L'Atelier du Corps
du 3ème Groupe de Transport
à Reggan

par Lucien VANCOPPENOLLE

 

           Profitant de 15 jours de vacances dans le Sud-ouest, de la sieste, une KRO à portée de mains, une place à l’ombre et quelques feuilles de papier, je réponds à la demande du Forum sur les souvenirs de l’Atelier du Corps. Je ne suis pas architecte alors pardon pour le dessin. Je n’ai été que mécanicien toute ma carrière, garagiste agent Citroën pendant 35 ans mais par contre je crois avoir une bonne mémoire (demandez à Michel).

           Pour les histoires voilà : C’est vrai qu’à l’Atelier du Corps on était vraiment à part. À peine arrivé à Reggan, comme tout le monde après 10 jours de classes sahariennes à la CCS, une école de conduite bien sûr. J’ai oublié de vous dire que j’avais déjà 4 mois: 2 mois de classe au CIT 156 à Toul + 2 mois de peloton. Donc après être passé au « marché aux esclaves », j’ai été retenu par le lieutenant GUYONNET pour l’Atelier du Corps. Il m’a confié, avec mon paquetage, à un chauffeur de jeep qui attendait devant le PC et en route pour le bordj Estienne. Quelques mots échangés avec le chauffeur : d’où tu viens ? électricien ? mécano ? essence ? diesel ? Je vois le porche du bordj mais à 200 m coup de volant à gauche et voilà l’entrée de l’Atelier du Corps 2ème échelon B c’était écrit. Présentation à l’adjudant-chef CASTAGNIÈDE (le sosie d’Achille ZAVATTA). PLO - BOULON rien que des mots doux pour mon accueil. Puis il m’a confié au brigadier Jean-Marie FERLA (66 2/A) qui était d’Hesdin (62), moi j’étais de Lille (59), on était entre CH’TIS. Il m’a trouvé une place dans sa chambrée. Là, tout de suite l’ambiance a été bonne et sur le chemin qui nous menait à l’ordinaire, tous m’ont annoncé que j’arrivais bien car le soir il y avait méchoui au garage (un mouton offert pour service rendu à un habitant de la palmeraie). Le soir, un samedi c’est sûr, on avait défilé le matin et la ventilation s’était faite après la prise d’armes. Donc le soir, pot de bienvenue du lieutenant, ma caisse pour mon arrivée etc. Cela est sûrement dû à la chaleur pendant mon tour de garde à la broche, mais je ne l’ai pas vu arriver, le trou noir. Je me suis réveillé le lendemain midi avec le reste du mouton et la broche en travers du lit. Une gueule de bois pas possible, une tenue dans un état… Il paraît que je suis tombé dans un tambour de frein démonté avec la graisse du moyeu au milieu en essayant de rentrer dans la chambre. Pour un début c’était pas mal !!! C’est vrai que par la suite j’en ai refait d’autres aussi fabuleux ! La suite, j’ai découvert notre foyer. Pour gagner du temps nous envoyions un gars chercher tout ce qu’il fallait pour le casse-croûte de 8 h 30 au foyer. Toutes les semaines les gars des pelotons des compagnies venaient accompagner leurs véhicules et ils étaient très contents de notre foyer. 2 chauffeurs par véhicule pour déposer les roues, mettre sur cales + 2 mécaniciens de l’Atelier, cela faisait de belles équipes. Le tout pendant 4 jours, puis les essais où nous partions à 4 avec échange de volant, c’est vraiment là que j’ai goûté au GBO mieux qu’à l’école de conduite et de rame.

           L’Atelier était comme tous les garages aves ses joies, ses bêtises : Un GBO avait ses batteries à plat, pourquoi ? un autre véhicule, une barre et voilà ! Le véhicule mis en route n’avait pas fini sa marche AR que le tracteur reculait déjà ! STOP ! Trop tard, un coin de pare-chocs et 2 renforts de ridelles pliées. Rapport, passage devant le colon. Je devais avoir mes galons de bricard dans les jours qui suivaient. Je suis resté 2ème classe et 8 jours d’arrêt (sans cabane heureusement). J’ai pourtant continué à faire office car je devais remplacer le brigadier-chef Jean-Marie FERLA qui lui passait le CA2. Il faudra le retour en France et le manque de personnel pour qu’on s’aperçoive que j’avais le CA1. À l’Atelier cela n’avait pas d’importance.

           Revenons à Reggan et l’Atelier.

          – Certains ont parlé des problèmes de « l’eau magnésienne », les latrines étaient assez éloignées des chambres d’où quelques traces suspectes sur le trajet ! Puis le jour de la découverte des 6x6 et 4x4, ces merveilleuses bestioles qui vivaient là et sitôt la lumière éteinte montaient des profondeurs. Imaginez le rouleau PQ à la main, la lampe de poche entre les dents car la lumière le soir était rare, le tout sur un siège à la TURC… « souvenirs ».

          – Pour les douches de l’Atelier, il y en avait 4 mais je n’en ai connu que 2 en état de marche. Je n’ai pas oublié l’écriteau qui conseillait, à partir de 10 h 00, d’inverser les robinets, motif : l’eau, bien à l’abri dans son cumulus bien isolé, donnait l’eau froide à la place du chaud, quant à l’eau froide, après avoir suivi le tuyau le long des murs en plein soleil, sortait brûlante par le robinet d’eau froide, d’où le conseil…

          – Question CLIM, il arrivait que les humidos se bloquent à cause du calcaire, mais surtout de la profusion des canettes qui refroidissaient dans l’eau du bac.

          – Histoire aux sanitaires : un convoi de la Légion faisait étape chez nous dans le grand hangar en dur où ils avaient installé leurs lits Picot. Le matin lors de la toilette il y avait foule dans le bloc. Un copain avait étalé ses affaires comme à son habitude sur la tablette devant lui. Un grand Légionnaire est passé et d’un seul « CHLOUC » il a vidé la bouteille d’eau de Cologne. Rassurez-vous, il en a payé une autre lors d’un passage à Colomb-Béchar ou chez « Fifine ».

          – Pour le cinéma, c’est vrai que grâce au 6x6 du garage, nous allions souvent au cinéma Légion du plateau, sans oublier un passage au P7 voir ces dames.

          – Nous étions vraiment à part puisque jamais de rapports, nos seules corvées à nous le matin (déjeuner du matin à la chambre) à tour de rôle un seul allait chercher le petit déjeuner à l’ordinaire. Presque jamais de sport collectif, ni cross, une seule fois un tir, par contre le rapport du midi à la CCS pour le courrier et la soupe.

          – Les gardes : l’Atelier ne montait qu’en 12 heures ou quelque fois le dimanche en 24, mais c’était rare. Si le travail était urgent il arrivait que l’adjudant-chef appelle son collègue de la semaine pour rectifier le planning. Je crois que tous savaient que l’on travaillait dur et ils nous respectaient.

           Par contre pas de dérogations pour le défilé du samedi matin et il fallait être à la hauteur des autres. Je vois encore le colonel SICHLER pendant la revue au présenter armes m’avoir fait remarquer mes ongles en deuil, me demander mon emploi. Après ma réponse : Oui d’accord mais faites un effort la prochaine fois.

          – L’effectif de l’Atelier n’était jamais complet, il y avait toujours des gars en mission, soit détachés dans les pelotons en renfort, soit avec le lot 7 GBC avec 2 hommes dont le titulaire de la gazelle + 1 radio qui venait monter son antenne la veille du départ. Nous nous chargions les caisses de rechange, les fluides (huile etc.) et la marmite norvégienne que nous préparions à l’ordinaire, recette : une couche de glace, une couche de KRO, une couche de glace etc.
Nous arrivions à boire frais 2 jours. Bien sûr les sahariennes des rétros et des pare-chocs servaient aussi.

           Je crois que l’on pourrait écrire un livre avec tous nos souvenirs. Pour mon cas (voir ma page sur le site) l’aventure a continué. Après le retour en France, il me restait 5 mois ½ à faire du 3ème GT au GT 515. Le grand Sud-ouest n’était plus le désert, les GMC n’étaient plus les BERLIET, par contre les copains sont restés : la 66 1/C jusqu’en juillet, la 66 2/A en octobre et nous en décembre. J’ai eu la chance de rester jusqu’à la fin à l’Atelier du Corps avec, comme chef d’atelier, l’Adjudant DENIÉ ancien chef de garage de la 1ère compagnie à Reggan, ce qui fait que tout s’est bien terminé. Les Charentes, Angoulême, le camp de la Braconne c’était pas mal non plus.

          – Pour faire plaisir aux copains, je voudrais moi aussi parler du Wrecker de l’atelier. C’est vrai qu’il était capricieux, il ne roulait pas tous les jours et il rentrait souvent à la barre, mais il avait un avantage : une rasade d’essence, de bonnes batteries et « wroum », oui il était encore à l’essence. Tous ceux qui ont repris du service dans le civil ont reçu un moteur diesel vu son appétit… mais quelle force il avait. Sur la page de mon regretté pote Christian WATTEAU on le voit arriver pour secourir un GBO Légion qui a prit feu. C’est aussi la seule fois où on me voit le cul en l’air. On l’avait remis sur pattes et après que le feu se soit éteint, comme il était foutu on a récupérer la dynamo, le démarreur, la pompe, les tuyaux enfin tout ce qui était facilement démontable. Christian WATTEAU, qui était avec nous dans le GBC, accompagnait comme Radio, cela se passait avant Adrar.

(clic sur les photos pour les agrandir)

          – Petite histoire : le collègue Gérard BROIN avait bien sali sa combinaison, alors, comme à l’habitude, il a enlevé son bleu, l’a roulé et par le bouchon (très large) du réservoir d’essence il l’a laissé tremper quelques kilomètres. D’habitude on le repêchait et on le laissait sécher dans la caisse du lot 7, il redevenait comme neuf, mais cette fois là (peut-être un chiffon dans une poche) le Wrecker, encore une fois, tomba en panne cette fois d’alimentation : nettoyage canalisation, filtre, pompe, carburateur, le tout plusieurs fois de suite… il a fini à Reggan à la barre.

          – La dernière : une mission peu banale, vers le mois d’avril 1967 nous sommes allés à la rencontre de l’ID du général DUBOIS (commandant des sites sahariens), il venait de Colomb-Béchar. Après un bivouac (il reste sur le site une photo de la tente, je ne me souviens plus de qui), la voiture était conduite par un gendarme et il y avait un autre militaire. Quand il nous a croisé et que nous lui avons appris notre mission (nous étions là en cas de ?), il nous a déclaré qu’il ne voulait pas voir notre GBC lot 7 dans son rétro car il voulait profiter, une dernière fois, du désert. Il est vrai qu’il venait pour la dissolution de Reggan. Il existe une photo de Claude CORNIER sur le défilé de clôture avec des GBO défilant à 3 de front. C’est loin tout ça.

           J’espère que cette épopée ne vous aura pas trop ennuyé mais permettra d’illustrer l’histoire de l’Atelier du Corps comme l’a demandé Jean-Marie LE MOING. Je ne détiens pas toute la vérité mais ensemble on peut se compléter. Je sais que Michel en fera bon usage.


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Plan du bordj Estienne

(clic pour agrandir le plan)


A : bureau du sous-lieutenant GUYONNET, officier mécanicien + secrétaire brigadier Jean-Marie FERLA (66 2/A) – bureaux – téléphone – armoires – classeurs.
La seule pièce avec une fenêtre avec vue sur le parc et le bordj des Sénégalais

B : notre foyer, notre refuge, lieu de débauche avec frigo

C : petite remise, il y avait là la seule moto du 3ème GT, une Motobécane 125 cm3

D : le coin tôlerie-soudure, réparation ridelles etc., domaine du regretté Claude BROCHU (66 2/A) devant son poste soudure électrique Hobard, moteur Dodge 6x6 sur remorque ¼ tonne

E : deux emplacements sous abris, les seuls assez longs et larges pour les révisions annuelles GBO avec de la place autour pour les tambours jumelages, lames de ressorts etc.

F : abri léger avec petit local pour cric, chandelles, bouteilles de gaz pleines etc. à l’extérieur les vides et une fontaine d’eau fraîche.

G : local injecteurs avec établi et pompe à tarer, bac nettoyage etc.

H : local huile et graisse, pompe et huile mobile.

I : local compresseur d’air.

J : abri léger pour réparation, environ 6 camions.

K : grand bâtiment en dur, très sombre, c’est pourquoi on y faisait le cinéma pendant la saison froide, entre les 2 bâtiments l’écran et la cabine de projection, ce bâtiment possédait une porte en arcade.

L : second grand bâtiment en dur plus clair car possédant plusieurs portes, servait de dortoir pour les détachements de passage qui utilisaient nos latines et nos sanitaires.

M : latrines, 3 à la turc + lavabos et urinoirs.

N : hangar métallique monté par la CCS, les premiers arrivants (fin 1964 - Gilbert DURÉCU), servait de cabine de peinture à Alain HERMENIER, le peintre (66 2/A).

O : chambres désaffectées, en partie en ruine, avec le devant en arcades donnant sur un quai.

P : ensemble de nos 3 chambrées, du moins à mon époque
- 1 ma chambre, 10 couchages, lits individuels à 1 niveau, vestibule à l’entrée
- 2 chambre plus petite, 8 couchages, sans vestibule
- 3 idem à la 1

Toutes les chambres donnaient sur le quai avec un escalier pour descendre dans la cour, face aux sanitaires.
Toutes les chambres avaient un humido qui donnaient sur le parc du mess, il était encore entretenu avec ses arbres, ses légumes, ses abris, mais la piscine n’était plus en eau (elle fuyait paraît-il !)

Q : deux abris en tôle ondulée arrondie, à part notre matériel de méchoui, c’était le paradis des scorpions et des tarentules.

R : un autre abri en tôle ondulée arrondie dans le parc AV avec matériel de vidange, pompe à graisse, devant un pont mobile de campagne pour véhicules légers.

S : local magasin diesel avec le bureau de René DEU (66 2/C), c’était celui de notre regretté Roland DIONET.

T : local essence, sans bureau, ces 2 locaux possédaient un petit escalier, en réalité c’étaient 2 chambres qui avaient été raccordées à nous.

U : local électriciens, surtout local batteries avec chargeurs, ban pour 20 batteries, au fond du local un grand ventilateur. Il donnait sur la place du mess.

V : bloc sanitaire, 4 douches, lavabos individuels et collectifs et je crois urinoir. M était trop loin.

W : atelier à fer, domaine de Claude BROCHU (66 2/A), au départ on a retrouvé dans le sable du rond de laiton de quoi faire pas mal de quilles.

X : chèvre qui ne servait pas souvent (1 fois pour dépose de boîte de vitesses que l’ERM du plateau ne pouvait pas faire et pour déposer les caisses de GBO.

Y : vieil emplacement de garde (ne servait plus).

Z : abri emplacement pour 3 véhicules essence légers (jeep, 6x6).

           C’est là que nous avons passé notre dernière nuit à Reggan, la plupart étaient déjà à Colomb-Béchar ou en convoi vers Mers el-Kébir. Nous avions rendu – on disait déflationné – c'est-à-dire on rend lits, armoires etc., on compte, on inscrit, on brûle, on donne aussi discrètement aux locaux. C’est sur des lits Picot que l’on a dormi la dernière nuit.
           La veille, la dernière cérémonie à 9 h 00, descente des couleurs devant 120 hommes, montée des couleurs algériennes, ils étaient 12 officiers, sous-officiers, soldats. Nous avons fini, sauf la dotation de voyage les dernières KRO du foyer. Le lendemain départ du convoi à 6 h 00, le soir bivouac à Kerzaz avec comme d’habitude baignade dans le réservoir de la palmeraie. Nous avons laissé de l’huile et de la graisse et quelques bougies pour le moteur Bernard. Le lendemain levé à 5 h 00 (j’ai encore failli faire le café avec le jerrican de gas-oil au lieu de l’eau. Je ne vaux rien le matin). Nous sommes arrivés à Colomb-Béchar vers 17 h 00 au camp du 11ème RGS, juste retour des choses. Quelques réparations les jours suivants. Dernière sortie en ville, soirée chez Fifine, un repas chez Moustache, quelques photos de la ville, la cathédrale, la place des chameaux. J’ai eu la chance de partie dans les premiers pour la France, heureusement j’avais déjà fait des Béchar – Kébir avec baignade à Aïn-el-Türck, cela ne m’a pas manqué (pour la suite revoir ma page sur le site), décollage à 6 h 00 direction Bou-Sfer, escale à Toulouse et arrivée à 13 h 00 à Bordeaux, puis retour en permission à la maison, tout çà en 24 h00. Du calme du diesel à la grande ville en si peu de temps…

Le reste est une autre histoire…


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Les photos
(clic pour les agrandir)



Entrée de l’Atelier du Corps,
au-dessus du capot du GBO l’unique fenêtre du bureau du lieutenant officier mécanicien


À gauche le grand abri pour réparation GBO-GLR-GBC
au fond la porte du grand bâtiment en dur (cinéma l’hiver)
à droite les 2 abris révision GBO


Suite de la partie de boules, les photos se complètent
au fond bâtiment en dur, abri pour les grandes révisions
à droite le coin soudure (Hobard) et la chèvre
dans l’abri un GBO et le Wrecker


Au fond hangar en tôle construit en janvier 1965 (Gilbert DURÉCU)
atelier peinture (Alain HERMENIER)
devant le GLR citerne la porte du 2ème grand bâtiment en dur qui servait de dortoir pour ceux de passage
premier plan à droite, le bloc sanitaire et le râtelier à ferraille
à gauche l’abri en tôle ondulée devant les chambres


GBO en révision sous l’abri


Le poste de soudure, la chèvre et moi en tenue de garde


VANCOP, le Wrecker sous l’abri,
la fontaine à eau fraîche et la remise


VANCOP (avec 45 Kg de moins) et le Wrecker


À gauche GBO et VANCOP (66 2/B),
à droite le Wrecker et Gérard BROIN en tenue légionnaire


Dans le parc, GLR citerne CCS et le pont de campagne
De gauche à droite : Daniel DUSSAUGE (66 2/B), Daniel BOULARD (66 2/A)
Michel FOUBET (66 1/C), Lucien VANCOPPENOLLE (66 2/B), IMBERT (66 2/C),
Gérard BROIN (66 2/B) et le brigadier Jean-Marie FERLA (66 2/A)

 


Lucien VANCOPPENOLLE
Caussade - avril 2011