Raymond MASCARELL

Responsable de la station télétype
à la Base Aérienne 167 à Reggan-Plateau


Récit Saharien


   – Raymond, le « pitaine »
veut te voir pour ton départ à Reggan !

   – Comment ça, mon départ !

   – Tu as bien fait une demande de permutation avec un sous-off de là bas ?

   – Oui, mais ce n’est pas pour tout de suite. Normalement l’État Major a accepté pour l’an prochain. Je pense que le patron se plante.

   Visite donc au capitaine, commandant la Section des Transmissions, dont je fais partie, à la Base Aérienne de Blida.

    – Je ne comprends pas, mon capitaine. Pourquoi Reggan et pourquoi tout de suite ? Il y a sans doute une erreur !

    – C’est un ordre d’Alger. Vous devez rejoindre immédiatement votre nouvelle affectation. Vous avez bien fait une demande de permutation ? J’ai même donné mon accord.

    – Il s’est passé là-bas un accident malheureux qui fait que désormais vous ne faites plus partie de notre effectif. Vous prendrez donc demain le D.C 4 du G.L.A.M, de passage à Boufarik
dit-il d’un ton qui ne souffre aucune contradiction.

      Pas aimable le capitaine en final mais il a raison. Pour lui, puisque j’ai demandé à quitter son unité, tout de suite ou plus tard c’est kif-kif. Je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même. Suprême malchance car après des mois de disette, je viens de faire une conquête assez coquine et j’ai un solide rencard pour le lendemain. Mais ça, je ne peux pas lui dire pour gagner un ou deux jours. La poisse quoi !

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      Et c’est ainsi que j’atterris dans le sud algérien en novembre 1962 en me retrouvant illico affecté comme chef de la station télétype avec sous mes ordres quelques jeunes opérateurs appelés du contingent. Bref, le pied si j’ose dire dans la mesure où je serai assez libre de mes mouvements.

      La raison en est très douloureuse : mon permutant, a reçu les jours précédents une décharge de pistolet-mitrailleur lors d’un exercice de nuit. Les armes étaient pourtant chargées à blanc mais s’agissant à l’époque de cartouches en bois, les tirs, à bout portant, pouvaient être hélas très dangereux. C’était malheureusement le cas et disons pour être franc que je n’étais pas totalement le bienvenu auprès de ses collègues et je pouvais les comprendre. Il va sans dire que désormais ce type d’exercice sera totalement supprimé d’autant que compte tenu des accords d’Évian, nous sommes désormais en territoire algérien et devons de plus en plus nous faire oublier des autochtones.

      Les autochtones ? Il s’agit en fait d’une population Berbère que nous appelons les P.L.B.T (Population Laborieuse du Bas Touat) pour ceux travaillant sur la base ou aux alentours. Sans être tendus ou agressifs nos rapports ne sont pas cependant des plus chaleureux. Pour ma part, j’étais loin des contacts que j’avais eu quelques années auparavant à Brazzaville lors de la colonisation et beaucoup plus tard au Sénégal dans le cadre de la coopération. Le temps passant, je garde pour cette dernière aventure un souvenir des plus merveilleux compte tenu au surplus que je m’étais totalement investi en tant qu’entraîneur d’un club d’athlétisme local.

      Située sur un plateau, la B.A se trouve en fait à une dizaine de kilomètres de l’oasis de Reggan et à une quarantaine du point zéro, lieu des premiers essais atomiques français en 1958.

      La zone où nous résidons est certainement plus ou moins irradiée mais nous n’y pensons pas trop pour l’immédiat. À 20 ans ou 30 ans, tu as souvent d’autres soucis en tête et, disons le honnêtement, tu te sens supérieur à toutes les faiblesses du corps. On verra plus tard et, plus tard, c’est aujourd’hui, quarante cinq ans après, dès lors que tu te poses quelques questions sur telle ou telle contrariété passagère.



Reggan, késako ?


      Bien avant les essais atomiques, nous n’en connaissions pas tellement l’existence. Certes, Colomb-Béchar ou Ouargla, nous en avions une vague idée mais Reggan ? Bref, j’y suis et déterminé à mieux découvrir cet horizon nouveau et ses habitants.

      Ma fonction sur la base n’a rien de particulier par rapport à d’autres bases du genre. Recevoir des messages, les retransmettre aux différents services opérationnels en les déchiffrant éventuellement. Nous sommes en quelques sortes les télécoms de l’armée de l’air avec en plus les servitudes militaires propres à notre grade alternativement avec les légionnaires.

      Hormis la présence de punaises provenant de je ne sais où, notre hébergement n’est pas des plus désagréables d’autant que nous possédons la climatisation. Par contre, malgré nos doubles fenêtres, le sable arrive à pénétrer. Il est vrai que le vent souffle en permanence plus ou moins violemment. Nous vivons dans le désert et nous devons faire avec pendant des mois en rêvant de pluie et de verdure bien qu’un petit ruisseau coule derrière nos bâtiments.

      Nous l’appelons l’oued Merda du fait que les eaux sales du mess s’y déversent avant de se perdre dans les sables.



Hébergement et Mess des gradés



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      Journée continue. Hormis les permanents, sieste obligatoire l’après-midi et cinéma « plein air » quelques soirées en semaine. Nous nous enroulons dans une couverture tout simplement couchés à même le sol.

      Un car nous conduit certains dimanches, supporters et joueurs, à Reggan-Ville pour jouer contre les légionnaires ou autres sur un terrain sans le moindre gazon, bien sûr. Bonjour les ecchymoses ! Vainqueurs ou perdants, nous chantons à tue tête et c’est en cette occasion que j’entends parler pour la première fois d’un jeune chanteur et de sa nouvelle chanson « J’entends siffler le train ». Mon vieux Richard Anthony, si tu savais combien de canards se sont envolés dans la nature ce dimanche là. Sûr que nombre de tes fans l’on fait dérailler ton train !

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      Toujours présent, parfois un peu voilé, Phoebus ne nous quitte pas d’une semelle. Tout dernièrement d’ailleurs, un gradé, parti tête nue en jeep a été victime d’une mortelle insolation. À certaines heures, nous avons donc pour consigne de rester couverts des pieds à la tête. Les locaux et autres touaregs de passage nous donnent d’ailleurs l’exemple avec leurs grands voiles souvent bleus qui les couvrent de pied en cap. Mais le pire, c’est ce que nous raconte un groupe au retour d’une mission :

     – Savez-vous qu’ils ont retrouvé en plein désert pas trop loin d’ici un aviateur totalement desséché tombé il y a une trentaine d’année. Paraît-il qu’il avait tout près de lui des écrits narrant son agonie dans une pochette en cuir.

      Pas croyable, le malheureux avait raconté jour après jour sa souffrance due à une blessure et la soif qui le tenaillait inlassablement en espérant d’improbables secours. Très ému, j’avais à cœur désormais d’en savoir davantage d’autant qu’on l’avait enterré aux alentours de Reggan-Ville.

      Mon premier réflexe sera, dès que j’en aurai l’occasion, d’aller sur sa tombe. Mais, disons la vérité, j’avais lu cet évènement quelques temps auparavant dans Paris-Match.
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Qui était véritablement cet inconnu ?

      Il s’agissait en fait de Bill Lancaster, ancien officier de l’aviation anglaise qui pour diverses raisons privées et publiques avait décidé, comme nombre de pionnier de l’époque, d’entreprendre pour la première fois la liaison Londres – Le Cap.

      Survolant l’Espagne, l’Algérie dont notamment le Sahara et volant à vue en suivant la piste principale, il s’était retrouvé à Reggan pour un plein d’essence. Quittant l’oasis plein Sud, on suppose qu’il s’était écarté de sa route et, compte tenu du vent permanent dans cette région, avait atterri en catastrophe plus au sud-ouest de la piste royale en se blessant assez sérieusement lors de sa chute.

      Souffrant de sa blessure et surtout de la soif ainsi que du froid de la nuit, il vivait son agonie à l’abri illusoire de son aile d’avion en s’obligeant à ne boire qu’un litre par jour sur les sept en sa possession.

      Telle est la raison pour laquelle les secours mis en œuvre par sa fiancée et, tardifs du fait de l’administration régionale, ne l’ont jamais retrouvé là où l’on aurait pu penser qu’il soit. De toute façon, il était certainement trop tard. Son cadavre momifié venait d’être découvert par hasard trente ans après par une équipe de gendarmes méharistes.

      Voici résumé en quelques lignes l’aventure de ces hommes, Bill Lancaster et tant d’autres qui sans support médiatique, balises Argos ou G.P.S partaient vers l’inconnu sans savoir s’ils en reviendraient. Il est patent que la chance comptait pour beaucoup dans leur trajectoire humaine.

     – Jouez-vous au foot ce prochain dimanche contre la légion ou les biffins, me demande notre commandant d’unité ?

     – Pas du tout ! Je n’ai même pas de concours de pétanque ?

     – Paraît-il que vous êtes très bon tireur à ce jeu.

     – Parfois oui, parfois non. Vous savez, mon Commandant, la forme aux jeux d’adresse, ça tient à très peu de chose. Nous avons des jours sans et il m’arrive de faire des trous à la pelle.

     – Bref ! Puisque vous êtes libre je souhaiterais que vous emmeniez certains de nos jeunes appelés visiter les environs.

      Pouvait pas me faire plus plaisir le patron ! Depuis mon arrivée, j’attends l’occasion propice. Et c’est ainsi que me voila bombardé chef d’un détachement comprenant, outre les hommes de troupe, deux jeunes sous officiers. Pour le transport, le régulateur du garage nous propose un G.M.C. et trois Renault 4x4. Il me reste à m’entendre avec le chef cuisinier pour obtenir les pique-niques adéquat et surtout la provision en eau.


      Première visite à Reggan où, comme je l’avais envisagé, je désire retrouver la tombe de Lancaster. Je ne pouvais m’empêcher de penser à cet homme et supposer combien il avait pu désirer la mort comme suprême délivrance. Plus tard, bien plus tard, j’y songerai en me demandant si vraiment je ne suis pas sujet à quelques affabulations de vieillesse.

Le petit cimetière de Reggan
où était inhumé Bill LANCASTER
(Mars 1963)



      Visite de la ville et de son oasis avec en ces lieux des jardins potagers que nous n’imaginions pas. Nos photographes s’en donnent à cœur joie. Remontant dans nos véhicules nous filons vers une ancienne palmeraie dite morte. Plus rien aux alentours si ce n’est quelques troncs d’arbres abattus et totalement pétrifiés. Hormis le vent, c’est un silence profond plein d’une poésie que l’on souhaiterait réelle en imaginant quelques méharis galopants. Ici et là, des arbres et encore des arbres pétrifiés dans leur éternité. Nous découvrons un peu plus loin avec stupeur ce que je pense être un bout de patte de dinosaure. Existe-il encore ?

     Était-ce un souci d’environnement avant l’heure ? Je n’étais pas favorable pour que chacun en « pique » un bout en souvenir. Soit, j’étais d’accord pour des petits morceaux d’arbres jonchant le sol voire quelques roses des sables mais j’avoue que nos jeunes avaient compris le sens de mon message. Quelques photos ici et là tout simplement et le plaisir de la découverte. C’était déjà beaucoup et nous devions retourner à la maison avant la tombée de la nuit.


Arbre ou dinosaure ?



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      Autre mission de découverte, autres plaisirs ! Nous choisissons cette fois-ci une boucle sud un peu plus complète avec sur une hauteur ce dont nous soupçonnons être les ruines d’anciennes casemates. Va pour la casemate mais d’aucuns pourront dire le contraire assurément. Je ne résiste pas au plaisir d’une photo pour la postérité. A chacun son ego !... Du sable à « perpète » souvent assez mou par endroits. Quitte à avancer à reculons, les Renault 4x4 sautant comme des cabris font merveille. Le G.M.C, malgré ses deux ponts passe beaucoup plus difficilement.

      Et c’est ainsi que nous arrivons enfin dans une palmeraie verdoyante à souhait. Nous n’y sommes pas seuls puisque nous y rencontrons un peloton de gendarmes méharistes en jeep avec qui nous partageons le repas. Nous sommes en fin février 1963 et la moindre des choses que nous pouvons dire, c’est qu’il ne fait pas chaud dans le site malgré le soleil de la mi-journée.



      Et le vent ? Pas pour les cornes d’un cocu, tu peux dire !... Rien à voir avec le « frivolant » de nos chants d’enfance. Nous enroulons comme nous pouvons notre chéchia autour de la tête pour mieux faire face à l’agressivité du sable. Je crois que c’est ce jour là que j’ai compris combien la région pouvait être guère enchanteresse...

      Sur le chemin du retour, nous envisageons de nous arrêter pour prendre quelques photos d’un bled qui nous semble bien paisible. Descendant de nos véhicules, nous nous approchons pas à pas, sereins mais pas trop téméraires.



      Soudain, une volée de cailloux, ponctuée de youyous hostiles salue notre arrivée. Il convient de faire demi-tour si nous ne voulons pas provoquer un incident mal venu dans cette période post accords d’Evian.

     – Vite, vite, fais monter les jeunes dans les camions et « escapa » à l’italienne, je crie au sergent :

     – On l’a échappé belle, hein chef, dit-il un peu plus loin malicieusement.
  
    Tu l’as dit, Bouffy, pensais-je en solo.

    Pour le coup, je me retrouvais 2ème classe avec les compliments du grand Charles ou de son ministre sans participer pour une part bien modeste aux premiers essais de fusées Centaure qui détermineront par la suite notre programme spatial du Pacifique.

    Quelques séjours aussi à Colomb-Béchar où nous avons la joie de nous rencontrer au mess avec quelques anciens et d’échanger de belles histoires locales dont j’ai beaucoup de plaisir à citer celle-ci :

     Tout dernièrement
, nous raconte un ancien, l’instit du coin demande aux élèves s’ils savent ce que veut dire la volupté.

     – Moi je connais dit Salem en levant le bras, c’est quand tu niques tout le temps.

     – Faux et pas poli !... Et toi David, peux-tu répondre à la question ?

     – La volupté, Monsieur, c’est quand on est bien. Tout dernièrement avec mon père, nous avons regardé un match de foot. À la mi-temps, nous sommes allés à la buvette. Nous avons bu du soda et mangé des cacahuètes. Bref ! Nous étions heureux, oui heureux et certainement que c’est ça la volupté.

     – Bravo David, ça y ressemble. As-tu compris maintenant Salem ?

     – Oui Monsieur ! Tu pars au stade avec ton père. Au repos des joueurs, ton père achète des pistaches, des dattes et puis des figues. Il en a mangé tellement qu’il a volup té et il a chié dans son pantalon.

      Comme tous bons rieurs pimentant leurs lieux de rencontre, nous sortions de la bienséance verbale pour vaincre la solitude. Le quotidien quoi, avec souvent ses interminables parties de tarot.

      Itou au surplus, quelques noubas avec les légionnaires notamment lors de la commémoration de Camerone et quelques matchs de football homériques qui ne manquent de gnons. Le truc classique entre gentlemans de bon voisinage qui s’estiment beaucoup. C’était le cas !...

      Ainsi se clôturera mon aventure saharienne pour ce qui concerne les sauts dans l’étendue désertique puis quelques missions par ci, par là voire même en France via la valise diplomatique dans le cadre de mes activités cryptographiques.

      Raymond MASCARELL

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Les Renault 4x4
La tombe de Bill LANCASTER
Arbre ou dinosaure ?
Casemates en pierres

Rencontre avec un détachement de gendarmes
Sortie Ech Chebbi
Palmeraie d'Ech Chebbi

Une partie de pétanque
L'équipe de foot
Le match

Sortie dans le désert
Les vitraux de la piscine
Vue des toits

 


À voir également : Kézako une station Télétype