivrant vin de palme

L’hôte aura à cœur de lui faire goûter le « laghmi », la sève du palmier. Fermenté, le laghmi se transforme en un vin de palme légèrement alcoolisé. Après quelques rasades, la discussion s’anime. Au rythme du tambourin, un chant s’élève sous les feuillages... Bientôt, le soleil se couchera sur les premières dunes de sable du Sud tunisien, à quelques kilomètres de Nefta. Un spectacle grandiose dont les habitants se privent sans regrets. Pour eux, en effet, s’éloigner de la palmeraie sans une raison impérieuse, c’est déjà aller se « perdre dans le désert ».

Boris Thiolay

Source :

N° 178 - Décembre 1993

À voir également : Le Chott el-Jérid par Alain CHUETTE